Article mis à jour le 27 mars 2023

Né le : 12 avril 1869 à Paris (France)
Surnom : le Barbe Bleue de Gambais – le Barbe Bleue de Seine et Oise – l’homme aux 283 femmes
Mort le : 25 février 1922 à Versailles (France)

Landru était un petit homme, plus petit que la plupart des gens, avec un crâne chauve et une épaisse barbe brune. Ses sourcils, épais et touffus, étaient arqués au-dessus de ses yeux sombres, donnant l’impression qu’il était toujours étonné ou surpris. Par son apparence physique, Henri Landru n’était pas le type d’homme que l’on soupçonnerait d’être capable de séduire plus de 300 femmes… et de les délester de leurs économies. Mais, croyez-le ou non, il y avait quelque chose de spécial chez ce petit bourgeois, marchand de meubles d’occasion et mécanicien automobile, que les femmes vulnérables trouvaient irrésistible. Et pour dix d’entre elles, leur fragilité, leur trop grande confiance, leur volonté de croire les mensonges de Landru leur coûta plus que leurs économies. Le prix à payer pour être tombées sous le charme de ce Barbe Bleue du 20e siècle ? Leur vie.

Informations personnelles

Né de parents de condition modeste en 1869 à Paris, Landru vécut une enfance heureuse et des plus banales. Sa mère, Flore, était couturière à domicile et femme au foyer, et son père, Julien, employé dans l’usine sidérurgique “Les Forges de Vulcain” à Paris. 

Avant Henri, sa mère eut une fille puis un enfant qui mourut rapidement. Flore Landru eut ce que l’on pourrait qualifier d’une dépression durant les deux années qui suivirent la mort de cet enfant. Lorsqu’Henri Landru vint au monde, quinze ans après sa grande sœur, sa mère le choya tellement qu’il chercha constamment, par la suite, à être avec elle. Landru parla toujours avec tendresse de sa mère qu’il aimait beaucoup, mais évoqua rarement – et avec répugnance – son père, qu’il qualifiait d’ « homme très sévère ». 

Le jeune Henri, considéré comme un garçon brillant, fréquenta l’école catholique des Frères, rue Bretonvilliers, fut enfant de chœur, et officia parfois comme sous-diacre à l’église de Saint-Louis en l’Ile (sur l’ile de la Cité), au point que ses parents pensèrent qu’il se destinait à la prêtrise. Mais, bon élève, doué en dessin et en mathématiques, Henri Landru rêvait de devenir architecte. Intelligent, studieux et appliqué, il obtint son certificat d’étude, mais sa scolarité s’acheva toutefois, comme pour beaucoup de garçons de l’époque, à ses 17 ans, car ses parents n’avaient pas les moyens de payer ses études supérieures en architectures. 

Ce fut sans doute la première fois qu’il réalisa que le manque d’argent l’empêchait de “réaliser ses rêves”… En 1889, le jeune homme tenace trouva malgré tout un poste de commis (employé subalterne chargé des écrits) dans le cabinet d’architecte Bisson-Alleaume-Lecoeur.

Landru durant son service militaire

Tout semblait sourire à Landru, mais un “petit défaut” allait commencer à apparaître chez lui. Il était menteur et manipulateur. Dès son adolescence, Landru s’était rendu compte qu’il est plus malin que la plupart des autres hommes et qu’il avait du bagout avec les femmes.
Il mentit pour séduire Marie-Catherine Rémy, sa jeune voisine qui habitait chez sa mère blanchisseuse rue Saint-Louis-en-Île, en prétendant être un technicien, futur ingénieur, dans le cabinet d’architecte. Il fut si convainquant… qu’elle mit au monde une petite Henriette en 1891.
Elle patienta ensuite durant les trois années réglementaires de service militaire qu’Henri Landru accomplit, entre 1889 et 1893, à Saint-Quentin, et au cours duquel il se comporta si bien qu’il atteignit le grade de sergent.

Libéré de ses devoirs militaires, il épousa Marie-Catherine le 7 octobre 1893, légitimant enfin la petite Henriette. Le couple allait avoir quatre enfants, deux filles et deux garçons, auprès desquels Henri Landru allait se montrer bon père.

Après leur mariage, Landru, abandonnant ses rêves d’architecte, se lança dans le commerce, toujours en tant que commis. Mais son employeur, peu scrupuleux, s’enfuit avec l’argent que Landru lui avait donné comme caution, laissant une forte impression au jeune Henri. Il allait, des années plus tard, faire aux autres ce qu’il avait subi lui-même.

De 1893 à 1900, il exerça une dizaine de métiers (comptable, employé de commerce, cartographe, couvreur, plombier, etc.) et changea quinze fois d’employeur ou de lieu. La famille Landru déménagea à de nombreuses reprises pour le suivre, alors qu’il rentrait rarement au domicile familial, trop occupé par ses “affaires” : rue Lecourbe, rue Gît-le-Cœur, rue de Vaugirard, à Clamart, Montmorency, Tournai et au Grand Montrouge…

Landru ne trouva pas de situation stable qui lui convienne, il préférait être son propre patron. Désirant nourrir ses quatre enfants et être un “père de famille” réussi, Landru chercha à faire fortune. Mais pas de manière légale. Il était toujours membre de la chorale de son église, il avait des activités légitimes de marchand de meubles et de garagiste… mais il devint pourtant un escroc.

À partir de 1897, Landru commença par exemple à établir de faux certificats dans le but de se faire passer pour un ingénieur qui possédait des dons pour la technique et la mécanique. 

Si Landru n’était pas ingénieur, c’était toutefois un mécanicien assez doué. Il avait compris que les déplacements en ville nécessitaient un moyen rapide, léger et maniable, ce que n’étaient pas les voitures de l’époque.  Il fonda alors une prétendue fabrique de bicyclettes à pétrole avec laquelle il commit sa première escroquerie : il organisa une campagne de publicité nationale, spécifiant que toute commande devait être réservée par un paiement d’un tiers du prix. Les commandes affluèrent alors qu’il n’avait fabriqué aucune bicyclette, et il disparut avec l’argent. Et pourtant, il avait bien déposé un brevet de bicyclette à moteur auprès de l’Institut national de la propriété industrielle en 1899 ! Ne parvenant pas à développer son invention, ni à la faire produire à grande échelle, il s’était servi de ce prototype pour trouver des investisseurs à arnaquer… 

Landru loua ensuite une boutique, un bureau et un bâtiment vide, sur la commune de Saint-Rémy-lès-Chevreuse pour un prétendu commerce automobile. Il publia dans deux journaux des annonces d’embauche de ce type : « Place de 350 frs à monsieur actif, pouvant se déplacer une semaine sur deux. 2000 frs exigés garantie. 87 A.B. Matin ». Lorsque des hommes intéressés répondirent, il imposa le versement d’une caution puis disparut sans laisser de trace. Ayant loué ses locaux et passé ses annonces sous un faux nom, il ne fut pas retrouvé par la police, mais le tribunal le condamna en son absence à trois ans de prison.

Ses différentes escroqueries fonctionnèrent jusqu’au tournant du siècle, lorsque Landru fit sa première apparition devant un tribunal français. 

Landru jeune homme

En juillet 1904, il fut condamné à deux ans de prison pour fraude après avoir tenté de retirer des fonds d’un Comptoir d’Escompte de la Banque de France en utilisant une fausse identité. 

Il avait réitéré son escroquerie précédente, en demandant à ses futurs employés de déposer l’argent de la caution dans un établissement de crédit pour leur inspirer confiance, puis avait tenté de retirer l’argent en signant du nom du déposant. Il avait été arrêté en flagrant délit lors du retrait de fonds. Durant la perquisition à son domicile, la police avait trouvé un carnet répertoriant minutieusement les noms et les adresses de toutes les personnes qu’il avait escroquées ou tenté d’escroquer…

Pendant son incarcération, Landru tenta (ou fit semblant) de se suicider en prison. Les médecins psychiatres qui l’examinèrent alors déclarèrent qu’il était dans « un état mental maladif qui, sans être de la folie, n’est plus, du moins, l’état normal ».

Mais ses séjours dans les geôles françaises ne l’amendèrent pas le moins du monde.

Dès sa sortie de prison, en 1906, Landru reprit ses activités illicites sous divers pseudonymes, mais il fut arrêté lorsque l’une de ses victimes le reconnut dans la rue. Il fut condamné à deux ans de prison.

C’est vers 1908 qu’il mit apparemment au point le stratagème qui allait, des années plus tard, le conduire à la guillotine.

Cette année-là, Landru, qui purgeait déjà une peine dans une prison parisienne pour escroquerie, fut amené à Lille afin d’y être jugé pour une autre arnaque. Il avait fait paraître une annonce matrimoniale dans un journal, se présentant comme un veuf aisé cherchant la compagnie d’une veuve dans la même situation. Landru avait persuadé Jeanne Isoré, une dame de 40 ans, de se séparer des titres bancaires qu’elle possédait, pour une somme de 15 000 francs (une fortune, à l’époque), avant de disparaître. Jeanne Isoré s’était retrouvée démunie et avait cherché à obtenir réparation auprès des tribunaux. Elle dut se contenter de savoir que son escroc purgerait une peine supplémentaire de trois ans, car le temps que la gendarmerie retrouve Landru, l’argent avait “disparu”.

Landru perdit ses deux parents alors qu’il purgeait sa peine de prison. Flore Landru, sa mère adorée, mourut en 1910. Son père, qui était venu s’installer chez sa belle-fille et ses petits-enfants pour ne pas rester seul, se suicida le 28 août 1912, peut-être poussé par la honte.

Libéré fin 1913, Henri Landru ouvrit un atelier de construction mécanique à Malakoff. Mais au bout de quelques mois, il monta une nouvelle escroquerie, une “carambouille” : il acheta un garage, qu’il revendit immédiatement sans avoir payé le précédent propriétaire… qui n’obtint jamais son argent. Et il reprit ses escroqueries au cautionnement en publiant des annonces de recrutement dans trois journaux différents.
Au cours de l’été 1914, Landru fut appelé à comparaître une fois encore devant ses juges : quinze plaintes pour escroquerie avaient été déposées contre lui, pour un montant total de trente-cinq mille six cents francs ! Craignant le pire, il ne se rend pas au tribunal, qui le condamna à quarante-huit mois de prison par contumace (malgré son absence au tribunal) et mille francs d’amende.
Il s’agissait de sa troisième condamnation à une peine de plus de trois mois. À l’époque, cela signifiait qu’il était automatiquement condamné à la relégation : la déportation à vie au terrible bagne en Guyane.

Est-ce la raison pour laquelle il devint un meurtrier ? Parce qu’il ne pouvait plus se permettre d’être reconnu par l’une de ses victimes ? Cela est possible, mais finalement peu probable, car si Landru allait commencer à tuer, il allait aussi continuer à escroquer des dizaines de femmes, “en plein jour”, sans les assassiner.

Et Landru put profiter d’un événement terrible, qui allait durer quatre longues années et occuper les gendarmes, au point qu’ils auraient bien d’autres soucis que la recherche d’un escroc, aussi vil soit-il : la Grande Guerre, qui débuta en août 1914. Il put même se permettre de rentrer de temps en temps auprès de son épouse et ses enfants sans craindre d’être arrêté. Sa famille le croyait brocanteur et ses fils l’aidèrent à plusieurs reprises à vider des maisons pour de prétendus héritages.

Crimes et châtiments de Landru

Dès le début de la Grande guerre, Landru commença les escroqueries qui le mèneraient à sa perte. Avec le plus grand cynisme, il utilisa d’ailleurs le conflit à son bénéfice.

Ses cibles furent d’abord des veuves d’âge moyen qu’il rencontrait par le biais de son commerce de meubles. Perdues, car habituées à suivre les directives de leurs maris (à l’époque, les femmes n’avaient pas le droit de prendre la moindre décision) et confrontées à la perspective d’une vie pauvre et solitaire, ces femmes venaient voir le commerçant pour vendre leurs biens afin de s’assurer un avenir sans difficulté financière. Sans pitié, Landru exploitait leurs craintes et, en plus de s’emparer de leurs biens, il manipulait ses victimes pour les inciter à lui laisser investir leurs maigres pensions sur de soi-disant “très bons placements”, qu’il s’empressait en réalité de voler.

Ensuite, comme Johann Otto Hoch (il utilisa des dizaines de pseudonymes et aurait tué au moins quinze femmes qu’il avait épousées) et George Joseph Smith (utilisant des pseudonymes, il épousa huit femmes et en assassina trois) avant lui, il réitéra son escroquerie de Lille : il se fit passer pour un homme veuf et aisé, qui cherchait soi-disant à se remarier. Il choisit des femmes seules qui possédaient quelques économies et, surtout, qui n’étaient pas très proches de leur famille.

La première à rencontrer le futur assassin fut la jolie Jeanne Cuchet, veuve d’un commerçant de 39 ans. Elle avait un fils de 16 ans, André, qu’elle adorait. Jeanne Cuchet travaillait dans un magasin de lingerie à Paris et son petit salaire lui permettait à peine de sortir la tête de l’eau lorsqu’elle fit la connaissance de Landru au Jardin du Luxembourg. Elle avait toutefois un petit “bas de laine”. Il lui dit s’appeler Monsieur Diard et être un ingénieur originaire du nord de la France. Il se montra prévenant, romantique, tendre… Leur relation s’épanouit au fil du temps. Il lui fit miroiter le mariage et l’invita à séjourner dans une villa isolée qu’il louait non loin de Paris. Après être parvenu à lui soutirer une bonne partie de ses économies, il disparut durant l’été 1914, quelques jours avant le début du conflit mondial.

Éperdue d’amour pour lui, blessée, Jeanne Cuchet vint se réfugier chez sa sœur. Son beau-frère, un ancien policier, chercha alors à en savoir plus sur l’amant malhonnête. Il découvrit que “monsieur Diard” avait une bien mauvaise réputation parmi ses voisins et, sur une intuition, se rendit dans la villa isolée avec Jeanne et son épouse. Ils y découvrirent une malle qui renfermait des papiers militaires au nom de Landru, ainsi que des courriers de son fils Maurice et des lettres d’autres femmes avec qui Landru correspondait. Faisant sa petite enquête, le beau-frère apprit à Jeanne que Landru était père de famille, d’enfants adolescents, et qu’il vivait maritalement à Malakoff… Jeanne Cuchet fut dévastée.

Landru avait eu l’intention de disparaître de sa vie, mais la situation qu’engendrait la guerre et la confusion dans laquelle vivait Paris ne lui permettait plus d’envisager une nouvelle escroquerie. Il décida donc de retourner vers sa maîtresse avec de nouveaux mensonges…

Lorsque Landru revint vers Jeanne Cuchet vingt jours plus tard, il accepta tous les reproches qu’elle lui fit et reconnut s’appeler Henri Landru. Il lui affirma qu’il avait disparu uniquement pour mettre ses enfants en sécurité de la guerre et être en instance de divorce d’une “méchante femme”. Il lui jura qu’il allait lui rendre son argent “emprunté”, la berça de douces paroles, lui promit non seulement le mariage, mais aussi un emploi stable dans l’administration pour son fils André… Il parla tant et si bien que Jeann Cuchet lui pardonna tout ! 

Il fit passer deux jeunes filles de 10 et 11 ans pour ses enfants (alors que Suzanne et Marie-Henriette avaient 15 et 18 ans), en lui assurant qu’il les lui présentait, car il voulait la faire “totalement entrer dans sa vie”. Jeanne pensa que son beau-frère s’était trompé dans son enquête. Et s’il s’était trompé sur cela, il avait pu se tromper sur le reste, se persuada-t-elle. Aveuglée par ses sentiments et par les manipulations de Landru, elle crut qu’il lui disait à présent la vérité et ne lui cacherait plus rien. Il s’était engagé à la rembourser, mais elle l’avait finalement libéré de sa dette… Jeanne était tout simplement amoureuse du beau-parleur.

À sa demande, Landru trouva un joli pavillon bourgeois, doté d’un vaste jardin et bordé d’un parc, à Vernouillet, au nord-ouest de Paris, où ils pourraient “vivre leur amour” loin des récriminations de la famille de Jeanne. Landru refusa de louer la maison à son nom, car il voulait, prétendit-il, que sa maîtresse fut chez elle. C’est donc Jeanne Cuchet, seule, qui signa le bail. Elle vint s’installer dans la « villa » de Vernouillet le 1er janvier 1915 et la décora à son goût, la meublant avec son propre mobilier. Elle ne comprit pas que Landru avait choisi à dessein une maison discrète dans la petite ville et qu’il se proposait de faire les courses pour éviter qu’elle ne sorte et ne soit vue… 

La maison de Vernouillet

Quelques semaines plus tard, il se rendit seul dans l’agence immobilière où il avait loué le pavillon et affirma que “son épouse” allait “partir en Amérique” pour les affaires et qu’elle renonçait à garder le bail à son nom. Leur fils André allait quant à lui s’engager dans l’Armée. L’agence établit naturellement un nouveau bail au nom de “Monsieur Cuchet”.

Un samedi de février, André Cuchet vint retrouver sa mère à Vernouillet et Landru l’accueillit comme un fils. Sans doute les drogua-t-il pour qu’ils s’endorment tous les deux. Toujours est-il que Jeanne Cuchet et son fils disparurent. Tout juste un voisin entendit-il la camionnette de Landru vers quatre heures du matin.

La sœur et le beau-frère de Jeanne, accablés par les terribles premiers mois de la guerre (le beau-frère étant mobilisé) et exaspérés par le comportement de Jeanne à qui ils avaient pourtant révélé les mensonges de son amant, ne s’inquiétèrent pas avant un bon moment de sa disparition. Ils pensèrent qu’elle s’était enfuie avec son “petit barbu” et son fils adoré.

l'une des annonces de rencontre de Landru

En mars 1915, Landru fit publier sa première annonce de rencontre, se présentant comme un “réfugié de guerre ayant une bonne situation et des économies”. Il loua une chambre à Paris pour y recevoir les éventuelles réponses de femmes intéressées… mais aucune ne le fut.
Il publia une autre annonce en avril, celle d’un “monsieur seul, sans famille, avec une bonne situation”, donnant la même adresse pour les réponses qui furent, cette fois-ci, nombreuses. Pour une veuve française, confrontée à une vie de solitude et de pénurie dans l’économie déprimée de la France en guerre, une telle annonce dut paraître comme un cadeau du ciel.
Les réponses furent d’ailleurs si nombreuses que, pour éviter les confusions, Henri Landru ouvrit un carnet où il nota des indications lui permettant de garder en mémoire et différencier les “proies” qui lui semblaient les plus intéressantes.

Celles qui retinrent son attention plus que les autres furent une madame Berthot, vendeuse de fourrures, une dame L., cuisinière, une madame Guillin, une madame Collomb, qui vivait seule, et une madame Buisson, veuve avec un fils au front. Toutes avaient “des économies”, même modestes.

Il donna rendez-vous aux deux premières, mais, “madame Berthot”, qui était elle-même une délinquante condamnée pour escroquerie et trafic de cocaïne, démasqua ses boniments en quelques minutes. Si la cuisinière fut plus réceptive à ses mensonges, elle lui annonça rapidement qu’elle cherchait avant tout un partenaire pour travailler avec elle…

Lorsqu’Anna Collomb et Clémentine Buisson lui envoyèrent un second courrier, il prit rendez-vous avec la première en se présentant sous le nom de “Monsieur Fremyet”.

Anna Collomb, une veuve de 44 ans, secrétaire dans une compagnie d’assurances, n’avait pas de fortune, mais possédait quelques obligations. Landru décida cependant de la courtiser et ils commencèrent une relation pour apprendre à se connaître.

Landru lisait lui-aussi les annonce et, en mai, celle publiée par Thérèse Laborde-Line, séparée de son mari aubergiste, attira son attention. Elle cherchait un emploi de “dame de compagnie” et donnait son adresse. Landru s’y présenta comme “Monsieur Fremyet, ingénieur” et lui affirma chercher une employée qui pourrait le seconder. Thérèse admit qu’elle cherchait un emploi, car elle s’était brouillée avec son fils et sa belle-fille, au point de vouloir vivre ailleurs que chez eux, en toute indépendance. Elle possédait “quelques titres”, mais pas assez pour s’installer à son compte. Landru la berça de compliments et se fit passer pour un pauvre veuf esseulé qui cherchait une “honnête femme d’intérieur”… Surprise, elle accepta toutefois de le revoir. Il lui fit la cour avec habilité et elle accepta rapidement de l’épouser. Malheureusement, il avait “perdu tous (ses) papiers lors d’un voyage en Amérique”. En attendant qu’il en reçoive de nouveaux, elle accepta de devenir sa maîtresse. 

Landru répondit aux lettres qui lui semblaient intéressantes afin de recueillir davantage de renseignements et s’assurer de la rentabilité de ses futures victimes. Il allait utiliser plus de 90 pseudonymes pour brouiller les pistes et ne pas être reconnu. Avec un soin méticuleux, il rédigea des réponses, dressa un fichier précis de chaque femme, notant aussi bien des détails physiques que la situation familiale et financière de chacune.

La plupart des femmes qu’il croisa ne le revirent même pas une seconde fois. Il tissa des liens avec d’autres, dont il fit ses maîtresses, ayant des relations intimes avec ses futures victimes dans le même laps de temps, quittant l’une le jour pour aller en voir une autre le soir. Il jongla entre ses différentes maîtresses et ses rencontres d’un soir.

Alors qu’il courtisait Thérèse Laborde-Line, il rencontra Clémentine Buisson, une femme de ménage veuve à l’existence ennuyeuse qui, mise en confiance, lui expliqua rapidement qu’elle avait un petit capital hérité de son défunt mari. Landru lui affirma qu’il avait été obligé de fuir devant l’avancée allemande et d’abandonner l’usine dont il était propriétaire… Ils convinrent de s’écrire et de se revoir. Elle devint elle-aussi sa maîtresse. Il lui tourna la tête au point qu’elle décida de confier son fils à sa sœur pour être seule avec son amant. Pendant près d’un an, Landru courtisa Célestine, avant de réussir à l’éloigner complétement de sa famille. 

Il continua dans le même temps sa relation avec Anna Collomb et en noua une autre avec Marie-Angélique Guillin, une veuve de 52 ans, ancienne gouvernante, à laquelle il dit s’appeler “Emile Petit”. Elle-aussi crut ses mensonges, il était “un très riche réfugié de Lille” et allait être nommé consul en Australie. Ils allaient se marier et partir vivre dans ce nouveau pays…

Alors que toutes ses femmes croyaient être “le grand amour” et la future épouse de Landru, il fit paraître début juin une autre annonce de rencontre, avec une nouvelle adresse pour les réponses. Cette annonce attira l’attention de Berthe-Anna Héon, une triste veuve de 55 ans, femme de ménage, qui avait perdu mari et enfants, et avec qui il commença une correspondance.

Le 17 juin 1915, Thérèse Laborde-Line vint s’installer avec son charmant nouveau compagnon à Vernouillet… avec ses titres de banque. À peine était-elle repartit quelques jours pour Paris afin d’organiser le déménagement de ses meubles que Landru invita Marie-Angélique Guillin à le rejoindre ! Revenue chez elle deux jours plus tard, Marie-Angélique, comme Thérèse, parla à son entourage de ce si charmant monsieur qui était fou d’amour pour elle et avec qui elle allait être si heureuse…

Le 28 juin, Thérèse Laborde-Line vint s’installer “définitivement” avec Landru à Vernouillet. Des voisins l’aperçurent le 29 et le 30, mais elle disparut le 1er juillet. Landru vendit immédiatement ses valeurs et ses biens. 

Durant les premiers jours de juillet, il continua sa correspondance avec Marie-Angélique Guillin et, le 13 juillet, il se rendit dans une banque de Vernouillet où, se présentant sous le nom de “Monsieur Cuchet”, il encaissa les valeurs d’obligations de Jeanne Cuchet et Thérèse Laborde-Line. Impressionné par la prestance du monsieur, l’employé de banque ne lui posa aucune question. Landru alla ensuite chercher Marie-Angélique chez elle, à Paris, dans sa camionnette de brocanteur, pour l’aider à déménager “chez lui”. Marie-Angélique Guillin, s’installa avec Landru dans la villa de Vernouillet, où ils vécurent tranquillement – et discrètement – jusqu’au 1er août, date à laquelle elle posta une dernière lettre à sa famille. Elle disparut à son tour. 

Le lendemain, Landru loua un garage à Neuilly et, le 6 août, aidé de son fils Maurice, il transporta à cette adresse une partie du mobilier de Vernouillet (celui de Thérèse), une machine à coudre et du linge.

Après cette date, toutefois, Landru choisit de ne plus revenir à Vernouillet : non seulement les voisins, trop proches, lui semblaient trop curieux, mais il avait été contrôlé dans le train avec un billet périmé et fut obligé de produire des papiers mentionnant cette adresse. Il craignit que la police ne s’y présente. 

Il décida alors de louer une villa à Gambais, dans les Yvelines, à 50km à l’ouest de Paris, en lisière de la forêt de Rambouillet. Elle l’intéressait, car elle était très isolée (à 300 mètres de la maison la plus proche), possédait des dépendances et un sous-sol. Il y fit rapidement installer une grosse cuisinière en fonte.
La bourgade était charmante avec ses rues qui ressemblaient à des sentiers de jardin, ses villas coquettes et paisibles, ses boutiques villageoises et ses petits cafés.

le village de Gambais en 1914

Entre temps, il loua une chambre à Paris, où il invita Berthe-Anna Héon, avec qui il avait continué à correspondre depuis juin et avait même rendu visite à plusieurs reprises. Elle le connaissait sous le nom d’Emile Petit, un “riche ingénieur établi en Tunisie”… Comme les autres, elle s’était laissé bercer par ses mensonges et ses belles promesses. Elle qui vivait en faisant des ménages espérait une vie meilleure, une vie douce et tranquille. Elle n’était pas bien riche, mais avait obtenu récemment plusieurs milliers de francs suite au décès de sa fille. Esseulée, Berthe-Anna était une proie facile pour Landru. Elle devint sa maîtresse, il lui avait promis le mariage, elle préparait la cérémonie à venir…
Fin septembre, après avoir vendu ses meubles, elle partit avec son argenterie et quelques bibelots pour venir s’installer dans un appartement parisien loué par Landru. Pressé de se marier par Berthe-Anna Héon, Landru l’invita fin décembre 1915 dans la villa qu’il louait à Gambais – et dont il lui avait affirmé être propriétaire – pour “prendre quelques dispositions avant leur mariage et leur départ pour la Tunisie”. Elle ne fut plus jamais revue.

“Emile Petit” écrivit des lettres larmoyantes à ses voisins pour les prévenir que Berthe-Anne était « trop malade pour leur rendre visite ». Puis, il leur fit croire qu’ils étaient partis en Tunisie.

Landru passa Noël en famille et offrit à son épouse et ses filles certains bijoux qu’il avait volés à ses victimes. Il retourna ensuite à Gambais, où il continua ses correspondances avec Anna Collomb et Clémentine Buisson. Si Clémentine et lui se contentèrent d’abord d’échanges épistolaires, il rendit visite à Anna chez elle, à Paris. Elle avait de petites économies, mais était un peu méfiante et il prit le temps de l’amadouer.

Au printemps 1916, Henri Landru acheta un petit carnet à la couverture sombre pour garder une trace de ses activités. Quelles qu’elles soient. Comble du romantisme, il y nota, entre autre, les cadeaux qu’il acheta à ses “amies” et le prix que chacun lui avait coûté… 

En avril, il décida de passer aux choses sérieuses avec Anna Collomb. Il lui rendit visite bien plus souvent et se montra de plus en plus charmant, de plus en plus pressant. Elle accepta de l’épouser. Mais lorsqu’elle lui demanda des papiers d’identité afin d’organiser le mariage promis, il lui proposa les mensonges habituels : “Monsieur Cuchet”, réfugié de guerre, avait fui le nord de la France en abandonnant ses riches usines et ses papiers. Par malchance, la mairie de son lieu de naissance avait été rasée par des bombardements, détruisant malencontreusement son acte de naissance. Et il avait bien des difficultés à en obtenir un nouveau…

Début mai, il invita Anna Collomb à le rejoindre à Gambais. Elle y passa deux jours, mais refusa les relations sexuelles qu’il lui proposait. Il la laissa repartir à Paris pour renouer sa relation avec Célestine Buisson. Mais lorsqu’il se rendit chez elle avec l’espoir qu’elle se montrerait moins récalcitrante qu’Anna, il eut la désagréable surprise de découvrir que son fils, qui habitait Bayonne, était venu s’installer chez sa mère en attendant de trouver un travail sur Paris.

Il retourna alors vers Anna Collomb, qui finit par céder face à son éloquence. Durant l’été, il lui mentit avec son talent habituel, tant et si bien qu’elle accepta finalement de se passer des maudits papiers qui n’arrivaient pas et de vivre maritalement dans l’appartement que Landru louait rue Chateaudun à Paris.

En septembre, il fit paraître une nouvelle annonce, celle d’un monsieur ayant “une bonne situation et désirant mariage avec une personne aux goûts simples”.
Anne-Marie Pascal, une couturière toulousaine de 38 ans, divorcée, répondit à cette annonce. Ils se rencontrèrent à la fin du mois. Jolie et élégante, elle plut beaucoup à “Monsieur Berzieux”, qui commença à la courtiser. Ils échangèrent des courriers alors que le petit barbu vivait toujours avec Anna Collomb. Début octobre, Anne-Marie succomba à ses fleurs et ses belles paroles, elle devint elle-aussi sa maîtresse.

Durant un mois, il se partagea entre les deux femmes jusqu’au départ en voyage d’Anne-Marie. Anna Collomb lui avait, à nouveau, avancé de l’argent, mais il avait besoin de plus. Il la convainquit patiemment de retirer tout son argent de la banque. Enfin, le 26 décembre, il lui proposa un petit séjour dans sa “villa” de Gambais.

Elle disparut peu de temps après son arrivée. Le soir même, Landru rentra à Paris pour prendre possession de ses biens, puis retourna à Gambais pour faire disparaître le corps.

la villa de Gambais

Il passa le Jour de l’An en famille, puis revint vers Anne-Marie Pascal, qu’il avait délaissée lorsque la nièce de cette dernière était venue s’installer avec elle. Il répondit à ses reproches en lui affirmant qu’il l’aimait tant qu’il la voulait pour lui seul et qu’il avait cru qu’elle voulait l’éloigner d’elle en invitant sa nièce. Elle retomba dans ses bras et il recommença à la cajoler, lui apportant brioches et fleurs… dont il nota méticuleusement le prix dans son petit carnet.

Dans le même temps, Landru revit Célestine Buisson à qui il offrit une broche en or et perles, puis une montre en or qui “avaient appartenu à (sa) mère”…

Menant ses deux liaisons de front, il publia encore une nouvelle annonce. Fin février 1917, il se présenta comme un monsieur ayant une “situation indépendante” qui désirait rencontrer une “femme d’intérieur”. Comme d’habitude, il tria avec attention les réponses qui lui parvinrent, rencontra plusieurs femmes, dont une “Suzanne” qui finit par devenir elle-aussi sa maîtresse. Mais il ne rencontra aucune dame possédant un patrimoine intéressant.

En mars 1917, il fit alors publier dans “l’Echo de Paris”, un journal acheté par des lectrices argentées, une annonce plus explicite. Il y expliquait qu’il était “veuf depuis longtemps” qui avait “une belle situation” et “épouserait une dame avec une situation en rapport”. Cette annonce attira l’attention de Louise-Josephine Jaume, 38 ans, issue d’une famille bourgeoise et mal mariée, séparée de son époux depuis 1916 et en instance de divorce. Elle travaillait chez un modiste et vivait modestement, mais possédait quelques belles économies. Landru lui donna rendez-vous et noua avec elle une relation épistolaire. Il continua toutefois à chercher ailleurs.

En mars 1917, il rencontra pas hasard sur la rue de Belleville une jeune femme dynamique et effrontée. Andrée-Anne Babelay, une domestique de 19 ans, avait un caractère joyeux et des yeux rieurs. Malgré son franc-parler et son manque d’éducation, elle lui plut. Elle était très pauvre et n’avait rien d’autre à offrir à Landru que ses charmes, mais il lui proposa de se revoir. Il lui parla de ses belles usines et la jeune Andrée-Anne, rêvant d’un avenir plus ensoleillé que celui de servante, se laissa convaincre malgré la différence d’âge.  Dès le surlendemain, elle donna congé à sa patronne en lui expliquant qu’elle allait se marier. Elle expliqua à sa mère qu’elle quittait Paris pour un remplacement provisoire à la campagne.

Le 20 mars, Landru emmena sa nouvelle conquête à Gambais. Le 12 avril, Andrée ne fut pas tuée pour son argent. Avait-elle découvert par hasard le secret de Landru, qui avait gardé, semble-t-il, certains effets de ses victimes précédentes dans la maison ? Avait-elle appris qu’il échangeait des lettres avec d’autres femmes ? Ou a-t-elle été tuée simplement parce qu’il s’était lassé d’elle ? Quoi qu’il en soit, la pauvre Andrée Babelay subit le même sort que les autres victimes et ne fut jamais revue vivante après sa rencontre avec le petit barbu.

Landru se remit à fréquenter Louise-Josephine Jaume et Clémentine Buisson, ainsi qu’une “madame R.” qui, selon les notes de son carnet, céda à ses avances et se montra “très dévouée”. Madame Buisson étant, financièrement, la plus intéressante des trois, il la convainquit de venir vivre avec lui dans un appartement qu’il louait boulevard Ney. Persuadée qu’ils allaient bientôt se marier, Clémentine confia son fils aux bons soins de sa sœur et déménagea le 30 avril 1917 avec son mobilier. Quelques jours plus tard, le couple profita des beaux jours du printemps pour se rendre à Gambais.

Le 26 mai, Landru retourna à Paris pour retrouver une autre maîtresse, Fernande Segret, une jeune femme qu’il avait simplement rencontrée dans un tramway… et qui avait la moitié de son âge. “Monsieur Guillet” la demanda rapidement en mariage. Elle devint tout aussi rapidement sa maîtresse, mais, à la différence des autres, elle lui plut tellement qu’il en dédaigna ses autres conquêtes. Il ne retourna vers ces dames qu’une fois à court d’argent.

Il convainquit Clémentine que les titres qu’elle possédait au Crédit Lyonnais étaient de piètre qualité et qu’il valait mieux les revendre pour en acheter de meilleurs. Elle ne se fit pas prier. Sous le nom de “Fremyet”, Landru passa à son crédit les titres de Clémentine Buisson. Il consigna la belle somme sur son carnet, mais affirma à sa compagne qu’à cause de la guerre, ses titres avaient perdu une grande partie de leur valeur et s’étaient vendus “une misère”.

Le 10 août, il emmena de nouveau Clémentine à Gambais, mais cette fois en compagnie de sa sœur. La veuve ne fut ainsi pas seule lorsque Landru la quitta à plusieurs reprises pour rendre visite à ses autres maîtresses. Une semaine plus tard, il ramena Clémentine et sa sœur à Paris, mais retourna avec elle à Gambais dès le 19 août. Ce voyage fut le dernier pour madame Buisson. 

L’une de ses amies allait expliquer bien plus tard qu’à la fin août, elle avait envoyé une lettre à Clémentine, pour lui exprimer sa surprise qu’elle ait si mal vendu ses titres du Crédit Lyonnais, car elle-même en avait tiré une assez belle somme… Cette nouvelle avait-elle enfin ouvert les yeux de la veuve sur son amant ? Lui avait-elle demandé des comptes ? À partir du 1er septembre, plus personne n’eut de nouvelles d’elle.

Landru et Segret
Fernande Segret et Landru

Landru retourna à Paris auprès de Fernande Segret, qu’il choya durant une semaine. Il n’avait, semble-t-il, aucune intention de l’assassiner, ce qui n’était pas le cas de madame Jaume, qui possédait des titres à la banque. Il lui rendit visite début septembre pour la couvrir de fleurs et de gâteaux, puis l’emmena à Gambais en prenant soin de se faire passer pour un bon chrétien face à la dévote Louise-Joséphine.

Durant le mois d’octobre, il se partagea entre Fernande Segret et Louise-Josephine Jaume. Il eut toutes les peines du monde à convaincre la seconde de finaliser son divorce afin de se remarier. Il fallut plusieurs semaines à “l’ingénieur Guillet” pour lui faire changer d’avis, mais il y parvint au point que madame Jaume parla à toutes ses amies de cet homme merveilleux avec qui elle allait s’installer, rue de Rochechouart. Avec ses meubles.

Le dimanche 25 novembre, après la messe, ils se rendirent à Gambais. Le lendemain, les nouveaux voisins de Landru remarquèrent qu’une fumée noire et nauséabonde s’échappait de la cheminée de sa villa. Il retourna à Paris dès le 27 pour toucher les titres de Louise-Josephine… et vendre une paire de ses chaussures.

Il reprit sa vie commune avec Fernande Segret, pour son plus grand bonheur, mais reprit contact avec Anne-Marie Pascal, la jolie couturière toulousaine qu’il avait courtisée puis laissée de côté. Il se rendit chez elle pour lui présenter ses excuses, mais elle lui ferma la porte au nez, d’autant plus que sa nièce s’était installée chez elle. Il revint à plusieurs reprises, l’assurant de son amour éternel et de ses regrets, la convainquit qu’il lui appartenait corps et âme… Anne-Marie accepta de l’épouser. Il lui offrit une broche et une montre “de famille”, puis paya le retour de l’encombrante nièce à Toulon. Il convainquit ensuite madame Pascal de vendre des draps, des tapis et un service de porcelaine. Landru l’emmena à Gambais à la mi-mars, où elle vint avec son chat. Ils y vécurent jusqu’au 5 avril 1918, date à laquelle Anne-Marie Pascal disparut.

Dans les jours qui suivirent, il déménagea, avec l’aide de son fils Charles, le mobilier d’Anne-Marie. Revenu à Gambais, il trouva une lettre qu’elle avait écrite à sa mère, mais n’avait pas encore postée. Il maquilla la date pour y apposer celle du 19 avril.

Il retourna de nouveau vers Fernande Segret, mais, à la fin de l’année 1918, il fit la connaissance de Marie-Thérèse Marchadier, une « amuseuse » (ancienne prostituée, tenancière d’une maison de passes à Paris) qui s’était retirée dans un relatif anonymat. Landru voulait acheter ses meubles, mais finit par apprendre qu’elle possédait de belles économies. Une amitié se noua entre eux, sans doute devint-elle sa maîtresse, et, alors que la guerre était terminée depuis peu, elle accompagna Landru à Gambais le 13 janvier 1919, avec ses trois chiens. On ne la revit plus et Landru fit conduire son mobilier dans un garage qu’il louait.

Riche de plusieurs milliers de francs, il retourna de plus belle vers Fernande Segret.

En tout, au moins dix femmes et un adolescent avaient disparu après avoir rencontré Landru sous l’un de ses divers pseudonymes, et pourtant aucune police ne l’avait jamais soupçonné de quelque méfait que ce soit. 

Landru s’était donné beaucoup de mal pour éloigner, voire séparer ses victimes de leurs familles, mais après leur mort, il avait également fait de son mieux pour assurer aux familles que ses victimes étaient bien vivantes. Étant un escroc expérimenté, il savait comment procéder.
Deux amies de Marie-Angélique Guillin reçurent des cartes postales de Landru, affirmant que “Madame Guillin” était incapable d’écrire elle-même, car souffrante. Il falsifia une lettre de Célestine Buisson à sa couturière et une autre au concierge de son appartement parisien. Henri Landru se présenta comme l’avocat de Louise-Josephine Jaume, qui divorçait de son mari, et parvint à liquider son compte bancaire !

Il allait falloir deux familles inquiètes pour que Barbe Bleue soit enfin traduit en justice.

Deux ans après la rencontre de Célestine Buisson avec Landru, son fils, qui vivait avec sa tante, décéda. Ayant eu un accident, il avait tenté en vain, à plusieurs reprises, de prévenir sa mère de son état. La famille souhaita évidemment prévenir Célestine du décès, mais ne parvient pas à la trouver. Sa sœur, Amélie Lacoste, savait que Célestine avait eut l’intention de s’installer à Gambais avec son « Monsieur Fremyet », qu’elle lui avait présenté. Elle n’avait plus de nouvelle d’elle depuis plus d’un an. En janvier 1919, elle écrivit au maire de Gambais, demandant de l’aide pour localiser sa sœur ou ce Monsieur Fremyet.
Le maire fut abasourdi. Quelques mois plus tôt, il avait reçu une lettre d’une mademoiselle Pellat, lui demandant des nouvelles de sa sœur Anna Collomb, fiancée à un “Monsieur Dupont”, qui s’était installée avec lui à Gambais. Il ne connaissait personne de ce nom. Il proposa alors à Amélie Lacoste de rencontrer la famille d’Anna Collomb, car les deux femmes recherchées semblaient avoir disparu à Gambais.

Les deux familles réalisèrent que Dupont et Fremyet était sûrement le même homme : les deux disparues avaient répondu à des annonces de rencontre similaires parues le 16 mars 1915 dans “L’Écho de Paris” et le 1er mai 1915 dans “Le Journal”. Et leur petit barbu au crâne chauve, prétendument ingénieur originaire du nord du pays, s’était montré mielleux et manipulateur, promettant un mariage qui n’était pas venu. Tant Célestine qu’Anna étaient rapidement tombées folles amoureuses de leur amant et avaient disparu après leur séjour à Gambais. Dans les deux cas, elles avaient donné de l’argent à leur fiancé et, peu après leur disparition, leurs meubles avaient été vendus.

Devant tant de similitudes, les familles d’Anna Collomb et de Célestine Buisson portèrent plainte contre X, puis pressèrent la police de retrouver leurs chères disparues. 

Amélie Lacoste expliqua aux enquêteurs qu’elle avait déconseillé à sa sœur de se marier avec “monsieur Fremyet” après avoir vécu quelque temps dans l’intimité du couple, dans la propriété de campagne de Fremyet, à Gambais. L’homme lui avait paru malhonnête, elle était persuadée qu’il n’avait pas des intentions honorables, mais Célestine ne l’avait pas écoutée. 

Les gendarmes firent leur petite enquête et réalisèrent que plusieurs dames s’étaient littéralement volatilisées à Gambais, après avoir passé quelque temps dans la villa d’un petit homme chauve et barbu, qui évitait soigneusement ses voisins… Ils prévinrent les policiers de Paris.

Intrigué, l’inspecteur Jules Belin, de la Première brigade mobile (les fameuses brigades du Tigre), se rendit avec des policiers à la “villa Ermitage” (nom donné à la propriété de Landru), mais n’y trouva personne. La villa, inoccupée depuis peu, appartenait à un monsieur Tric qui la louait à “Monsieur Fremyet”, qui résidait prétendument à Rouen.
L’inspecteur Belin découvrit que non seulement Fremyet n’habitait pas à Rouen, mais que son courrier envoyé à Gambais était réexpédié chez “Monsieur Guillet”, résidant boulevard Ney à Paris, en réalité chez Célestine Buisson.

La police ne parvint pas retrouver Fremyet / Guillet, ni à connaître sa véritable identité, car l’enquêteur découvrit que l’homme se cachait aussi sous les noms de Dupont et Desjardins. 

En fait, quelques mois plus tard, Landru fut arrêté sur un coup de chance.

Le 8 avril 1919, Amélie Lacoste, la sœur de Célestine Buisson, reconnu le petit barbu au bras d’une autre femme, sortant d’un magasin de faïences de la rue de Rivoli. Elle contacta immédiatement l’inspecteur Jules Belin, qui demanda au commerçant s’il connaissait l’homme qui venait de lui acheter de la vaisselle. On lui apprit que l’acheteur ne s’appelait pas Fremyet, mais “Lucien Guillet”, et qu’il habitait au 76 rue Rochechouart, où la vaisselle devait être livrée.

Le 76 rue Rochechouart

Lorsque l’inspecteur Belin se précipita devant l’immeuble proche de la gare du Nord, le concierge lui apprit que “monsieur Guillet” s’était absenté pour “quelques jours” en compagnie de sa maîtresse. Le jeune et tenace policier décida d’attendre le retour de son suspect. Il patienta durant quatre longues journées…

Le 12 avril, les inspecteurs Belin et Brandenburger arrêtèrent “Lucien Guillet” à sa nouvelle adresse, dans un appartement où le quinquagénaire vivait avec sa maîtresse, Fernande Segret, dans une pièce pleine de désordre, notamment un buste de Beethoven et de la poésie romantique. Très calme, le suspect écouta les accusations des policiers. Et les nia. Il les regarda procéder à la fouille de l’appartement, durant laquelle les enquêteurs découvrirent un brevet et un permis de conduire au nom d’Henri Désiré Landru. Le suspect était enfin identifié. Les policiers mirent aussi la main sur des documents variés et un petit carnet de notes en moleskine noire, couvert d’une écriture entortillée.

Fernande Segret, très amoureuse de l’homme avec qui elle vivait depuis bientôt deux ans, ne comprit pas ce que la police faisait chez eux et de quoi son amant était suspecté. Elle est persuadée qu’il travaille pour le Ministère de l’Intérieur, dans le contre-espionnage, et qu’il est veuf, son épouse étant morte de la tuberculose…

Fernande Segret aurait-elle pu devenir une victime ou Landru en était-il sincèrement amoureux ? Cela dépend des auteurs et des opinions. Il l’avait demandée en mariage (à ses parents) mais, comme pour ses victimes, il lui avait menti : il s’appelait Guillet, il était un ancien industriel qui travaillait pour le gouvernement, il était originaire de Rocroi, dans la France occupée et ne pouvait donc obtenir ses papiers… La mère de Fernande, suspicieuse, était parvenue à interroger le maire de Rocroi, qui lui avait évidement annoncé qu’aucun Guillet ne possédait d’usines dans sa ville. Mise au courant, Fernande Segret avait cru sa mère… mais lui avait demandé de garder ses soupçons pour elle. Landru la couvrait de cadeaux, de tendresse et de belles paroles, elle ne voulait pas briser ses propres illusions.
Landru l’aurait-elle tuée alors qu’elle n’avait pas de fortune et que ses parents auraient pu l’identifier ? Fernande Segret expliqua durant l’instruction qu’elle le soupçonnait d’avoir tenté de l’empoisonner par deux fois.
Toujours est-il que, si elle resta bouche-bée lors de l’arrestation de son amant, l’aspirante actrice feignit s’évanouir à deux reprises lors de son témoignage durant le procès. Elle tenta ensuite de profiter de sa notoriété, fut-elle sombre, en se lançant sur les planches, mais compris rapidement que seuls des curieux malsains venaient la voir. Elle se fit discrète jusqu’en 1963, date à laquelle Claude Chabrol réalisa un film sur Landru où, jugea-t-elle, il la présentait sous un jour peu flatteur. Elle l’attaqua en justice, réclamant une belle somme, mais sa demande fut rejetée. Elle se suicida à l’âge de 75 ans en 1968.

l'inspecteur Jules Belin
L’inspecteur Belin

Embarqué manu-militari dans les locaux de la brigade, interrogé par l’inspecteur Belin, Henri-Désiré Landru ne lâcha rien, pas un mot, pas un aveu. « C’est bien moi Landru, mais je me refuse à vous faire toute autre déclaration ». Les policiers n’eurent cependant aucune difficulté à découvrir que Landru avait un casier judiciaire chargé et qu’il avait échappé au bagne par la fuite, la clandestinité… et grâce à la guerre.

Mais sur quel chef d’accusation cet homme devait-il être retenu, se demandèrent les enquêteurs ? Il était suspecté d’un meurtre, peut-être deux, mais où était le ou les corps ? Il n’existait aucune preuve que Landru ait tué quelqu’un et l’escroc multirécidiviste, qui avait une forte personnalité et l’habitude des arrestations, refusait de parler avec les policiers.
L’inspecteur Jules Belin voulut le faire avouer. Il passa plusieurs heures en face à face avec l’assassin, mais Landru n’admit pas le moindre crime. Le commissaire Dautel n’eut pas plus de succès, Landru resta muet.

Le matin du 13 avril, le commissaire Amédée Dautel, 39 ans, se rendit à la villa de Gambais, que Landru avait loué de 1915 à 1919, afin d’y procéder à une perquisition. L’inspecteur Belin l’accompagnait, ainsi que quelques policiers en uniforme. Les deux gradés espéraient découvrir un cadavre ou les preuves d’un ou plusieurs meurtres. Toutefois, ils devaient travailler à la hâte, car le juge qui devait inculper Landru les attendait pour midi à Mantes, à 20km de Gambais. Voulant agir vite, le commissaire Dautel n’avait pas convié de médecin légiste. Il n’avait pas non plus prévu assez de policiers pour fouiller les lieux ou repousser les curieux, au point que le portail et les jardins de la villa furent rapidement envahis de villageois curieux… Les enquêteurs trouvèrent rapidement les cadavres de trois chiens enterrés peu profondément (ceux de Marie-Thérèse Mercadier). Landru admit les avoir étranglés après qu’une “amie qui les (lui) avait confiés ne soit pas revenu les chercher”, puis désigna un endroit où il avait également enseveli un chat (celui d’Anne-Marie Pascal).

Le commissaire Dautel manquait de temps pour creuser tout le jardin, pour faire ouvrir deux hangars fermés à clé ou en fouiller un autre, ouvert, au fond du jardin. Il ne suivit pas la procédure et aucun scellé ne fut posé sur les portes de la villa. Le groupe se précipita vers Mantes pour présenter Landru au parquet des Yvelines. Là, le juge d’instruction Thoré lui notifia qu’il était soupçonné de plusieurs meurtres. Landru ne fléchit pas.

Les jours suivants, les découvertes s’enchaînèrent. Lors de la perquisition de l’appartement de Landru, le brigadier Riboulet avait découvert des quittances de loyer pour des garages, l’un situé à Cichy, l’autre à Neuilly. Landru y stockait les possessions qu’il avait volées à ses victimes après les avoir fait disparaitre, souvent transportées avec l’aide son fils ainé Maurice (qui, assura-t-il, le prenait pour un entrepreneur qui revendait simplement les meubles aux enchères). Dans les “garde-meuble” loué par Landru sous le nom de Fremyet, les enquêteurs retrouvèrent un amoncellement d’objets, de meubles, de vêtements, des paquets de lettres, de photographies et de documents ayant appartenu à des femmes.

Le « Petit Journal » publia une première photo du tueur en série et raconta dans ses colonnes :
Nous assistons à la perquisition. Elle est des plus fructueuses. Dans des malles en cuir et en bois, dans des paniers, les inspecteurs découvrent quantité de bibelots de toutes sortes, décoration de cheminées ou de meubles, mais tous choisis par des femmes, des sacs à main, des réticules, des trousses de toilette, des porte-monnaie, du linge : chemises, pantalons, cache-corsets ayant encore les initiales des femmes les ayant portés, des démêlures de cheveux, des fausses nattes et une quantité de lettres et de photographies, les unes empilées sans ordre, les autres rangées dans des chemises de papier sur lesquelles des noms sont inscrits au crayon bleu.”

Le 15 avril, le juge Parisien Gabriel Bonin inculpa Landru d’homicides volontaires, vols, recels et complicité. Il savait que le dossier était bien mince et qu’il fallait absolument l’épaissir.
Il lança donc une nouvelle perquisition, cette fois dans la villa que Landru avait loué à Vernouillet de décembre 1914 à août 1915, à 35 km au nord-ouest de Paris. Le juge Bonin, 40 ans, emmena un effectif complet d’experts médico-légaux et de policiers, dont le commissaire Dautel et l’inspecteur Belin. Le juge conclut rapidement que ni la villa ni son jardin ne présentait de preuve utilisable. Landru n’y avait pas vécu depuis plus de quatre ans et, dans l’intervalle, plusieurs locataires s’étaient succédé dans la maison. Gabriel Bonin annula la perquisition et décida de se focaliser son attention sur la villa de Gambais.

villa Vernouillet
L’arrière de la villa de Vernouillet

Lorsque le parquet de Mantes lui rappela qu’il n’avait aucune prérogative pour agir dans les Yvelines, le juge Bonin lui répondit que le suspect était Parisien.
Il s’écoula plus d’une semaine de bras de fer judiciaire autour du cas Landru entre les magistratures de Paris et des Yvelines, jusqu’à ce que, le 24 avril, le ministre de la Justice lui-même trancha en faveur de Paris, nommant officiellement Gabriel Bonin juge d’instruction pour l’ensemble de l’affaire. Ce dernier réorganisa immédiatement l’enquête. Il fit poser des scellés sur toute la propriété de Gambais. Il imposa ensuite que le brigadier Louis Riboulet de la police judiciaire de Paris prenne en charge l’enquête dans la capitale, laissant Dautel et Belin se concentrer sur Vernouillet et Gambais. Le 27 avril, Riboulet descendit à Mantes avec le juge Bonin pour récupérer Landru dans la prison de la ville et le ramener à Paris. 

Dans sa prison de la Santé, Landru ne se laissa pas impressionner. Il mangea de bon appétit, badina avec les gardiens et répondit au juge par des gaudrioles.

certains des documents rédigés par Landru

Les documents découverts dans le garage de Clichy et Neuilly furent examinés par Belin, Triboulet et leurs collègues : le livret de mariage de Madame Cuchet, ainsi que le certificat d’étude primaire et le livret d’apprentis de son fils, les actes de naissance et de mariage de Marie-Angélique Guillin et l’une de ses perruques, les papiers et l’acte de baptême de Berthe-Anna Héon, le bulletin naissance et les certificats de travail d’Andrée Babelay, le contrat de mariage de Clémentine Buisson ainsi que ses lettres personnelles et des photos de sa famille…
Les policiers découvrirent aussi des feuilles volantes, parfois arrachées d’un carnet, où Landru avait noté ses moindres dépenses, dont celles accomplies pour les victimes présumées : des billets de métro ou de train, des biscuits, des fleurs, du chocolat…

Landru avait également gardé des copies des annonces qu’il faisait publier et des modèles de lettres qu’il envoyait aux femmes qui lui répondaient. Il avait dressé un classement dont l’organisation laissa les enquêteurs bouche-bée. Il classait chacune des lettres reçues dans des dossiers portant des noms différents : “Répondre poste restante”, “En réserve, faire recherche ultérieures”, “Archives”, “À répondre de suite”, “Sans réponse”, “Première réponse”, “Soupçon de F.” (F pour Fortune), “Vérification d’avoirs”, “Sans F. R.A.F.” (Sans fortune, rien à faire).

Il avait pris des notes cyniques sur chacune des femmes qu’il avait rencontrées.
“Machurel, Paule. Brune, boulotte, vulgaire, voix éraillée. Appartement moderne”.
“Quentin-Léon, Berthe. Rue Lebouteux. Un peu bouffie, peu causante. A fait du cheval”.
“Marjorie. Rigide, légale, parle toujours frère avocat. Aime chocolat à la crème. Très méfiante. Avoir inexistant”.

Le 29 avril 1919, au cours d’une fouille complète de la villa de Gambais en présence du procureur général, du procureur de la République, du juge d’instruction, du directeur de la Sûreté générale et de celui de la police judiciaire ainsi que du médecin légiste (mais en l’absence de Landru lui-même), la police découvrit un éparpillement de fragments de crânes brûlés et de vêtements féminins sous un tas de feuilles dans le hangar. Cette découverte semblait être une percée décisive. Mais si les os indiquaient clairement un acte criminel, le docteur Paul, médecin légiste, n’avait pas les moyens de relier directement ces minuscules fragments carbonisés aux femmes qui avaient disparu à Gambais. Le premier profil ADN n’allait être créé que 66 ans plus tard…

Les jardins de Gambais et de Vernouillet furent creusés à maintes reprises. Les autorités essayèrent de relier Landru à l’achat d’acides et d’autres produits chimiques, en vain.
Toutefois, les témoignages des villageois concordaient tous. Ils connaissent bien ce petit homme chauve et barbu, coiffé d’un chapeau melon, qui arrivait à chaque fois avec une femme différente et qui repartait toujours seul.

On découvrit dans les villas des objets ayant appartenu aux femmes disparues, tels que des boutons ou des chaussures.
Des voisins de Gambais signalèrent aux autorités les fumées nauséabondes qui émanaient souvent de la cheminée, même à des périodes de l’année où le chauffage n’était pas indispensable. La cuisinière que Landru avait installée peu après son arrivée à Gambais fut inspectée et, dans les cendres, la police trouva de petits os, de nombreuses dents, ainsi que des attaches brûlées, mais encore reconnaissables, de soutien-gorge, de corsets et de robes. Et un os de pied.
Landru s’était certainement débarrassé de ses victimes en brûlant leurs corps. La façon dont elles avaient été tuées restait un mystère, mais ce qui était arrivé à Anne Collomb et Clémentine Buisson, ainsi qu’aux autres victimes, semblait clair.

Les fouilles permirent de retrouver un peu plus de  4 kilos de débris d’os calcinés, dont 1,5 kg provenant de corps humains, ainsi que 47 dents ou fragments de dents. Le médecin légiste allait, quelque temps plus tard, annoncer à la presse que ces os correspondaient à trois têtes, cinq pieds et six mains.

les os de crânes retrouvés à Gambais
Les os de crânes retrouvés à Gambais

La comptabilité que Landru avait tenue avec minutie révéla qu’il avait acheté plusieurs scies à métaux, de scies à bûches et beaucoup, beaucoup de charbon, même en été…

Le 28 juin 1919, dans le but de corroborer les soupçons et de révéler le mode opératoire de Landru, les policiers firent brûler dans la cuisinière une tête de mouton et un gigot de sept livres : le tirage se révéla excellent, d’autant plus que “la graisse de la viande assurait une parfaite combustion”. 

le brigadier Riboulet
Le brigadier Riboulet

Bonin chargea alors Riboulet d’analyser le carnet noir de Landru, trouvé durant la perquisition de son appartement, une tâche qui occupa le brigadier durant la majeure partie de l’été et de l’automne 1919, enfermé dans une pièce de la préfecture de police.
Riboulet déchiffra avec difficulté ce fouillis de notes cryptiques, de chiffres et de hiéroglyphes dans lequel Landru avait méticuleusement enregistré ses revenus et ses dépenses.
La minutie de Landru allait enfin se retourner contre lui.
Dans ces notes bavardes se trouvaient plusieurs noms qui intéressèrent le policier. Écrits d’une écriture cette fois appliquée, sur une simple page, figuraient onze noms :

« A. Cuchet,
G. Cuchet,
Brésil,
Crozatier,
Havre.
Ct. Buisson,
A. Collomb,
Andrée Babelay,
M. Louis Jaume,
A. Pascal,
M. Thr. Mercadier ».

Célestine Buisson et Anne Collomb étaient officiellement portées disparues et les autorités apprirent bientôt que la famille de Madame Cuchet et son fils ne les avaient pas vus depuis des années. Les enquêteurs soupçonnèrent que Landru avait dressé la liste de ses victimes.
Riboulet remarqua dans l’épais carnet que, pour certaines de ces femmes, Landru avait noté qu’il n’avait acheté qu’un billet de train aller simple vers Gambais. Et le policier considéra que, sur la page suivante, il avait noté la date et l’heure à laquelle il avait tué certaines de ces femmes : « 12 avril 1917 Mlle Babelay 4 h soir ; 1er septembre 1917 Mme Buisson 10 h 15 ; 26 novembre 1917 Mme Jaume 5 h ; 5 avril 1918 Mme Pascal 17 h 15 ».

À mesure de l’examen du carnet, le brigadier Riboulet finit par comprendre que “Brésil”, “Crozatier” et “Havre” n’étaient pas uniquement des endroits, mais représentaient bien des personnes : Landru avait écrit « Brésil » pour l’origine de Thérèse Laborde-Line (qui était née en réalité en Argentine), « Crozatier » pour la rue du domicile de Marie-Angélique Guillin, et « Havre» pour celui de Berthe-Anna Héon.
Il déduisit ensuite que Landru avait passé 105 jours à la villa de Gambais entre décembre 1915 et son arrestation en avril 1919. Pour arriver à cette conclusion, Riboulet partait du principe que Landru avait inscrit dans le carnet la totalité de ses déplacements entre Paris et Gambais, tout comme le brigadier considérait comme acquis que la liste de Landru, composée de dix femmes et d’un jeune homme, représentait la totalité de ses victimes de meurtre. Louis Riboulet ne vérifia pas ces hypothèses en les comparant à d’autres preuves, notamment les déclarations des témoins à ses collègues de la police, passant peut-être à côté d’une douzième victime.

Le juge Bonin ne parvint pas à faire avouer Landru malgré des séances d’interrogatoire répétées dans son cabinet du Palais de Justice de Paris. Généralement, Landru refusait de répondre aux questions ou disait à Bonin que c’était aux autorités de “fournir les preuves” des accusations portées contre lui, ajoutant qu’il était totalement innocent. Puis, face auxdites preuves, il se retranchait dans un silence bourru.

Le juge Bonin comprit alors qu’il devait construire un dossier contre Landru qui le reliait aux onze meurtres présumés et qui soit suffisamment simple pour être compris par un jury. À cette fin, il décida d’éliminer de l’équation l’épouse de Landru (à qui le tueur avait demandé de se faire passer pour deux des victimes afin de vider leur compte bancaire) et son fils aîné Maurice (qui avait été condamné pour escroquerie), même s’il est très probable qu’ils aient été, au minimum, conscients des arnaques et des vols commis par Landru sur plusieurs des femmes disparues.

Confiant dans le fait qu’il ne pouvait pas être condamné pour meurtre sans corps (alors qu’une telle condamnation est possible en droit français), Landru garda le silence et refusa de parler à la police. Pendant des mois, les autorités enquêtèrent sur les disparitions de ses victimes, mais Landru n’admit jamais rien.
Les enquêteurs et le juge d’instruction démontrèrent que chacune des femmes figurant dans le carnet avait rencontré Landru par le biais de ses annonces de mariage puis avait disparu. Landru avait noté l’achat de billets aller simple de Paris à Gambais pour chacune de ses victimes, tout en notant le prix des billets aller-retour pour lui-même. La préméditation était flagrante.

les pseudos de Landru
Les différents pseudonymes de Landru

Riboulet, Belin et leurs collègues, en examinant le registre de comptes que Landru avait méticuleusement tenu, révélèrent une vaste opération d’escroquerie au mariage : pas moins de 283 femmes étaient entrées en contact avec Landru à la suite d’annonces matrimoniales passées par celui-ci dans des journaux !

Heureusement, la plupart d’entre elles, si elles avaient parfois été escroquées, n’avaient pas été assassinées. Beaucoup l’avaient juste croisé, certaines étaient devenues ses maitresses du moment, d’autres encore étaient mariées et ne l’intéressaient donc pas. Durant quatre ans, Landru n’avait cessé de rencontrer des femmes, courant d’une entrevue à une autre. Dans son carnet, à la date du 19 mai 1915, il avait par exemple noté ses rendez-vous avec sept femmes différentes !

Les onze victimes figurant dans son carnet avaient toutefois une caractéristique troublante : elles étaient toutes plutôt isolées de leur entourage, voire sans famille, ce qui assurait à l’assassin que personne ne viendrait l’interroger sur leur disparition.
Les recherches se poursuivirent pour identifier l’intégralité des 283 femmes, mais les nombreux pseudonymes qu’avait utilisés Landru et la grande discrétion de certaines femmes compliquèrent l’avancée de l’enquête. Plusieurs dizaines ne furent jamais identifiées.

On attribua à Landru “uniquement” les assassinats des onze personnes présentes sur la liste de son carnet, mais un doute subsiste toutefois sur une éventuelle douzième victime en mai ou juin 1916, d’autant que Landru parla souvent de « douze femmes » durant son procès.

Le juge Bonin conclut son instruction le 18 août 1920, pour un procès prévu l’année suivante. Si le dossier était très épais, l’accusation ne comportait pourtant aucune preuve irréfutable, seulement des faisceaux de présomptions plus ou moins solides.

L’épouse de Landru obtint néanmoins le divorce en février 1921 (elle expliqua qu’elle ne le croyait pas coupable de meurtre, mais qu’elle divorçait parce qu’il l’avait trompé). Ses enfants changèrent tous de patronymes, prenant le nom de jeune fille de leur mère, pour éviter d’être harcelés.

Le procès de Landru, qui commença le 7 novembre 1921 devant la Cour d’assises de Seine-et-Oise à Versailles, captiva ses compatriotes.
Il avait été arrêté deux ans plus tôt à son domicile à Paris avec sa jeune maîtresse, Fernande Segret, 27 ans. La France ne s’était pas encore remise de la terrible Grande guerre et les pourparlers de paix à Versailles ne se déroulaient pas bien. Les pénuries et la dépression économique persistaient. L’ambiance était particulièrement morose. Cette affaire qui promettait du sexe, des ragots et des meurtres horribles, fut reprise avec un délice non dissimulé par de nombreux journaux, comme une diversion à la morne vie quotidienne de la France d’après-guerre.
L’arrestation de Landru avait fait la Une de la presse de l’époque et l’affaire était devenue une attraction mondaine. Aux élections législatives de 1919, près de 4.000 bulletins de vote portèrent le nom de Landru !
La presse s’empara des lieux. Les personnalités de l’époque (Mistinguett, Raimu, Colette, Maurice Chevalier…) et toute l’aristocratie se bousculèrent pour apercevoir le « vilain barbu ».

les curieux qui se pressent devant le tribunal
la foule lors du procès surveillée par des soldats

Il faut également tenir compte du fait qu’en 1919, l’expression « tueur en série » n’existait pas. Même si les meurtres multiples n’étaient pas inconnus en Europe, c’était encore une nouveauté. Les meurtres commis par Jack l’Éventreur de l’autre côté de la Manche ne remontaient qu’à 40 ans et un monstre capable de tuer autant sans remords était encore une aberration pour les Français. Joseph Vacher avait massacré des femmes et des enfants dans le sud-est de la France, mais c’était un fou, un égaré, un vagabond, un démon… L’idée qu’un petit bourgeois français, un Parisien de surcroît, puisse être capable de telles atrocités, eut un impact profond sur la société.

Mais imaginerait-on de nos jours une presse raillant la naïveté des victimes ? Imaginerait-on que le procès d’un tueur en série serve de prétexte à une chanson comique ? C’est pourtant ce que fit, en 1921, le chansonnier Louis Boucot.

Et le journal l’Illustration commença avec un texte du plus mauvais goût son premier article sur le procès : “Versailles, lundi 7 novembre 1921. Les “avant-premières” ont fait du tort à la pièce. Aujourd’hui, les spectateurs de la “générale”, en écoutant le prologue, se regardaient avec une vague inquiétude : ils ont eu l’impression d’assister à un four !
Si ce paragraphe est d’un humour totalement déplacé, il souligne toutefois ce que fut, ce que Landru voulut que soit, les premiers jours du procès : une pièce de théâtre dont Landru serait la vedette, durant laquelle il voulut se mettre en valeur et chercha l’objectif des photographes, dont il apprécia les répliques et les retournements de situation avec une joie non dissimulée.

Landru, 52 ans, écouta l’énoncé du long acte d’accusation avec un détachement total.

S’accrochant à la conviction erronée qu’il ne pouvait pas être condamné sans corps, la défense de Landru consista essentiellement à faire obstruction à la cour. Systématiquement, il refusa de répondre aux questions et affirma que ce qu’il savait des disparitions de ses “amies” ne regardait personne d’autre. Assisté par un talentueux et redoutable avocat, maître Vincent de Moro Giafferi, Landru clama qu’il était certes un escroc, mais pas un assassin.

Il pensait également que, parce qu’il avait été jugé suffisamment sain d’esprit pour être jugé, son innocence était assurée. « Je tiens à remercier messieurs les experts, car la monstruosité même des crimes que l’on me reproche ne pouvait s’exprimer que par la folie. Si je suis sain d’esprit, je ne suis pas coupable« , assura-t-il aux médias qui couvraient le procès avec enthousiasme.

Le docteur Vallon allait d’ailleurs témoigner que Landru était “un esprit alerte, à la répartie facile, et bien équilibré”.
L’assassin parla d’une voix tranquille, choisissant ses mots avec circonspection, prenant son temps. Dès le premier jour, il nia l’évidence avec aplomb. Selon lui, ses victimes se seraient évaporées comme par magie, dans un autre monde… Il n’exprima aucun remords, lâchant des explications d’un rare cynisme pour justifier la disparition des victimes.

Quand j’eus réglé leurs comptes, elles sont allées vers d’autres destinées”.

À chaque question du président Gilbert, il ironisa, il protesta, il plaisanta, il chicana. Il releva les affirmations de ses contradicteurs pour les contester, il fit de l’esprit et risqua des “bons mots”… Il se permit aussi de faire le procès de la police qu’il accabla de mépris. Il refusa que l’on parle de son long casier judiciaire, car son contenu pouvait, selon lui, créer de la suspicion dans l’esprit des jurés ! Il considérait avoir réglé sa dette à la société (alors qu’il aurait dû être envoyé au bagne) et exigea donc que l’on n’évoque plus jamais ces “histoires anciennes”… Tout comme il aurait aimé que l’on ne mentionne pas les meurtres et que l’on oublie “le passé”.

Landru escorté par des gendarmes jusqu'au tribunal

Souvent provocatrice, son éloquence fut telle que Landru s’attira la sympathie du public. 

Le président : « Voyons Landru, toutes ces femmes… vos enfants ne disaient rien ?« 
Landru : « Quand je donne un ordre à mes enfants, moi, monsieur le juge, ils obéissent. Ils ne cherchent pas le pourquoi ni le comment. Je me demande comment vous élevez les vôtres !« 

À l’avocat général : “Vous parlez toujours de ma tête. Je regrette de n’en avoir pas plusieurs à vous offrir.

Au juge : “Si les femmes que j’ai connues ont quelque chose à me reprocher, elles n’ont qu’à déposer plainte.

« Il ne m’appartenait pas de guider la police. Depuis trois ans, ne me reproche-t-on pas des faits que les disparues elles-mêmes ne m’ont à aucun moment reprochés. »

« Qu’en est-il de votre relation avec Madame Guillin ? » lui demanda-t-on.
« Je suis un galant homme et je ne dirai rien« , répondit Landru au magistrat exaspéré. « Je ne puis songer à révéler la nature de mes relations avec Madame Guillin sans l’autorisation de cette dernière« .

Landru détourna chaque question en se contentant de répondre “ma vie privée ne regarde que moi”.

Mais les témoignages étaient accablants et l’accusation évoqua une à une les pièces à charge du dossier : le petit carnet noir, les reçus des billets de train, les meubles et vêtements des victimes… et la fameuse cuisinière en fonte, qui fut exposée en plein tribunal. Onze personnes avaient prétendument laissé tous leurs biens entre les mains de Landru. Tout, jusqu’à leur dentier, leur postiche ou leur précieuse carte de rationnement…

la cuisinière de Landru
La fameuse cuisinière

L’un des éléments les plus accablants fut fourni par les reçus de billets de train. Interrogé sur ce sujet, Landru répondit d’abord qu’il lui restait un billet aller simple à utiliser. Comment s’était-il rendu dans un endroit avec un aller simple sans utiliser le retour ? Il ne sut répondre, expliquant que ses souvenirs manquaient de précision ou qu’il n’avait “rien à en dire”… Il changea ensuite de version, affirmant que ces notes trouvées dans le carnet mentionnaient un tarif et non une dépense. Il expliqua enfin qu’acheter un aller-retour pour la fiancée aurait été “un manque de tact” alors qu’il était un gentleman… Ces trois versions différentes ne convainquirent personne.

Quand on lui demanda pourquoi les dix femmes figurant sur son carnet et dont on avait retrouvé les effets dans ses garages avaient toutes disparus, il répondit laconiquement “Il s’agit de leur vie privée… Je n’y suis pour rien si ces personnes se sont fâchées avec leur famille et souhaitaient refaire leur vie ailleurs”.

L’un des jurés exprima même publiquement son incompréhension : “Pourquoi madame Buisson, partant en voyage, n’a-t-elle pas emporté sa malle ?” qu’on avait retrouvée dans le garde-meuble de Landru.

Henri Landru et son avocat

Pendant des jours, il fut interrogé par la cour sans changer son histoire. « Je n’ai rien à dire« , répétait-il sans cesse, à la grande frustration des observateurs. Chaque fois que de nouvelles preuves étaient présentées, Landru se contentait de hausser les épaules et de tout nier ou de refuser d’en discuter.

150 témoins se présentèrent à la barre, tant pour l’accusation que pour la défense. Certaines des femmes qui avaient succombé à ses charmes, mais avaient eu la chance de ne pas disparaitre, livrèrent des confidences parfois polissonnes. Landru n’aimant pas tant l’argent que le sexe. Alors que des milliers de jeunes hommes perdaient la vie dans les tranchées ou étaient gravement blessés, Landru avait joué les Casanova auprès de ses dames esseulées.

L’avocat général ne se gêna pas pour lire les dossiers que Landru avait écrits pour chacune de ses conquêtes. Ainsi, une certaine Lyanes, 36 ans, séparée de son mari, était une “Catholique fervente, craint le divorce qui pourrait l’empêcher de se remarier à l’église”. 

Au cours du procès, l’aplomb de Landru faillit à plusieurs reprises. Il commença à fournir des déclarations en réponse aux questions, mais l’accusation réfuta facilement ses allégations. Une bévue tactique. Il alla même jusqu’à raconter comment il avait pendu les chiens de Marie-Thérèse Marchadier, ce qui choqua (enfin) le public.
À la demande du juge, Landru donna quelques explications concernant les trois cadavres de chiens enterrés dans le jardin de la villa de Gambais. Alors qu’après son arrestation, il avait parlé de chiens abandonnés par “une amie”, il répondit qu’il avait pendu les trois animaux “à la demande de leur maîtresse. Leur nourriture coûtait trop cher”. Lorsque le juge lui fit remarquer que tous les proches de Marie-Thérèse savaient qu’elle adorait ses chiens et n’aurait jamais agi de la sorte, Landru ne sut quoi répondre…

Landru affirma qu’il cherchait seulement à escroquer ces dames, qu’il ne pensait jamais au mariage, étant déjà un homme marié… Lorsqu’on lui demanda pourquoi écartait-il certaines lettres de correspondantes sans leur répondre en notant dans son carnet « Sans suite. Sans fortune » ou encore « Intérieur sale, voix éraillée, fox blanc insupportable », Landru répéta qu’il ne songeait pas au mariage. Ce que démentirent tous les proches des victimes. Pourquoi ces femmes lui auraient-elles laissées leurs bijoux, leurs papiers intimes, leurs pièces d’identité ? Landru répondit que « C’était un dépôt sacré », s’abrita derrière le mur de la « vie privée » pour ne pas en dire plus, esquiva en affirmant « J’ai une très mauvaise mémoire… »

Lui qui s’était présenté durant les premières audiences avec une apparence si policée, si correcte de petit employé de commerce, apparut fatigué, la barbe en broussaille, les vêtements non repassés, les traits fripés. Jusqu’à la dernière minute, toutefois, il se montra hargneux et combatif.

L’impudence de Landru devant la cour agaça clairement les jurés. Si ses esquives et sa rapidité à répondre par le sarcasme firent sourire au début du procès, elles finirent par prouver qu’il était le genre d’homme à mentir, manipuler et tromper les femmes.

Marie Lacoste
Marie Lacoste

D’ailleurs, les proches et amies de ses victimes (dont Marie Lacoste, qui le fusilla du regard) se présentèrent au tribunal les unes après les autres pour expliquer comment il leur avait menti, à toutes.
Et pourtant, ces femmes semblaient réellement l’aimer. Mme Friedmann, la sœur de Jeanne Cuchet vint expliquer que, bien que sa famille ait démasqué Landru, bien que le sachant escroc et menteur, Jeanne avait continué à l’aimer et voulait l’épouser.

Interrompant le témoignage de Mme Friedmann, Landru lui demanda :

« Madame, pourriez-vous dire à ces messieurs du jury si vous avez le sentiment que j’ai assassiné votre sœur ?

— C’est exact !

— Et qu’est-ce qui vous autorise une telle affirmation ?

— Parce que ma sœur vous aimait. Si vous ne l’aviez pas tuée, elle serait aujourd’hui ici, à ma place, pour vous défendre !  »

La mère d’Anna Collomb vint ensuite à la barre : « Si ma fille était encore vivante, j’aurais de ses nouvelles. Elle nous aimait trop ! Son père est mort de chagrin. J’ai eu le pressentiment d’un malheur lorsqu’elle nous a parlé de ce mariage. » 

Georges Clarétie, dans Le Figaro (15 novembre 1921), écrivit :

« À chaque audience, nous voyons apparaître une mère ou une sœur en larmes qui ne veulent pas croire, qui ne peuvent pas croire, que celle qu’elles aimaient ne leur aient pas donné de nouvelles. Elles sont douloureuses ; elles pleurent ; la salle est émue de ces cris de mère. Landru seul reste impassible. Ce qui caractère ce singulier accusé, c’est l’absolue et inquiétante insensibilité.
Un innocent – tous les innocents – devant cette douleur vraie, crierait : « Non, non, je n’ai pas tué votre enfant ! Ce n’est pas moi ! » Bien des coupables aussi feraient de même pour troubler le cœur des juges. Landru écoute, regarde pleurer. On l’appelle « assassin » et il consulte ses notes. On lui demande s’il a quelque chose à dire. Il lève la tête, contemple la mère ou la sœur en larmes : « Non, rien du tout. Absolument rien, monsieur le président ». Jamais encore on avait vu cela en Cour d’assises ».

Quand la parole lui revient, Maître de Moro Giafferi défendit son client avec talent. Il insista sur le fait que l’accusation était vide, aucun corps n’ayant été retrouvé. L’accusation présentait des hypothèses, mais les preuves manquaient. Avec raison, il interpela l’avocat général Godefroy : « Comment condamner aujourd’hui un homme pour le meurtre de 10 femmes et être demain dans l’impossibilité de délivrer un jugement déclaratif de décès aux familles faute d’avoir retrouvé un quelconque corps ?« 

Mais les preuves que Landru réclamait avec son sourire ironique sembla bien avoir été faites, au point que Landru ne sourit plus et ne voulut pas répondre. Le docteur Paul, médecin légiste, fit une leçon d’anatomie à la cour, précise, claire, expliquant de manière simple que Landru avait chez lui, dans son jardin, son hangar et sa cuisinière, les débris d’au moins trois cadavres. Le résultat de son expertise : de la cendre d’os partout et des ossements partout. Les docteurs Beyle, directeur du service d’identité judiciaire, et Kling, chef du laboratoire municipal de Paris, avaient analysé les cendres de manière chimique et confirmèrent : une partie très significative provenait bien d’êtres humains.
Un peu plus de 4 kilogrammes d’ossements humains avaient été recueillis à Gambais, beaucoup portant des traces de scie ou de hache : des morceaux de crânes et de faces, des morceaux de vertèbres, d’un avant-bras, de mains et de poignets. Et 47 dents humaines, souvent entières.

certains des ossements trouvés à Gambais
D’autres ossements trouvés à Gambais

Landru chercha d’abord à expliquer comment les cendres pouvaient contenir des os. Un instant après, il affirma : “Ces cendres n’étaient pas à moi. Je ne comprends pas qu’on les ait trouvées.” Un autre aurait “déposé” ces débris humains dans sa villa de Gambais… Il expliqua ensuite qu’il brûlait “pour s’amuser” “des mottes, des agglomérés de toutes sortes, des pommes de pins et des marrons.” Selon Landru, les cendres d’os sont “de la cendre de coquilles d’huîtres”… Comment des dents humaines avaient-elles pu se retrouver dans ces cendres ? “Je laisserai la parole à mon défenseur”.

Maître de Moro Giafferi répèta l’hypothèse farfelue de Landru selon laquelle un “inconnu lui voulant du mal” aura placé là les cendres… Il souligna que les ossements ne pouvaient être identifiés et ne pouvaient donc être reliés aux disparues.

Dans une scène désormais célèbre, Moro Giafferi voulut prouver que la salle toute entière doutait même que les victimes furent décédées. Il assura que “ces femmes, dont on vous dit qu’elles sont mortes, elles vont maintenant faire leur apparition”. Toute la salle, y compris les jurés, tournèrent alors la tête vers la porte… L’avocat sauta sur l’occasion pour certifier que ces réactions démontraient que nul n’est certain de la mort de ces femmes et, en conséquence, de la culpabilité de Landru. En réponse, l’avocat général rétorqua qu’une seule personne ne s’était pas retournée vers cette porte. Landru. 

Après près de 25 jours de témoignages et quelques heures de délibération, les jurés d’assises décidèrent que Landru avait bien tué ses 11 victimes. Il fut condamné à la peine capitale.

Le petit journal illustré de novembre 1921

Deux mois s’écoulèrent entre le moment où Landru fut condamné et celui où il apprit que son exécution était imminente. Le 25 février 1922, il fut amené devant la guillotine.

De son incarcération en 1919 jusqu’à son exécution en 1922, il aurait reçu plus de 4 000 lettres d’admiratrices dont 800 demandes en mariage…

Landru fit ses adieux à ses avocats. Il refusa d’entendre une messe et rejeta le traditionnel verre d’alcool de son geôlier. Il mourut sans jamais exprimer de remords pour ses crimes.

En janvier 1923, presque un an après son exécution, les objets mobiliers de Landru furent vendus aux enchères, dans la salle de la Cour d’assises de Versailles, dans une atmosphère de gaieté et de plaisanteries. La fameuse cuisinière aurait été, selon les versions, adjugée à un forain français ou vendue au directeur du musée Grévin.

Mort en clamant son innocence, Landru laissa pourtant à l’un de ses avocats, maître Navière du Treuil, un dessin de sa main représentant la cuisine de Gambais et sa fameuse cuisinière. Au dos, elle portait cette inscription, qui sonne comme un aveu : “Rien ne s’est passé devant le mur, mais dans la maison”. 

Il est bien possible qu’Henri Landru ait fait plus de victimes que les onze infortunées pour lesquelles il a été condamné.  Un doute subsiste, entre autre, sur une éventuelle douzième victime, qui aurait été tuée en mai ou juin 1916.

Combien de victimes ?

Pour contrer les failles de l’affaire Landru, le juge Bonin décida de donner une signification fondamentale au carnet lors du procès. Pour l’accusation, les notes de Landru fournissaient un compte rendu détaillé de ses meurtres. 

Lors du procès, le juge Maurice Gilbert fut d’abord convaincu que le carnet couvrait la totalité de la période des meurtres, à partir du moment où Landru avait rencontré Jeanne Cuchet au début de l’année 1914. Le juge Gilbert s’étonna donc que Landru, lorsqu’il avait déposé une somme importante dans une banque en juin 1914, n’avait pas inscrit cette somme dans son carnet. Mais Landru n’avait acquis le carnet qu’au printemps 1915, après la disparition de Jeanne et d’André Cuchet.

Le brigadier Riboulet ne corrigea pas cette incompréhension durant le procès. Il fallut attendre la publication de son livre en 1933 (La vérité au sujet de l’affaire Landru), où il révéla que Landru n’avait pas commencé à prendre de notes détaillées dans le carnet avant l’été 1916, alors que cinq des onze personnes figurant sur sa « liste fatale » avaient déjà disparu. En d’autres termes, le carnet ne pouvait pas être considéré comme un journal complet des mouvements et des transactions de Landru avant cette date.

De même, Louis Riboulet partait du principe que tous les déplacements de Landru entre Paris et Gambais depuis l’été 1916 jusqu’à son arrestation en avril 1919 pouvaient être reconstitués à partir de ses notes dans le carnet. Pourtant, un épisode, en particulier, suggère que Riboulet s’est trompé.

Dans l’après-midi du 26 mars 1917, Anne-Marie Pascal, 37 ans, prit le train avec Landru pour se rendre à Houdan, la gare la plus proche de Gambais. “Annette”, comme l’appelaient ses amis et sa famille, craignait les bombardements allemands sur Paris. “Lucien Forest”, l’avait donc invitée à venir vivre avec lui dans sa maison de campagne près de Gambais. Mais d’abord, il voulait qu’Annette inspecte la villa, pour vérifier qu’elle lui convenait. Annette repartit à Paris le lendemain, dans son petit appartement, seule, comme l’a confirmé plus tard son concierge, qui l’a vue arriver. Néanmoins, Riboulet considérait comme acquis que Landru était également rentré à Paris avec Annette.

Landru parle durant son procès

En fait, il est presque certain que Landru était resté à Gambais, si l’on en croit la longue déclaration faite par une habitante de la région au commissaire Amédée Dautel, peu après l’arrestation de Landru. Le vendredi 29 mars, Madame Marie Bizeau avait rencontré Landru près d’un étang situé au cœur de la forêt voisine. Elle s’en souvenait parfaitement, car Landru s’était moqué de son mari, garde-chasse qui travaillait alors dans le plan d’eau. Deux heures plus tard, alors que Madame Bizeau aidait son mari à se sécher, elle avait vu Landru sortir des arbres avec une femme « plutôt grosse », dans un manteau de fourrure, qui semblait avoir une trentaine d’années et deux petites filles âgées d’environ huit et dix ans. La femme s’était plainte du froid à “Monsieur Dupont” et l’avait informé qu’il était temps de rentrer.
Si les souvenirs de madame Bizeau sont justes, Landru ne pouvait pas avoir passé toute la dernière semaine de la vie d’Anne-Marie Pascal avec elle, comme l’a soutenu l’accusation durant son procès. Il est plus plausible qu’il soit resté à Gambais et ne soit pas rentré à Paris avant le week-end du 30-31 mars, lorsqu’Anne-Marie a signalé dans une lettre à sa sœur aînée qu’il lui avait offert des bijoux. Enfin, le 4 avril, Landru notait dans son carnet l’achat de deux billets de train pour Gambais : un aller-retour pour lui et un aller simple pour Anne-Marie Pascal. Le lendemain, celle-ci disparaissait.

Le témoignage de Madame Bizeau met en évidence la faille consistant à supposer que la « liste fatale » de onze noms de Landru représente la somme totale de ses meurtres. Au cours de l’enquête et du procès, tout témoignage laissait entendre que Landru aurait pu tuer d’autres femmes a été soit ignoré, soit publiquement raillé. Les enquêteurs et le juge ne possédaient pas réellement de preuves solides et évidentes, pas de cadavre, rien que des os, et les analyses ADN n’existaient pas encore. Il leur fallait donc s’en tenir aux noms figurant dans le carnet, pour éviter de semer le doute. Madame Bizeau n’a pas été appelée à témoigner au procès de Landru, tandis qu’un médecin militaire qui avait vu Landru déposer un colis suspect dans le même étang a vu sa déposition écartée par l’accusation et la défense. La date de son observation – fin mai ou début juin 1916 – posait problème : elle se situait à mi-chemin entre les disparitions de la cinquième victime de la liste (décembre 1915) et de la sixième (décembre 1916).
Deux vieilles paysannes ont été ridiculisées au tribunal lorsqu’elles ont affirmé sous serment avoir vu et senti une fumée nauséabonde s’échapper de la villa à l’automne 1917, suggérant que Landru aurait pu brûler des restes humains dans son four. Comme pour le médecin militaire (qui a également vu une fumée nauséabonde sortir de la villa), le témoignage des femmes posait un problème de calendrier : trop tard pour correspondre à la disparition de la huitième victime de la liste et trop tôt pour la neuvième.
Certains journaux qualifièrent leur témoignage de “commérages du village” ou de “souvenirs imaginatifs. »

La presse, comme les jurés, fut amenée à croire que la police avait retrouvé la trace de toutes les femmes que Landru avait contactées pendant son terrifiant carnage, à l’exception des dix “fiancées” disparues. C’est faux. La dame “plutôt grosse” à la fourrure n’a jamais été identifiée ni retrouvée, pas plus, semble-t-il, que des dizaines d’autres femmes qui étaient entrées dans l’orbite de Landru.

Dans un rapport qui fut envoyé au juge Bonin, la police reconnut que, sur les 283 femmes qui avaient répondu aux annonces matrimoniales de Landru, “l’identité de 72 d’entre elles n’a pas été établie”. Le rapport n’est pas daté, ce qui laisse la possibilité que certaines de ces femmes aient été retrouvées par la suite. Quant aux autres, le fait qu’elles n’aient pas été retrouvées ne signifie pas que Landru les ait tuées, mais gardons à l’esprit qu’il a répété n’avoir jamais fait de mal aux 10 femmes de sa liste…

Les victimes de Landru

Jeanne Cuchet (39 ans)
Disparue à Vernouillet en février 1915

André Cuchet (17 ans)
Disparu à Vernouillet en février 1915

Thérèse Laborde-Line (46 ans)
Disparue à Vernouillet le 26 juin 1915

Marie-Angélique Guillin (52 ans)
Disparue à Vernouillet le 3 août 1915

Berthe-Anna Héon (55 ans)
Disparue à Gambais le 8 décembre 1915

Anna Collomb (44 ans)
Disparue à Gambais le 27 décembre 1916

Andrée-Anne Babelay (19 ans)
Disparue à Gambais le 12 avril 1917

Célestine Buisson (XX ans)
Disparue à Gambais le 1er septembre 1917

Louise-Joséphine Jaume (38 ans)
Disparue à Gambais le 26 novembre 1917

Anne-Marie Pascal (37 ans)
Disparue à Gambais le 5 avril 1918

Marie-Thérèse Marchadier (37 ans)
Disparue à Gambais 13 janvier 1919

Mode opératoire

Si Landru rencontra Jeanne Cuchet au Jardin du Luxembourg, il attira ses victimes suivantes grâce à des annonces matrimoniales publiées dans des journaux. Beau parleur, charmant, manipulateur, il convainquait ces femmes de signer des procurations lui permettant ensuite de faire main basse sur leurs quelques économies.

Ses “fiancées” étaient pour la plupart des veuves âgées de 35 à 50 ans qui, minées par la solitude, n’en revenaient pas du bonheur qui leur arrivait…

Il assassinait ces victimes dans les villas qu’il louait en dehors de Paris, puis faisait disparaître leur corps.

On suppose qu’il les droguait pour qu’elles soient incapables de réagir (il était petit et chétif, alors que plusieurs de ses victimes étaient des femmes robustes) puis, sans doute, les étranglait.

Landru a probablement découpé ses victimes, puis a enterré les corps (tronc, jambes, bras) ou les a jetés dans des étangs alentours, tandis que les têtes, mains et pieds étaient incinérés dans la cuisinière de la villa.

Les motivations de Landru

Henri Landru fut un garçon choyé qui eut une enfance heureuse et sans histoire, entre un père (un peu trop absent) et une mère qui l’entoura (d’un peu trop) d’amour. Ses parents s’entendaient bien, ils travaillaient dur afin de pourvoir aux besoins de leurs enfants et ne se montèrent jamais violents ni envers Henri Désiré ni envers sa grande sœur Florentine. Ils lui donnèrent une éducation religieuse et l’encouragèrent à pousser ses études le plus loin possible avec l’espoir qu’il obtienne un bon emploi. 

Rien ne le prédisposait à devenir un tueur en série glacial.

Charmeur et rusé, Landru refusa tout simplement de travailler et multiplia les escroqueries pour faire rentrer l’argent. Imbu de lui-même, il s’estimait supérieur, surtout aux femmes qu’il dupa avec ses manières d’homme bien comme il faut. Elles furent les proies privilégiées de ses arnaques.

En 1914, l’accumulation de délits lui fit risquer le bagne : loin de penser à devenir honnête, il conclut qu’il ne devait plus laisser de traces de ses forfaits, logique caractéristiques du psychopathe. L’escroc devint un meurtrier.

Henri Désiré Landru a été surnommé « Le Barbe Bleue de Gambais ». Et ce surnom lui convenait parfaitement. Il lui venait d’un comte populaire, dont la version la plus célèbre est celle de Charles Perrault, racontant l’histoire d’un homme riche qui tue ses jeunes épouses les unes après les autres, et cache leurs corps dans une pièce secrète.

Vanité et égoïsme

Landru était un escroc et un menteur, un récidiviste de l’arnaque et de la manipulation. Il a été arrêté et condamné à plusieurs reprises, mais ne s’est jamais amendé. Au contraire, ses crimes ont empiré avec le temps.

Ayant une haute idée de lui-même et de ses actes (qui fut flagrante durant son procès), il était persuadé de pouvoir prendre la liberté d’agir comme il lui semblait. Il aurait pu reprendre les mots de la bouche de l’abominable Ted Bundy : “Qu’est-ce donc qu’une personne de plus ou de moins sur la surface de la terre ?”

Imbus de lui-même, narcissique, amateur de bons mots, Landru se plaignit aux policiers qui l’escortaient que le juge Bonin avait osé le tutoyer et se vanta de sa notoriété pourtant effroyablement acquise. Il se croyait supérieur, en esprit, en éducation, en acte.

Landru, qui s’était montré discret durant la guerre pour ne pas être remarqué, se délecta de sa notoriété. Lors de son procès, il se comporta en vedette, dédicaçant des photos de lui durant les suspensions d’audience. Par la suite, il offrit aussi une photo dédicacée à Maître de Navières du Treil, assistant de Me de Moro-Giafferri, juste avant son exécution : « Pour mon humble collaboration à une vie charitable. Souvenir d’un calvaire. Février 1922. Versailles.  »

Landru photographié peu après son arrestation

Landru ne se présentait pas uniquement comme un ingénieur pour attirer ses victimes avec un métier et un patrimoine : ce titre était important pour son image, pour son propre égo. Dès 1897, il avait commencé à établir de faux certificats afin de se faire passer pour un ingénieur. Lui qui possédait des dons véritables pour la mécanique, lui qui aurait voulu être architecte, considérait sans doute qu’il aurait pu devenir ingénieur s’il avait eu assez d’argent pour financer des études. Il n’était qu’un petit escroc et aurait voulu être un bourgeois.

Durant son procès, Landru admit être un escroc, mais nia être un assassin. Il souligna qu’il avait cherché de l’argent par tous les moyens, même illégaux, mais dans le seul but de nourrir sa famille. Il se présentait comme un “bon père et bon époux”… Mais comme son titre imaginaire d’ingénieur, son illusion d’être un chef de famille qui ramène de l’argent se heurte à la réalité : si la famille Landru vivait correctement, c’était grâce au travail régulier de Madame Landru et à l’argent ramené par les “petits boulots” des aînés, Marie-Henriette et Maurice. (En quelques mois, Landru avait dépensé pour Fernande Segret la moitié de la somme qu’il avait versé à sa famille durant les 4 ans de la guerre…)

Marie-Catherine Landru ne dut compter que sur elle-même pour faire vivre ses enfants. Il arrivait même à Landru de lui emprunter de l’argent, puis quand il faisait une apparition, de se montrer généreux, apportant cadeaux, bijoux et meubles dont personne ne s’inquiétait de la provenance…

À plusieurs reprises, il demanda des services à ses deux fils : transporter des meubles dans un garage, porter des colis à Paris, bêcher le jardin d’une villa… Charles, son plus jeune fils, expliqua à un journaliste que son père était sévère, mais bon avec ses enfants. “Cet homme qui avait eu de gros ennuis, qui avait été condamné, nous donnait toujours des conseils de probité et de droiture”. Mais alors qu’il parlait d’honnêteté, il mouillait sa famille, plus ou moins consentante, dans ses affaires louches.

Landru voulait donner l’illusion, à sa famille, à ses voisins, mais surtout à lui-même, qu’il faisait “tout pour sa famille”, pour pourvoir aux besoins de son épouse et de ses enfants. Et que si un travail rémunéré ne suffisait pas, il était normal de passer à l’escroquerie. Et qui si l’escroquerie pouvait l’emmener en prison, d’où il ne pouvait plus s’occuper de sa famille, il devait alors éviter la prison, par la fuite, par le mensonge, par l’anonymat et par les meurtres. Dans son esprit, tout cela était parfaitement normal et cohérent.

Landru était assurément un homme intelligent et un bonimenteur talentueux, que ce soit avec les femmes ou les hommes. Pendant qu’il profitait des premières, il escroquait également les pensions des soldats récemment libérés.

Landru connaissait les normes sociales, la différence entre le bien et le mal. Il avait simplement décidé de ne pas les imposer à lui-même. Il a ainsi justifié le fait d’escroquer un soldat de sa solde parce que l’homme avait une maîtresse, alors que Landru avait lui-même une jeune maîtresse avec qui il trompait son épouse. Durant son procès, il a affiché des remords pour certains de ses actes – mais pas pour ses homicides – en exprimant sa gêne au tribunal à l’idée que son épouse découvre qu’il la trompait !

Haine des femmes

Même si les canons de beauté de l’époque n’était pas ceux d’aujourd’hui, Landru n’était pas un homme particulièrement séduisant. Petit, chauve, il savait qu’il devait embobiner ses victimes plutôt que jouer de son physique. Beau parleur, il se faisait passer pour un homme qui, non seulement possédait une certaine aisance financière, mais, de surcroît, était un incorrigible romantique : il faisait chavirer les cœurs. Il était absolument charmant et très attentionné avec les femmes qu’il voulait séduire, et il donnait l’image d’un homme qui avait tout ce qu’il fallait pour plaire aux femmes. Son sens de l’humour et sa forte volonté furent manifestes lors de son procès.

Son succès auprès des femmes était également le fruit de son époque. Lorsque la Première Guerre mondiale avait commencé en 1914, il avait été appelé sous les drapeaux : à  45 ans, il pouvait être versé dans la réserve de l’armée territoriale (il fut déclaré déserteur en décembre 1915). Il devait cependant affirmer qu’il était trop âgé ou soutien de famille afin d’expliquer sa non-incorporation. De fait, il était l’un des rares hommes disponibles pour les femmes célibataires, veuves ou esseulées. 

Ses victimes, vivantes ou mortes, figuraient parmi les membres les plus vulnérables de la société. Sans la moindre hésitation et sans le moindre regret, il les a manipulées et a laissé des dizaines de femmes dans la misère. 

Autoritaire et patriarcal, Landru se faisait obéir de son épouse légitime, qui vivait chichement dans leur petite maison de Clichy avec leurs quatre enfants. Il considérait cette dureté comme normale, et il n’était sans doute pas le seul.

Il faut à nouveau replacer le tueur dans son époque. Durant la Grande guerre, Landru fut un chasseur en liberté dans un Paris dépourvu de la plupart des hommes, presque tous au front. Il s’attaquait aux femmes par le biais d’annonces matrimoniales, mais aussi dans les tramways, les bus et les métros, dans les parcs publics et dans les appartements.

Lorsque certaines familles s’inquiétèrent, Landru eut encore l’avantage d’être un homme du début du 20e siècle, une époque où les femmes n’avaient aucun droit et appartenaient à leur époux. Des femmes considérées comme des trainées si elles fréquentaient un autre homme que leur époux prisonnier ou décédé, alors que les hommes pouvaient batifoler sans craindre le qu’en dira-t-on. Si certaines personnes s’interrogèrent sur son style de vie, tout le monde considéra toutefois que ce monsieur aux mœurs légères avait droit à sa vie privée.

Lors de son procès, Landru s’accrocha à tous ses droits présumés sur les femmes, sûr que les hommes du tribunal partageaient ses vues sur le « sexe faible ». Le juge, d’ailleurs, qualifia les dix fiancées disparues de Landru d’idiotes, de faibles, de dévergondées, d’ignorantes et de naïves !

Les journaux déplorèrent la présence de femmes dans l’assistance et se moquèrent des concierges, couturières, prostituées et commères de village qui témoignèrent contre Landru. 

Landru, quant à lui, ne se soucia guère des « caquètements » de ces accusatrices. On ne pouvait pas leur faire confiance, déclarait Landru, précisément parce qu’elles étaient des femmes.

Un gentleman si charmant ?

Dans son ouvrage publié en 1950, le commissaire Jules Belin écrivit : « Un sauvage en effet, ce Landru, dont l’élégance de façade dissimulait un individu froid et dur, impossible à amadouer ni à impressionner, résistant à toute ma science de l’interrogatoire. »

Henri Désirée Landru, photo de prisonnier

En 1963, Paris-Jour interrogea Maître Gabriel Delattre, l’associé de Moro-Giafferi et Navières du Treil. Quarante ans après le procès, il « continuait de penser, en dépit de ses propos distillés aux jurés pour le soustraire à la guillotine, qu’il avait alors à faire à un triste assassin ! “Aujourd’hui, il y en a encore qui lui trouvent du charme ! Eh bien ! moi, je vais vous dire la vérité sur Landru : on cite volontiers son regard magnétique. En fait, il n’y avait aucune vie dans ses yeux, et il a fallu que ses victimes aient été vivement influençables et privées d’hommes pour succomber à ce regard mort. Son élégance ? Quelle plaisanterie ! Il portait de petites jaquettes élimées et ridicules. Sa générosité à l’égard de sa femme : il était trop bourgeois pour avoir le cran de l’envoyer promener. » Ce don Juan d’opérette, que tout le monde avait finalement débusqué, n’avait donc pour les femmes que mépris et mensonges. Jusque devant ses juges !

L’Illustration, dans l’un de ses articles sur le procès, parla de “Deux Landru”.
“Le cou maigre et mobile fait penser à celui d’un oiseau de proie. Le vautour a ce crâne dénudé et ce col rouge et gris à l’inquiétante souplesse qui darde brutalement la tête comme une arme terrifiante. Landru retrouve d’instinct ce geste lorsqu’il lance brusquement son visage décharné à la rencontre d’un adversaire pour repousser une attaque dont il a flairé le danger. La voix douce devient caverneuse, ses mains étreignent rageusement le rebord de son box. Il apparaît soudain redoutable, comme un fauve en cage et qui va briser les barreaux de sa prison. Dans ces minutes-là, on se demande si l’on n’a pas enfin le mot de l’énigme. Mais ce n’est qu’un éclair. Landru se ressaisit. Il se calme d’un seul coup. Il s’excuse. Il redevient obséquieux et insinuant. On le voit fort bien, dénué d’argent et de scrupules, rôder, famélique, dans le Paris troublée de la guerre. Landru et âpre au gain, méthodique, calculateur et porte en lui le démon du négoce. Avec quelle joie il se lancerait à la curée ! Mais hélas ! Il est ligoté dans un réseau de petites condamnations pour abus de confiance qui le paralysent. Le voilà contraint de se cantonner dans la modeste escroquerie au mariage, dans le trafic des pauvres mobiliers, dans l’achat de hardes et la réalisation de minces valeurs.”

Le comte de Birkenhead, auteur de Famous Trials of History écrivit : « Un homme qui se lance dans ce genre d’aventure doit se secouer pour se libérer de tout enchevêtrement… Il est donc inévitable qu’il fut difficile de se défaire d’une partie de ces femmes et que certaines n’ont pas montré une grande disposition à céder leurs biens. Le moyen évident de surmonter leur attachement était de les détruire, et il n’était que trop facile de le faire… Nous devons donc postuler qu’il était insensible et inhumain – une hypothèse qui ne présente aucune difficulté, puisque son mode de vie même était impossible pour tout autre type d’homme.« 

Aux policiers qui lui présentaient les preuves s’accumulant contre lui, Landru demanda : « Pourquoi ne pas laisser tomber ces enquêtes dans un monde où il y a eu tant de disparitions ? ». Plus tard, il répéta : « Ce sont là des hypothèses… toujours des hypothèses, ne serait-il pas plus simple de supposer que je n’ai tué personne ? ». Comme s’il parlait de babioles sans importance que l’on pouvait laisser dans un coin et oublier, et non pas de dix femmes et un adolescent qu’il avait assassiné.

Et durant son procès, avec la froideur qui le caractérisait, il conclut : “J’ai un secret que je ne révélerai point et je ne sais pas du tout comment se trouvent chez moi ces trois crânes et ces pieds. Tout cela ne prouve rien. Quant aux femmes… leur compte est réglé”.

Landru tuait-il pour l’argent ?

Landru écrivit aux psychiatres chargés de l’examiner : “J’aurais commis ces abominations pour voler mes victimes : leur voler quoi ? Elles n’avaient que des valeurs russes et leurs meubles étaient en bois blanc !” Durant son procès, toutefois, il se présentera comme un simple brocanteur qui cherchait des meubles intéressants à acheter et revendre, seule raison pour laquelle il avait cherché à rencontrer des femmes.

On a dit que Landru avait assassiné ses riches victimes pour les voler.

Dans la version du juge Gabriel Bonin, Landru était qu’un escroc au mariage, motivé uniquement par l’appât du gain, qui avait assassiné ses victimes pour éviter qu’elles ne portent plainte contre lui. Quant aux victimes, elles étaient toutes de faible volonté, vulnérables et éprises de Landru. La plupart d’entre elles, conclut-il, avaient des mœurs “légère”.

Mais si l’on examine la vie et le capital des victimes, on réalise que six des femmes figurant sur la liste de Landru étaient pauvres et donc des cibles peu plausibles pour un escroc au mariage. Andrée Babelay, par exemple, était une domestique de 19 ans sans la moindre ressource. 

De même, le juge Bonin avait considéré que tous les crimes de Landru étaient identiques. Pourtant, la disparition de Jeanne Cuchet, qui s’était volatilisée à Vernouillet avec son fils André, âgé de 17 ans, au début de 1915, pose question. Jeanne est la seule des victimes connues de Landru à avoir découvert sa véritable identité et le fait qu’il était un criminel en fuite. Et bien qu’elle connut la vérité, Jeanne Cuchet avait continué à le fréquenter. La sœur de Jeanne et son beau-frère connaissaient également le vrai nom et le casier judiciaire de Landru, mais ils n’ont pas signalé sa disparition pendant plus de quatre ans, jusqu’à l’arrestation de Landru. Jeanne et son fils André représentent par ailleurs le seul double meurtre de la liste de Landru : une mère et son fils, tués en même temps dans la même maison.

Quant à la situation financière de Jeanne Cuchet, elle n’était guère reluisante. Le testament de son défunt mari, résumé dans un rapport de police, montre qu’il ne lui avait rien laissé, hormis des frais médicaux et funéraires, ce que confirmèrent deux proches de la famille. Les relevés bancaires de Jeanne, également recueillis par la police, révélèrent qu’elle avait vendu la quasi-totalité de ses maigres économies au début de l’année 1914, lorsqu’elle avait rencontré Landru pour la première fois. Il ne restait plus qu’un petit portefeuille d’obligations municipales dont la valeur marchande atteignait à peine 300 francs.

Les finances de Landru à la veille de la Première Guerre mondiale étaient, par contre, florissante. Landru venait de réaliser l’escroquerie la plus réussie de sa carrière d’escroc. Durant l’automne et l’hiver 1913-14, il avait dupé près d’une quinzaine d’actionnaires pleins d’espoir en leur demandant de lui remettre un total de 35 600 francs pour « investir » dans une entreprise automobile fictive. En plus de ce butin, Landru disposait encore de la majorité des 10 000 francs qu’il avait hérités de son père. En somme, Landru était riche et Jeanne Cuchet était pauvre. Il n’avait aucun intérêt à voler une femme qui n’avait, de toute façon, presque rien à voler.

Parmi les 283 femmes que Landru nota dans ses carnets, il en rencontra beaucoup, il en séduisit certaines, mais seules dix furent jugées “intéressantes” au point qu’il noua des liens intimes et leur proposa le mariage. Elles furent les seules à qui Landru offrit de s’installer dans son appartement parisien et/ou sa villa à la campagne. Il abusa de leur confiance, mit la main sur leurs maigres ou grandes économies. Puis les assassina, souvent lorsqu’il avait besoin d’une rentrée d’argent urgente, mais parfois sans le moindre bénéfice financier, puisqu’elles n’avaient pas de fortune.

Une raison supplémentaire ?

Si le sexe ou la colère avaient été, seuls, à l’origine de son besoin de meurtre, Landru aurait pu facilement tuer ses victimes peu de temps après avoir fait leur connaissance. Ou mieux encore, il aurait choisi ses victimes de manière plus aléatoire.

Landru tuait pour de l’argent ou pour se débarrasser d’une maîtresse ennuyeuse ou gênante. Mais peut-être existait-il une autre raison.

Henri Désiré Landru contrôlait le choix de ses victimes et le moment de leur mort. Il n’a pas été poussé dans une situation de « précipitation » par les forces de l’ordre et n’a jamais semblé être en fuite malgré sa condamnation par contumace.

Il ressentait sûrement une joie de duper, un sentiment de pouvoir et de toute puissance envers ses victimes qu’il manipulait parfois avant tant de facilité.

Landru n’a pas tué uniquement pour l’argent, mais pour se délecter de son pouvoir sur ce qu’il considérait comme le « sexe faible ». “Ces femmes vous ont aimé, Landru. Si elles vivaient, elles accourraient pour vous défendre” affirma Maître Surcouf, avocat des parties civiles durant le procès de Landru.

La police est parvenue à un total de 283 contacts “romantiques” à partir de trois sources écrites : le carnet de Landru, les dossiers que Landru tenait sur les femmes qui répondaient à ses annonces de “cœurs solitaires” et les registres des agences matrimoniales où il s’était inscrit sous divers faux noms.
Ce que ces sources n’ont pas consigné, c’est la recherche vorace et opportuniste de femmes par Landru, sur un coup de tête, chaque fois qu’il avait envie de sexe. Les archives de l’affaire regorgent de preuves indirectes indiquant que Landru approchait régulièrement des femmes dans les bus ou le métro, ou en traînant devant les portes des usines, ou encore, lorsqu’il faisait beau, en flânant dans les parcs et jardins publics.

La dernière rencontre de ce type eut lieu le samedi 12 avril 1919, vers 10 h 15, lorsque Landru aborda une femme de 35 ans, Adrienne Deschamps, alors qu’elle voyageait dans le métro parisien entre les stations Réamur et Opéra. Adrienne, qui vendait peut-être ses charmes, donna rendez-vous à Landru la semaine suivante. Moins de deux heures plus tard, Landru était arrêté avec Fernande Segret.

Pourquoi a-t-il gardé tous ces objets incriminants ?

En plus de se demander pourquoi Landru a commis onze homicides pour un bénéfice parfois très minime, voire inexistant, on peut se questionner sur la raison pour laquelle il a classé si précieusement et réunis dans un coffret les dossiers d’identité de ses victimes, documents accablants qui ne pouvait lui être d’aucune utilité pratique et qu’un assassin doué de bon sens se serait empressé de détruire ? 

Si Landru s’est manifestement donné beaucoup de mal pour dissimuler ses crimes, en faisant littéralement disparaître ses victimes, en poussant leurs proches à croire qu’elles étaient encore en vie, en cherchant à éviter la détection… pourquoi a-t-il gardé des objets, tels un dentier ou une perruque, que non seulement il ne pouvait pas revendre, mais qui pouvaient être reliés à ses victimes ?

Non seulement Landru était, comme la majorité des tueurs en série, un vaniteux égoïste qui se pensait si intelligent que la police, jamais, ne pourrait le confondre, mais il me semble qu’il garda également des souvenirs de ce qu’il considérait comme ses exploits.

Landru a dépouillé de leur vivant des femmes seules puis les a assassinées pour récupérer la totalité de leurs biens. La totalité, jusqu’aux plus petits, aux plus intimes, les plus représentatifs de la personne. Landru s’est approprié leur mobilier, leur monnaie, leurs obligations, mais aussi leur vaisselle, leurs documents d’identité, leurs vêtements, leur linge de maison… Tout ce qui les représentait. Ce sont pour moi des trophées qu’il se délectait de posséder, afin que ses victimes lui appartiennent encore, même mortes et disparues.

Citations

“Je cherche en vain, dans cet œil profondément enchâssé, une cruauté humaine, car il n’est point humain. C’est l’œil de l’oiseau, son brillant particulier, sa longue fixité, quand Landru regarde droit devant lui. Mais s’il abaisse à demi ses paupières, le regard prend cette langueur, ce dédain insondable qu’on voit au fauve encagé. Je cherche encore, sous les traits de cette tête régulière, le monstre, et ne l’y trouve pas. (…) A-t-il tué ? S’il a tué, je jurerais que c’est avec ce soin paperassier, un peu maniaque, admirablement lucide, qu’il apporte au classement de ses notes, à la rédaction de ses dossiers. A-t-il tué ? Alors, c’est en sifflotant un petit air, ceint d’un tablier par crainte des taches. Un fou sadique Landru ? Que non. Il est bien plus impénétrable, du moins pour nous. Nous imaginons à peu près ce que c’est que la fureur lubrique ou non, mais nous demeurons stupides devant le meurtrier tranquille et doux, qui tient un carnet de victimes et qui peut-être se reposa, dans sa besogne, accoudé à la fenêtre en donnant du pain aux oiseaux. Je crois que nous ne comprendrons jamais rien à Landru » : La romancière et journaliste Colette qui couvre le procès pour « Le Matin »

“Et j’essayais de pénétrer le secret de cet homme frêle qui était accusé d’être un horrible assassin, lorsqu’il releva brusquement la tête et me fixant de ses yeux qui brillaient sous des sourcils épais et broussailleux, il me donna involontairement la réponse que je cherchais. Cet homme avait un regard d’oiseau de proie ! Jamais je ne devais oublier cette flamme d’acier bleu qui brûlait au fond des orbites creuses, si vive, si obsédante, si étrange qu’elle me fit baisser les yeux le premier.” : le commissaire Guillaume dans « Mes Grandes Enquêtes Criminelles », alors qu’il menait Landru au tribunal pour la première fois.

“On m’accuse aujourd’hui, alors que les femmes disparues ne me reprochent rien (…) Je n’ai jamais parlé de mariage. Si les femmes y ont pensé, cela ne me regarde pas” : la froideur et l’absence de remords de Landru.

“Pourquoi donc, tombez-vous toujours sur des femmes qui, lorsqu’elles vont chez vous, ne donnent plus leur adresse ?” : le président Gilbert à Landru, le 11 novembre 1921.

“Ma fille m’avait parlé de fiançailles. Je lui avais dit de prendre bien des renseignements car ce fiancé ne me plaisait guère. Ma fille, en effet, m’a dit qu’il vivait de son argent (à elle)” : Madame Moreau, mère d’une disparue, le 15 novembre 1921.

“Si cette malheureuse n’a pas reparu, c’est qu’elle est dans un monde d’où elle ne reviendra jamais” : Landru, le 18 novembre 1921.

“Ma sœur le trouvait si gentil, si gentil ! Il ne disait pas quel était son métier, ses affaires. Mais on ne pouvait pas lui faire dire ce qu’il ne voulait pas dire, n’est-ce pas ?” : Madame Fauchet, soeur d’Anne-Marie Pascale, l’une des victimes, durant le procès de Landru.

Bibliographie

Landru : bourreau des cœurs, de Gérard Jaeger. L’Archipel, 2005

L’affaire Landru, de Christine Sagnier. De Vecchi, 2006

Henri Désiré Landru, de Chabouté. Vent d’Ouest, 2006. (bande dessinée)

Monsieur Landru, de Christian Gonzales. Scènes de crime, 2007

Landru – 6 h 10 – Temps clair (Les pièces du dossier), d’Éric Yung. Coédition Télémaque et Musée des lettres et manuscrits, 2013

Le cas Landru à la lumière de la psychanalyse, de Francesca Biagi-Chai. Imago, 2014

Affaire Landru : le récit du procès en images, de Charles Borrett. Mazeto Square, 2015

Landru, le prédateur aux 283 conquêtes, de Michel Malherbe. Marivole éditions, 2019.

Landru : l’élégance assassine, de Bruno Fuligni. Editions du Rocher, 2020

Landru: les crimes étaient presque parfaits, de Bruno Ramirez de Palacios. Hallebarde, 2020

« Un Landru et deux comédies : Monsieur Verdoux de Charles Chaplin (1947, États-Unis) et Landru de Claude Chabrol (1963, France) », de Delphine Catéora-Lemonnier. Revue en ligne Criminocorpus (dossier « Crimes et criminels au cinéma) : lire en ligne.

Filmographie

Landru, de Claude Chabrol, 1962.
Un film qui accueille une ribambelle de stars (dont Danielle Darrieux ou Michèle Morgan) pour jouer les victimes. Il montre par contre Landru sous un jour un peu trop sympathique…

Landru, de Pierre Boutron, 2005.
Patrick Timsit tient le rôle de Landru dans ce téléfilm de bonne qualité.

Liens

Les faits-divers de Gallica : Le procès Landru. L’article propose des liens vers des journaux d’époque numérisés.

Landru : recueil de documents originaux relatifs à l’affaire, sur le site Criminocorpus.

Landru, le « Barbe-Bleue de Gambais », sur le site de l’INA avec des archives et une interview des intervenants de l’époque.

L’Affaire Landru : les témoins racontent, sur le site de RadioFrance, avec des inteviews de témoins du procès (policiers, photographes).

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