Article mis à jour le 27 septembre 2015
Les meurtres de près de 100 femmes à Cuidad Juarez, à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, ne seront peut-être jamais résolus à cause de l’incompétence des autorités mexicaines et de la corruption.
Plus de 320 femmes et filles ont été assassinées à Juarez depuis 9 ans. Selon des profilers du FBI et d’autres experts, environ 90 d’entre elles sont considérées comme les victimes d’un ou de plusieurs tueurs en série.
Ces meurtres incluent des mutilations, des tortures, des viols, des coups de couteau ou des meurtres par armes à feu, et les corps ont été découverts par petits groupes.
Les meurtres continuent, bien que les autorités affirment à chaque fois que les assassins ont été arrêtés.
La dissimulation d’informations, des preuves « contaminées » et donc inexploitables, l’intimidation de témoins et un système policier et judiciaire corrompu, ajoutés à des « officiels » incompétents, impatient d’accuser quelqu’un pour qu’ils puissent déclarer que l’affaire est close, ont tout simplement sabotés les enquêtes.
Oscar Maynez Grijalva, ancien chef du département médico-légal de la province de Chihuahua, a travaillé sur les affaires les plus récentes, concernant huit femmes découvertes en novembre 2001. Il explique : « On nous a demandé de placer des preuves chez deux conducteurs de bus qui étaient accusés des meurtres. Des policiers nous ont apportés des objets que nous devions mettre dans le van qui, selon ces policiers, avaient été utilisé pour enlever les femmes. Nous avions déjà vérifié ce van et d’autres véhicules appartenant aux deux conducteurs de bus. Nous avions cherché des cheveux, des fibres et du sang, tout ce qui pourrait lier les deux suspects aux victimes. Mais nous n’avions rien trouvé, absolument rien ». Outré, Oscar Maynez a rendu compte de la venue des policiers à ses supérieurs. Il a ajouté qu’un tueur en série était sans doute responsable des meurtres, et non pas plusieurs hommes différents à chaque fois.
Le procureur général de la province de Chihuhua, Jose Ortega Aceves a affirmé : « Pour autant que je sache, personne n’a demandé à Monsieur Maynez de placer des preuves dans ce van. Les suspects (qui ont expliqué avoir été torturé) ont avoué les meurtres, et c’est une partie importante de l’enquête ».
Oscar Maynez, qui a démissionné le 2 janvier 2002 par frustration, dit qu’il a été menacé depuis qu’il a parlé de la corruption ambiante à un journal local.
Le procureur Ortega affirme : « Nous avons l’intention d’enquêter sur ces allégations si l’on nous présente des preuves ».
En janvier, Jorge Campos Murillo, un député fédéral de Mexico travaillant pour Jose Ortega, a prétendu que des « jeunes » – des fils de familles riches – étaient liés à certains des meurtres, précédés de viols et de tortures. Peu après, il a été transféré dans une autre section du bureau du procureur général. Il ne répond plus à aucunes questions concernant les meurtres de Juarez.
D’autres membres de la police et de la justice mexicaines affirment que six personnes de la région Juarez-El Paso et de Tijuana font enlever des femmes pour se livrer à des orgies et les tuer. Ces six personnes seraient des hommes riches et puissants qui traversent la frontière régulièrement, sont engagés dans des commerces majeurs, sont associés aux cartels de la drogue et/ou ont des liens avec l’administration du Président Vicente Fox.
En réponse à ces allégations, Gabriela Lopez, porte-parole du bureau du procureur général à Mexico, dit : « Ces affaires ne tombent pas dans la juridiction fédérale… Le bureau du procureur général de la province de Chihuahua s’occupent de ces affaires ».
Depuis 1999, des « officiels » enquêtant sur ces meurtres ont exprimés leur frustration concernant le niveau de coopération quasi nul avec les policiers locaux. Oscar Defassioux, criminologue de Mexico, dit : « Nous avons été invité par les autorités de la province de Chihuahua à les aider, mais nous avons rapidement découvert que la police bloquait notre travail, parce qu’elle était concernée par certains des meurtres ou parce qu’elle protégeait quelqu’un qui tuait ces femmes ».
Les policiers et le bureau du procureur général ont bien évidemment niés ces allégations.
D’autres personnes ont été menacées lorsqu’elles ont parlé publiquement des meurtres ou se sont rapprochées des familles des victimes. Marisela Ortiz, une institutrice de Juarez qui tente d’aider les familles des victimes à Juarez et Chihuahua City, affirme qu’elle a reçu la visite surprise du procureur d’état Arturo Gonzales Rascon. « Après que je me sois impliquée avec les familles, plusieurs « officiels » ont commencé à me harceler, et m’ont dit de me mêler de mes affaires. Gonzales Rascon est venu chez moi et à tenté de me décourager de continuer mon action ». Monsieur Gonzales Rascon nie avoir jamais rencontré Marisela Ortiz.
Samira Izaguirre, animatrice d’un talk-show de la radio de Juarez, dit qu’elle va peut-être devoir demander l’asile politique au Canada ou aux Etats-Unis parce qu’elle a reçu des menaces de mort et que le gouvernement a engagé une campagne de diffamation contre elle.
Après qu’elle ait critiqué l’enquête durant son talk-show, une publicité est apparue dans un journal local, attaquant Samira Izaguirre. Un reçu du journal indique que cette publicité a été payée avec des fonds gouvernementaux.
Les familles et amis des femmes assassinées ne trouvent aucune consolation. Benita Monarrez, dont la fille Laura a été tuée, explique : « L’impuissance que nous, les familles, ressentons face aux meurtres et aux disparitions de nos filles me rend malade. Je n’ai pas voulu signer un papier qui disait qu’un corps découvert était celui de Laura, mais je l’ai fait. Et maintenant, ils disent que l’ADN ne correspond pas. Alors, qui avons-nous enterrés dans le caveau familial ?«