Article mis à jour le 24 août 2022

Crimes et châtiment (suite)

Arlene Pralle
Arlene Pralle

Au milieu de cette cacophonie apparut Arlene Pralle, une chrétienne “born again” de 44 ans qui dirigeait un haras près d’Ocala. Elle avait vu la photo de Wuornos dans le journal et lui avait écrit « Mon nom est Arlene Pralle. Je suis ‘born again’. Vous allez penser que je suis folle, mais Jésus m’a dit de vous écrire. » Elle offrit à Aileen Wuornos de lui téléphoner, ce qu’elle fit le 30 janvier.
Presque immédiatement, Pralle devint son plus ardent soutien et sa meilleure amie. Elle lui affirma que ses avocats commis d’office tentaient de tirer de l’argent de son histoire, comme tous les autres. Wuornos demanda alors (et obtint) à ce qu’ils soient remplacés.
Pralle parla aux journalistes, décrivant sa relation avec Wuornos à un reporter de “Vanity Fair” comme un “lien d’âmes” : « Nous sommes comme Jonathan et David dans la Bible. Une grande part de moi est enfermée en prison avec elle. Nous savons toujours ce que l’autre pense ou ressent ». À un autre reporter, elle affirma : « Si le monde pouvait savoir comment est la véritable Aileen Wuornos, aucun jury ne la condamnerait ».
Tout le long de l’année 1991, Pralle apparut dans les talk-shows et les tabloïds, parlant à quiconque écouterait sa description de Wuornos comme une femme gentille et bonne. Elle arrangea des entrevues entre Wuornos et des journalistes qui, selon elle, seraient sympathiques envers la tueuse. Aileen Wuornos continua d’embellir son histoire. Toutes deux insistèrent sur l’enfance malheureuse de Wuornos et élevèrent des accusations de corruption et de complicité contre les agents proposant de l’argent pour un livre ou un film, contre les enquêteurs, les avocats et, particulièrement, contre Tyria Moore.
Finalement, le 22 novembre 1991, Arlene Pralle et son époux adoptèrent légalement Aileen Wuornos. Pralle explique que Dieu lui avait dit d’agir ainsi.

Les avocats de Wuornos arrangèrent un marché avec l’accusation (un “plea bargain”) selon lequel elle plaiderait coupable de six meurtres et serait condamnée six fois à la perpétuité, échappant ainsi à la peine de mort.
Mais le procureur de l’un des comtés refusa ce marché, considérant qu’elle méritait la peine capitale.

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Complice ? Coupable ?

Tyria Moore n’était pas en Floride durant au moins l’un des meurtres.
Bien que les enquêteurs aient découvert chez elle des objets ayant appartenu aux victimes, lorsqu’ils vinrent la chercher en Pennsylvanie, ils crurent ses affirmations selon lesquelles elle n’avait été impliquée dans aucun des meurtres.

Elle ne fut pas inculpée du moindre crime ou délit, même pas de recel ou de non-dénonciation de crimes… en échange de sa coopération.

Le 14 janvier 1992, le procès de Wuornos pour le meurtre de Richard Mallory commença. Les preuves et les témoignages s’accumulèrent contre elle.
Le Docteur Arthur Botting, qui avait autopsié le corps de Richard Mallory, expliqua que la victime avait agonisé durant 10 à 20 longues minutes.
Lorsque Tyria Moore monta à la barre pour témoigner contre Wuornos, cette dernière en eut les larmes aux yeux. Elle sembla sidérée par le fait que Tyria Moore l’ait trahie en échange de sa liberté. Moore ne lui jeta pas un seul regard. Elle témoigna du fait que Wuornos n’avait pas paru le moins du monde bouleversée, nerveuse ou saoule lorsqu’elle lui avait dit avoir tué Mallory.

Douze hommes vinrent ensuite affirmer qu’ils avaient “rencontré ” Aileen Wuornos le long des autoroutes du centre de la Floride au cours des dernières années.

La Floride possède une loi connue sous le nom de “Williams Rule” qui permet que des preuves relatives à d’autres crimes soient admises lors d’un procès si elles permettent de montrer une volonté récursive de tuer, un mode opératoire répétitif.
Grâce à cette loi, des informations concernant les autres meurtres de Wuornos furent présentés aux jurés. L’affirmation de Wuornos selon laquelle elle avait tué en état de légitime défense aurait pu paraître probable si le jury n’avait entendu parler que du meurtre de Mallory. Mais, informés de tous les meurtres, les jurés ne pouvaient plus croire l’explication de Wuornos.
Après que des extraits vidéo de sa confession enregistrée ont été montrés au tribunal, ses allégations semblaient même ridicules. Wuornos y apparaissait confiante et absolument pas secouée par l’histoire qu’elle racontait. Elle parlait facilement avec les enquêteurs et répéta plusieurs fois à son avocat de se taire. Regardant presque la caméra en face, elle dit : « J’ai pris une vie. Je veux abandonner ma vie parce que j’ai tué des gens. Je mérite de mourir ».

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Tricia Jenkins, l’une des avocates de Wuornos, ne voulait pas que celle-ci témoigne et le lui indiqua. Mais Aileen Wuornos insista, elle voulait raconter SA version de l’histoire.
Mais l’exposé qu’elle fit du meurtre de Mallory ressemblait à peine à celui qu’elle avait donné lors de sa confession. Elle affirma que Mallory l’avait violée puis torturée. En l’interrogeant, le procureur John Tanner anéantit le moindre fragment de crédibilité qu’elle aurait pu avoir. Lorsqu’il mit en lumière ses mensonges et ses inconsistances, elle devint agitée et coléreuse.
Ses avocats lui conseillèrent plusieurs fois de ne pas répondre aux questions de l’accusation et invoquèrent 25 fois le 5ème amendement (qui permet à un accusé de ne pas donner un témoignage qui pourrait lui nuire). Elle était le seul témoin de la défense et lorsqu’elle quitta la barre, il y avait peu de doute sur le verdict que rendrait le jury.
Le 27 janvier 1992, les jurés ne mirent que deux heures pour déclarer Wuornos coupable de meurtre au premier degré. Lorsqu’ils quittèrent le tribunal, elle explosa de rage, hurlant « Je suis innocente ! J’ai été violée ! J’espère que vous serez violés ! Sacs à merde d’Amérique ! ».

Son accès de colère était encore frais dans l’esprit des jurés lorsque la “phase de condamnation” (durant laquelle on décide de la peine du coupable) commença le lendemain.
Les experts pour la défense témoignèrent du fait que Wuornos était mentalement dérangée et qu’elle souffrait d’un désordre de la personnalité bipolaire provoquant ses sauts d’humeur incontrôlables. Durant son procès, l’humeur de Wuornos avait été (comme d’habitude) changeante, variant des éclats de rire aux larmes de rage… ce qui accréditerait la thèse de la défense : une personne qui a un trouble bipolaire a des cycles d’euphorie et de dépression ; les variations de l’humeur sont hors de proportion ou indépendantes des événements vécus.
Selon ses avocats, son enfance douloureuse et brutale avait empêché sa maturation psychologique, l’avait « pourrie et broyée ». Tricia Jenkins décrivit sa cliente comme « une enfant primitive et abîmée » alors qu’elle plaidait afin que le jury épargne la vie d’Aileen Wuornos.
Mais les jurés n’avaient ni oublié ni pardonné la femme brutale qu’ils avaient appris à connaître durant le procès. Dans un verdict unanime, ils recommandèrent au juge Blount de la condamner à la peine capitale. Ce qu’il fit le 31 janvier.

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Aileen Wuornos ne fut plus jugée dans d’autres procès.
Le 31 mars 1992, elle plaida coupable pour les meurtres de Dick Humphreys, Troy Burress et David Spears, expliquant qu’elle voulait « être en règle avec Dieu ». Lors d’une déclaration décousue à la cour, elle affirma : « Je voulais vous expliquer que Richard Mallory m’a bien violée, brutalement, comme je vous l’avais dit. Mais pas les autres. Ils ont seulement commencé à le faire ». Elle termina son monologue en se tournant vers le procureur Rick Ridgeway et, sifflante, ajouta : « J’espère que votre femme et vos enfants seront violés ! ».
Le 15 mai, le juge Thomas Sawaya la condamna trois fois à la perpétuité. Elle lui fit un geste obscène et murmura « en… lé ».

En juin 1992, elle plaida coupable du meurtre de Charles Carskaddon et en novembre, elle reçut sa 4ème condamnation à mort.
Début février 1993, elle fut condamnée à mort après avoir plaidé coupable du meurtre de Walter Gino Antonio.
Elle ne fut jamais inculpée du meurtre de Peter Siems car son corps n’a jamais été retrouvé.

En novembre 1992, on pensa que Wuornos pourrait obtenir un nouveau procès pour le meurtre de Richard Mallory grâce à l’émission de télévision “Dateline NBC”. En effet, les avocats de Wuornos et le procureur de Floride n’avaient pas découvert le moindre passé criminel pour Richard Mallory, qui aurait justifié les accusations de viol d’Aileen Wuornos. Pour les policiers et l’accusation, si Mallory était un peu paranoïaque et obsédé sexuel, c’était “un homme respectable”.

Mais la journaliste de “Dateline”, Michele Gillen, n’eut aucune difficulté à découvrir que Mallory avait été condamné à 10 ans de prison pour un viol brutal dans un autre état, une information qu’elle avait facilement obtenue en… vérifiant son nom dans le système informatique du FBI.
Les avocats de Wuornos pensèrent que les jurés auraient peut-être vu l’affaire sous un jour différent s’ils avaient eu connaissance de tous les faits. Mais la justice n’accorda aucun nouveau jugement à Aileen Wuornos et la Cour Suprême de Floride réaffirma ses six condamnations à mort.
Michele Gillen n’appuya pas les avocats de Wuornos dans leur volonté de faire appel, mais critiqua le manque de professionnalisme des autorités locales : « C’est une malade dangereuse qui a bien tué ces hommes. Mais ce n’est pas une raison pour l’état de se dire : ‘Elle a avoué avoir tué ces hommes, nous n’avons donc pas à faire notre travail’. »

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Wuornos décida peu après d’accepter son sort. « Je suis une personne qui hait réellement la vie humaine et qui tuerait de nouveau », écrivit-elle dans une lettre à la Cour Suprême de Floride, dans laquelle elle accepta, en avril 1993, de licencier ses avocats et de ne plus faire aucun appel.
Le Sénateur Jeb Bush annula un ajournement de la sentence en octobre 2002, après que trois psychiatres qui avaient interviewé Wuornos aient conclu qu’elle comprenait qu’elle allait mourir et pourquoi elle allait être exécutée.

Wuornos donna sa dernière entrevue filmée quelques jours avant son exécution, à un producteur britannique nommé Nick Broomfield, qui avait réalisé un documentaire à son sujet en 1993. Elle partit, folle de rage, après une demi-heure de discussion. Le jour de l’exécution de Wuornos, Broomfield affirma : « Aujourd’hui nous exécutons quelqu’un de fou. Cette personne a complètement perdu l’esprit ».

Le procureur de la Floride, John Tanner, qui avait vu des psychiatres l’interroger durant une demi-heure, expliqua quant à lui qu’elle était consciente et lucide : « Elle savait exactement ce qu’elle faisait ».

Aileen Wuornos fut exécutée par injection mortelle le 9 octobre 2002 à la prison d’état de Starke, en Floride, plus de dix ans après avoir commis ses meurtres.
Ses dernières paroles furent : « Je voudrais juste dire que je navigue avec le Roc (Jésus) et que je reviendrai comme le Jour de l’Indépendance avec Jésus, le 6 juin, comme dans le film, grande maternité et tout ».

Aileen Wuornos est morte comme elle a vécu : seule. Vers la fin, Arlene Pralle, la “mère adoptive” de Wuornos a été remarquablement… absente. Leur relation s’était aigrie. Pralle n’était même pas présente lors de l’exécution de sa “fille”.