Article mis à jour le 27 septembre 2022

forensic

Ce texte a été écrit par Mme Sylvianne Spitzer et il est paru au mois d’octobre 1999 dans la revue française de psychiatrie et de psychologie légales “Forensic”.
Mme Spitzer est psychologue de formation. Elle est diplômée de 3ᵉ cycles dans les domaines de la criminologie (science du comportement criminel), de la criminalistique (science de la recherche d’indices) et de la victimologie (science de l’étude des victimes) de l’Université Paris V.
Elle est également intervenante auprès du Centre national d’Études et de Formation de la Police Nationale.
Site de Mme Sylvianne Spitzer : “Profilage Criminel

Le Profilage Criminel

Dès 1886, Krafft-Ebing est le premier à souligner les correspondances possibles entre les perversions sexuelles et les crimes et délits. Son objectif est “la recherche de troubles intérieurs susceptibles d’éclairer le forfait”.

La technique de “profilage psychologique” sera développée vers 1950 par James A. Brussel, psychiatre américain, afin de faciliter l’arrestation des meurtriers. Il a établi le profil du “Mad Bomber” à New York (George Metesky) avec beaucoup d’acuité.
Bien que la police ne l’ait jamais consulté sur une affaire, James Brussel n’était pas étranger au monde de la folie criminelle. Il a écouté la version de la police, étudié les photographies des bombes non explosées et lu les lettres de l’agresseur écrites en lettres capitales.

George Metesky
George Metesky

Le sexe du poseur de bombes ? Il assure que c’est un homme, comme la plupart des poseurs de bombes. Son manque d’attention pour la vie des autres ne peut qu’être le signe d’une personne souffrant d’une manie de persécution : paranoïa. Correction, paranoïa chez un sujet d’âge moyen. Pourquoi ? Parce que la paranoïa rentre dans sa phase dangereuse chez les patients vers 35 ans. Quant aux messages, chaque lettre y est méticuleusement tracée en capital et exprime une personnalité extrêmement polie, très dangereuse.
Il le voit comme une personne solitaire, d’une taille moyenne, avec une constitution athlétique (ceci est une caractéristique statistique de la plupart des paranoïaques), qui vit seul ou avec une femme non mariée plus âgée que lui – une tante peut-être ou une sœur. La phraséologie utilisée suggérait un émigrant américain, et du fait de son âge, un homme issu de parents immigrants qui avaient appris l’anglais dans des livres de l’époque victorienne. Il décida qu’il était issu d’une première génération slave (slave du fait d’avoir choisi des bombes comme arme).
En combinant caractéristiques comportementales avec probabilités statistiques, s’appuyant sur une compétence professionnelle et non sur l’intuition, il a ouvert la voie aux investigations futures.

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Hazelwood, Mullany, Douglas et Ressler

C’est sous la direction de Howard Teten et de Patrick Mullany que de nouveaux noms ont émergé dans les années 70 comme profileurs au FBI. Ainsi, les agents spéciaux Robert Hazelwood, Robert Ressler (le créateur de l’expression “serial killer”) et John Douglas. Ils se sont posé plusieurs questions :
– Pourquoi les agresseurs démembrent-ils ou dépersonnalisent-ils leurs victimes même lorsqu’elles leur sont étrangères au moment de l’attaque ?
– Les agresseurs ont-ils eux-mêmes été abusés sexuellement dans leur enfance ou leur adolescence ?
– Sont-ils incapables de relations sexuelles normales ?
– Que veulent dire ces actes bizarres de mutilation ?
– Pourquoi certains agresseurs torturent leur victime alors qu’elle est vivante alors que d’autres les mutilent après la mort ?

Ces interrogations n’ont qu’un but : permettre d’identifier des caractéristiques comportementales particulières à certains types de meurtrier.

Qu’est-ce que le profilage criminel ?

Le profilage psychologique en matière criminelle est l’étude des caractéristiques et traits du fonctionnement des criminels qui les différencient de la population générale, ainsi que l’étude de preuves afin d’en déduire les possibles suspects dans un crime. Mais les intitulés et définitions peuvent être différents, ainsi selon les auteurs, on entend parler :
– de profilage de personnalité criminelle ou profilage psychologique : c’est une tentative de fournir des informations spécifiques sur le type d’individu qui aurait commis un crime.
– d’analyse d’investigation criminelle ou profilage comportemental : c’est une tentative d’analyse d’investigation afin de cerner les caractéristiques de personnalité de l’agresseur.
– de profilage criminel ou profilage d’agresseur ou profilage médico-légal : c’est l’utilisation de preuves ou d’informations concernant un crime dans le but de cerner l’état mental et les traits de personnalité d’un agresseur dans le but de d’obtenir son style de vie et des données d’identification en vue de son identification.

Il faut rappeler ici que le profilage est une technique utilisée uniquement a posteriori du passage à l’acte (après l’acte de prise d’otages, après l’agression ou le crime).

A quels types de crimes / délits peut s’appliquer le profilage ?

– aux prises d’otages,
– aux homicides (en série, de masse),
– aux viols,
– aux incendies criminels,
– aux agressions sur enfants,
– au terrorisme,
– aux morts équivoques,
– aux morts autoérotiques,
– aux enlèvements,
– aux cambriolages en série,
– aux traques,
– aux escroqueries et tromperies.

Quels sont les apports du profilage criminel ?

C’est une aide :
– à l’orientation de l’enquête,
– à l’action des forces d’intervention,
– à la décision dans le processus d’enquête,
– à l’interrogatoire des suspects,
– au procès (compréhension des motivations),
– à la prévention (plus tôt l’agresseur est interpellé, moins il y a de victimes),
– à la prédiction a posteriori d’un premier passage à l’acte (prochaine victime potentielle).

Quel est le profil du profileur ?

Idéalement, le profileur devrait avoir des connaissances pluridisciplinaires :
– en psychologie -science des comportements individuels- bien sûr,
– en sociologie -science des comportements des groupes et des individus en situations intra ou inter groupales-,
– en criminalistique -terme général recouvrant la recherche, la collecte et la préservation des preuves-,

– en médecine légale (criminologie, spécialités médicales) -application des connaissances médicales au domaine criminel.

Mais cela ne suffit pas, il faut aussi aller sur les scènes de crime ou d’intervention. Acquérir de l’expérience, apprendre à évaluer la valeur d’une preuve, apprendre à interpréter les rapports médico-légaux.

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Le BSU

En Europe, les profileurs sont des psychologues ou des psychiatres experts qui se sont spécialisés dans les affaires pénales. Aux États-Unis, au sein de la Behavior Scientific Unit (BSU), les profileurs sont des officiers enquêteurs qui ont été initiés au profilage psychologique et qui restent libres d’utiliser ou non cette technique dans le cadre d’une enquête. Les unités de police locale font, quant à elles, appel à des consultants psychologues, criminologues ou à d’anciens officiers du FBI.

En France aujourd’hui, les policiers comme les gendarmes considèrent que le profilage fait partie de l’enquête et qu’il doit donc à ce titre être conduit par un enquêteur. Le psychologue quant à lui ne voit pas bien le rapport entre établir un profil psychologique et analyser les scènes de crime au sens criminalistique du terme (ne pas confondre “comprendre” et “analyser”).
S’appuyant sur l’expérience américaine, les forces de sécurité françaises veulent développer des techniques de profilage impliquant leurs enquêteurs. Or, tant que des psychologues n’ont pas le statut de policiers ou de gendarme ou tant que les policiers et les gendarmes n’ont pas aussi le statut de psychologue, il me semble opportun que les deux fonctions cohabitent et collaborent sur la scène de crime.
Il est clair que le passage du psychologue vers la police ou la gendarmerie n’est certainement pas une représentation de l’avenir, puisque, les psychologues n’ont pas accès aux scènes de crimes sauf expert missionné. Certes, les enquêteurs font parfois du profilage sans même se rendre compte. On ne peut leur dénier une expérience du terrain. Mais qu’en est-il du profilage psychologique officieux et sauvage pratiqué dans bien des cas après avoir assisté à un cours d’initiation à la psychologie ?
De même, que faut-il penser de ces profileurs qui, à partir du dossier d’instruction, empiètent sur le travail du médecin légiste, du service de balistique et de l’expert en balistique des coups. Dans les 2 cas, il y a aujourd’hui dérive.

Les forces de l’ordre s’entendent pour dire que le profilage est un instrument de dernier recourt. Certes, l’analyse de scènes de crime, la criminalistique, reste la base du travail pour l’identification de l’agresseur. Il n’empêche, que le travail du profileur serait grandement amélioré s’il pouvait avoir l’accès à la scène de crime dès le départ. Et ceci aussi fait l’unanimité.
En fait, il n’y a pas contradiction. Il devrait y avoir profilage systématique sur une scène de crimes et le profil devrait être intégré au dossier au même titre que les témoignages. À l’enquêteur de décider l’usage qu’il veut en faire. On ne le répétera jamais assez : l’enquêteur et le profileur doivent effectuer un travail collégial.

Quant aux situations de prises d’otages, le “profileur” est dans la plupart des pays un psychologue. Son rôle est de déterminer l’état mental du sujet, d’évaluer les risques encourus et d’établir une stratégie de communication. Il doit s’intéresser à la psychologie des conflits et de la gestion des conflits, de la négociation, des crises et de l’intervention de crise, de l’influence de la persuasion, de l’amélioration du rendement, du comportement déviant, de l’évaluation des risques et de la gestion des risques.

Il fournit aux négociateurs une évaluation du degré d’adaptation de la personnalité du sujet, une évaluation des risques, des suggestions eu égard à la gestion des risques et des stratégies de communication. Le profileur n’est pas le négociateur. Il épaule le travail du chef des opérations en veillant à ce que la tactique et des stratégies élaborées pour gérer le conflit tienne compte des variables psychologiques.

Quelle méthode est utilisée en matière de profilage criminel ?

Le profilage ce n’est pas tirer simplement un profil général. En fait, c’est un processus qui vise à reconstruire un comportement individuel.

Là encore, deux courants s’opposent, ceux qui prônent l’utilisation de la méthode inductive : le FBI depuis 1984 et les profileurs ou “détectives” formés selon la méthode du FBI depuis 1984, les criminologues. Un profilage criminel selon la méthode inductive est une généralisation à un individu criminel des caractéristiques comportementales partagées par d’autres criminels qui ont été étudiés dans le passé. C’est le produit d’analyses qui induisent des généralisations, des prédictions, des estimations, de statistiques à partir de données initiales.

La méthode déductive, instrument plus puissant, quant à elle, est utilisée par la Criminal Profiling Unit, la nouvelle génération des profileurs et la plupart des profileurs européens. La méthode déductive du profil criminel s’appuie sur l’interprétation des preuves légales, incluant les photographies de la scène du crime, les rapports d’autopsie, les photographies d’autopsie et une étude approfondie des interactions agresseur / victime, afin de reconstruire le plus exactement possible les “schémas” de la scène du crime et à partir de cela les “schémas” de comportements de l’agresseur, ses caractéristiques émotionnelles, démographiques et motivationnelles.

À partir de ces comportements, il s’agit de tirer les motivations latentes. En effet, personne n’agit sans motivation et chaque comportement répond à une motivation. À la lumière des comportements constatés sur la scène de crime, on peut tenter de comprendre les motivations sous-jacentes (par exemple : lorsqu’un criminel couvre la tête de la victime pendant l’agression, on peut supposer qu’il l’a fait parce qu’il connaissait la victime ou parce qu’il ne pouvait supporter le regard de sa victime alors qu’il l’agressait).
Mais à un comportement, on peut associer plusieurs motivations potentielles. Seule l’analyse des éléments d’autres scènes de crime pourra amener à cerner quelle est la motivation la plus fondée. Le profil est établi systématiquement a posteriori, à plus ou moins long terme, de la réalisation des comportements. On déduit les caractéristiques de l’agresseur et ses probables agissements à venir à partir d’un instant « t-1 ».
Et ce n’est qu’après l’arrestation de l’agresseur que le profileur pourra confronter les résultats de ses analyses à la réalité. Faut-il préciser que le profileur doit rester objectif ? Il ne juge pas selon ses valeurs, ses normes. Il s’appuie sur des faits et des indices concrets.

Il est nécessaire de rappeler que le profilage psychologique n’a pas pour but de découvrir l’auteur des agressions, des actes délictueux. Mais il permet de limiter la population de suspects, d’orienter certains axes de recherche de l’enquête. Le profilage est un exercice qui doit s’appuyer sur des argumentations.
Mais malgré toutes ses précautions, il peut rester flou. Il n’est pas possible de décrire la marque des vêtements et encore moins de définir la couleur des yeux comme cela a déjà parfois demandé dans le cadre de quelques enquêtes aux États-Unis.

Quelle est la technique du profilage criminel en France ?

Étude du dossier
Le profileur dès réception du dossier prend contact avec l’enquêteur. Ce dossier est constitué des premières constations sur la scène de crime, des différents rapports, des dépositions des témoins, de l’enquête de voisinage, des photos et plans de la scène de crime, du dossier médico-légal, du rapport et photos d’autopsie, du rapport balistique.

– reconstruction de la scène de crime

Le profileur va rarement sur la scène de crime et c’est à partir de ce dossier qu’il doit reconstruire une vision globale, mais précise de l’organisation de la scène de crime : la situation/l’axe du corps par rapport au lieu, la position des différents objets, l’emplacement des différentes traces (de lutte, de sang…), la probabilité de découverte plus ou moins rapide du corps, l’environnement de voisinage (maisons, véhicules, routes, rivière).

– analyse du mode opératoire/signature
Voir ci-après

Etablissement du profil criminel

Voir ci-après

Transmission du profil aux enquêteurs

Une fois établi, le profil psychologique est transmis aux enquêteurs avec conseils et suggestions en vue de son utilisation sur le terrain. Les recommandations sont adaptées en fonction du type d’affaire soumise aux spécialistes, en considération du profil esquissé.

Enfin, lorsque le profil psychologique est construit, il doit, le cas échéant, être comparé aux nouveaux faits. Le profil est alors affiné en fonction des nouveaux éléments de l’enquête.

De quoi se compose un profilage criminel ?

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de l’étude des spécificités de la scène de crime
Est-ce un endroit isolé ou au contraire de passage ? Cela s’est-il passé en milieu urbain ou rural ?
Le lieu où a été retrouvé la victime est-il différent ?
Quelles étaient les date et heure du crime (de nuit/de jour, date spéciale) ?
Y a-t-il des objets laissés en vue ou disparus (fétichisme ou aspect utilitaire) ?
Quel a été le choix d’arme du crime ?
L’arme du crime a-t-elle été amenée par l’agresseur (planification) ou a-t-il utilisé ce qui lui tombait sous la main (pas de planification) ?
Quel est le nombre apparent d’agresseurs (du fait du poids de la victime, des traces de pas) ?
Quelle semble être la logique d’agression (préméditée ou non) ?
La scène de crime est organisée (préméditée, rien ne parait y avoir été déplacé : rare) / désorganisée (non préméditée, les objets y ont été bousculés : rare) / mixte (scène de crime présentant à la fois des caractères organisé et désorganisé : mise en scène ? L’agresseur a-t-il été dérangé dans ses actes ?
L’agresseur a-t-il “dérapé” de sa logique d’agression ?)

– de l’autopsie psychologique (victimologique)
Le profil d’un criminel est construit, en France, généralement à partir du dossier policier (témoignages, photographies de la scène de crime, déposition du suspect) et du dossier médico-légal (rapport médical, rapport d’autopsie, rapports balistiques). En partant des traces, séquelles présentes sur la victime et de l’organisation de la scène de crime, on remonte, via le passage à l’acte, aux circonstances situationnelles et à un panel de suspects.
Mais à aucun moment, on ne tient compte de la victime en tant que personne en interaction dans ses environnements social et intime. C’est en cela que l’autopsie psychologique ou victimologique apporte une nouvelle voie d’investigation.
Mais, il ne s’agit pas ici de se pencher sur les différentes typologies de victimes ou sur les problèmes de “revictimation”. Dans de nombreuses agressions, l’agresseur connaissait sa future victime. Il existait donc un lien entre eux (ce sont des parents, des proches, des relations). Il s’agit de retrouver ce lien ténu qui peut exister entre la victime et son agresseur.

En fait, cela n’est pas toujours aussi simple. Deux cas de figure se présentent : soit la victime a survécu à son agression, soit elle est décédée.
Lorsque la victime survivante est questionnée sur ses interactions sociales et personnelles, on peut bénéficier d’une description complète des environnements plus ou moins à risque dans lesquels elle évoluait, même de ceux que ses proches (famille, conjoint) ne connaissent pas. Par contre, la victime vie cet interrogatoire comme une intrusion, voire comme une seconde agression. Pourquoi enquête-t-on sur sa vie, elle n’est qu’une victime. De plus, se trouver un lien avec son agresseur peut mener à un sentiment de culpabilité accru. Aurait-elle pu le prévoir, l’éviter ?
Lorsque la victime est décédée, on ne la connaît qu’au travers des dires et du regard des autres. Seules ses interactions avec son milieu social et familial seront cernées. Si une autopsie a été requise par le Procureur de la République, le rapport en sera joint au dossier judiciaire auquel à accès le profileur.
L’autopsie aura permis de déterminer la cause exacte de la mort (qui n’est pas toujours celle qui semble liée aux lésions apparentes), les maltraitances/lésions subies, si ces lésions sont ante ou post mortem, s’il y a lieu, le type d’arme utilisé et si le sujet était sous influence d’alcool ou de toxiques.
Si cela n’avait pu être le cas lors des examens préliminaires, les différents prélèvements effectués auront peut-être amenés à une identification de la victime, sinon plus approximativement à l’identification de son milieu d’évolution quotidienne (par exemple, si la victime souffrait d’éthylisme, des recherches pourront être menées dans certains bars, cafés).

Dans tous les cas, il faut se demander pourquoi et comment cette victime a été “choisie” (son apparence physique, sa fragilité psychologique, ses habitudes privées et professionnelles, son environnement social, sa généalogie).
En quoi s’insère-t-elle dans le fantasme de l’agresseur ? Quel rôle a-t-elle joué ? Quelle relation y avait-il avec l’agresseur ? Chaque agresseur présente des volets à la fois psychopathiques et schizophréniques, et bascule d’un versant à l’autre en fonction de la situation et de la victime en présence.

– du profil psychologique de l’agresseur
C’est une représentation vivante des actions de l’agresseur. En reconstruisant les motifs à partir des “schémas” comportementaux de l’agresseur, le profileur peut alors reconstruire les fantasmes de l’agresseur.
Lorsque nous appliquons nos propres valeurs ou nos systèmes de croyance à la scène de crime, cela devient très difficile. Les agresseurs ont leurs propres normes, leurs propres valeurs.
On décrit d’abord les agresseurs par leurs comportements. Ensuite, on se demande quel désir ces comportements satisfont.
Il faut se souvenir que les agresseurs en général ne commettent pas leur crime par accident, ils ont leurs propres raisons. Ainsi, un motif inconnu est expliqué à partir de comportements connus. Dans le cas des crimes sexuels, les agresseurs ont déjà vécu leur crime à travers leurs fantasmes avant de passer à l’acte sur des victimes réelles. On démontre alors une escalade du fantasme vers un comportement. Le fantasme étant planifié, la victime est choisie. Elle joue un rôle, celui que l’agresseur a besoin qu’elle occupe pour que son fantasme devienne réel. La victime devient alors un élément de renforcement. Le passage du fantasme au comportement demande un renforcement permanent et par voie de conséquence une succession de victimes. Le fantasme devient le motif et construit la signature de l’agresseur. Le fantasme est un moyen, un processus de contrôle de la situation.
Avec une victime vivante, l’agresseur peut jouer un rôle, peut utiliser la torture. Certains agresseurs ne sentent pas qu’ils ont le contrôle tant que la victime n’est pas morte, aussi, ils tuent leurs victimes relativement tôt. Une fois que la victime est morte et sous contrôle, ils peuvent contrôler le corps à volonté par divers moyens tels que des mutilations post mortem, la “déféminisation” et de nombreux rituels.
Mais les fantasmes principaux restent la peur et l’humiliation chez la victime qui permet à l’agresseur de dominer le monde qu’il a créé (localisation de l’agression, choix du script à utiliser avec la victime, utilisation d’armes ou non, type d’armes utilisées, mutilations).

Plus il y a de victimes sur une courte période de temps, plus la force et la violence s’accroissent. Plus les victimes résistent et plus la situation perdure et plus l’agresseur en ressent du plaisir et de la satisfaction. Pour ressentir du plaisir dans la réponse de la victime (humiliation, souffrance et soumission), l’agresseur doit d’abord comprendre ce qui humilie, terrorise ou soumet la victime.
En général, les agresseurs sexuels ont une compréhension très claire des conséquences de leur comportement sur leur victime.
En fait, ils se sentent bien de savoir que leurs victimes se sentent mal. L’agresseur considère qu’il fait une faveur à la victime, il lui fait partager son fantasme, ses sentiments personnels.

Qu’est-ce que le comportement nous dit sur ce que l’agresseur a fait dans le passé, ce qu’il fait au présent et sur ce qu’il fera dans le futur ? Il existe 3 manifestations possibles de la conduite criminelle : le mode opératoire, la personnalisation et la mise en scène.
Le mode opératoire peu varier dans le temps. Il est choisi d’abord parce qu’il est pratique et parce qu’il marche. Des modifications peuvent être introduites, parfois délibérément, afin d’essayer de tromper les investigations. C’est un concept dynamique.
L’aspect rituel du crime, cependant – celui qui répond au fantasme et revient sans cesse à l’esprit de l’agresseur avant qu’il tue pour la première fois – c’est sa signature, sa marque. C’est principalement cette signature qui permet de faire le lien entre une série de crimes via une analyse comportementale. La signature ne varie pas dans le temps. C’est un concept statique. Elle implique les identifiants significatifs de la personnalité de l’agresseur. C’est, par exemple :
– l’utilisation d’un certain type de liens, attaches,
– le type de blessures infligées,
– la mise en valeur du corps,
– l’ordre dans lequel est accompli l’acte sexuel,
– les comportements rituels, y compris mutilations et tortures…

La mise en scène :
il y a mise en scène lorsque que quelqu’un modifie volontairement la scène de crime (décorum, message, corps emballé, empreintes effacées, vêtements plus ou moins retirés) afin de tromper les enquêteurs en les orientant vers de fausses pistes. Le but est de protéger quelqu’un (l’agresseur ou la famille de la victime par exemple). Il est parfois difficile de discerner s’il y a eu mise en scène ou si l’agresseur était une personnalité dissociée.

J’en profite pour préciser qu’il n’y a pas d’agresseur à personnalité organisée ou désorganisée. La personnalité est soit dissociée (psychotique) ou non dissociée (psychopathique). C’est la scène de crime, qui certes reflète le type de personnalité, qui doit être désignée comme “organisée” ou “désorganisée”.

Il faut signaler que l’autopsie de la victime décédée peut permettre de discerner la personnalité de l’agresseur. Celui-ci peut avoir laissé des empreintes, des fibres (cheveux, tissus), des traces (sang, sperme, excréments) parfois volontairement (doigts essuyés sur le corps, défécation localisée), qui sont des éléments importants de l’établissement du profil.

Dans une situation de prises d’otages, quelle importance ont les otages pour l’agresseur ? Quel rôle peuvent-ils jouer dans la résolution de la situation ? Quel est leur statut, leur fonction ? Quels mécanismes de défense ont-il mis en jeu ou ont-il fait mettre en jeu à l’agresseur ?

– du profil sociologique de l’agresseur
C’est une approche de l’environnement social de l’agresseur comme aide à la compréhension de la nature du crime. En fait, le principal objectif est de découvrir ce qui arrive entre le moment où une personne vient au monde et où elle commet un crime.

Il faut définir dans la vie de certains individus certains facteurs qui les différencient du reste de la population : composition de la famille, relations à la famille (enfant maltraité), aux pairs (liens relationnels inadéquats), éducation, comportement infantile (manifestations agressives), antécédents scolaires, liens amicaux, casier judiciaire (délits sexuels), style de vie (solitude, besoin de se faire remarquer), déplacements (stabilité géographique), mode opératoire (façon de fonctionner).
Les personnes sont aussi ce qu’elles sont en raison des expériences sociales qu’elles ont vécues dans leur vie. Or, les processus fondamentaux de la socialisation comprennent un fort potentiel de violence en ce qui concerne les relations interpersonnelles. Ces processus de base sont redéfinis de manière individuelle au gré des événements et des situations.
Ainsi, un comportement qui peu sembler normal ou socialement acceptable par une personne peut ne pas l’être pour une autre. Les plus marquantes des situations traumatisantes et déstabilisantes sont : la consommation abusive d’alcool et de drogue, les mauvais traitements psychologiques, les sévices physiques et sexuels, le déchirement du noyau familial, les antécédents judiciaires.
La prospection s’oriente aussi vers le type de milieux spécifiques dont l’individu est issu ou susceptible de l’être : homosexuels, toxicomanes, squatters, pédophiles, prostituées, S.D.F., marginaux divers.

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– du profil géographique
Le profil géographique s’appuie sur les travaux du Dr Rossmo. En usage principalement au Canada, au Royaume-Uni, en Belgique et aux États-Unis, il consiste en la recherche, via un logiciel informatique et en partant des lieux des agressions déjà commises, soit de la base d’action ou de la résidence de l’agresseur, soit du lieu possible de survenue d’une agression future.

– des suggestions de conduite de l’enquête
Le profil pouvant correspondre à de nombreuses personnes, il convient de mettre en place des techniques proactives. Sur la base des caractéristiques de l’agresseur émergentes du profil, le profileur propose des orientations d’enquête et/ou des mises en situation susceptibles d’attirer l’agresseur potentiel (utilisation des médias, appât, surveillance de certains endroits spécifiques, réunion d’informations).

Qu’en est-il du profilage informatisé ?

Le profilage psychologique a été formalisé dans des logiciels à travers le monde, principalement comme aide à la négociation en situation de crise.

En fait, ces logiciels répondent surtout à un diagnostic psychiatrique. Le but est, à partir d’une description de la situation (otages, détournements, agression …), des demandes émanant de l’agresseur, de la localisation et de ses premiers comportements observés, d’établir un premier diagnostic afin de savoir si l’agresseur est atteint ou non de maladie mentale. Dans le cas où les critères réunis correspondraient à une description compatible avec celle du DSM, les logiciels propose une orientation schizophrénique, sociopathique, névrotique, démentielle. Ceci permet certes d’évaluer la dangerosité potentielle de l’agresseur à un instant “t”.

Mais à partir de là, l’ordinateur peut être éteint. L’évaluation psychologique de l’agresseur, ces comportements, ses relations avec les otages, ses réactions (rétroaction) en comportement des otages, à la situation, au comportement des médias, aux dires des négociateurs, la potentialité de passage à l’acte, s’effectue de visu, sur des indices de comportement perçus par le psychologue, le négociateur ou le groupe d’intervention.

Mais qu’en est-il de la dangerosité personnelle, quel stimulus (“déclencheur”) provoquera le passage à l’acte ? Qu’en est-il de ces indices : sont-ils interprétés de la même façon d’un psychologue à un autre, faut-il prendre en compte les différences culturelles qui peuvent exister entre les différents agresseurs, entre l’agresseur et le négociateur, mais aussi entre l’agresseur et sa ou ses victime(s) ?

La psychologie s’intéresse aux comportements. Elle évalue les comportements des individus, à la façon dont ils appréhendent l’environnement, aux interactions de l’individu avec son environnement et avec les autres individus qui y rentrent. Mais elle s’intéresse aussi aux réactions de l’environnement qui à leur tour vont modifier, voire adapter le comportement de l’individu (rétroaction). Certes, cela renseigne le psychologue sur la personnalité de l’individu et sur le type de maladie mentale dont il peut être atteint. Mais ce n’est pas un diagnostic médical.

Pour être subversif, savoir qu’un agresseur est “schizophrène” n’est que d’un intérêt terminologique, et encore, seulement pour le psychologue. C’est le seuil de réaction, de l’individu, l’évaluation de son degré de dangerosité et la détermination des facteurs déclenchant le passage à l’acte qui importent. Mettre un nom sur son comportement relève du diagnostic psychiatrique, pas du profilage !
Le DSM permet de préciser le diagnostic de maladie mentale et d’élaborer le traitement et le suivi médical. Il n’est en aucun cas en un outil d’aide à la décision et encore moins d’aide à l’enquête. Il me semble que le fait de prendre des otages, de violer, de torturer ou de tuer une personne indique déjà un degré de dangerosité !

Quels sont les autres indices de cette dangerosité, quels sont les éléments perceptibles et/ou non verbaux du passage à l’acte ? Autant de questions qui restent non évaluées et non validées aujourd’hui. Le travail “à l’instinct” tant mis en avant par les forces de sécurité publique devraient être au moins modélisé.
Tout en gardant à l’esprit que le profilage est une situation de “remise à zéro” à chaque fois : aucun agresseur ne ressemble vraiment à un autre, un même agresseur présente des conduites variées, voire sans rapport d’une scène de crime à l’autre. Aussi, les profils généraux, catégoriels, reconstituent une personnalité et des comportements types qui ne prennent pas en compte les différences individuelles.

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Quant aux fameux ViCAP (Violent Criminal Apprehension Program) aux USA et ViCLAS (ou SALCV : Système d’Analyse des Liens entre les Crimes de Violence) au Canada, ce ne sont pas des logiciels de profilage.
Ces systèmes permettent d’établir des liens entre différents crimes pour rechercher un agresseur commun. Le ViCAP sous sa forme initiale (200 questions, plusieurs heures de traitement des données) n’a été de rarement utilisé. Une version “allégée” vient d’être mise en place auprès des polices de Rochester, Baltimore, Kansas City, Mobile, Philadelphie, Chicago, du département du Comté de Los Angeles, des polices des états de New York, du Connecticut, du Massachusetts et de la Virginie.

Quelles limites au profilage criminel ?

Aujourd’hui, le profilage psychologique doit faire face à plusieurs critiques :

– Le profil établi reste flou : il répond à un “pool” de suspects.
– Il n’existe pas de procédure fixe, standardisée. Aux USA, il existe bien quelques “check-lists”, mais la création d’un outil de travail devient essentielle. À l’heure actuelle, chaque profileur pratique comme il l’entend.
– Il découle de l’argument précédent qu’il n’y a pas de contre-expertise possible. Là encore, une grille de procédure fiable permettrait de ne rien oublier, de revenir sur le profil établi si nécessaire (reprise du profil par un autre psychologue), d’effectuer un travail collégial.
– Pour être profileur, aucune formation n’est exigée. Aux USA, en Belgique, en Afrique du Sud, les profileurs sont des enquêteurs initiés à la psychologie. En France, ces sont des psychologues ou des psychiatres experts au pénal (dans la gendarmerie, ce sont des officiers OPJ).

Ce sont ces arguments qui font que le FBI abandonne petit à petit le profilage et ne renouvelle pas le personnel à la retraite formé initialement à cette technique.

Le profilage est souvent perçu comme la faculté qu’aurait le profileur à s’identifier à la fois à l’agresseur et à sa victime. Comme nous l’avons vu, il n’en n’est rien. Le profilage est bien une technique basée sur un protocole. Paradoxalement, la prévention/résolution du crime par le profilage ne pourra atteindre sa validité qu’au travers l’étude d’un nombre important de crimes.

On l’a vu, la généralisation (méthode inductive) n’est pas la base du profilage, chaque cas est unique, présente des spécificités et c’est bien l’analyse des différences individuelles qui permettra au profilage d’accéder à sa plénitude. Mais la recherche de points communs reste nécessaire, ne serait-ce que pour servir de base à la compréhension des comportements criminels.
Mais les agresseurs qui sont interpellés sont-ils bien représentatifs de la population criminelle ? Certes, le nombre d’homicides résolus en France est important, mais qu’en est-il des disparitions de personnes non résolues ? Ne seraient-ce pas des crimes camouflés ? Qu’en est-il des disparitions et agressions non déclarées (le fameux chiffre noir) ?
Mis bout à bout, cela nous laisse penser que finalement seule une faible partie des criminels sont arrêtés et jugés, de plus s’ils se sont fait prendre c’est peut-être parce que ce sont les moins intelligents.

Conclusions

Aujourd’hui, il est clair que le statut du profileur n’est toujours pas défini en France comme dans le reste du monde. Les États-Unis d’ailleurs s’interrogent en ce moment même sur la définition du profilage, est-ce un métier, est-ce une science, le profileur est-il un enquêteur ou un psychologue ? Ces questions se posent aujourd’hui en France.

Comme on l’a vu, le profilage psychologique en Europe à bien des progrès à faire pour se situer au sein de l’enquête judiciaire. De même, il devient rapidement nécessaire de trouver une terminologie commune et compréhensible par tous, psychologues, policiers, gendarmes, magistrats…
Sinon, le profilage en France ne se développera pas voir régressera. Les termes mêmes de profileur (profiler) et de profilage (profiling) sont aujourd’hui remis en question aux États-Unis. En effet, pour les enquêteurs comme pour les psychologues et les psychiatres, ce terme est aujourd’hui trop galvaudé. Les magazines, les journaux, comme les séries télévisées ont trop médiatisé ces termes.