Article mis à jour le 12 octobre 2015
Un livre passionnant !Un grand merci à Louise Leguay, des éditions Michel Lafont, pour m’avoir mise en contact avec Ann Rule.
Un nouvel ouvrage écrit par Ann Rule vient de sortir aux éditions Michel Lafon. Dans Une vengeance au goût amer (en VO, Bitter Harvest), Ann Rule nous livre l’histoire vraie d’une femme hallucinante de froideur et d’égoïsme.
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« En apparence, Mike et Debora, jeune couple de médecins, ont tout pour être heureux. Ils ont trois enfants, habitent dans une banlieue cossue et possèdent une splendide demeure. Mais peu à peu, ce bonheur s’effrite. Mike souffre de maux de plus en plus graves dont nul ne connaît la cause. Leur maison est incendiée et deux de leurs enfants meurent dans les flammes… La police s’évertue à trouver des suspects. Mike et Debora n’ont pas d’ennemi connu. Qui peut bien s’attaquer à eux de façon si cruelle ? »
Avec le talent qu’on lui connaît, Rule dresse le portrait d’une femme qui a trahis la confiance et l’amour des êtres à qui elle était chère, qui est parvenu à manipuler toutes les personnes qu’elle a pu croiser. Une femme qui avait tout pour elle et qui, pourtant, sans raison, a commis des actes atroces.
Ann Rule est un écrivain américain, auteur d’une trentaine d’ouvrages relatant des affaires criminelles réelles. Rule a commencé sa carrière comme policière à Seattle, avant de devenir journaliste en 1969. Elle a ecrit des centaines d’articles sur des affaires criminelles, avant de publier plusieurs livres sous un pseudonymes masculin. A la fin des années 1970, elle s’est liée d’amitié avec le futur tueur en série Ted Bundy, qui travaillait avec elle dans un « SOS suicide ». Elle a publié par la suite un ouvrage qui raconte l’enquête et sa relation avec Bundy : « Un tueur si proche ».
Spécialiste du domaine criminel, Ann Rule collabore depuis des années à des études et forme des enquêteurs de la police et du FBI dans le domaine des sciences légales (forensic sciences) et de la psychologie criminelle.
Ann Rule, par le biais des éditions Lafont, a accepté de répondre à quelques questions concernant ses livres et sa façon de travailler. Je l’en remercie.
Comment choisissez-vous les histories que vous racontez ?
Je cherche des affaires qui ne sont pas connues des médias, télévision, tabloïds, journaux, etc. (Je n’écrirais par exemple jamais sur Drew Peterson(1), Casey et Caylie Anthony(2), ou O.J. Simpson).
Je veux qu’il reste un certain mystère pour mes lecteurs !
Je veux des affaires qui n’ont pas été résolues immédiatement. Les suspects et les meurtriers doivent être des gens dont nous n’aurions jamais pensé qu’ils puissent être de tels monstres derrière leur masque de gentillesse et leur charme.
Je cherche des tueurs qui ont plusieurs de ces caractéristiques : un physique attrayant, le charisme, l’intelligence, le succès, l’amour, la popularité, l’argent, les amis. Et pourtant, ils en veulent toujours plus et ils ne se soucient pas des personnes qui pourraient souffrir pour qu’ils obtiennent ce qu’ils veulent. Je cherche les sociopathes / psychopathes derrière le masque de l’innocence.
Une fois que je les ai trouvé, les livres sont faciles à écrire !
Trouvez-vous plus ou moins intéressant d’écrire sur un Serial Killer ?
Vous l’avez fait plusieurs fois, mais généralement, vos livres ont plus souvent comme sujet des meurtres « classiques » plutôt que des SK.
Les SK deviennent-ils « lassant » ou est-ce parce que vous vous intéressez aux « psychopathes » en général ?
Je suis fascinée par l’esprit des psychopathes sadiques et par les raisons pour lesquelles ils parviennent à échapper à la police, et pour lesquelles il prend souvent beaucoup de temps avant que l’on ne les reconnaisse.
Mais je pense que, malgré les tragédies qu’ils apportent, il peut être ennuyeux d’écrire un ouvrage sur des tueurs en série. Parfois, je dois faire bien attention de na pas tomber dans le piège et d’écrire « et ensuite il a tué cette femme, et puis cette autre femme, et encore, et encore, etc. » Ils utilisent généralement le même mode opératoire, répétant leurs rituels immondes, et cherchent le même type de victime.
Ecrire sur Ted Bundy était intéressant parce que je l’ai connu avant, pendant et après les meurtres qu’il a commis et il était mon partenaire la « Crisis Clinic » de Seattle, dans l’état du Washington, lorsque l’on tentait de sauver les vies de gens qui appelaient en menaçant de se suicider. Je n’ai jamais vu l’homme derrière le masque durant ces années.
Après avoir écrit le livre sur Gary Ridgway, le tueur de la Green River (3), j’étais très triste. J’avais du écrire un ouvrage au sujet de 50 jeunes femmes qui avaient perdu la vie à cause de lui. J’ai essayé d’amener les lecteurs à comprendre que ces jeunes femmes étaient des êtres humains à part entière et que nombre d’entre elles essayaient de changer leur vie, de se sortir de la prostitution. La plupart était des adolescentes sans foyer. Après le tueur de la Green River, j’ai pris un « congés sabbatique des tueurs en série ».
Vous avez raison. Les autres meurtres qui ont lieu entre des gens qui se connaissent sont généralement bien plus intéressant.
Les « femmes tueuses » vous semblent-elles plus intéressantes car plus rares et plus incompréhensibles ?
Personnellement, je trouve les femmes tueuses plus intéressantes. En tant que femme et que mère, je sais comment la plupart des femmes pense, et qu’elles mourraient pour sauver leurs enfants. Les femmes tuent pour des raisons différentes de celles des hommes. Elles tuent pour l’argent et elles tuent « par amour » (souvent par jalousie, vengeance et tristesse d’avoir été « jetées » par leur amant). Les femmes planifient également leurs meurtres avec bien plus de soins que la plupart des hommes. Et, ce qui est le plus choquant, elles tuent généralement quelqu’un qui leur est proche, quelqu’un qui leur fait confiance.
L’empoisonnement lent d’une personne qui vous fait confiance est, selon moi, un crime particulièrement cruel. Elles tuent leurs enfants, leurs époux, leurs mères, leurs amants. Elles ne tuent pas dans une attaque sexuel, comme les hommes le font. Peut-être est-ce une question de force physique, mais elles utilisent plutôt la séduction pour mener les hommes à leur faire confiance.
Bien que vous laissiez toujours une grande place aux victimes et à leurs familles, arrive-t-il que l’on vous accuse de « glorifier », de « faire des stars » des assassins dont vous raconter les histoires ?
Pas vraiment. Je ne les glorifie pas. Je montre leur faiblesse et leur impuissance. Ils ne veulent pas que le monde voit leur partie/aspect vulnérable et fragile. Aucun des tueurs sur lesquels j’ai pu écrire n’a jamais exprimé de la satisfaction. Ils sont toujours en colère contre moi et m’en veulent beaucoup !
Il n’y a jamais eu autant de série télé et de films sur le travail des policiers et sur les « forensic sciences ».
– Certaines de ces séries vous semblent-elles intéressantes ?
Non. La plupart de ces séries ne sont pas réalistes. Souvent, elles utilisent des techniques qui n’ont même pas encore été inventées ! Mes amis, qui sont de célèbres scientifiques légaux, et moi-même sommes assez dédaigneux de ces programmes. Les scénaristes devraient faire des recherches plus approfondies.
Et je sais que cela peut paraître étrange venant de moi, mais beaucoup de ces séries sont macabres, pleines de sang et d’images choquantes – des images qui me choque même moi. Lorsque j’écris, j’essaie de ne pas me concentrer sur ces aspects du meurtre, et de penser aux familles des victimes : que ressentiraient-elles si elles savaient vraiment tout.
– Que pensez-vous de ce nouvel intérêt pour la police scientifique ?
Je pense que cela peut-être une bonne chose. J’entends qu’il y a de plus en plus de jeunes gens qui étudient pour devenir experts en ADN, en analyse d’empreintes, en science du comportement, en psychologie criminelle et dans d’autres champs qui pourront aider à sauver des vies et à amener la justice aux victimes.
Ils découvrent rapidement à l’université que les sciences forensiques que l’on voit à la télévision ne sont pas très réalistes, mais ils apprennent la véritable expertise.
– Pensez-vous que les américains sont plus fascinés que les français (ou les européens) par les « true crimes », ou le sont-ils d’une manière différente ?
Je ne suis pas sûre. Le père des sciences forensiques et de l’investigation de scène de crime était français : le Dr. Locard. Il a également enseigné ces techniques aux enquêteurs américains. Il disait que chaque criminel laisse quelque chose de lui sur une scène de crime (même minuscule) et emmène avec lui quelque chose. Cela s’est révélé exact durant plus d’un siècle. Mais maintenant, nous avons l’ADN, l’identification de cheveux et de fibres, les bases de données d’empreintes digitales et de toutes façons de nouvelles inventions qui sont utilisées pour continuer les enseignements de Locard.
Je pense que certains américains et certains français et d’autres européens suivent les enquêtes sur des meurtres parce qu’ils sont attirés par le sang et les scènes affreuses, malsaines. Ils aiment être choqués. Il y a toujours des gens qui aiment le « grotesque » (monstrueux, bizarre).
Et cela est vrai pour les gens de tous les pays qui veulent comprendre ce qui cause la psychopathie et en savoir plus sur les sciences forensiques.
Bien que nous ne parlions pas le même langage, il y a beaucoup de types de personnes dans chaque culture. Mes livres se vendent extrêmement bien en France et les lettres que je reçois de lecteurs français proviennent de personnes sensibles et douces qui ressentent la même chose que moi : que nous ne pouvons pas guérir d’horribles mobiles meurtriers sans comprendre ce qui a « faussé / déformé » les personnes qui les commettent. Je pense au livre « Double assassinat dans la rue Morgue » (4) (bien que fictionnels) et aux romans à énigmes anglais lorsque je dis que la plupart des gens sont curieux et cherchent à en savoir plus sur les mystères et le travail de la police.
Sans doute à cause des séries Tv et des films, justement, on me contacte souvent pour savoir « comment devenir profiler »…
Cela vous arrive-t-il aussi ?
Très souvent. J’explique que les jeunes personnes qui ont cette ambition doivent aller à l’université, étudier la psychologie, et également avoir une certaine capacité à comprendre les gens et à voir derrière la façade.
J’ai été officier de police après ma sortie de l’université et j’étais plutôt naïve. J’ai beaucoup appris, et aussi avec chaque livre que j’avais pu étudier par la suite, et chaque procès auquel j’ai pu être présente. A présent, je suis grand-mère et j’en apprends toujours sur les motivations qui conduisent les gens à faire ce qu’ils font.
A la fin de votre livre « Une vengeance au goût amer », vous expliquez que Deborah n’était pas un monstre mais un être humain complexe qui a agit de manière monstrueuse.
Vous essayez toujours de comprendre le pourquoi, de remonter la pelote de fil jusqu’aux raisons qui ont mené le criminel a commettre ce ou ces crimes.
C’est l’une des raisons pour lesquelles j’apprécie vos livres.
Vous parlez de “Bitter Harvest” et du Docteur Debra Green ? (Oui) C’est une femme très étrange avec des aberrations psychologiques très particulières. Je ne pense pas qu’elle soit capable d’aimer les autres gens comme la plupart d’entre nous le font.
– Comment trouvez-vous tous ces détails personnels ? Auprès du criminel ou de sa famille ? Des enquêteurs ?
Tout à la fois. Généralement, vous ne demandez pas aux tueurs de vous parler d’eux parce qu’ils vont vous mentir. Vous demandez aux gens qui ont interagit avec eux.
- Acceptent-ils facilement de tout vous révéler ?
Les tueurs acceptant de me parler une fois sur deux. Certains ne parlent même pas à la police.
– Le fait que vous vous présentiez comme étant « Ann Rule » vous aide-t-il ?
Maintenant, ça m’aide. Mais je n’ai pas toujours été « Ann Rule ». D’abord, j’ai commencé avec la police lorsque j’étais officier et que j’avais 21 ans. Ensuite, ma réputation selon laquelle je disais la vérité et ne trahissais jamais les gens s’est répandu. Et maintenant, cela m’aide beaucoup d’avoir écris 30 livres qui disent la vérité.
Vous trouvez des explications aux crimes commis (abus durant l’enfance, etc…) mais cela vous semble-t-il réellement répondre au « pourquoi » ?
Vous est-il arrivé de vous dire « Ah, ça y est. Je sais VRAIMENT pourquoi il/elle a fait ça » ou reste-t-il toujours une part d’incompréhension ?
Je ne suis jamais sûre. J’essaye de donner mon opinion, basée sur ce que j’ai appris. J’ai lu plus de 100 rapports d’analyse psychologique de tueurs et j’ai été présente a tout autant de procès. Cela m’a aidé à comprendre le comportement humain.
Avez-vous jamais pensé à écrire un ouvrage sur des crimes qui auraient été commis en dehors des Etats-Unis ? Au Canada, en Australie ou au Royaume-Uni, par exemple ?
Pas vraiment. Les lois sont différentes dans chaque pays et j’ai besoin de savoir ce que j’ai le droit d’écrire et ce qui est illégal. J’ai voyagé au Royaume-Uni et en Irlande et j’espère venir en France, et au Danemark, où j’ai des amis. Mais c’est vraiment loin et je suis toujours occupée avec l’écriture de mes livres, dont je dois rendre les manuscrits avant une certaine date.
Lorsque l’on examine certaines affaires de SK, on réalise que si le tueur a pu tuer, encore et encore, c’est parfois parce que la police et / ou la justice n’ont pas fait correctement leur travail.
Parce qu’ils ne comprenaient pas qu’ils avaient à faire à un SK, ou parce qu’ils y avait des « guéguerres » de service, parce que les victimes n’étaient « pas intéressantes » ou parce que l’enquête a été mal menée… etc. Tout cela donne parfois l’impression d’un non professionnalisme, voir d’un certain « m’enfoutisme ».
Dans vos livres, vous montrez souvent qu’il n’est pas toujours évident, pour les enquêteurs, de trouver le coupable, et que les policiers font de leurs mieux.
Je me concentre sur les bon policiers et je n’écris pas sur ceux qui sont fainéants, cupides, plein de préjugés ou parfois qui agissent contre la loi. Les bons policiers sont bien plus nombreux que ceux qui devraient être virés des services de police.
– Entendez-vous souvent des critiques portées contre les enquêteurs ?
Oui. Généralement, les parents qui ont perdus leur enfant ne comprennent pas qu’il existe certains protocoles et des règles juridiques que les enquêteurs sont obligés de suivre. Je comprends les deux côtés. C’est une agonie pour les familles et la police ne peut pas leur expliquer tout ce qu’elle fait avant d’arrêter quelqu’un et de le faire juger. Et parfois, comme je l’ai dis, il y a de mauvais policiers qui méritent des critiques, et cela dans tous les pays.
– A quoi ces erreurs commises sont-elles dues, selon vous ?
Parfois les enquêteurs ne sont pas assez bien entraînés, parfois ils travaillent plus dur sur les affaires de femmes riches que de prostituées, parfois ils ne sont pas très malins, ou fainéants ou fatigués, ils n’ont pas de laboratoire scientifique digne de ce nom, etc. Mais la vaste majorité des policier fait vraiment de son mieux.
Connaissez-vous le sujet de votre prochain livre ?
Je n’en dis jamais trop sur les livres que j’écris parce que je ne veux pas que des documentaires télé soient réalisés sur mes histories avant même que les livres soient publiés. Le titre de mon prochain livre est « But I trusted you » (Mais je te faisais confiance). C’est l’un de mes livres qui présentent une ou deux affaires très longues ainsi que quelques affaires plus courtes. L’affaire principale concerne une femme qui voulait vraiment, vraiment être riche et ne se souciait pas de qui elle devait détruire pour parvenir à ce but égoïste. Cet ouvrage sera publié aux États-Unis en novembre 2009.
Notes de bas de page :
1 : Drew Peterson est un ancien policier soupçonné des meurtres de sa 3ème et de sa 4ème épouse, Kathleen et Stacy. Il a toujours nié les faits. Il n’a jamais été jugé pour le meurtre de Stacy (son corps n’a pas été retrouvé), mais il a été jugé et condamné en 2013 pour le meurtre de Kathleen.
2 : Caylie Anthony est une fillette de 3 ans, enlevée et assassinée en 2008. Sa mère, Casey Anthony, a été inculpée du meurtre. Elle a été acquittée en 2011.
3 : « Green River, Running Red » (“La Rivière rouge sang”, Michel Lafon, mars 2005)
4 : Célèbre nouvelle policière d’Edgar Allan Poe, parue en 1841, dans laquelle l’analyse de l’esprit humain a une grande importance.