Article mis à jour le 26 août 2023

L’identité du tueur :

Il existe de nombreuses théories sur l’identité de Jack l’Éventreur.

D’après les dires enquêteurs et des divers témoins, mais aussi d’après les techniques de profiling modernes, on peut dire que l’Éventreur était un homme blanc, de taille moyenne, sans doute brun, qui avait entre 25 et 35 ans en 1888, qui pouvait être un ouvrier (mais qui s’habillait bien lorsqu’il voulait tuer), qui vivait à Whitechapel (quartier qu’il connaissait très bien), qui avait sûrement un emploi régulier (les meurtres n’ont eu lieu que les week-ends) et qui était sûrement célibataire (il sortait tard la nuit). Il se peut qu’il ait été solitaire, discret et peu intégré à la société.

À l’époque, Whitechapel baignait dans l’antisémitisme et l’on accusait souvent un « étranger » (donc un Juif) d’être le tueur. D’autres ont pensé qu’un « gentleman britannique » ne serait jamais capable de telles horreurs et que l’Éventreur devait être Américain. Les auteurs et les rumeurs ont également pointé du doigt des Russes, des communistes, des Français, des asiatiques, des marins, des médecins, des militaires, etc, selon les haines et les convictions du moment.

Depuis un siècle, de nombreux livres ont été écrits, qui assurent avoir découvert la véritable identité de l’Éventreur. Souvent, leurs auteurs présentent des preuves qui s’ajustent à leur théorie, tout en dénigrant ou ignorant les faits qui ne corroborent par cette théorie.
Le nombre de suspects est élevé, il n’en existe aucun qui soit totalement convaincant et il y a peu de chance que l’on connaisse jamais la véritable identité de l’assassin.
Certains suspects ont attiré l’attention plus que d’autres, généralement à cause de leur célébrité.

Le Prince Albert Victor

albert victor duc de clarence

L’une des théories les plus connues (et les plus populaires) est celle de la conspiration royale : le Prince Albert Victor de Clarence, surnommé « Eddy », était le petit-fils de la reine Victoria et en ligne directe vers le trône du Royaume-Uni. Son père devint par la suite le roi Edouard VII. Si « Eddy » avait vécu plus longtemps (il est décédé à 28 ans d’une pneumonie), il serait devenu roi à son tour.
La théorie est la suivante : Albert Victor aimait fréquenter les rues de Whitechapel, où il rencontra une jeune femme nommée Annie Crook, qu’il installa dans une garçonnière. Elle tomba enceinte et, selon certaines versions, épousa secrètement le prince lors d’un mariage catholique (les Rois britanniques étant « anglicans »).
D’autres versions racontent que l’enfant fut illégitime. Épouser une catholique d’un niveau social très bas était inacceptable pour un futur roi et le vent du scandale parvint jusqu’à sa grand-mère la reine, qui insista pour que le problème soit « résolu ». Le Premier Ministre confia cette mission au médecin de la reine, le Dr Gull.


Sir Melville Macnaghten succéda à Sir Charles Warren comme préfet de la Metropolitan Police, après que les meurtres de l’Éventreur ont officiellement cessé. Toutefois, l’enquête continua jusqu’en 1892 et Macnaghten avait accès aux dossiers de police. Son rapport final explique pourquoi, à son avis, les meurtres ont cessé après celui de Mary Kelly. Le tueur, après ce dernier meurtre abominable, aurait « perdu l’esprit » et se serait suicidé, ou, sous la pression de sa famille, aurait été enfermé dans un asile.
Macnaghten proposa trois suspects qui auraient pu être Jack l’Éventreur :

Montague John Druitt

montague druit

«Montague John Druitt, un médecin de bonne famille, qui disparut peu après le meurtre de Mary Kelly et dont le corps (qui serait resté près d’un mois dans l’eau) fut découvert dans la Tamise le 31 décembre 1888, sept semaines après le meurtre. Il était « sexuellement aliéné » (sic) et, d’après des informations privées que je possède, je sais que sa propre famille croyait qu’il était l’assassin ».

Montague John Druitt est né en 1857 et était le fils d’un chirurgien, mais n’était pas docteur lui-même.
Il obtint une licence de littérature classique et enseigna dans un internat. Il aimait beaucoup le sport, notamment le hockey et le cricket. Il étudia le droit et devint finalement avocat en 1885. Il garda néanmoins son emploi de professeur et n’exerça ses activités juridiques que dans son cabinet.
La même année, son père mourut et en 1887, sa mère fut institutionnalisée pour dépression et hallucinations paranoïaques. Sa famille avait une histoire de dépression et de suicide.
Malgré la tragédie familiale et une propension à la dépression, Druitt réussit tant financièrement que socialement dans les années 1880. Il avait hérité de ses parents, avait un bon travail et pratiquait de nombreux sports. Le cercle social dans lequel il vivait était des plus respectables.

Toutefois, tout n’allait pas si bien puisque son corps fut bel et bien découvert flottant dans la Tamise en décembre 1888, immergé depuis des semaines. Druitt avait été renvoyé de son emploi pour « faute grave » (attouchement envers ses élèves ?) à la fin du mois de novembre. Il avait laissé une note qui fut découverte par son frère : « Depuis vendredi, j’ai senti que j’allais devenir comme maman, et que la meilleure chose pour moi était de mourir ».

Il ne semble pas y avoir de raison pour laquelle Macnaghten aurait pu penser que Druitt était l’Eventreur, si ce n’est le « d’après des informations privées que je possède, je sais que sa propre famille croyait qu’il était l’assassin ». Macnaghten affirma qu’il avait détruit tous les documents à ce sujet. Personne n’a pu fournir une preuve crédible qui suggérerait que Druitt était une personne violente ou « sexuellement aliéné ».
Druitt ne correspond pas aux descriptions du tueur faites par les différents témoins : il était très mince et avait l’air d’un « gentleman britannique ». Il ne vivait pas dans l’East End et il n’existait pas de train reliant son village à Londres aux heures des meurtres.

Il est donc difficile de comprendre pourquoi Macnaghten le soupçonnait. Mais ce dernier avait accès à tous les dossiers concernant l’Eventreur, dont la plupart ont été détruits depuis. Peut-être existaient-ils des indices importants permettant de soupçonner Druitt mais il nous est à présent impossible de savoir lesquels.

Aaron Kosminski

kominski

Aaron Kosminski, « un Juif polonais et résident de Whitechapel. Cet homme est devenu fou suite à de trop nombreuses années de vices solitaires (onanisme). Il avait une grande haine des femmes, en particulier des prostituées, et avait de fortes tendances homicides. Il a été envoyé dans un asile d’aliénés en mars 1889. Il existe de nombreuses circonstances reliées à cet homme qui en font un suspect sérieux ».

Selon l’inspecteur Swanson, « Aaron Kosminski fut envoyé à l’asile Stepney, puis à Colney Hatch, et mourut peu après ». Mais l’auteur Philip Sugden a découvert des écarts entre les affirmations de la police et les compte-rendus des hôpitaux. « Kosminski n’a pas été envoyé à Colney Hatch en 1889, mais en 1891. Et il n’est pas mort ‘peu après’ mais 28 ans plus tard ».

Le Dr Houchin, qui avait certifié que Kosminski était aliéné, a écrit que ce dernier déclarait qu’il était « guidé » et que ses mouvements étaient « contrôlés par un instinct qui informe son esprit ». Il refusait la nourriture qu’on lui donnait « parce qu’on lui avait dit de le faire ».

Le frère de Kominski affirma qu’il avait menacé sa sœur avec un couteau.

Toutefois, Maurice Whitefield, « Officier de libération » pour le district de Mile Old Town, qui avait préparé les papiers pour les médecins de Colney Hatch, décrivait Kosminski comme un homme non dangereux et non suicidaire.

Kosminski passa trois ans à Colney Hatch où il ne fut fait qu’une seule mention d’un acte violent. Le directeur de l’établissement affirma que Kosminski n’était ni dangereux ni suicidaire, mais incohérent et silencieux. Kosminski fut ensuite envoyé à Leavesden, un institut pour « imbéciles, idiots ou lunatiques chroniques inoffensifs »… mais irrécupérables. Il se renferma peu à peu sur lui-même, jusqu’à ne plus savoir son âge. Il avait des hallucinations visuelles et auditives.

La seule preuve présentable contre Kominski est une identification positive par un témoin, Joseph Lawende. Mais cette identification eut lieu en mars 1890, près de 2 ans après que le témoin a aperçu le possible tueur dans l’obscurité… Et Lawende, lorsqu’il avait donné son témoignage sur le meurtre de Mitre Square, avait expliqué qu’il ne serait sûrement pas capable d’identifier le meurtrier. Kosminski était petit et mince, à la différence du témoignage de Lawende en 1888.
De plus, il a été institutionnalisé plus de deux ans après le dernier meurtre : il aurait donc commis 5 meurtres affreux, puis se serait tranquillement remis au travail sans plus jamais tuer et sa famille n’aurait rien remarqué ?

Michael Ostrog

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Michael Ostrog, « un docteur russe, et un prisonnier, qui fut par la suite détenu dans un asile d’aliénés comme maniaque homicide. Les antécédents de cet homme étaient du pire type possible et on ne put jamais savoir où il était au moment des meurtres ».

Michael Ostrog est le suspect le moins plausible de Sir Melville Macnaghten. C’était un voleur qui utilisait de nombreux pseudonymes et qui avait des tendances suicidaires.
Il se présentait souvent comme un noble Polonais déchu.

Il a passé une grande partie de sa vie en prison et n’a jamais présenté de remords. Il était intelligent, bien éduqué, avait de bonnes manières, mais était un escroc invétéré.
Il joua parfois au fou durant ses procès afin d’obtenir des circonstances atténuantes. En 1887, il parvint à se faire transférer dans un asile d’aliénés où il se présenta comme un médecin Juif. Il fut relâché et déclaré « guéri » en mars 1888.

Au moment des meurtres de l’Eventreur, il était recherché par la police pour ne pas s’être présenté au commissariat local.

Macnaghten l’a peut-être suspecté parce qu’il se disait chirurgien, qu’il était un criminel connu et qu’il avait été dans un asile. Ses mensonges ont fait de lui un suspect.

Il n’existe pas de preuves qu’il ait été violent et se soit jamais attaqué à une femme. De plus, il avait entre 50 et 60 ans en 1888, plutôt âgé pour un tueur en série « débutant », et plus âgé que les descriptions du tueur faites par les témoins.


George Chapman

george chapman

L’inspecteur en chef Abberline n’était pas d’accord avec Macnaghten concernant ces trois suspects. En 1903, il affirma : «Vous pouvez dire carrément que Scotland Yard n’est vraiment pas plus instruit sur le sujet qu’il ne l’était il y a 15 ans».
Toutefois, l’Inspecteur Abberline avait, lui aussi, son « suspect préféré », un dénommé George Chapman, qui fut pendu en 1903 pour avoir empoisonné son épouse.

Le véritable nom de George Chapman était Severin Antoniovich Klosowski. Il était né en Pologne en 1865 et était devenu chirurgien à l’hôpital de Varsovie. Les registres montrent qu’il était « assidu, d’une conduite exemplaire et qu’il étudiait avec zèle la science de la chirurgie ».
Pour des raisons inconnues, il immigra à Londres en 1887. Il trouva un emploi d’assistant coiffeur, puis ouvrit son propre commerce de barbier sur Cable Street, à Whitechapel.
En 1890, son affaire ayant mal marché, il travailla chez un autre coiffeur de Whitechapel, non loin de l’endroit où Martha Tabram avait été assassinée en août 1888.

Klosowski épousa une femme appelée Lucy Baderski, qui lui donna un fils en 1890. Celui-ci mourut d’une pneumonie en mars 1891 et le couple déménagea dans le New Jersey, aux États-Unis.
Là, Klosowski s’en prit à son épouse, qu’il tint allongée sur leur lit, une main sur sa bouche. Un client arriva dans le magasin, juste à côté de la chambre, et Klosowski relâcha sa femme pour l’accueillir. Son épouse vit un manche dépasser de l’oreiller et découvrit que c’était celui d’un grand couteau, qu’elle cachât immédiatement. Plus tard, Klosowski lui affirma qu’il avait voulu lui couper la tête, puis l’enterrer. Lorsque son épouse expliqua que les voisins lui aurait demandé où elle était, Klosowski répondit calmement qu’il leur aurait dit qu’elle était partie à New York.

Lucy Baderski le quitta et retourna à Londres, où elle accoucha d’une fille en mai 1892. En juin de la même année, Klosowski revint lui-aussi à Londres, mais Lucy ne voulut pas le voir. En 1893, il déménagea et mit enceinte une jeune femme appelée Annie Chapman mais leur relation ne dura pas plus d’un an, car Klosowski était un coureur de jupons.

Il changea de nom, se fit appeler George Chapman et épousa Mary Spink, qui lui donna tout l’argent qu’elle avait touché d’un héritage. Ils ouvrirent une échoppe de barbier, où Chapman coupait les barbes tandis que Mary jouait du piano…
Leur magasin avait du succès, mais pas leur vie de couple. Chapman battait fréquemment son épouse. Il acheta du « tartare émétique », un poison incolore, inodore et presque insipide, contenant de l’antimoine (et qui préserve le corps des années après la mort).
Lorsque le magasin eut moins de succès, Chapman le revendit et s’occupa d’un pub. Mary commença à souffrir de problèmes d’estomac, et en mourut en 1897. Le médecin signa un acte de décès expliqua qu’elle était morte de tuberculose.

Chapman s’installa alors avec une dénommée Bessie Taylor, mais la frappa elle aussi et la menaça même avec un pistolet. Bessie eut des problèmes d’estomac et en mourut à son tour en 1901.

Chapman trouva une autre compagne, Maud Marsh, qu’il traita aussi mal que les autres. Elle commença elle-aussi à souffrir de l’estomac. La mère de Maud appela alors un autre médecin et Chapman, apeuré, donna à Maud une grosse dose de poison, qui la tua sur le coup. Chapman fut arrêté lorsque l’on découvrit une quantité mortelle d’antimoine dans le corps de Maud.
On exhuma ses deux autres épouses, dont les corps étaient remarquablement préservés, et l’on découvrit là-aussi une grande quantité d’antimoine.
Chapman fut inculpé de trois meurtres, mais ne fut reconnu coupable que de celui de Maud. Il fut pendu le 7 avril 1903.

Selon Abberline, Jack l’Eventreur n’était pas mort après 1888 et n’était pas non plus un dément. La date de l’arrivée de Klosowski/Chapman à Londres correspondait avec le premier meurtre de l’Eventreur. Il était alors célibataire et avait un travail régulier qui ne le laissait libre que durant les week-ends. Les meurtres cessèrent lorsque Klosowski/Chapman partit aux Etats-Unis, et des meurtres similaires furent commis aux Etats-Unis après qu’il s’y soit installé. Il avait étudié la médecine et la chirurgie et ses empoisonnements montraient qu’il possédait des connaissances médicales. Il était violent et avait des problèmes avec les femmes.
Mais il y a toutefois des incohérences. Ainsi, de nombreux témoins avaient vu un homme de 30 à 40 ans, alors que Klosowski/Chapman n’avait que 23 ans en 1888.
Surtout, il existe d’énormes différences entre les meurtres brutaux et rapides de l’Eventreur et les empoisonnements discrets et lents de Chapman. Pour Abberline, Klosowski/Chapman aurait été capable des deux « genres » de meurtres.
Chapman est un suspect intéressant, mais il est difficile de comprendre (lorsque l’on sait comment évolue les tueurs en série : vers toujours plus de violence), comment le terrible assassin et mutilateur Jack l’Eventreur aurait pu devenir un empoisonneur discret quelques années plus tard.


Francis Tumblety

tumblety

Un suspect est apparu dans le livre de Evans et Gainey, en 1995, « Jack the Ripper : First American Serial Killer » : Francis Tumblety. Il a été cité dans un courrier de l’inspecteur en chef Littlechild à un journaliste, en 1923. Il était Américain et sa famille s’installa à Rochester, aux États-Unis en 1849.

Tumblety est né au Canada en 1833. Il était toutefois Américain d’origine irlandaise.
En 1848, il était décrit par ses voisins comme un garçon « sale, maladroit, ignorant, délaissé, bon à rien, dénué d’éducation ».

En 1850, il déménagea à Detroit et commença peu après à exercer la médecine. Il semble qu’il n’ait pas fini l’école et n’ait jamais mis les pieds dans une école de médecine, mais il devint malgré tout un médecin prospère. Il se disait chirurgien.
Il voyagea à travers les États-Unis et eut une vie extravagante. Parfois, il enfreignait la loi et, afin d’éviter les problèmes, il déménageait et allait s’établir ailleurs.
En 1857, il fut arrêté au Canada pour avoir tenté de faire avorter une prostituée, puis en 1860, il fut soupçonné d’avoir provoqué la mort d’un patient en l’ayant mal soigné.

Tumblety écrivit des lettres aux journaux et aux autorités des états où il vécut, se plaignant d’être harcelé, notamment par la police. Mais on pense qu’il était en fait paranoïaque, car il ne fut importuné que quelques fois, lorsque ses « charlatanismes » étaient trop flagrants et lorsqu’il porta des médailles militaires qu’il n’avait jamais méritées. C’était un excentrique et narcissique qui aimait se promener vêtu d’un uniforme d’apparat.

Il se rendit à Liverpool en 1874. Là, il rencontra Sir Henry Hall Caine, un bisexuel (futur écrivain célèbre) avec qui il vécut jusqu’en 1876. Lorsqu’il revint à New York, il devint célèbre pour « sa passion pour la compagnie des jeunes hommes et des adolescents », dont il ne fit plus vraiment de secret. Il était également connu son mépris des femmes, surtout les « femmes de mauvaise vie ».
Il expliqua à un colonel (il se disait l’ami du président Lincoln et du Général Grant) qu’il détestait les femmes car, « jeune homme », il avait épousé une femme puis avait découvert qu’elle était prostituée. Toutefois, » jeune homme », il appréciait déjà les hommes plus que les femmes.

Il revint en Angleterre en juin 1888 et fut arrêté pour « crimes contre-nature » (sodomie), puis relâché. Il fut par la suite inculpé, car soupçonné des meurtres de l’Eventreur. Il fut libéré sous caution le 24 novembre, mais s’enfuit en France puis repartit à New York. Là, la police le trouva, mais ne l’arrêta pas, car il n’existait aucune preuve formelle qu’il fut impliqué dans les meurtres de l’Eventreur.
Il existe là de nombreuses questions : on pense que la police britannique voulut l’arrêter parce qu’il était soupçonné des meurtres de l’Éventreur. Elle le poursuivit en France et aux États-Unis, et demanda à la police américaine de l’extrader. Mais… Certains chercheurs affirment également que Tumblety était un Américain-Irlandais suspecté d’être un « Fenian » (nationaliste révolutionnaire irlandais), un terroriste, et la Couronne Britannique avait justement de terribles problèmes avec les Fenians à l’époque.

Par la suite, Tumblety revint à Rochester et vécu avec sa sœur. Il mourut en 1903, à Saint Louis, où il avait continué à se faire passer pour un médecin.

L’auteur Stewarts Evans ne trouva une lettre de l’Inspecteur en Chef Littlechild datant de 1913, concernant Tumblety, qu’en 1993. L’Inspecteur expliquait que, parmi les suspects, « un charlatan américain nommé Tumblety » avait « un gros dossier à Scotland Yard » : « Bien qu’il soit un sujet ‘psychopathia sexualis’ (homosexuel, sans doute), il n’était pas connu pour être un ‘sadique’ (ce que le tueur était plus que sûrement) mais ses sentiments envers les femmes étaient remarquables et amers à l’extrême, un fait établi ».
Tumblety est un suspect intéressant, mais aussi la preuve que de nouvelles informations peuvent encore être découvertes après toutes ces années.

Toutefois, il n’existe aucune preuve directe reliant Tumblety aux meurtres de l’Eventreur.

  • Il me semble quasi impossible pour un tueur en série qui aurait massacré Mary Kelly comme elle l’a été, de s’arrêter de tuer, d’un coup, et de ne plus jamais tuer jusqu’à sa mort. Or, Tumblety est décédé en 1903, quinze ans après les meurtres de l’Éventreur, et il n’a été accusé d’aucun meurtre aux États-Unis entre 1888 et 1903.
  • Tumblety avait 55 ans en 1888 (trop âgé pour un tueur en série « débutant »), était très grand (plus d’1m90), rougeaud et portait une longue moustache : il ne ressemble pas aux descriptions des témoins ayant aperçu l’Éventreur.
  • L’homosexualité, contrairement à ce que l’on pensait à l’époque, n’est pas une dépravation sexuelle et elle ne conduit certainement pas au meurtre.
  • Rien ne suggère qu’il ait été violent envers les femmes, même s’il les détestait. Par contre, Littlechild a écrit que Tumblety avait été arrêté durant la période des meurtres pour des « crimes contre-nature » (des relations homosexuelles). On sait à présent que Tumblety fut arrêté pour « obscénité grossière et agression indécente avec force et arme » envers quatre hommes entre le 27 juillet et le 2 novembre. On ne sait pas si Tumblety a réellement fait preuve de violence ou si la police a utilisé cette expression pour ne pas prononcer les mots « relations homosexuelles ».
    Les tueurs en série homosexuels s’en prennent pratiquement toujours à des victimes de leur sexe, pas du sexe opposé.
  • L’Éventreur devait connaître Whitechapel comme sa poche, car ce quartier était un véritable labyrinthe de ruelles obscures et, pourtant, le tueur a toujours réussi à s’échapper rapidement et à disparaître. Tumblety connaissait plutôt bien l’East End, mais il ne connaissait pas parfaitement Whitechapel.

Tumblety est l’un des meilleurs suspects, mais il existe malgré tout de nombreux doutes.


James Maybrick

maybrick

En 1992, un dénommé Michael Barret, ferrailleur de Liverpool, annonça publiquement qu’il avait découvert un journal intime écrit par un courtier en coton nommé James Maybrick, décédé en 1889. Dans ce journal, Maybrick affirmait être Jack l’Éventreur. Barrett argua qu’un de ses amis, Tony Devereux, lui avait donné ce journal, mais Devereux, décédé, ne lui avait pas expliqué comment il se l’était procuré.
On s’était toujours demandé pourquoi les meurtres de l’Éventreur avaient soudainement commencé en août 1888 et avaient cessé tout aussi brutalement en novembre de la même année. Le journal intime de Maybrick offrait soi-disant la réponse, car ce dernier était mort en mai 1889… Sauf que ce journal était un faux.

James Maybrick était un marchant de coton qui avait commencé son commerce à Londres au début des années 1870. Il avait voyagé aux USA pour ouvrir un magasin en Virginie, puis était revenu à Londres quelques années plus tard. Il avait contracté la malaria et prenait un mélange d’arsenic et de strychnine pour la contrôler. Mais ce traitement créait une dépendance et Maybrick continua de prendre de l’arsenic jusqu’à sa mort.

Maybrick revint à Londres avec une belle et riche épouse de 18 ans, Florence Chandler, qu’il avait épousé sur un coup de foudre.
Les années 1880 virent tourner la chance. Les mauvaises conditions économiques aux USA et en Angleterre meurtrirent financièrement le couple alors qu’il développait exagérément leur commerce. En 1888, Maybrick, son épouse et leurs deux enfants déménagèrent à Liverpool. Maybrick échappa à ses soucis financiers en utilisant de plus en plus d’arsenic… et en prenant une maîtresse. Lorsque Florence découvrit qu’il maintenait une maîtresse et avait eu un enfant avec elle, malgré leurs problèmes financiers, elle l’abandonna et prit un jeune amant.

En mai 1889, Maybrick mourut, vraisemblablement d’une overdose d’arsenic. Son épouse fut accusée de l’avoir assassiné. Après un procès bâclé durant lequel le juge ne permit pas que l’on parle de la dépendance de Maybrick à l’arsenic, Florence fut condamnée à mort. Elle passa 15 ans en prison avant d’être finalement libérée. Le juge de son procès était le père de J. K. Stephen, le tuteur du prince Albert Victor, et il mourut dans un asile de fous quelques années plus tard.

Maybrick, n’a jamais été suspecté durant sa vie mais de nombreux experts analysèrent le journal.

  • Il était écrit sur un livre de l’époque Victorienne, mais ce genre d’ouvrage est disponible chez les libraires ou les antiquaires. Une quarantaine de pages au début du livre avaient été retirées, suggérant qu’il avait pu être utilisé pour un autre but avant de devenir le journal intime de Maybrick.
  • De nombreux experts ont affirmé que l’encre était moderne.
  • Certains experts trouvèrent de nombreux anachronismes dans le texte et Scotland Yard détermina que l’écriture avait été altérée pour y ajouter des décorations dans le style Victorien. Il existe également des inexactitudes dans le récit des meurtres (qui semblent provenir directement des journaux de l’époque) alors que le véritable tueur devait connaître le véritable cours des événements. Le tueur parle aussi de rues qui n’existaient pas encore ou déjà plus en 1888. Il existe par ailleurs des erreurs dans le récit de la vie même de Maybrick !
  • Maybrick vivait à Liverpool, à des centaines de kilomètres de Londres, et aurait mis des heures pour faire l’aller-retour.
  • Maybrick avait 55 à l’époque des meurtres, plutôt âgé pour un tueur en série « débutant » et surtout plus âgé que les descriptions du possible assassin par les divers témoins (entre 25 et 35 ans). De plus, les amis de Maybrick affirmaient qu’il paraissait plus que son âge, prématurément vieilli par les soucis.
  • On a pu retrouver un testament écrit par James Maybrick et l’écriture ne correspond pas à celle du journal intime.
  • Enfin, comme le relèvent Douglas et Olshaker, Maybrick était un homme de 55 ans, marié, ayant des enfants et qui n’était pas un sociopathe. Il n’aurait pas pu devenir « brusquement » un tueur sadique.

En 1995, de nombreux experts affirmèrent que le journal de Maybrick était un faux. Michael Barrett admit qu’il avait écrit le journal lui-même.


Jill l’Éventreuse

On (Abberline, entre autres) a suggéré que l’Éventreur a pu être une sage-femme qui aurait mutilé les 5 victimes afin de maquiller des décès provoqués par un avortement clandestin. Les « ripperlologues » l’ont surnommée « Jill l’Éventreuse ».

Mais il existe de nombreuses objections à cette théorie, notamment le fait qu’aucune des victimes n’était enceinte lorsqu’elles ont été assassinées. De plus, aucune tueuse en série n’a jamais accompli de mutilations sadiques.


Dr D’Onston Stephenson

donston stephenson

Le Dr Roslyn D’Onston Stephenson ou Robert Donston Stephenson était un journaliste et un ivrogne féru d’occultisme.

L’auteur Melvin Harris l’a désigné en 1987 comme tueur potentiel en arguant du fait que les meurtres de l’Éventreur avaient été commis lors d’un rituel d’initiation (un pentagramme possède 5 pointes, comme 5 victimes).

Stephenson, imbu de lui-même, avait été renvoyé de plusieurs emplois. Il était fasciné par la magie noire et s’intéressait beaucoup aux crimes de l’Éventreur. Il avait 47 ans en 1888. Il fut suspecté par ses amis, associés du « sataniste » Aleister Crowley, car il leur avait expliqué en détail comment l’Éventreur assassinait ses victimes.

Le problème étant que ses descriptions étaient tout à fait erronées. Il n’existe aucune preuve tangible le reliant aux crimes de l’Éventreur.


James Kenneth Stephen

stephen

L’auteur Michael Harrison a affirmé que James Kenneth Stephen, tuteur du Prince Albert Victor, était Jack l’Éventreur parce qu’il détestait les femmes et était peut-être homosexuel.

Harrison soutient que Stephen vouait un amour passionné au Prince Albert et que ses meurtres auraient été une sorte de rituel sanglant, une vengeance après une rupture avec le Prince.

Ce mobile est difficile à admettre.

Stephen a eu un accident en 1887 qui a provoqué de graves lésions cérébrales et l’a laissé à demi invalide. Il est mort dans un asile d’aliénés en 1892. Il n’existe pas la moindre preuve contre lui.


Dr Thomas Neil Cream

dr cream

Le Dr Thomas Neil Cream était un tueur en série. Il a assassiné 8 femmes au Canada, aux États-Unis et en Angleterre, dont 4 prostituées Londoniennes, en 1891 et 1892.

Mais son seul lien avec l’Éventreur est qu’il a crié «Je suis Jack l’…» juste avant d’être pendu, en 1892.
Il se peut que cet incident ne soit rien de plus qu’une histoire inventée plus tard, car ni les policiers ni les autres personnes qui ont assisté à l’exécution n’ont fait mention de ces derniers mots.

En fait, il était emprisonné aux États-Unis lors des meurtres de 1888 et est resté en prison jusqu’en juillet 1891.


Dr Alexander Pedachenko

pedachenko

Le Dr Alexander Pedachenko, un chirurgien, soi-disant ex-membre des services secret russes, pratiqua la médecine à Glasgow avant de s’installer à Londres au milieu des années 1880. Selon l’auteur Donald McCormick, en 1888, la police secrète russe considérait Pedachenko comme « le plus grand et le plus audacieux de tous les criminels déments russes ».

McCormick, reprenant la théorie d’un journaliste britannique du 19ᵉ siècle, William Le Queux, affirmait que Pedachenko et deux serviteurs auraient commis les meurtres de l’Éventreur avec la volonté politique d’embarrasser Scotland Yard, afin de les punir d’avoir « choyé » des exilés russes dissidents.

Théorie passionnante, mais il n’existe aucune preuve pour l’étayer, surtout lorsque l’on sait que les documents cités par Le Queux et McCormick pour étayer cette théorie sont inexistants ou introuvables.


Walter Sickert

Walter Sickert

Un autre suspect a été désigné pour la première fois en 1976 par Stephen Knight (« Jack the Ripper: The Final Solution »), au beau milieu de la théorie de la conspiration royale du Prince Albert Victor : Walter Sickert, un peintre impressionniste britannique, très célèbre en son temps. Il aurait donné des cours de peinture au Prince et c’est grâce à lui que le Prince aurait rencontré Annie Elizabeth Crook, alors qu’elle posait pour lui. Stephen Knight expliqua qu’il tenait cette histoire du fils illégitime de Sickert, Joseph Sickert. Ce dernier, interrogé en 1978, admit avoir inventé cette histoire « pour plaisanter ». Joseph Sickert a également prétendu être le petit-fils du Prince Albert Victor et avoir été pourchassé par l’Éventreur du Yorkshire, Peter Sutcliffe…

En 1990, Sickert est réapparu dans le livre de Jean Overton Fuller (« Sickert and the Ripper Crimes »), qui l’accusait, cette fois directement, des crimes.
Sickert a été replacé sur le devant de la scène par la romancière Patricia Cornwell en 2002. Elle affirme que Jack l’Éventreur était Walter Sickert. Ses peintures représenteraient les meurtres de l’Éventreur. Sickert, impotent, aurait détesté les femmes. Il aurait envoyé des lettres à la police se vantant des meurtres.

Certaines de ses peintures sont assez morbides, mais ne représentent qu’une minorité de son œuvre. Et le fait de peindre des crimes (ou de filmer des meurtres de fiction) n’a jamais produit un assassin… Quelques-uns de ces tableaux (à partir de 1905) représentent effectivement des meurtres, mais aucun n’indique qu’il ait peint une scène de crime de l’Éventreur ou qu’il ait connu quelques détails des crimes de l’Éventreur. Cornwell compare ainsi les positions de certaines victimes avec les positions de certaines femmes sur des peintures de Sickert. Mais elle les compare avec les célèbres photographies des victimes qui ont été prises… à la morgue et non sur les scènes de crimes.

Sickert a effectivement peint des prostituées (à partir de 1903-1904). Tout comme Degas, Renoir et Toulouse-Lautrec.
Sickert avait également pour habitude de changer les noms de ses tableaux, d’une exposition à l’autre. Le fameux « The Camden Town Murder » (Le meurtre de Camden) a aussi été nommé « What Shall We Do For the Rent?” (« Qu’allons-nous faire pour le loyer ? ») !

Sickert était narcissique, peut-être un peu pervers, selon ses amis, mais n’était pas violent et n’avait pas de problème avec les femmes. Il n’existe aucune preuve que Sickert ait été impotent et que cela ait provoqué chez lui une haine des femmes… Il était marié et, à son époque, était connu pour avoir eu plusieurs maîtresses. Il en fut même accusé par son épouse, qui obtint le divorce en 1899.
Sa seconde épouse mourut en 1920, sa mère en 1922, et il sombra dans la dépression et l’excentricité. Toutefois, en 1926, il épousa une « vieille amie », Thérèse Lessore, et sa vie se stabilisa.

Peut-être Sickert s’est-il « amusé » à envoyer des lettres à la police, signées « l’Éventreur » (comme des centaines d’autres personnes…), mais il faut rappeler qu’une seule de ces lettres aurait pu être envoyée par le véritable assassin (celle adressée à M. Lusk), toutes les autres étant des canulars. La lettre qui, selon Cornwell, a fourni un ADN et un filigrane similaires à ceux de Sickert n’a jamais été considérée comme une lettre authentique du véritable Éventreur par aucun auteur ou chercheur sérieux.
De plus, l’ADN découvert (après plus d’un siècle, cet ADN n’aurait pas été contaminée par les multiples manipulations ?) par Patricia Cornwell sur les lettres ne permet pas d’affirmer que Sickert était l’auteur de ces lettres-canulars, mais plutôt que lui ou une autre personne de son entourage a pu les écrire. L’ADN de Sickert n’est pas disponible, il a été incinéré après sa mort, en 1942.

Patricia Cornwell répète qu’elle ne peut pas prouver que Sickert était à Londres durant les meurtres, mais qu’elle ne peut pas prouver non plus qu’il n’y était pas. Elle admet pourtant que Sickert a écrit une lettre « non datée » en France durant l’automne 1888. Le biographe de Sickert, Matthew Sturgis, affirme quant à lui que Sickert s’est rendu en France à la mi-août : son dernier travail londonien, un croquis, est daté du 4 août 1888. Le 6 septembre, la mère de Sickert a écrit de St Valéry en Caux afin d’expliquer que « Walter et son frère » passaient « de bons moments ici », à nager et à peindre. L’épouse de Sickert, Ellen, a écrit une lettre à son beau-frère le 21 septembre 1888, expliquant que son époux était parti en France depuis plusieurs semaines. Sickert a également peint un magasin des environs de Dieppe, en octobre 1888, qu’il a intitulé « Le soleil d’octobre ».

Sickert est un suspect intéressant (et romanesque) mais pas le plus réaliste.


Le profil du FBI

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Pour la commémoration des 100 ans des meurtres de Whitechapel, en 1988, deux ex-profilers du FBI, Roy Hazelwood et John Douglas, ont tenté de créer le profil psychologique de Jack l’Eventreur, pour une émission télévisée.

Considérant l’affaire en se basant que sur les faits, les rapports d’autopsie et les dossiers de la police, ils ont conclu que l’Éventreur était un homme blanc, de 25 à 30 ans, d’intelligence moyenne, qui est parvenu à échapper à la police… par chance. Il était tout à fait ordinaire, ce qui lui a permis de se fondre dans la foule, de disparaître dans les ruelles, de se faufiler dans l’obscurité. C’était un habitant de Whitechapel, à l’apparence banale, qui ne se distinguait pas de ses voisins.

Les meurtres étaient spontanés et opportunistes, et le premier a sûrement eu lieu non loin du domicile du tueur. Selon Douglas et Hazelwood, le choix des victimes ainsi que la nature des mutilations indiquent que l’Éventreur a pu être abusé par une femme dominante qui l’aurait élevé. Enfant, il aurait « ventilé » sa rage en mutilant des animaux, en s’en prenant à d’autres garçons de son âge et peut-être en allumant des feux.

Le fait que tous les meurtres aient eu lieu entre minuit et six heures du matin indique que l’Éventreur vivait probablement seul et avait peu, voir pas, d’amis. Il devait avoir un emploi manuel, peut-être boucher ou équarrisseur, qui lui aurait donné la possibilité de s’adonner à ses pulsions sadiques sans se faire remarquer.

Conclusion ?

Les officiers ayant enquêté sur les meurtres de l’Éventreur avaient chacun leur avis sur l’identité de l’assassin. Il est donc difficile de se faire une opinion et la tâche est ardue pour les chercheurs qui doivent aujourd’hui trouver de nouvelles preuves plutôt que dénicher celles qui ont été perdues. En effet, d’innombrables preuves ont disparu. Quasiment tous les dossiers la City of London Police ont brûlé durant le Blitz de la Seconde Guerre Mondiale.

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Certains auteurs ont affirmé que les dossiers avaient été volontairement détruits afin de garder secrète l’identité du meurtrier… Mais la vérité est plus prosaïque.
Dès le début de l’affaire, des objets, des rapports, des lettres, des dossiers ont été « empruntés » comme souvenirs. Au début du 20ᵉ siècle, lorsqu’il n’y avait plus de place, les secrétaires jetaient les dossiers les plus anciens, sans se soucier de leur contenu !
Lorsqu’Abberline a été interviewé en 1903, le journaliste a réalisé que l’ex-Inspecteur était entouré de dossiers officiels, qu’il avait tout simplement emmenés avec lui lorsqu’il avait pris sa retraite. Il n’a sûrement pas été le seul.
Beaucoup de « ripperologues » ont eux-mêmes volé des souvenirs et l’on sait qu’un certain nombre de documents ont disparu entre la fin des années 1970 et le début des années 1980. C’est pour cette raison que les documents restants ont été copiés sur microfilm.

De nos jours, Jack l’Éventreur serait un tueur en série comme les autres et sans doute pas le plus célèbre. Il n’a tué « que » cinq femmes, des prostituées, dans un quartier immonde fourmillant de criminels. Peu de gens seraient choqués par ces meurtres, alors que les crimes de Bundy, Alègre ou Guy Georges (de belles jeunes femmes), de Gacy ou Dutroux (des enfants et des adolescent(e)s) ont provoqué scandales et opprobres. Les assassinats de prostituées passent très souvent inaperçus et n’inquiètent pas grand monde… excepté leur famille.
C’était le cas en 1888, c’est malheureusement toujours le cas à notre époque.
Et pourtant, plus d’un siècle plus tard, des centaines de livres ont été écrits et des dizaines de films ont été tournés sur les crimes de Jack l’Éventreur. Sa célébrité, sa « popularité » n’ont jamais diminué depuis l’époque Victorienne.

Cela est dû à plusieurs raisons. Il n’était pas « le » premier tueur en série de l’histoire, mais il a sûrement été le premier à apparaître dans une grande métropole où la population (même miséreuse) savait lire et où la presse était une force de changement social.

L’Éventreur est apparu à un moment où existaient de grands troubles politiques. Il servit de catalyseur. La presse critiqua ouvertement la police. Les libéraux et les réformateurs, tout comme les partisans de l’indépendance de l’Irlande, utilisèrent ces crimes à des fins politiques, pour désapprouver le gouvernement en place… et la monarchie.

L’enquête n’a pas été menée par une mais deux forces de police indépendantes : La City of London Police et la Metropolitan Police.
La Metropolitan Police (plus connue sous le nom de Scotland Yard) était responsable des crimes commis dans tous les quartiers de Londres, excepté la Cité de Londres (4 kilomètres carrés au cœur même de Londres connu sous le nom de « City »), qui avait sa propre force de police, la City of London Police. La Metropolitan était dirigée par un préfet de Police (Sir Charles Warren), qui obéissait lui-même, directement, au ministre de l’Intérieur (Sir Henry Matthews).
Catharine Eddowes fut la seule victime assassinée dans la City of London.

On pense que les policiers des deux forces ont bien travaillé ensemble et ont échangé leurs informations, mais il existe des preuves que les hauts gradés de chaque force ne se sont pas entendus. On ne sait pas, toutefois, à quel point leur incapacité à coopérer à eu des conséquences sur la résolution de l’affaire.

La plupart des chercheurs n’accusent pas les forces de police de n’avoir pu résoudre le mystère de Jack l’Eventreur, car même de nos jours, malgré la science et la technologie, il est toujours très difficile d’arrêter un tueur en série. Si ce n’est procéder aux autopsies et réunir les témoignages des gens qui avaient pu voir quelque chose, la Metropolitan Police ne pouvait pas faire grand-chose.
Il semble toutefois que l’augmentation des effectifs policiers dans le quartier de Whitechapel ait posé un problème au tueur : le délai entre les crimes est devenu chaque fois plus long, une semaine entre les 2 premiers meurtres, mais 6 semaines entre le double assassinat et celui de Mary Kelly.

L’opinion des gens à l’époque était que la police était incompétente et que le préfet de police, Sir Charles Warren, militaire de carrière, n’était bon qu’à surveiller les foules et faire régner l’ordre plutôt qu’à enquêter. Il était responsable de la terrible répression des manifestations de novembre 1887 sur Trafalgar Square, qui avait fait des centaines de blessés, dont des femmes et des enfants, et 2 morts. De ce jour, les Londoniens moyens avaient perdu confiance en leur police, qui était devenue extrêmement impopulaire.
Warren était détesté par la plupart des habitants de l’East End, mais aussi par beaucoup de personnes des classes moyennes et même pas certains membres de la police, et la presse (non conservatrice) ne se gênait pas pour le critiquer.
Warren était surtout critiqué pour ne pas avoir offert de récompense à la personne qui dénoncerait l’Eventreur (en fait, Warren n’avait pas refusé cette récompense, c’était Henry Matthews, le ministre de l’Intérieur, qui avait rejeté cette idée).

La City of London Police semble avoir fait un meilleur travail, bien qu’elle n’ait pas non plus appréhendé le tueur. Les officiers de la City ont fait des dessins de la scène du crime et ont pris de nombreuses photographies de Catharine Eddowes. Bien qu’elle n’était pas dans leur juridiction, ils ont également pris des photos de Mary Kelly. Elle est la seule victime qui ait été photographiée sur la scène de son meurtre.

L’une des dissensions entre les dirigeants des deux forces de police s’est présentée avec le graffiti de la Goulston Street, la nuit du double meurtre, « Les Juifs sont les hommes qui ne seront pas accusés pour rien ». Les policiers de la City voulaient le photographier, mais Warren pensait que le laisser à la vue de tout le monde, le temps qu’il y ait assez de lumière pour le photographier, pourrait provoquer des émeutes entre les Juifs de Whitechapel et les résidents anglais qui les pensaient déjà responsables des meurtres.
Des juifs innocents avaient déjà été passé à tabac lorsque la rumeur sur « Tablier de cuir » avait commencé à courir. Warren ne chercha même pas un compromis en effaçant seulement le mot « Juifs » et demanda qu’on l’efface entièrement. Il en fut d’ailleurs remercié par le Grand Rabbin de Londres.

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Le « Pall Mall Gazette », un quotidien populaire, était dirigé par William Stead, un radical qui mena une violente campagne contre la Metropolitan Police. Le « Star », autre journal radical, était dirigé par O’Connor, un parlementaire nationaliste irlandais, qui critiquait lui aussi la Metropolitan Police. À l’époque, la monarchie britannique luttait contre les Fenians, des terroristes révolutionnaires irlandais, branche armée des républicains irlandais. Le « Star » accusait la police de trop s’occuper d’actions politiques et de négliger la sécurité intérieure.
Des quotidiens libéraux, tels que le « Evening News » et le « Morning Chronicles », se joignirent bientôt aux attaques des journaux radicaux pour critiquer la police et le gouvernement conservateur.
La concurrence entre journaux et les prises de position politique provoquèrent une surenchère, des rumeurs furent créées et des journaux comme le « Illustrated Police News » fournirent des informations erronées ou déformées. Le « Times » lui-même fit paraître un article fortement antisémite accusant le tueur d’être un Juif suivant les préceptes du Talmud…

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Néanmoins, grâce à la presse, le monde entier apprit également que la splendide capitale de « l’Empire Britannique » comportait un quartier répugnant où les enfants mourraient en bas âge, où les femmes devaient se prostituer pour survivre et où beaucoup d’hommes étaient des chômeurs ou des criminels. Les meurtres de l’Éventreur attirèrent l’attention du public sur cette misère, obligeant les riches propriétaires des bâtiments à démolir les taudis pour reconstruire des logements plus décents.
Chaque jour, les journaux publiaient des articles sur l’Éventreur, expliquant les résultats des enquêtes et des actions de la police, mais propageant aussi les rumeurs. Les sentiments des habitants de l’East End et les éditoriaux attaquant les institutions de la société pouvaient être lus tous les jours par les Londoniens, mais aussi par le reste du monde.
C’est la couverture médiatique qui a fait de ces meurtres un évènement « nouveau », quelque chose que le monde n’avait jamais vu auparavant.
La presse a été en grande partie responsable de la création des mythes entourant l’Éventreur, et a fini par faire d’un « simple » psychopathe un terrible croque-mitaine.

Mais la popularité de « Jack l’Éventreur » est également due à la manière dont il tuait ses victimes, en les mutilant horriblement, et au fait que son identité est toujours restée inconnue. Depuis le dernier meurtre de l’Éventreur, des centaines d’enquêteurs professionnels et amateurs ont tenté de résoudre ce mystère.
De nos jours, l’arrestation d’un tueur en série représente toujours un défi, malgré les techniques médico-légales modernes et l’évolution de la psychologie. Peu importe la sophistication des méthodes et l’habileté des enquêteurs, certains tueurs en série ne seront jamais appréhendés.

A l’époque Victorienne, la Police Londonienne travaillait « dans le noir », sans aucune connaissance de ce type de meurtres, sans outils modernes disponibles. Les empreintes digitales, la typologie des groupes sanguins et, encore plus l’ADN, n’avaient pas encore été développés pour une utilisation policière. Même les photographies des victimes n’étaient pas très répandues. Il n’exista pas de laboratoire criminel à Scotland Yard avant 1930.

En 1888, la police ignorait l’existence des psychopathes sexuels. On parlait encore de « déments », avec des relents de vampire et de loups-garous.

Le dossier de l’Éventreur fut classé en 1892, l’année où l’Inspecteur Abberline prit sa retraite, sans que l’identité de l’Éventreur ait été établie.
La légende ne faisait que commencer.