Article mis à jour le 20 décembre 2023

Crimes et châtiment (suite)

mapplevalley

Le 8 mai 1983, un autre corps fut découvert par une famille qui cherchait des champignons dans les bois non loin de Maple Valley, à environ 30 km à l’est du Strip.
C’était celui de Carol Ann Christensen, 22 ans, mère d’une petite fille de 5 ans. Elle vivait près du Strip mais n’était pas une prostituée. Elle avait trouvé un emploi de serveuse dans un bar et espérait bientôt pouvoir s’acheter une voiture. Elle vivait dans un mobil-home à quelques rues du bar où elle travaillait. Elle avait disparu le 3 mai et sa mère avait immédiatement prévenu la police : Carol n’aurait jamais abandonné sa fille qu’elle adorait.
Les enquêteurs furent abasourdis par la présentation inhabituelle du corps : il fut découvert presque assis. Sa tête était couverte par un sac en papier. Lorsque le légiste l’enleva, il découvrit que deux truites avaient été soigneusement placées sur son cou. Ses mains étaient croisées sur son ventre et tenaient une saucisse. Une bouteille de vin vide était posée sur son bas ventre. Elle avait été étranglée avec une cordelette en plastique jaune. Non loin du corps de Carol, on découvrit un sac décoré du logo d’une épicerie située sur le Strip.

Le printemps et les beaux jours firent leur apparition, mais les meurtres continuèrent.

  • Martina Authorlee, 18 ans, travaillait devant le même motel que Gail Mathews et Marie Malvar, tout au sud du Strip, lorsqu’elle disparut le 22 mai 1983. Né en Allemagne où son père avait été un militaire, elle avait vécu à Tacoma, au sud de Seattle, à partir de 1968. Elle voulait rejoindre l’armée, comme son père, et s’était portée volontaire dans la Garde Nationale en 1982.
    Malheureusement, elle avait été congédiée pour un problème de santé et avait fait une dépression. Elle avait déménagé dans l’Oregon, où elle avait commencé à se prostituer, et n’était revenue chez ses parents qu’en mai 1983, pour la fête des mères. Ses parents ne signalèrent pas immédiatement sa disparition, pensant qu’elle était repartie dans l’Oregon.
  • Cheryl Lee Wims, une jeune fille calme et timide de 18 ans, disparut le 23 mai dans le centre-ville de Seattle, la veille de son 19ᵉ anniversaire. Selon sa mère, Cheryl avait eu des problèmes de drogue et avait abandonné l’école, mais elle ne se prostituait pas.
  • Yvonne Antosh, une belle jeune femme de 19 ans, était venue de Vancouver pour se prostituer. Elle disparut le 30 mai 1983 sur le Strip.
  • Constance « Connie » Naon, une très belle jeune femme de 20 ans, garait souvent sa Chevrolet près du motel devant lequel elle se prostituait, tout au sud du Strip. Sa beauté lui procurait de nombreux clients et elle gagnait bien sa vie, mais presque tout son argent disparaissait dans la drogue. Elle travaillait également dans une fabrique de saucisses et, le 8 juin, elle appela son « petit ami » pour lui dire qu’elle allait chercher sa paye avant de le rejoindre. Elle ne vint jamais.

Les filles disparaissaient encore plus au sud du Strip et celles qui travaillaient à Des Moines commençaient sérieusement à s’inquiéter.

  • Keli McGinness, une belle fille blonde de 18 ans, se prostituait à Portland et à Seattle. Il lui arrivait même de descendre jusqu’en Californie. Elle avait pourtant eu une enfance assez heureuse et sa mère s’était remariée avec un homme d’affaires très riche qui leur avait permis d’avoir « la belle vie ». Un divorce sonna le glas de cette existence plaisante et Keli supporta très mal la séparation. À l’adolescence, elle se mit à fuguer. À 13 ans, elle subit un viol collectif par 5 adolescents imbibés d’alcool et, terrifiée, refusa de porter plainte. Peu après, elle fugua de nouveau et commença à se prostituer, mais garda contact avec sa mère. Avant ses 18 ans, elle mit au monde 2 enfants qu’elle dut faire adopter. Au début de l’été 1983, elle était revenue à Seattle avec son « petit ami ». Keli était une jeune femme pleine d’assurance qui faisait plus que son âge. Elle était également solitaire et, désireuse de se faire le plus d’argent possible, elle montait dans toutes les voitures qui s’arrêtaient près d’elle, sans distinction. On l’aperçut pour la dernière fois le soir du 28 juin, toujours au même endroit, tout au sud du Strip.
  • Carrie Ann Rois, une jolie adolescente de 16 ans, disparut au milieu du mois de juillet 1983. Fragile, mais têtue, Carrie avait été violée par son beau-père et était partie vivre avec son père. Mais il l’avait battue et elle avait fugué. Elle avait beaucoup d’amis et plusieurs l’avaient hébergée. Sa mère avait quitté son beau-père et Carrie avait passé Noël 1982 avec elle, mais n’était pas restée. L’adolescente avait des problèmes avec la drogue et l’alcool. Elle commença probablement à se prostituer au printemps 1983… tout en continuant à suivre les cours au lycée.
  • Tammie Liles, une adolescente de 16 ans, disparut au milieu de l’été 1983.

D’autres jeunes femmes disparurent durant l’été 1983, victimes ou non du tueur de la Green River.

Les journaux de Seattle publièrent plusieurs articles sur les disparitions des jeunes femmes, mais en citant des noms et des chiffres différents. Il était bien difficile de savoir quelles étaient les « filles » disparues et celles qui étaient juste parties à Tacoma, Spokane ou dans l’Oregon. Il arrivait à certaines prostituées d’utiliser plusieurs noms différents et on les confondait avec d’autres filles. Certaines des jeunes femmes disparues n’étaient pas des prostituées et les journalistes ne savaient donc pas s’il fallait ou non les considérer comme des victimes du tueur de la Green River. Certains journaux parlaient d’une dizaine de disparues, d’autres annonçaient un chiffre proche de vingt…

Mais le nombre ne cessait d’augmenter :

  • Kelly Ware, une jolie brune de 23 ans, disparut le 18 juillet 1983, dans le centre de Seattle, non loin du Lac Washington.
  • Tina Thompson, 22 ans, disparut le 25 juillet devant un motel du Strip.

Un an avait passé depuis la découverte des trois corps dans la Green River et les enquêteurs n’avaient toujours pas la moindre idée de son identité. Ils n’étaient même pas sûrs que les jeunes femmes disparues soient toutes ses victimes car, depuis, seule Gisele Lovvorn – dont le corps avait été découvert non loin de l’aéroport de Sea-Tac – semblait avoir été assassinée par le tueur.

Situation de la Green River
Situation de la Green River

Toutefois, le 11 août 1983, un couple qui cherchait des pommes dans le même endroit boisé et envahi de mauvaises herbes où Gisele Lovvorn avait été retrouvée, découvrit un squelette derrière des maisons abandonnées. Il était couvert par des buissons et des détritus et des animaux avaient dispersé les os, mais la police trouva un crâne. Les enquêteurs demandèrent au labo scientifique de comparer la dentition du crâne avec les radios dentaires qu’ils avaient pu obtenir des victimes. Ils identifièrent le squelette comme étant celui de Shawnda Summers, disparue depuis le 8 octobre 1982. Sa famille l’avait cherchée partout, mais elle était sûrement décédée le jour même de sa disparition.

Deux jours plus tard, un autre squelette fut découvert, enterré près de celui de Shawnda. Il ne restait malheureusement que quelques os et les scientifiques ne purent identifier le corps. Cette victime fut appelée « Jane Doe » (équivalent de « mademoiselle X ») et considérée, elle aussi, comme une victime du tueur.
Les enquêteurs n’allaient identifier le squelette que des années plus tard. C’était celui de Gail Lynn Matthews.

Les enquêteurs possédaient à présent une liste de plus de 300 suspects, avec leurs noms, leurs descriptions et les témoignages qui les accusaient. Le comté de King comptait un nombre étonnement élevé d’hommes violents, étranges, pervers, effrayants ou franchement délirants.

  • April Buttram, une blonde rondelette et naïve de 18 ans, originaire de Spokane, venait de déménager à Seattle. Comme de nombreuses autres, elle était devenue rebelle à l’adolescence, avait abandonné l’école, consommait de l’alcool et des drogues et passait son temps à sortir avec des amis. Elle avait fini par quitter la maison de ses parents et était venue à Seattle avec deux amies, sans savoir ce qu’elle y ferait exactement. Elles s’étaient séparées une fois arrivées et l’on avait aperçu April pour la dernière fois au sud de Seattle en août 1983.
  • Debora Abernathy, une jeune femme frêle de 26 ans, était originaire de Waco, au Texas. Elle était venue à Seattle avec son petit ami et leur garçon de 3 ans pour commencer une nouvelle vie. Ils avaient des problèmes d’argent. Elle disparut le 5 septembre 1983, alors qu’elle se rendait dans le centre-ville.
  • Tracy Ann Winston, une jolie fille de 19 ans, disparut le 12 septembre. Elle était très proche de ses parents et de ses deux frères, mais elle avait connu les problèmes « classiques » à l’adolescence. Elle avait rencontré un délinquant violent dont elle était tombée amoureuse et avait quitté la maison familiale. Elle ne se prostituait qu’occasionnellement. Le 12 septembre, elle sortait de son tout premier séjour en prison, où elle n’avait passé que quelque temps, et avait été tellement traumatisée par l’expérience qu’elle avait téléphoné à ses parents.
  • Maureen Feeney, une jeune femme immature et naïve de 19 ans, d’origine irlandaise, disparut le 28 septembre 1983. À l’adolescence, elle avait tenté de se suicider. Elle avait quitté sa grande famille pour emménager dans un petit appartement près de Bellevue en janvier 1983. Elle travaillait dans une école chrétienne à Eastside et était célibataire. Mais ses amies remarquèrent qu’elle s’était mise à boire de l’alcool et à sortir le soir, ce qui était totalement contraire à ses habitudes. En août, elle rencontra un homme et décida de partir avec lui en Californie. Mais elle disparut une semaine avant son 20ᵉ anniversaire.

Les victimes du tueur commençaient à réapparaître, alors que d’autres continuaient de disparaître.

  • Mary Sue Bello, 25 ans, disparut le 11 octobre 1983. C’était une jeune femme sympathique et charmante que tout le monde appréciait. Comme tant d’autres, sa vie s’était assombrie à partir de l’adolescence malgré l’amour de ses parents. Elle avait des problèmes de drogues et s’était retrouvée en maison de correction dès l’âge de 13 ans. Elle avait commencé à se prostituer à 15 ans pour payer sa cocaïne. Durant l’été 1983, elle avait décidé de surmonter son addiction et prenait de la méthadone.
  • Le 15 octobre 1983, un autre squelette fut découvert près de la Auburn/Black Diamond Road, à Auburn. Il fut identifié comme étant celui d’Yvonne Antosh, qui était venue de Vancouver pour se prostituer sur le Strip.
  • Le 20 octobre, Patricia Osbrone, 19 ans, fut aperçue pour la dernière fois sur la Aurora Avenue, au nord de Seattle. Ses parents vivaient dans l’Oregon et ne déclarèrent sa disparition que lorsqu’elle ne revint pas les voir pour Noël.
  • Pammy « Annette » Avent, qui se prostituait parfois à Portland, disparut le 26 octobre 1983, dans la Rainier Valley.
  • Le 18 septembre 1983, un promeneur découvrit un squelette près d’un arbre, tout proche des berges d’une rivière plongeant dans une crique, non loin de la Star Lake Road, une route traversant un bois touffu, à Auburn. Le squelette n’était pas très loin de la route, mais personne ne l’avait aperçu auparavant. Il était couvert de feuilles et de terre. Quelqu’un avait jeté un gros tas de détritus à quelques dizaines de mètres de là, au beau milieu des fleurs sauvages.
  • Le 27 octobre, le squelette de Constance Naon, disparue depuis juin, fut découvert tout près d’une des pistes de l’aéroport Sea-Tac, dans les mauvaises herbes.
  • Le 29 octobre, quelques dizaines de mètres plus loin, des enquêteurs découvrirent un 4ᵉ squelette, celui de Kelly Ware, disparue en juillet.

Les enquêteurs de la Force Spéciale ne savaient plus où donner de la tête. Ils avaient trop de travail et pas assez d’argent. Ils devaient enquêter à la fois sur les disparitions et sur les découvertes de corps.

L'aeroport de Sea-Tac
L’aeroport de Sea-Tac

Chaque endroit où un squelette avait été découvert était précautionneusement examiné et tamisé et le moindre indice (cheveux, cailloux, morceaux de vêtements, ongles, papier, cigarette…) préservé. Certains squelettes n’étaient pas entiers, la plupart n’étaient pas vêtus. Les policiers continuaient à s’interroger pour savoir si toutes les victimes étaient ou non celle du tueur de la Green River.
Pour les enquêteurs, il était en tout cas « normal » que le tueur ait abandonné ses victimes autour de l’aéroport de Sea-Tac. Il était situé près de la Pacific Highway. Il était entouré de maisons abandonnées, de mauvaises herbes d’une hauteur considérable et de buissons. Et enfin, le bruit incessant des avions qui décollaient pouvait masquer le moindre cri.

  • Delise Louise Plager, une gentille blonde de 22 ans, disparut le 30 octobre. Elle était attendue à 15h chez une amie, pour l’enfant de qui elle devait apporter un costume d’Halloween. Elle avait elle-même deux enfants et avait bien du mal à les nourrir. Elle vivait temporairement chez un ami et toute sa vie n’avait été qu’une suite d’épreuves physiques et morales.
  • Kim Nelson, également connue sous le nom de Tina Lee Tomson, une grande jeune femme de 26 ans, disparut dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre. Elle était née dans le Michigan et avait quitté le lycée pour se rendre à Seattle. Elle s’était installée au nord de la ville et avait rencontré un homme qui l’avait poussée à se prostituer. Il ne travaillait pas et elle était sa seule source de revenus. Début octobre 1983, elle avait été arrêtée alors qu’elle était enceinte de 4 mois. Lorsqu’elle était sortie, elle s’était rendue dans l’un des motels du Strip avec une amie. Cette dernière la perdit de vue dans la soirée et ne la revit plus jamais.
  • Le 13 novembre 1983, on découvrit un corps à demi-enterré dans un endroit boisé, à quelques centaines de mètres du Strip. La victime, qui fut identifiée comme étant Mary Bridget Meehan, n’avait pas été enterrée bien profondément, à 50 cm de la surface, mais le tueur avait quand même prit la peine de la couvrir de terre. Était-ce parce qu’elle était enceinte de 8 mois et que, pour la première fois, le tueur avait (peut-être) été pris de remord ?

Si plusieurs corps avaient été découverts, il était toutefois évident qu’il en manquait encore beaucoup. Le tueur ne semblait pas, pourtant, avoir pris la peine d’enterrer ses victimes. Il avait juste couvert certaines d’entre elles avec des branches. Il avait dû abandonner les autres dans des endroits reculés ou difficiles d’accès, afin qu’on ne les voie pas.

À la fin de l’année 1983, le shérif Vern Thomas demanda aux responsables politiques du comté de King d’augmenter le budget de la Force Spéciale. L’un d’eux répliqua que l’image du comté ne s’améliorerait sûrement pas en utilisant les impôts des contribuables pour enquêter sur les meurtres de « putes »…
D’un autre côté, une partie de la population accusait les enquêteurs de ne pas s’occuper des victimes justement parce qu’elles étaient des prostituées.
Et l’autre partie de la population accusait directement les prostituées de rendre dangereuses les rues de Seattle. Bientôt, le tueur de la Green River pourrait s’en prendre à des filles « biens », rendez-vous compte…
Le shérif dut organiser une conférence pour expliquer qu’il était impossible de stopper totalement la prostitution. Il suggéra également que, sans clients, les prostituées n’existeraient pas. Cette remarque n’obtint pas un accueil favorable car, pour les personnes présentes ce jour-là, les prostituées étaient toutes des nymphomanes, des fainéantes, des perverses… Elles étaient le problème, pas les victimes.

Les enquêteurs Dick Kraske, Dave Reichert, Fae Brooks et Randy Mulligan supportaient mal ces critiques négatives de la part de personnes qui ne connaissaient ni la véritable existence – misérable – des prostituées, ni les efforts désespérés déployés par la Force Spéciale pour appréhender le tueur.
Néanmoins, noyée sous une avalanche de « tuyaux », de témoignages et de suspicions, la Force Spéciale était incapable de coordonner l’afflux massif d’informations.

Robert Keppel
Robert Keppel

Les policiers acceptèrent donc l’aide de Robert Keppel, qui avait autrefois été enquêteur dans le comté de King, pour les aider à organiser leur montagne d’informations.
Keppel avait dirigé l’enquête sur Ted Bundy et avait acquis une expérience qui serait sûrement profitable à la Force Spéciale. Il travaillait à présent pour la Division Criminelle du Bureau du Procureur de l’état de Washington. Il supervisait la création d’un programme appelé HITS (qui allait inspirer le futur VICAP) qui devrait « collecter, assembler et analyser les caractéristiques saillantes de tous les meurtres et les viols de l’état de Washington », afin de découvrir des points communs et ainsi de possibles agresseurs en série.
Keppel était un homme intelligent et organisé qui avait un don particulier pour trouver les liens entre les suspects, les dates et les endroits.
Il passa trois semaines à examiner toutes les données disponibles concernant les meurtres attribués au tueur de la Green River. Lorsqu’il eut terminé son analyse, il envoya un rapport au shérif du comté de King, Vern Thomas.
À la consternation de la Force Spéciale, ce rapport critiquait fortement leur enquête. Selon Keppel, si les enquêteurs voulaient trouver le tueur, ils allaient devoir changer leur manière d’agir. La majorité des informations, des preuves et indices, des dossiers et des témoignages connectés aux meurtres n’étaient absolument pas classés. Il fallait d’abord réorganiser complètement et catégoriser précisément chacune des informations. Ensuite, les similitudes et les différences entre les affaires devraient être identifiées afin de trouver des points communs qui relieraient sans le moindre doute possible les meurtres à un seul tueur.
Évidemment, une telle réorganisation allait coûter bien plus de temps et d’argent que ce que le comté avait prévu (2 millions de dollars). L’enquête était déjà la plus grande opération de l’histoire du pays. Mais il fallait absolument faire un effort considérable si l’on voulait arrêter le tueur.

John Douglas, le profiler du FBI, revint également à Seattle à la fin de l’année 1983, pour réviser le profil qu’il avait déjà fourni à la Force Spéciale. Toutefois, fin décembre, il s’évanouit dans sa chambre d’hôtel, frappé par une encéphalite virale (inflammation du cerveau) qui faillit le tuer. Il tomba dans le coma et se retrouva paralysé. Il allait mettre six mois à retrouver l’usage de ses membres et de son esprit, mais allait remarquablement se rétablir.

Frank Adamson
Frank Adamson

Au mois de décembre, Dick Kraske fut remplacé par le capitaine Frank Adamson, qui avait auparavant dirigé l’unité des affaires internes de la police. Kraske avait fait du bon travail, quoique les politiques en pensaient, mais on voulait « du sang neuf ». Kraske allait continuer à travailler pour le bureau du shérif du comté durant 6 ans.
Adamson fut surpris lorsqu’on lui annonça ses nouvelles responsabilités, mais le shérif Vern Thomas lui expliqua qu’il ne s’occuperait que de l’enquête, alors que Thomas s’occuperait des médias, de la population et des politiques.

Le 15 décembre 1983, un petit crâne, seul, fut découvert à Auburn, près du cimetière de Mountain View. Il fut identifié grâce à sa dentition : c’était celui de la jeune Kimi-Kai Pitsor. Il avait été découvert à près de 30 km au sud-est de l’aéroport de Sea-Tac. Les enquêteurs fouillèrent les alentours durant des heures, mais ne découvrirent aucun autre os du squelette de l’adolescente.

  • Lisa Yates, une très jolie fille de 26 ans, disparut le 23 décembre 1983. Gentille et bourrée d’humour, elle était restée proche de sa famille et notamment de sa nièce, à qui elle avait promis de l’emmener se promener au parc. Elle ne vint jamais la chercher.

Adamson découvrit que, grâce aux demandes incessantes du shérif Thomas, la Force Spéciale comportait à présent 40 enquêteurs. Ils déménagèrent tous dans des bâtiments plus spacieux et mieux équipés, dans le quartier de Burien, plus proches de l’aéroport et des endroits où les crimes avaient lieu. La Force Spéciale obtint également des crédits supplémentaires.
Adamson pensa que le budget devait d’abord être utilisé pour réexaminer les informations glanées durant les premiers 18 mois d’enquête.
Suivant les conseils de Robert Keppel, Adamson divisa les tâches et les assigna chacune à de petits groupes d’enquêteurs. Ainsi, une équipe de 8 personnes enquêta sur les crimes alors qu’une autre se consacrait uniquement à recueillir des informations sur les suspects. Trois enquêteurs furent assignés à une toute nouvelle « section d’analyse du crime », qui devait – entre autre – suivre les pistes et analyser les tendances possibles et les méthodes utilisées par le tueur. Vingt-deux enquêteurs durent développer de nouvelles stratégies pour surveiller l’activité des prostituées et les événements inhabituels sur le Strip.

Une nouvelle stratégie fut imposée par Robert Keppel, qui permit aux policiers d’éliminer rapidement des gens soupçonnés, mais possédant un alibi et de se concentrer sur des suspects plus intéressants.
Ils suivirent la technique utilisée par Keppel lors de l’enquête sur les meurtres commis par Ted Bundy. Les suspects intéressants recevaient une priorité selon la menace qu’ils représentaient : ceux qui étaient reliés aux victimes de manière sûre, qui correspondaient au profil du tueur et à ses mouvements dans la région étaient classés dans la catégorie « A » ; ceux qui étaient reliés aux victimes de manière plus hasardeuse étaient classées dans la catégorie « B » ou « C » avant d’être éventuellement éliminés par la suite. Et, évidemment, les « A » étaient interrogés en priorité.
Malheureusement pour la Force Spéciale, les ordinateurs n’en étaient qu’à leurs balbutiements et les analyses d’ADN n’existaient pas encore. Même la base de données des empreintes digitales du FBI (l’AFIS) était seulement en cours de création et il fallait au moins 2 mois avant qu’une empreinte ne soit reliée à son propriétaire.

Dave Reichert était toujours convaincu de la culpabilité de son chauffeur de taxi, Melvyn Foster. Un autre enquêteur pensait que le tueur était un avocat habitant Kent qui avait de nombreuses prostituées pour clientes. Mais cet avocat fut assassiné par le propriétaire de l’un des immeubles qu’il possédait… et les meurtres continuèrent.

Au début de l’année 1984, un responsable du comté de King, Randy Revelle, décida d’organiser une conférence dans la ville de Tukwila, avec le shérif Vern Thomas et le capitaine Frank Adamson. La population « conservatrice » du comté passait son temps à accuser les prostituées de donner une mauvaise image de la région et accusait la police de ne pas agir. Mais seules quatre personnes se rendirent à cette conférence, dont deux journalistes…
D’un autre côté, un groupe de féministes et une association d’aide aux prostituées accusaient ouvertement la Force Spéciale de ne pas réellement chercher le tueur, car les victimes n’étaient « que » des prostituées.

  • Mary Exzetta West, une jolie adolescente de 16 ans, disparut dans la Rainier Valley le 6 février 1984. Elle était enceinte de trois mois et vivait avec sa tante, dont elle était très proche.
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Les fouilles à Change Creek

Le 14 février 1984, un soldat qui se rendait en convoi sur une aire de tir et qui faisait une pause dans la forêt du Mont Washington, découvrit un squelette. Le site était situé près de Change Creek, à quelques kilomètres de l’autoroute I-90 qui relie Seattle à l’est de l’état.
Le laboratoire du bureau du shérif tenta de donner un nom au squelette grâce à ses dents, qui présentaient un espace entre les deux dents de devant. Il lui fallut plusieurs mois pour identifier Delise Plager.

Le 19 février, un morceau de mâchoire d’un crâne fut découvert dans le cimetière Mountain View d’Auburn, non loin de l’endroit où avait été retrouvé le crâne de Kimi-Kai Pitsor.

Le 20 février, Mike Barber, un journaliste du « Post-Intelligencer », qui avait écrit de nombreux articles sur le tueur de la Green River, reçut une enveloppe qui avait été postée à Seattle. La lettre, à l’intérieur, comportait une suite de phrases dont les mots n’étaient séparés par aucun espace. Au départ, Barber n’y comprit rien et pensa qu’il s’agissait d’un code. Mais il finit par comprendre qu’il lui fallait séparer chaque mot et que la lettre était bourrée de fautes d’orthographe et de grammaire. L’expéditeur n’avait pas été à l’école bien longtemps ou tentait de passer pour un analphabète.
La première phrase était : « whatyouneedtonoaboutthegreenriverman » = « ce que vous devez savoir au sujet de l’homme de la green river ». La lettre était signée « Appelez-moi Fred ». Elle proposait des mobiles aux meurtres, ce qui n’était pas bien original. Mais, Barber remarqua que l’auteur de la lettre décrivait des faits qui n’étaient connus que des enquêteurs et de quelques rares journalistes, et qui n’avaient PAS été rendus publics.
Barber confia donc la lettre à Dave Reichert, qui la remit au laboratoire scientifique du bureau du shérif. On n’y découvrit qu’une seule empreinte utilisable, qui fut précieusement archivée. La lettre fut ensuite envoyée au FBI, qui identifia la machine à écrire utilisée comme une Olympia.

John Douglas, à peine remis de son encéphalite virale, voulut analyser la lettre. Mal lui en prit car, bien que l’auteur offrit des informations inconnues de la population (« L’une des filles noires dans la rivière avec des cailloux dans le vagin » et « une dans la Maple Valley avait une bouteille de vin rouge lombrosco, des poissons jetés là »), Douglas écrivit dans son rapport que le tueur de la Green River n’avait pas écrit cette lettre.
Selon lui, le tueur était plus intelligent que l’auteur de cette lettre, qui essayait seulement de manipuler les enquêteurs pour se sentir important. Les informations confidentielles que l’auteur possédait provenaient sûrement d’un contact qu’il avait eu avec la Force Spéciale. Peut-être était-il l’un des volontaires qui aidaient les policiers.
Des années plus tard, il allait s’avérer que c’était bien le véritable tueur de la Green River qui avait envoyé cette lettre. Douglas allait devoir avouer… qu’il avait repris le travail trop vite.

Le 13 mars 1984, un autre squelette fut découvert dans la forêt du Mont Washington, près de Change Creek, par un homme qui cueillait des fleurs. Il était situé à quelques centaines de mètres de l’endroit où l’on avait découvert le squelette de Delise Plager, le 14 février. Les enquêteurs ne trouvèrent pas ses mains, mais découvrirent des sous-vêtements féminins. La victime était morte depuis 2 à 4 mois. Le laboratoire du shérif identifia ce squelette comme étant celui de Lisa Yates, la jeune femme qui avait promis à sa nièce de l’emmener au parc.

  • Cindy Smith, 17 ans, disparut le 21 mars 1984. Elle avait vécu en Californie jusqu’au début du mois, était fiancée et voulait revenir dans sa famille, à Seattle. Sa mère lui avait envoyé de l’argent et, à peine arrivée, Cindy était allée voir son frère. On l’avait aperçue pour la dernière fois au sud de la Pacific Highway, alors qu’elle faisait du stop.

Le même jour, un homme qui nettoyait l’un des 3 terrains de baseball situés entre la 16ᵉ Avenue South et la 146ᵉ Rue South, vit son chien revenir avec un grand os dans la gueule. Il prévint la police du port de Seattle, dont dépendent les terrains, qui contacta la Force Spéciale. C’était un os humain. Les enquêteurs utilisèrent alors un chien spécialisé dans la recherche de corps, qui les mena jusqu’à un squelette situé sous des pins, à une centaine de mètres de la palissade du terrain de baseball. Il ne fut jamais identifié.

Le lendemain, les policiers passèrent l’endroit au peigne fin et le chien découvrit un autre squelette, celui de Cheryl Lee Wins, 18 ans, qui avait disparu 10 mois plut tôt.

Les enquêteurs ajoutèrent le nom de Cindy Smith à leur liste de disparues. Vingt jeunes femmes blanches avaient disparu et quatorze jeunes femmes noires. Impossible de savoir si toutes avaient été victimes du même tueur. Et les disparitions d’autres filles n’avaient peut-être pas été déclarées.
Les policiers remarquèrent toutefois que le nombre de disparitions semblait diminuer. Quelque chose avait probablement changé dans la vie du tueur. Avait-il moins de temps pour tuer ? N’avait-il plus de véhicule ou de logement pour emmener ses victimes ? Était-il malade, peut-être mourant ? Avait-il trouvé un substitut à ses fantasmes morbides, une femme qui accepterait ses envies perverses ?

Ou peut-être, simplement, avait-il peur que les enquêteurs ne l’arrêtent.

Randy Mullinax
Randy Mullinax

Car, sans que les policiers s’en rendent compte, le tueur de la Green River avait été interrogé par l’un des enquêteurs, Randy Mullinax, qui travaillait sur cette affaire depuis le début. De nouveau arrêté pour avoir sollicité les charmes d’une policière se faisant passer pour une prostituée, Gary Ridgway, calme et presque timide, avait répondu aux questions qu’on lui posait. Mullinax avait remarqué qu’on le voyait souvent sur le Strip et qu’il passait son temps à observer les « filles ». Ridgway avait admis devant Mullinax qu’il aimait s’offrir les services des prostituées. Mais c’était un employé modèle, il n’avait jamais été arrêté pour aucun crime violent, il possédait sa propre maison et semblait être un homme tranquille.
Mullinax l’avait laissé partir.

En plus de Keppel et Douglas, le Capitaine Adamson fit appel à l’agent spécial Gerald Dietrich, du FBI, un spécialiste des enlèvements d’enfants et des meurtres ; Chuck Wright, un superviseur de libération sur parole qui donnait des cours sur les agresseurs sexuels violents à l’université de Seattle ; et au Docteur Chris Harris, un psychiatre spécialiste des criminels violents.
Les nouveaux arrivants furent surpris par l’énorme travail fourni par la Force Spéciale et rassurés par le fait que les enquêteurs s’inquiétaient vraiment pour les « filles », bien que les médias affirmaient le contraire.
De nombreux policiers parcouraient d’ailleurs le Strip dans des voitures banalisées et suivaient les filles lorsqu’elles partaient avec un client, pour s’assurer qu’il ne leur arrivait rien de mal. Les prostituées commençaient à avoir nettement plus confiance en eux et échangeaient plus facilement des informations. Elles signalaient tous les clients « bizarres », mais aucun ne s’avéra être le tueur de la Green River.

Pierce Brooks
Pierce Brooks

Enfin, l’un des meilleurs spécialistes dont la Force Spéciale puisse espérer le concours, Pierce Brooks, vint à Seattle pour évaluer l’enquête menée par les policiers locaux. Il était le pionnier de la recherche sur les tueurs en série et l’instigateur du VICAP (Violent Criminal Apprehension Program, semblable au HIT de Keppel) et travaillait avec le FBI dans leur centre de formation de Quantico.
Il passa deux semaines à examiner le moindre détail et conclut que la Force Spéciale faisait du bon travail. Mais qu’il serait encore meilleur avec un ordinateur plus évolué et une équipe élargie, à 80 enquêteurs s’il le fallait.
Brooks dressa son propre profil du tueur, qui allait s’avérer saisissant d’exactitude. Selon Brooks, le tueur savait parfaitement où il allait abandonner les corps avant même de tuer ses victimes. Et il connaissait parfaitement ces endroits isolés. L’endroit où avaient été abandonnés les premiers corps, durant l’été 1982, étaient particulièrement familiers au tueur. Il devait vivre ou travailler tout prêt. Il fallait donc chercher qui vivait ou avait vécu ou travaillé dans ce coin précis.
Les quatre endroits où avaient été découverts des corps (au nord et au sud de l’aéroport, près de Star Lake et dans la Green River) étaient fortement boisés, isolés, en quelque sorte cachés. Brooks expliqua que le fait de cacher ses victimes n’était pas seulement utile au tueur pour ne pas être arrêté. Psychologiquement, cela lui était essentiel pour son sentiment de domination et de pouvoir : il se sentait particulièrement puissant, car lui seul savait où étaient situés les corps.
La manière dont les corps étaient abandonnés dans la forêt, la maîtrise de l’environnement, la préparation minutieuse du tueur et sa manière rapide de tuer faisait que Brooks pensait que l’assassin était ou avait été un militaire.
« Il est blanc… Il a des loisirs à l’extérieur, dans la nature… C’est un solitaire, mais il n’est pas totalement introverti… Ce n’est pas le genre d’homme qui va facilement draguer dans les bars. Je crois que ce type est un peu anxieux de ce côté-là, qu’il ne se sent pas à l’aise avec les femmes. Et c’est pour cela qu’il préfère les prostituées, qui sont pour lui les victimes les plus faciles ».

La White river près d'Enumclaw
La White river près d’Enumclaw

Le 31 mars, un homme et son fils qui randonnaient découvrirent le squelette d’une femme dans un nouveau site, loin tant de l’aéroport que de Star Lake Road. Il était situé sur l’autoroute 410, à 18 km à l’est d’Enumclaw, et à 45 km au sud est du Strip. La topographie était toutefois la même que d’habitude : une forêt de pins, des buissons épais, un endroit isolé, une rivière toute proche (la White River).
Mais il ne sembla pas aux enquêteurs de la Force Spéciale que ce meurtre puisse être relié au tueur de la Green River. Cet endroit était bien trop loin du Strip ou de l’aéroport. Les ossements, malheureusement éparpillés par les animaux, furent patiemment récoltés et le laboratoire du shérif tenta sans succès de les identifier.

Le même jour, un homme qui cueillait des champignons dans les bois, près d’un ravin situé non loin de Star Lake Road, découvrit un crâne humain. Il appela le bureau du shérif et les hommes de Frank Adamson commencèrent à fouiller l’endroit. Comme souvent, l’endroit était très pentu et fort boisé. Peut-être le tueur avait-il pris l’habitude de jeter ses victimes du haut de la colline pour qu’elles roulent jusqu’en bas, invisibles alors aux yeux des passants. Mais cette fois, un arbre avait stoppé la course de ce corps. Les enquêteurs trouvèrent le squelette à qui appartenait ce crâne. Ils continuèrent à chercher et, plus bas, trouvèrent deux autres squelettes, puis, le lendemain, encore deux autres.
Cet endroit s’avérait être l’un des coins favoris du tueur pour abandonner le corps de ses victimes. Il était à moins d’1 km à vol d’oiseau de la Green River et assez proche de la Pacific Highway.

Le 12 avril 1984, l’inspecteur Randy Mullinax interrogea plusieurs hommes qui avaient eu affaire aux prostitués du Strip et s’étaient faits remarquer. Parmi eux : Gary Ridgway. Ce dernier ne nia pas avoir connu deux des victimes (Keli Mcguiness et Kim Nelson) et admit avoir une obsession pour les prostituées. Il se montra ouvert, peu nerveux et sembla véritablement désireux d’aider l’enquêteur. Mullinax l’ayant déjà interrogé auparavant, il préféra le faire passer au « détecteur de mensonges » pour s’assurer de son innocence. Le 7 mai, Ridgway accepta et le spécialiste du polygraphe assura qu’il disait la vérité !

La Force Spéciale avait à présent considéré, interrogé et innocenté des centaines de suspects, qu’ils soient classés dans les catégories A, B ou C. Il y avait un grand nombre d’hommes dangereux, pervers ou étranges dans le sud du comté de King. Mais les enquêteurs n’avaient toujours pas appréhendé « leur » tueur.

Officiellement, les enquêteurs avaient découvert en tout 20 corps, et Adamson pensait qu’il y en avait encore beaucoup d’autres. Le tueur avait d’abord utilisé la Green River, puis les alentours de l’aéroport, puis l’autoroute 140 près de Enumclaw, et les pieds de la montagne proche de l’autoroute 18, et enfin Star Lake Road. Il y avait sûrement d’autres endroits.
Les squelettes de Star Lake Road furent identifiés comme étant Terry Milligan, disparue le 28 août 1982, Delores Williams, disparue le 8 mars 1983, et Sandra Kay Gabbert, disparue le 17 avril 1983.
Le quatrième corps fut identifié à la fin avril grâce à sa dentition : c’était Alma Ann Smith, la jeune femme solitaire qui avait vécu à Walla Walla.

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Barbara Kubik-Patten

Une volontaire qui aidait les enquêteurs et se disait médium, affirma avoir eu la vision du corps d’une autre femme, près de l’autoroute I-90. Barbara Kubik-Patten, une « détective privée médium » d’âge moyen, mère d’une grande fille, avait proposé son aide aux enquêteurs avant même le fameux chauffeur de taxi Melvyn Foster, qu’elle connaissait bien et avec qui elle discutait souvent de l’affaire. En août 1982, lorsque les policiers avaient découvert les trois corps dans la Green River, Dick Kraske avait rencontré Mme Kubik-Patten : elle lui avait affirmé avoir eu des visions de meurtres qui s’étaient réalisés et vouloir aider les enquêteurs. Kraske l’avait remerciée… et congédiée. Kubik-Patten avait par la suite assuré à Dave Reichert qu’elle avait pris Opal Mills en stop et avait commencé à l’appeler presque chaque jour pour lui parler de ses « visions ».
Elle pensait que certaines des victimes lui envoyaient des sortes de messages : Mary Bridget, Kimi-Kai et Opal lui parlaient. Elle avait compris que les policiers ne la croyaient pas et cela la mettait en colère.

Au milieu du mois d’avril 1984, un conducteur de tractopelle découvrit des os humains dans des bois qui appartenaient à la compagnie Weyerhaeuser. Ils étaient éparpillés sur plusieurs mètres au nord de l’autoroute 18, près de North Bend et de la I-90, proche d’un endroit où deux autres victimes avaient été découvertes deux mois auparavant.
Les radios dentaires permirent d’identifier le squelette : il s’agissait d’Amina Agisheff, 37 ans, qui avait été la première femme à être déclarée disparue. Elle avait trois enfants et ne s’était jamais prostituée. Elle était serveuse dans un restaurant bien loin du Strip.
Barbara Kubik-Patten se rendit à l’endroit de la découverte le lendemain et pénétra dans la forêt pour y chercher un autre corps. Elle allait plus tard affirmer que la voix de Kimi-Kai Pitsor lui avait indiqué où aller. Elle découvrit effectivement un squelette et se précipita jusqu’au secteur où le corps d’Amina Agisheff avait été découvert. L’officier qu’elle aborda ne la crut pas et menaça même de l’arrêter pour avoir pénétré un périmètre surveillé.
Le capitaine Frank Adamson arriva sur les lieux et accepta de la suivre jusqu’au squelette. Il était recouvert par un grand sac-poubelle vert. Il fallut du temps pour l’identifier comme étant Tina Marie Thompson, 22 ans, qui avait disparu le 26 juillet 1983 et dont la disparition n’avait pas été déclarée.
Les enquêteurs, surpris par la découverte de Barbara Kubik-Patten, pensèrent qu’elle en savait peut-être plus des meurtres que ce qu’elle voulait bien en dire. Ils la firent passer au détecteur de mensonges. Puis, certains d’entre eux pensèrent que ce n’était sans doute pas des voix, mais un raisonnement déductif qui avait permis à la « médium » de découvrir ce squelette : le tueur avait pris l’habitude d’abandonner plusieurs corps au même endroit et Kubik-Patten avait dû penser qu’elle trouverait certainement un autre corps non loin de celui d’Amina Agisheff.
Cela ne l’empêcha pas de faire les gros titres des journaux de Seattle durant plusieurs jours, pour son plus grand bonheur. Elle affirma au Post-Intelligencer qu’elle avait vu le tueur de la Green River par deux fois et qu’il était un « génie absolu » dans sa manière d’abandonner les corps…

En mai, aucune disparition ne fut déclarée.
Le 9 mai, on identifia enfin le squelette dispersé qui avait été découvert près d’Enumclaw, non loin de l’autoroute 410. C’était celui de Debora May Abernathy, originaire de Waco, au Texas.

Les journaux nationaux commençaient à s’intéresser à l’affaire au point que la Force Spéciale dut faire appel à une porte-parole officielle, Fae Brooks, qui avait travaillé avec Dave Reichert depuis le début de l’enquête.

Le 24 mai 1984, deux enfants qui jouaient près du Jovita Boulevard, juste à la frontière du comté de Pierce, découvrirent un squelette. La police locale et la Force Spéciale furent immédiatement alertées. Les dents du crâne portaient encore un appareil dentaire. Le squelette était celui d’une jeune fugueuse de 15 ans, Colleen Brockman, qui se prostituait sur le Strip.

Le 16 juin 1984, le décompte officiel des victimes du tueur s’élevait à 26, dont 18 avaient été identifiées.

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En août 1984, les enquêteurs pensèrent qu’ils avaient peut-être enfin trouvé leur coupable lorsque deux criminels incarcérés à San Francisco avouèrent les meurtres de la Green River. Mais après les avoir longuement interrogés, séparément, les policiers réalisèrent qu’ils mentaient et voulaient se jouer d’eux. Ils admirent que leur but était d’être extradés dans l’État de Washington et de s’enfuir durant le voyage.

Les politiques et la population du comté avait du mal à comprendre pourquoi la Force Spéciale ne parvenaient pas à arrêter le tueur. Les autorités pensaient à diminuer le budget (des millions de dollars avaient déjà été dépensés) et le nombre d’enquêteurs. Ces derniers avaient besoin de temps pour suivre toutes les pistes, interroger tous les suspects, obtenir des logiciels spécifiques.

Toutefois les policiers remarquèrent avec satisfaction et soulagement que plus aucune disparition suspecte ne leur était signalée.