Article mis à jour le 24 août 2022

Crimes et châtiment

Clearwater beach
Clearwater beach

Richard Mallory, 51 ans, était le propriétaire d’un magasin de réparation électronique de Clearwater, en Floride. Il lui arrivait de fermer boutique brusquement et de disparaître durant quelques jours pour se saouler et trouver des filles… Il avait divorcé 5 fois, et changé les serrures de son appartement 8 fois en trois ans. Il ne gardait ses employés que le temps d’éponger le retard qui s’était accumulé durant sa dernière « escapade », rompant leur contrat lorsque les commandes reprenaient un cours normal. Ses seules constantes étaient l’alcool, la pornographie et les prostituées.
Ainsi, lorsqu’il n’ouvrit pas son magasin, début décembre 1989, personne ne s’en étonna vraiment. Personne n’était d’ailleurs assez proche de lui pour remarquer son départ. Il fallut attendre la découverte de sa Cadillac, quelques jours plus tard, abandonnée dans un bois en dehors de Daytona (dans le comté de Volusia), pour que l’on commence à se poser des questions. Son portefeuille et ses papiers personnels étaient éparpillés à côté du véhicule, ainsi que des préservatifs et une bouteille de vodka à moitié vide. Les policiers trouvèrent des taches de sang derrière le siège conducteur.
Douze jours plus tard, le 13 décembre, deux hommes cherchaient de la ferraille le long d’une route proche de l’Interstate 95, au nord de Daytona Beach, dans le Comté de Volusia, lorsqu’ils découvrirent un corps enveloppé dans un vieux tapis. Les empreintes relevées précautionneusement sur les mains déjà décomposées permirent d’identifier Richard Mallory. Il avait été tué de trois balles d’un calibre .22.
Plusieurs mois d’investigation sur son style de vie et parmi ses connaissances douteuses ne produisirent aucune piste intéressante. Les enquêteurs soupçonnèrent durant un moment une strip-teaseuse dénommée « Chastity » (sic) mais finirent par abandonner, par manque de preuve.

Le 5 mai 1990, le corps d’un homme fut découvert nu dans le Comté de Brooks, en Georgie, près de l’Interstate 75, tout proche de la frontière avec la Floride. Il avait été abattu de deux balles d’un calibre .22. Les enquêteurs de Georgie ne parvinrent pas à identifier le corps.

Le 1er juin 1990, un autre corps nu, ne portant qu’une casquette de baseball, fut découvert dans les bois du Comté de Citrus, en Floride, à 60 km au nord de Tampa. Les enquêteurs trouvèrent, entre autres, des préservatifs sur le sol.
La police soupçonna d’abord Matthew Cocking, le géomètre qui avait découvert le corps : il portait un pistolet sur lui et lançait des obscénités ou des injures à quiconque lui posait des questions sur sa découverte.
Mais l’identification du corps une semaine plus tard comme étant celui de David Spears, 43 ans, originaire de Bradenton, en Floride, innocenta Matthew Cocking. David Spears était un chauffeur de poids lourd que l’on avait vu pour la dernière fois le 19 mai, alors qu’il allait rendre visite à son ex-épouse à Orlando. Son pick-up avait été découvert une semaine plus tôt sur le bord de l’Interstate 75, dans le comté de Marion, les portes ouvertes et sans ses plaques d’immatriculation. On avait également volé sa boîte à outils.

Le 6 juin, 45 km plus au sud, dans le Comté de Pasco, un autre corps nu fut découvert à quelques kilomètres de l’Interstate 75. Il était tellement décomposé que les médecins légistes ne parvinrent pas à relever d’empreintes digitales et ne purent déterminer la date du décès. Les neuf balles enlevées du corps étaient rongées par la décomposition, mais l’on put établir qu’elles provenaient d’un calibre .22.
Le corps fut plus tard identifié comme celui de Charles Carskaddon, 40 ans, un monteur de rodéos originaire de Booneville (Missouri). Il avait disparu depuis le 31 mai 1990, sur la I-75, alors qu’il allait voir sa fiancée à Tampa. Le 7 juin, son véhicule fut retrouvé dans le comté voisin de Marion. On avait volé plusieurs objets à l’intérieur, dont un pistolet de calibre .45.

Les lieux des meurtres
Les lieux des meurtres

Un enquêteur du Comté de Pasco, Tom Muck, avait entendu parler du meurtre analogue du Comté de Citrus.
Il contacta l’enquêteur Marvin Padgett, du bureau du shérif du Comté de Citrus, pour lui faire part des similarités qui existaient entre leurs affaires. Ils relevèrent des correspondances entre leurs affaires.
Cherchant d’autres pistes, Muck appela les enquêteurs des comtés et états voisins, et le Bureau d’Enquête de Géorgie lui parla du corps non identifié découvert le 5 mai. Il nota à nouveau des similarités entre les victimes, mais savait qu’il ne possédait pas encore assez de preuves pour demander une enquête commune.

Le 4 juillet 1990, une voiture zigzagua sur la State Road 315, près d’Orange Springs (comté de Marion), sortit de la route et termina sa course dans des buissons. Rhonda Bailey, qui était assise sous son porche et avait vu l’accident, affirma que deux femmes émergèrent de la voiture, jetant des canettes de bières dans les bois et s’insultant l’une l’autre. La brune ne disait pas grand-chose, mais la blonde, dont le bras saignait à cause de l’accident, criait sur l’autre.
La blonde remarqua que Rhonda Bailey les avait vues et la supplia de ne pas appeler la police, affirmant que son père vivait tout près. Elles remontèrent dans la voiture, dont le pare-brise était à présent brisé, et sortirent le véhicule des buissons. Mais elles n’allèrent pas bien loin et abandonnèrent la voiture endommagée au bord de la route pour partir à pied.
Un pompier volontaire d’Orange Springs fut prévenu par un passant et se rendit sur les lieux. Il croisa les deux femmes et leur demanda si elles étaient « celles de la voiture ». La blonde jura et lui répondit par la négative, assurant qu’elles n’avaient pas de voiture et n’avaient besoin de rien. Il les laissa partir.
Les adjoints du shérif du Comté de Marion trouvèrent la voiture, une Pontiac Sunbird grise de 1988. Le pare-brise et les vitres avant étaient brisées. Il y avait des taches de sang un peu partout, à l’intérieur, une empreinte sanglante sur une poignée de porte, et les plaques d’immatriculation avaient disparu.
Une recherche basée sur le numéro d’identification du véhicule (gravé sur le châssis) révéla que le véhicule appartenait à Peter Siems, qui avait disparu le 7 juin 1990, après avoir quitté sa maison de Jupiter, en Floride, afin de se rendre chez des amis, dans l’Arkansas.
Siems, 65 ans, était un commerçant à la retraite devenu missionnaire, qui passait le plus clair de son temps dans une mission chrétienne d’aide aux nécessiteux.
John Wisnieski, de la police de Jupiter (à 300 km au sud d’Orange Springs), qui enquêtait sur la disparition de Siems depuis le début, envoya un télétype national contenant les descriptions des deux femmes (fournies par le pompier qui les avait croisées), un résumé de son affaire et des portraits-robots au « Bulletin d’Activité Criminelle de Floride ».
Sans trop d’espoir.

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La Highway 19 près de la Ocala National Forest

Eugene Troy Burress, 50 ans, se rendit tôt le matin du 30 juillet à son emploi de livreur à la Gilchrist Sausage. Lorsqu’il ne revint pas de son circuit de livraison, sa directrice tenta de se renseigner et découvrit que Burress n’avait pas fait sa toute dernière livraison. Le soir, elle et son époux firent le tour de la ville à sa recherche. À 2h du matin, l’épouse d’Eugene Burress déclara à la police qu’il avait disparu.
À 4h du matin, les adjoints du shérif du Comté de Marion découvrirent son camion sur le bord de la State Road 19, à 30 km à l’est d’Ocala. Il n’était pas fermé et les clés n’étaient plus sur le tableau de bord.
Le corps de Burress fut trouvé par une famille qui pic-niquait dans la Ocala National Forest, 4 jours plus tard, non loin de la Highway 19, à une douzaine de kilomètres de son camion.
La chaleur et l’humidité de la Floride avaient accéléré la décomposition, excluant toute identification, mais l’épouse de Burress reconnut son alliance. Il avait été abattu de deux balles d’un pistolet de calibre .22, une dans le torse et l’autre dans le dos.
Non loin, la police trouva ses cartes de crédit, ses factures et un sac d’argent liquide d’une banque locale, vide.
Le premier suspect de l’inspecteur John Tilley fut un vagabond nommé Curtis Blankenship. Il avait fait du stop sur la Highway 19 le jour de la disparition de Burress et avait été pris non loin du camion abandonné de la victime. Il devint toutefois évident, à mesure que l’enquête avançait, que Blankenship n’avait rien à voir avec le meurtre.
Mais Tilley ne trouva pas d’autre suspect.

Durant l’automne 1990, une énorme enquête prit place à Gainesville, en Floride, afin de retrouver l’assassin de quatre étudiantes et un étudiant, dont les corps avaient été retrouvés en août.
Les jeunes femmes avaient été violées, poignardées et mutilées. Il n’existait ni indices probants, ni suspect… et la région était envahie de journalistes.
Le shérif du comté de Marion, où se situe Gainseville, subissait une terrible pression et devait annoncer quotidiennement ses (non) progrés aux médias (le tueur de ces jeunes gens, Danny Rolling, allait être arrêté un an plus tard).
Bien que les enquêteurs des différents comtés alentours soient à présent au courant de l’existence d’un second tueur, le Shérif n’avait aucune envie d’admettre qu’il frappait depuis déjà des mois… et ne semblait pas vouloir s’arrêter.

Dick Humphreys ne rentra jamais chez lui après son dernier jour de travail au « Département de la Santé et des Services de réhabilitation » de Floride, à Sumterville. Spécialisé dans les affaires d’enfants maltraités, il était sur le point de déménager au bureau d’Ocala. Il avait 56 ans et avait d’abord été chef de la police dans l’Alabama. Il célébra son 35ème anniversaire de mariage le 10 septembre et disparut le lendemain.
Le soir du 12, son corps fut découvert dans le Comté de Marion. Il avait été abattu de six balles de calibre .22, une septième avait traversé son poignet. Sa voiture fut retrouvée le 19 septembre dans le comté de Suwanee, les plaques d’immatriculation manquantes.

Un mois plus tard, le corps nu de Walter Gino Antonio, 60 ans, fut découvert sur une route dans le comté de Dixie. Il était chauffeur de camion, travaillait parfois comme vigile et était réserviste de la Police du comté de Brevard. Il avait été abattu de quatre balles de calibre .22.
Sa voiture fut découverte cinq jours plus tard, dans le comté de Brevard, 300 km plus loin. La police détermina qu’on lui avait volé une chevalière en or, son badge de la police, sa matraque, ses menottes et sa torche.

ComtesMeurtres
Les comtés des meurtres

Le capitaine Steve Binegar commandait la division d’enquête criminelle du Shérif du comté de Marion. Il connaissait les meurtres commis dans son comté, mais aussi ceux des comtés voisins. Il ne pouvait ignorer les similarités : des hommes blancs d’âge moyen, voyageant seuls, tués par balles avec un calibre .22. Plusieurs étaient nus. Ceux qui étaient habillés avaient les poches de leur pantalon retournées. Leurs véhicules avaient été retrouvés à des kilomètres des corps.
Binegar épaulé par un groupe de travail multi-agences formé de représentants des comtés où les victimes avaient été trouvées, ainsi qu’une profiler du département de la police de Floride.
Selon cette dernière, rares étaient les personnes qui s’arrêtaient encore pour prendre des auto-stoppeurs – de peur d’être agressé – et le ou les tueurs devaient donc paraître « non menaçants  » pour les victimes. Elle porta ses soupçons sur des femmes, et plus particulièrement sur les deux femmes qui avaient démoli la voiture de Peter Siems et s’étaient enfuies. La manière de tuer de ces deux femmes, particulièrement brutales, était tout à fait inhabituelle pour des tueuses en série, qui sont bien plus souvent de discrètes veuves noires. Par contre, la capacité à attirer sa victime dans un endroit isolé et à la voler était plus « un type de crime féminin ». Mais ce n’était pas simplement des vols qui tournaient mal, où les victimes finissaient par être tuées. Non, la tueuse était avant tout une meurtrière, qui en profitait pour les voler.

Les journalistes locaux commençaient à poser des questions et Steve Binegar décida de s’allier à la presse pour obtenir de l’aide. À la fin novembre 1990, l’agence Reuters diffusa un long article sur les meurtres, expliquant que la police cherchait les deux femmes. Les journaux de toute la Floride reprirent l’histoire et la publièrent avec les portraits-robots des deux femmes en question.

Il fallut peu de temps pour que des pistes intéressantes commencent à affluer et, à la mi-décembre, la police avait même reçu des renseignements précis concernant les deux femmes.
Un homme à Homosassa Springs expliqua qu’elles lui avaient loué une caravane un an auparavant. Selon lui, le nom de la brune était Tyria Moore et la blonde, « Lee ».
Une femme de Tampa affirma que les deux femmes avaient travaillé dans son motel, au sud d’Ocala. Leurs noms étaient Tyria Moore et Susan Blahovec.
Un homme qui préféra rester anonyme identifia les portraits-robots comme étant ceux de Ty Moore et Lee Blahovec, qui lui avaient acheté une caravane à Homosassa Springs. Selon lui, Lee Blahovec était la chef du duo. C’était une prostituée qui vendait ses charmes sur les airs de repos des camionneurs.
L’information la plus intéressante provenait de Port Orange, non loin de Daytona. La police locale avait retrouvé et suivi Lee Blahovec et Tyria Moore, et fournit un rapport détaillé des mouvements du couple de septembre à décembre. Elles s’étaient d’abord installées au Motel Fairview de Harbor Oaks, où Blahovec s’était inscrite sous le nom de Cammie Marsh Greene. Elles avaient ensuite vécu quelque temps dans un petit appartement derrière un restaurant puis étaient revenues au motel. Début décembre, elles avaient quitté Fairview et Blahovec était revenue seule, jusqu’au 10 décembre.

Une vérification informatique procura les permis de conduire et les casiers judiciaires de Tyria Moore, Susan Blahovec et Cammie Marsh Greene.
Moore n’avait pas vraiment de casier, car des accusations de cambriolage par effraction portées contre elle avaient été abandonnées en 1983.
Blahovec avait été arrêtée une fois pour une petite infraction.
Greene n’avait aucun casier (Wuornos avait « emprunté » ce nom, et les papiers d’identité qui allaient avec, à une amie de Tyria Moore). Problème : la photo du permis de Susan Blahovec ne correspondait pas à celle de Cammie Greene.
La piste Cammie Greene apporta toutefois des preuves décisives. Les policiers du comté de Volusia inspectèrent les « prêteurs sur gage » du secteur et constatèrent qu’à Daytona, Greene avait mis en gage un appareil photo et un détecteur de radar. Ils avaient appartenu à Richard Mallory. À Ormand, elle avait mis en gage des outils qui se révélèrent être ceux volés du camion de David Spears.
Pour mettre ces objets en gage, Greene avait dû laisser l’empreinte de son pouce sur le reçu. Le système d’identification automatique des empreintes ne trouva rien, au départ. La responsable se concentra alors sur le comté de Volusia et, avec ses collègues, elle chercha une correspondance « à la main ». Incroyablement, à peine 1/4 d’heure plus tard, elle découvrit que l’empreinte figurait dans un dossier de 1986, pour port d’arme illégal (un calibre .22) et vols de voiture contre une certaine Lori Grody. La photo ressemblait à celle du permis de conduire de Susan Blahovec.
Une empreinte de paume sanglante découverte dans la voiture de Peter Siems correspondait aux empreintes de cette Lori Grody.

Toutes ces informations furent envoyées au Centre National d’Informations Criminelles. Des réponses parvinrent du Michigan, du Colorado et de la Floride. Lori Grody, Susan Blahovec et Cammie Marsh Greene étaient des noms d’emprunt utilisés par une seule et même femme : Aileen Carol Wuornos.
Plusieurs personnes téléphonèrent également pour indiquer que Wuornos et sa compagne avaient été vues aux alentours de Daytona Beach. La force spéciale fut donc déplacée dans cette ville.

Le 5 janvier 1991 au matin, des enquêteurs, dont certains se faisant passer pour des vendeurs de drogue, parcoururent les rues et les bars de Port Orange, Daytona Beach et Harbor Oaks, dans l’espoir de trouver Wuornos.
Le soir du 8 janvier, Mike Joyner et Dick Martin, dans leurs rôles de dealers, la repérèrent dans l’un des bar les plus mal fréquentés de Harbor Oaks. Elle avait déjà bu quelques verres, et ils voulurent l’approcher « en douceur », et la faire parler pour obtenir des confidences. Ils lui offrirent un verre et lui proposèrent de danser, mais des policiers locaux firent irruption dans le bar et emmenèrent Wuornos dehors. Mike Joyner téléphona immédiatement au poste de commande, où les autorités de six juridictions s’étaient réunies. Ce n’était pas le résultat d’une fuite : les policiers faisaient juste leur travail, car Wuornos avait encore commis l’un de ses innombrables délits.

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Le shérif du comté de Volusia appela la police de Harbor Oaks et lui demanda de ne surtout pas arrêter Wuornos. Les policiers furent rapidement prévenus et Aileen Wuornos réapparut dans le bar peu de temps après. Joyner et Martin lui payèrent encore quelques bières. Elle quitta le bar vers 22h, après avoir décliné leur invitation pour une « balade ».
Ils la retrouvèrent le lendemain et le surlendemain dans un bar de « bikers », le « Last Ressort ». Joyner et Martin burent d’autres bières (à leur grande surprise, elle buvait encore plus qu’eux et « tenait mieux l’alcool ») et tentèrent encore de la faire parler. Joyner apprit que Wuornos portait autour du cou un collier et une clé qui «ouvrait l’histoire de (sa) vie».
Le lendemain après-midi, Joyner et Martin revinrent au « Last Ressort » avec des micros cachés, mais Wuornos, méfiante, ne leur parla toujours pas. Ils avaient prévu d’attendre le soir pour l’arrêter, mais les deux enquêteurs apprirent que des dizaines de bikers allaient arriver le soir-même, et craignirent que Wuornos ne parte avec l’un d’entre eux.
Joyner proposa alors à Wuornos de se laver dans sa chambre de motel, ce qu’elle accepta.
Sur les marches du bar, Larry Horzepa, du bureau du shérif du comté de Volusia lui annonça qu’elle était arrêtée pour le port d’arme illégal de Lori Grody. Il ne fit pas mention des meurtres et les médias ne furent pas prévenus que l’une des suspectes avait été arrêtée. Ils préféraient prendre leur précaution : ils ne possédaient pas l’arme des crimes et ne savaient pas où était Tyria Moore.

Cette dernière fut localisée le 10 janvier. Elle vivait avec sa sœur à Pittston, en Pennsylvanie. Des policiers du comté de Citrus et du comté de Marion allèrent l’interroger. Ils lui lurent ses droits, mais ne l’inculpèrent pas de quoi que ce soit. Elle accepta de raconter ce qu’elle savait sur Wuornos.

Elle était au courant des meurtres depuis que « Lee » était revenu avec la Cadillac de Richard Mallory. « Lee » lui avait expliqué avoir tué un homme, mais Moore lui avait dit de ne rien ajouter. « Je lui ai dit que je ne voulais rien entendre à ce sujet… Et à chaque fois qu’elle revenait après ‘ça’ et disait certaines choses, m’expliquant où elle avait obtenu certains objets, je lui disais que je ne voulais pas entendre ». Elle avait eu des soupçons, mais voulait en savoir le moins possible. Selon elle, plus elle en aurait su, plus elle aurait eu envie de dénoncer « Lee » à la police. Et elle ne voulait pas le faire. « J’avais peur. Elle disait toujours qu’elle ne me ferait pas de mal, mais en fait, on ne peut pas lui faire confiance, alors je ne sais pas ce qu’elle aurait pu me faire ».
Le lendemain, Moore accepta néanmoins d’accompagner les deux policiers en Floride afin de les aider dans leur enquête. Les policiers désiraient obtenir une confession de Wuornos et expliquèrent à Moore comment ils comptaient s’y prendre.
Ils l’installèrent dans un motel de Daytona et lui demandèrent de contacter « Lee » en prison en disant qu’elle venait chercher ses affaires. Leurs conversations seraient évidemment enregistrées et Moore devait dire à Wuornos que les policiers avaient interrogé sa famille et qu’elle craignait qu’on l’accuse, elle, à tort, des meurtres. Les enquêteurs espéraient que, par attachement envers Moore, Wuornos admettrait les meurtres.
Et c’est exactement ce qui arriva.

Aileen Wuornos pensa d’abord qu’elle n’était emprisonnée que pour le port d’arme illégal de « Lori Grody ». Lorsque Moore lui fit part des soupçons de la police, Wuornos – se doutant que les téléphones de la prison étaient surveillés – parla des meurtres avec une sorte de code et en se construisant des alibis.
Moore se fit plus insistante à mesure que les jours passaient et Wuornos finit par se douter du fait qu’elles étaient écoutées par des policiers.
L’une de leurs conversations permit aux policiers de comprendre que la fameuse clé que Wuornos portait autour du cou ouvrait en fait un casier dans un entrepôt que Wuornos avait loué. Ils y trouvèrent des objets volés à David Spears, la matraque de Walter Antonio, ainsi qu’un appareil photo et un rasoir électrique ayant appartenu à Richard Mallory.
Après des heures passées à discuter, Wuornos devint moins méfiante, se laissa convaincre et déclara finalement à Moore qu’elle ne la laisserait pas « payer pour elle ».
« Continue et laissent les savoir ce qu’ils veulent savoir ou quoi que ce soit. Et je te couvrirai parce que tu es innocente. Je ne vais pas te laisser aller en prison. Écoute, si je dois avouer, je le ferai ».

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Durant sa confession aux policiers Larry Horzepa et Bruce Munster, Wuornos insista jusqu’à plus soif sur deux sujets importants auxquels elle tenait beaucoup.
– D’abord, elle affirma que Moore n’avait absolument rien à faire avec aucun des meurtres. Elle fut très solennelle dans son affirmation du fait que RIEN n’était sa faute, ni les meurtres, ni aucune circonstance qui l’aurait conduit à tuer.
– Deuxièmement, tous les meurtres avaient eu lieu en état de légitime défense, selon elle. Chacune des victimes l’avait agressée, menacée ou violée.

Son histoire semblait se développer à mesure qu’elle l’exprimait.
Lorsqu’elle pensait avoir dit quelque chose d’incriminant à son encontre, elle revenait en arrière et racontait de nouveau cet événement, en changeant des détails pour qu’ils coïncident avec son scénario global. Elle expliqua avoir été violée plusieurs fois dans le passé et en avoir « eu assez ». Et lorsque chaque victime était devenue agressive, elle l’avait tuée « par peur ».
Michael O’Neill, son avocat commis d’office du Bureau de Défense Publique du Comté de Volusia, lui conseilla à plusieurs reprises d’arrêter de parler. Exaspéré, il lui demanda finalement : « Est-ce que vous réalisez que ces types sont des flics ? ». Wuornos répondit : « Je sais. Et ils veulent me pendre. Et c’est bien, parce que peut-être, mec, que je le mérite. Je veux juste qu’on en finisse. »
Elle nia par contre avoir tué Peter Siems, dont le corps n’avait toujours pas été retrouvé, ainsi que le meurtre de l’inconnu retrouvé nu dans le comté de Brooks, en Georgie, en mai 1990.
Elle finit par admettre ces deux meurtres le matin du 16 janvier 1991.

Une avalanche d’offres d’écriture de livres et de scénarii de films se déversa sur les policiers, les familles des victimes, Tyra Moore et, évidemment, sur Aileen Wuornos.
Moins de deux semaines après son arrestation, elle vendit les droits d’adaptation de son histoire au cinéma. Elle sembla penser qu’elle allait pouvoir obtenir des millions de dollars grâce à son histoire : elle ne savait pas que la Floride possède une loi empêchant les criminels de profiter ainsi de leurs crimes. Son visage apparaissait dans tous les médias, tant locaux que nationaux. Elle avait l’impression d’être une vedette et continua de parler de ses crimes à quiconque l’écoutait, et notamment les employés de la prison du comté de Volusia. À chaque fois qu’elle re-racontait son histoire, elle la raffinait, se présentant à chaque fois sous un meilleur jour.
Dans le même temps, trois des principaux enquêteurs firent appel à des avocats afin de gérer les autres offres provenant d’Hollywood, et se retrouvèrent fort embarrassés lorsque leur avidité à profiter de cette affaire fut révélée au public. Ils affirmèrent avoir voulu vendre leur version de l’affaire, avec l’intention de reverser l’argent des droits à des associations de victimes…