Article mis à jour le 26 août 2022

Crimes et châtiment (suite)

Les enquêteurs de la police judiciaire se mirent à la recherche de toutes les carabines qui étaient passées entre les mains de Barbeault. Ils étaient convaincus que, durant cette série de meurtres qui avait duré sept ans, deux autres armes avaient été utilisées par le tueur. Pour étayer leur thèse, ils s’intéressèrent à la carabine que Barbeault avait volée à la fin de l’été 1972 chez M. Lechovitz, à Nogent-sur-Oise. L’arme avait été restituée à son propriétaire par les gendarmes de Liancourt en 1974. Elle était donc restée pendant deux ans entre les mains de l’inculpé. Mais cette fois, le rapport de la balistique n’abonda pas dans le sens de la culpabilité de Barbeault.

Barbeault resta imperturbable. Mais le commissaire Jacob conserva la certitude d’avoir arrêté le “tueur de l’ombre”. Il avait fallu sept ans pour mettre la main sur l’assassin, déclara-t-il, il allait bien falloir six mois pour le confondre.

carabine reina

Un an après l’incarcération de Barbeault, l’enquête, qui semblait piétiner, progressa brusquement grâce à une importante découverte. Lors d’un cambriolage commis en 1970 au domicile de M. Landais, vol attribué à Barbeault, une autre carabine 22 long rifle, de marque Reina, avait disparu. Le propriétaire de cette arme avait l’habitude de s’entraîner sur des cibles installées dans son jardin. En passant au crible la moindre parcelle du terrain, les policiers découvrirent des balles provenant de l’arme. L’analyse comparative effectuée prouva que ces projectiles et ceux qui avaient tué Eugène Stephan et Mauricette Van Hyfte, ainsi que Josette Routier, provenaient de la même carabine.

Le 16 décembre 1977, lorsque la juge d’instruction lui signifia ces trois nouvelles inculpations, Marcel Barbeault se défendit avec la même énergie : « Je n’ai pas commis ce vol. Je n’ai jamais eu cette arme entre les mains ! ». Et pourtant, deux de ses amis avaient reconnu que Barbeault leur avait prêté une carabine de la même marque.

Au terme de près de cinq années d’instruction, la juge d’instruction transmit à la Chambre des mises en accusation d’Amiens l’énorme dossier du “tueur de l’ombre”. Mais sur les huit meurtres, seuls cinq furent attribués à Marcel Barbeault, qui n’était jamais passé aux aveux. Faute de preuves matérielles tangibles, les trois premiers meurtres commis à Nogent, ceux de Thérèse Adam, de Suzanne Mérienne et d’Annick Delisle ne furent donc officiellement jamais élucidés.

procès Marcel Barbeault

Le lundi 25 mai 1981, au palais de justice de Beauvais, s’ouvrit le procès de Marcel Barbeault devant la cour d’assises de l’Oise. Il risquait la peine capitale. Bien qu’il ait toujours nié être le “tueur de l’ombre”, Barbeault dut, tout au long des quinze jours d’audience, répondre des meurtres de Mauricette Van Hyfte, d’Eugène Stephan, de Josette Routier, de Julia Gonçalves et de Françoise Jakubowska.
Barbeault avait presque l’air étonné de se retrouver dans cette salle d’audience. Il semblait calme, mais l’agitation continuelle de ses doigts trahissait une grande nervosité.

Barbeault avait peur de ses juges, de ces femmes tirées au sort pour constituer le jury populaire, qui allait se prononcer sur sa culpabilité. Son avocat en avait récusé cinq, l’avocat général presque autant. Mais le hasard du tirage au sort était têtu. Parmi les neuf membres de jury, trois femmes brunes siégeaient aux côtés des autres jurés.

Au total, pas moins de 75 témoins et 17 experts furent entendus pendant ce procès. Une jeune femme blonde, Josiane Barbeault, osait à peine porter un regard sur son époux.
Après la lecture des actes d’accusation, le président Blin voulu en savoir plus sur la vie de Barbeault et lui demanda : « Étiez-vous à côté de votre mère le jour de sa mort ? ». « Oui », répondit tristement Barbeault, « j’étais là, je l’ai vue mourir ». L’accusé adorait sa mère et la série de meurtres avait débuté au lendemain de la mort de celle-ci.
Marcel Barbeault relata ensuite les autres décès survenus dans sa famille : l’accident de voiture de son frère Jean-Louis en 1971 et le suicide de Roger, son autre frère, en 1974. Il raconta sa rencontre avec Josiane, qui allait devenir son épouse, et qu’il aimait tellement.

Les psychologues vinrent se prononcer à la barre sur l’état mental de Marcel Barbeault. Ils conclurent tous qu’il était intelligent et qu’il n’était pas un malade mental. Un être renfermé, un peu fruste, avec des tendances morbides, certes, mais dont l’état n’avait rien de pathologique. Un homme normal.

Se succédèrent ensuite à la barre les collègues de travail, les amis, les voisins et les membres de la famille de Barbeault. Autant de témoignages qui allaient dans le même sens : “Barbeault, c’était un brave type”. Seule fausse note dans ce portait sympathique, la déclaration d’un ancien collègue : « C’était un violent, Barbeault ! ».

L’épouse de Barbeault témoigna à son tour : “Cétait un bon mari, doux et attentionné avec les enfants. Je n’ai rien à lui reprocher… C’était un mari fidèle, je n’ai jamais songé qu’il ait pu me tromper… Je n’ai jamais compris pourquoi il commettait ces cambriolages. Nous n’avions pas de mal à vivre…”. Elle reconnut qu’elle avait pensé à divorcer. “Quand il est sorti de prison, j’ai décidé de lui donner une chance. Mais je l’ai prévenu que s’il recommençait, ce serait fini !… Il m’a menti deux fois… Chaque fois, il m’a assuré qu’il partait faire des renforts à l’usine et c’était faux !”. Lorsque l’avocat de Barbeault lui demanda si elle pensait que son époux pouvait être le tueur, elle répondit : “Non, Marcel est innocent de tous ces crimes. Sinon, je ne serais pas restée avec lui”.

barbeault au tribunal

Durant la seconde semaine du procès, les meurtres furent à l’ordre du jour. Les invraisemblances et les approximations alternèrent sans cesse avec les preuves irréfutables. Le cheveu brun présentait “une grande similitude” avec ceux de Barbeault. Il avait été établi que l’auteur du crime pouvait chausser du 42. Or, Barbeault chaussait du 43. Les marques observées sur le corps des victimes ou sur leurs vêtements pouvaient avoir été faites avec le poignard saisi dans la cave de Barbeault. Pourtant, à l’expertise, cette arme ne présentait aucune trace de sang.

En revanche, la balistique était formelle sur la carabine Gekado découverte dans la cave de l’accusé. Les balles extraites du corps de Julia Gonçalves et Françoise Jakubowska avaient été tirées avec cette arme. Quant à l’autre arme, d’après les analyses des balles retrouvées à l’autopsie des trois autres victimes, il s’agissait d’une carabine Reina. Barbeault était accusé d’en avoir volé une au domicile de M. Landais en 1970.

Les témoins, qui avaient reconnu Barbeault comme “le rôdeur dans le parc” ou “le rôdeur de la gare” juste après son arrestation, furent moins formels lors du procès. Cinq ans s’étaient écoulés, Barbeault avait grossi, s’était empâté, et son visage était rougeaud.
Un collègue de travail se rappela cependant que Barbeault était arrivé un jour à l’usine vêtu d’une parka tachée de sang.
Barbeault, lui, continua de nier.

L’inspecteur Daniel Neveu vint relater sa longue enquête et expliquer le raisonnement qui l’avait conduit à l’arrestation de Marcel Barbeault. Il évoqua les curieux cambriolages commis dans la région, tous attribués à Marcel Barbeault. Il s’intéressait aux photos intimes qu’il trouvait dans les pavillons visités. Au cours d’une perquisition chez Barbeault, les policiers avaient mis la main sur plusieurs objets volés. La thèse de l’inspecteur n’avait pas changé : le voleur et le tueur n’étaient qu’un seul et même homme, un voyeur.

Le 10 juin 1981, l’avocat général fit un réquisitoire de quatre heures et demie, à la fin duquel il réclama la peine de mort.
L’avocat de Barbeault, lui, rappela que son client n’avait jamais rien avoué et que plusieurs preuves matérielles n’étaient pas solides.
Vers trois heures et demie du matin, à l’issue de six heures de débat, les membres du jury tombèrent enfin d’accord. Barbeault fut reconnu coupable de seize cambriolages, deux meurtres et trois assassinats. Mais le jury lui accorda les circonstances atténuantes et le condamna à la réclusion criminelle à perpétuité.

La peine de mort fut abolie le 9 octobre 1981 et la Justice subit d’importantes réformes. Aussi, l’avocat de Barbeault réussit-il à faire admettre que son client n’aurait pas dû se voir infliger plus de 20 ans de réclusion. Barbeault fut rejugé le 21 novembre 1983 devant un nouveau jury populaire. Barbeault continua de clamer son innocence, mais aucun élément nouveau ne vint éclairer les débats et les mêmes témoins défilèrent à la barre. “Un second procès copie conforme” titra la presse écrite. Et, à nouveau, Barbeault fut condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.

Après l’arrestation de Marcel Barbeault, plus aucun meurtre du “tueur de l’ombre” n’eut lieu.

Les victimes de Marcel Barbeault

Françoise Lecron
Blessée à l’épaule par une balle de carabine, le 10 janvier 1969.
Elle a survécu.

Michèle Louvet
Agressée par un homme qui lui tire une balle dans le ventre, le 14 janvier 1969.
Elle a survécu.

therese adam

Thérèse Adam (49 ans)
Tuée d’une balle de 22 long rifle dans la nuque devant son domicile à Nogent-sur-Oise, le 23 janvier 1969.

merienne

Suzanne Mérienne (44 ans)
Tuée d’une balle dans la tempe près de son pavillon à Nogen-sur-Oise, le 16 novembre 1969.
Sa fille, qui était avec elle, a pu s’échapper et décrire le tueur à la police.

delisle

Annick Delisle (29 ans)
Tuée d’une balle dans la nuque, à Nogent-sur-Oise, le 6 février 1973.
Son corps fut retrouvé le lendemain.

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Mauricette Van Hyfte (23 ans)
Tuée dans la nuit du 28 au 29 mai 1973, dans une voiture, à proximité du cimetière de Laigneville, avec son petit ami, Eugène Stephan.

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Eugène Stephan (25 ans)
Tué dans la nuit du 28 au 29 mai 1973, dans une voiture, à proximité du cimetière de Laigneville, avec sa petite amie, Mauricette Van Hyfte.

Routier

Josette Routier (29 ans)
Tuée d’une balle dans la tempe, le 8 janvier 1974, dans son appartement de Nogent-sur-Oise.
Son corps fut découvert trois jours plus tard par ses voisins.

Goncalves

Julia Gonçalves (29 ans)
Tuée d’une balle dans la nuque, le 25 novembre 1975, dans le parc Hébert de Nogent-sur-Oise.

Jakubowska

Françoise Jakubowska (20 ans)
Poignardée et achevée d’une balle dans la tempe, sur la route de la gare de Villiers-Saint-Paul, le 6 janvier 1976.

Mode Opératoire

Les crimes se déroulaient la nuit, souvent lorsqu’il pleuvait, au moment où les jeunes femmes (toutes brunes) partaient ou rentraient de leur travail, dans un rectangle de 4 kilomètres sur 2 autour de Nogent.
Toutes les victimes étaient surprises par le meurtrier. D’abord, il les frappait d’un coup derrière la tête pour les neutraliser. Puis, il transportait leur corps à l’abri des regards.
Après avoir déshabillé ses victimes des genoux à la poitrine, Barbeault ne les violait pas, mais leur faisait subir un étrange rite sexuel : il promenait la pointe de son couteau sur leur ventre et leurs seins.
Et enfin, il les achevait d’une balle dans la tête.
Avant de s’enfuir, probablement en empruntant les voies ferrées qui quadrillaient la région, le “tueur de l’ombre” leur volait leur sac à main.

Motivations de Marcel Barbeault

Marcel Barbeault est une énigme.

Tous les experts psychiatres qui l’ont étudié donnent les mêmes conclusions : c’est un homme normal. Ni un psychopathe, ni un psychotique. D’une intelligence légèrement supérieure à la moyenne, il n’était pas considéré comme un malade mental.
Même si Barbeault était un être renfermé et fruste, avec des tendances morbides, son état n’était pas jugé pathologique.

Comme d’autres tueurs en série (tel Henri Landru, le docteur Petiot, Robert Yates ou John Armstrong), il était marié, père de famille, bon époux et bon père, apprécié de la plupart de ses collègues… Un “Monsieur tout le monde”.

Marcel-Barbeault

Des experts tentèrent de cerner le profil psychologique du “tueur de l’ombre”. Au fil du temps, ils notèrent la progression dans l’exécution des crimes. Le meurtrier s’était d’abord contenté de tuer à l’aide d’une arme à feu. Par la suite, il a dénudé ses victimes, puis il a étendu les cadavres, avant de laisser des traces sur les corps.
Le meurtre de Josette Routier marqua un tournant très net dans les habitudes du tueur. Plus il tuait, plus la composante sexuelle était apparente. Plus tard, les coups de couteau succédèrent aux manipulations sexuelles.
Tous ces gestes n’étaient pas interprétés par les experts psychiatres comme une simple mise en scène, mais comme des actes rituels. Aucun viol n’a jamais eu lieu, mais les coups de couteau au ventre et à la poitrine, ainsi que les manipulations sexuelles et la façon de dénuder les victimes, témoignaient clairement d’une volonté de faire mal à “la” Femme. Un viol par procuration, non abouti.
Les objets dérobés aux victimes après chaque crime avaient certainement une signification pour Barbeault (des trophées, sans doute) et confirmaient l’aspect rituel des meurtres. Dans ce vol, il s’intéressait à l’intimité de ses victimes plutôt qu’à leurs objets de valeur, aux photos surtout.
Au meurtre, il ajoutait une sorte de “viol psychique” de l’intimité.

Au lendemain de l’arrestation de Barbeault, un psychiatre tenta d’évaluer l’incidence du décès de sa mère sur son comportement. Cet événement pourrait être l’élément déclencheur de la série de meurtres. À la mort de sa mère, Barbeault aurait basculé du vol par effraction au meurtre. Le besoin pathologique de conserver des objets dérobés lors des cambriolages va de pair avec celui de dérober des objets, sans valeur pour la plupart, aux victimes. D’autres psychiatres imaginèrent que l’opération de sa mère avant sa mort, l’ablation des deux seins, aurait pu entraîner une volonté de vengeance.

En désaccord avec ces hypothèses, les experts qui ont rencontré Barbeault n’ont jamais relevé de dysfonctionnement grave dans son comportement.
Appelé par la juge d’instruction, le docteur Roumajon procéda à une contre-expertise de Barbeault en janvier 1978. Aujourd’hui encore, il se souvient de ce colosse qui niait tranquillement tous les crimes dont il était accusé. « Lors de notre rencontre, je n’ai absolument décelé aucun trouble chez cet homme. Par la suite, j’ai essayé de déceler une faille dans son comportement. Il était impossible d’établir un rapport entre sa personnalité et les faits qui lui étaient reprochés. Barbeault est normal ».

Citations

“Tout m’accable, je n’ai pas de chance” : Marcel Barbeault.

“Je suis peut-être un voleur, mais pas un assassin” : Marcel Barbeault, au cours de l’instruction.

“Il s’agit d’un sujet morbide, sadique, éprouvant l’irrésistible besoin d’une domination brutale et criminelle, compensatoire à son impuissance” : les psychiatres dans leur rapport sur le “tueur de l’ombre”.

“Barbeault est normal, banal même. S’il était venu me consulter, je lui aurais conseillé de prendre un peu l’air et non pas de se faire traiter” : Jean-René Lavoine, psychiatre.

Bibliographie

Un tueur dans l’ombre. L’Affaire Marcel Barbeault
Résumé : Un journaliste, qui collaborait au “Progrès de l’Oise” au moment des faits, raconte les meurtres, l’enquête et le procès.
Critique : Alain Hamon doute de la culpabilité de Barbeault et ne s’en cache pas. Il présente l’inspecteur Neveu comme un enquêteur hors pairs, s’émeut de la guerre de polices, recréé l’ambiance de peur et de grisaille qui a régné durant sept ans, s’interroge sur les preuves et le manque de preuves…

Terreur en banlieue – L’affaire du tueur de l’Oise
Résumé : Publié en 1977, avant que Marcel Barbeault ne soit jugé, cet ouvrage fait revivre les meurtres et l’enquête au jour le jour, avec l’ambiance et la mentalité de l’époque.

Le mort n’a pas le profil d’un assassin
Résumé : “Durant sept ans, Marcel Barbeau tua des femmes. Depuis trente-trois ans en prison, il est aujourd’hui le plus vieux prisonnier de France. C’est l’histoire d’un enquêteur pas ordinaire, qui cache son pistolet en haut d’une armoire, et qui cumule plus de six cents ans de prison à son actif, dont la peine, toujours en cours, de ce tristement célèbre tueur. La version qu’il donne de son métier est une traversée de l’envers du décor, qu’il dépouille comme le tueur qu’il pourchasse dépouille des femmes. Est-ce le hasard qui va les mettre face à face, ou n’est-il entré à la PJ que pour cette rencontre ?”
Critique : L’ex-enquêteur Daniel Neveu nous livre ses souvenirs, anticonformistes et lucides, en deux grandes parties : d’abord sa carrière de policier, puis l’affaire Marcel Barbeault. Les deux sont passionnantes.

Filmographie

“Faites entrer l’accusé”, France 2. Diffusé en 2003.

Liens

– Nogent-sur-Oise : le site officiel de la ville.
– Interview de Georges Simenon sur le “Tueur de l’Ombre” dans Paris Match en 1976.
– Alain Lamare, un gendarme criminel, également surnommé “le Tueur de l’Oise”.
– Émission “Café Crimes”, de Jacques Pradel, consacrée à Daniel Neveu.