Article mis à jour le 26 janvier 2024

Crimes et châtiment (suite)

En novembre 1982, le procès de Gerald Gallego pour les meurtres de Craig Miller et de Mary Beth Sowers commença. Gallego, exhibant le même orgueil qui l’avait amené en prison, décida d’être son propre avocat. Sa mésaventure en tant que défenseur commença lorsqu’il décida de ne choisir quasiment que des femmes comme jurés, pensant naïvement qu’elles le trouveraient toutes irrésistible.

Ensuite, il repoussa son droit de faire une déclaration préliminaire avant que l’accusation n’ait fait la sienne. Il aggrava un peu plus son cas, et sa crédibilité, en refusant de faire un contre-interrogatoire de Mercedes Williams, l’un des meilleurs témoins de l’accusation.

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Par contre, il contre-interrogea Charlene durant six jours ! Et, malheureusement pour lui, elle se défendit brillamment.
Lorsque le procureur avait interrogé Charlene, elle s’était calmement défendu de ne pas avoir réagi aux meurtres. Selon elle, elle était terrorisée par « Gerry ». Il la battait et la menaçait. Il lui réclamait et gardait tout l’argent qu’elle gagnait. Et lorsqu’elle exprimait des doutes ou du dégoût, il l’humiliait et se moquait d’elle en disant qu’elle n’était pas « la fille au coeur bien accroché » qu’il voulait.

Durant son contre-interrogatoire, Gallego tenta de saper la crédibilité de son épouse, mais tout cela ressembla surtout à une querelle domestique :
Gallego : Madame Gallego, vous avez indiqué que quelque chose d’autre que la peur, que… vous aviez d’autres émotions, est-ce correct, qui vous ont conduit à rester avec moi, n’est-ce pas ?
Charlene : Oui.
Gallego : Est-ce l’amour ?
Charlene : A une époque, oui.
Gallego : Et quand était-ce ?
Charlene : Il y a presque cinq ans.
Gallego : Ainsi, vous ne m’avez plus aimé depuis, hein ?
Charlene : Gerry, c’est de l’amour qui s’est transformé en peur. Parfois l’un est plus fort que l’autre.
Gallego : Vous avez indiqué au procureur lorsqu’il vous a interrogé que notre relation en 1977 était normale.
Charlene : À ce moment-là, oui, elle l’était.
Gallego : M’aimiez-vous au moment de notre arrestation ?
Charlene : Non. C’était plus une question de protection. Tu me disais tout le temps combien tu m’aimais ou à quel point tu… Tu prendrais soin de moi et ne laisserais jamais qui que ce soit me faire du mal, ce qui n’était qu’un autre de tes mensonges.

Gallego la décrivit également comme une droguée instable. Le dernier jour de ce questionnement laborieux et dérisoire, Gallego en vint à ce qui l’intéressait : « Madame Gallego, le point principal de votre marché avec le procureur n’est-il pas de m’accuser, moi, de ces meurtres, pour vous sauver vous-même ? ». Charlene s’écria : « Non, c’est faux ! ».

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Il semblait impensable que Gerald Gallego puisse faire quoi que ce soit d’autre pour saper sa propre défense, mais il le fit. Il décida de témoigner, lui-même, ce qui permit au procureur de le prendre à défaut dans ses innombrables contradictions et mensonges. Il affirma avoir beaucoup bu la nuit des meurtres des deux étudiants et ne se souvenir de rien. Lorsqu’il s’était réveillé le lendemain, Charlene lui avait raconté qu’ils avaient tenté de voler Craig et Mary Beth, mais qu’ils s’étaient défendus. Il avait tiré sur Craig et Charlene avait tué Mary Beth…

Lors de sa déclaration finale, il admit qu’il faisait face à «une défaite juridique», mais il demanda aux jurés de le croire «sur leur foi, et rien d’autre».
Ce qu’ils firent : ils le déclarèrent coupable. Le 21 juin 1983, Gerald Gallego fut condamné à la peine capitale pour les meurtres de Craig Miller et de Mary Beth Sowers.

Peu après, les autorités californiennes regrettèrent finalement le marché qu’elles avaient passé avec Charlene Gallego (sans doute s’étaient-elles rendues compte qu’elle n’était pas la « pauvre victime » qu’elle disait être) et tentèrent de l’annuler. Elles l’inculpèrent pour les meurtres de Craig Miller et Mary Beth Sowers.
Mais, à la fin de l’année 1983, un juge de la Cour Supérieure du Comté de Sacramento annula l’inculpation de Charlene. Le « plea bargain » (marché judiciaire) passé entre le procureur et Charlene Gallego ne pouvait pas être annulé.

Gallego fut ensuite inculpé, au Nevada, des meurtres de Stacy Redican, Karen Twiggs, Brenda Judd et Sandra Colley. Mais comme les corps de Brenda et Sandra n’avaient jamais été retrouvés, les meilleures preuves que le procureur possédait concernaient uniquement les meurtres de Stacy et Karen. En effet, Charlene avait conduit les enquêteurs jusqu’à la voiture de Gallego, dans laquelle ils avaient trouvé un morceau de corde en macramé. Cette corde était la même que celle qui liait les mains de Stacy et Karen, lorsqu’on avait découvert leurs corps.

Le second procès de Gallego commença le 23 mai 1984 dans le Comté de Pershing, à Lovelock, au Nevada. Cette fois, il laissa un avocat, Gary Marr, le défendre. De nouveau, la stratégie était de discréditer le témoignage de Charlene. Témoin principal, elle décrivit avec détails les dernières heures de Stacy Redican et Karen Twiggs.
Gary Marr ne parvint pas plus que Gerald Gallego à influencer les jurés et il ne leur fallut que deux heures pour décider que Gallego était coupable. Il fut de nouveau condamné à la peine capitale.

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Dans les années qui suivirent, Gerald Gallego proclama vigoureusement son innocence, mais les jugements en appels en vinrent toujours au même point : culpabilité et peine de mort.

En 1999, deux corps squelettiques furent découverts dans le Comté de Lassen, au Nevada. Des analyses d’ADN démontrèrent qu’ils étaient ceux de Brenda Judd et Sandra Colley.

En prison, Gerald Gallego apprit qu’il avait un cancer du rectum. Il refusa de subir une chimiothérapie et son cancer se propagea jusqu’à ses poumons et son foie.
Il mourut le 18 juillet 2002 au centre médical pénitentiaire du Nevada.

Charlene Williams-Gallego fut libérée de prison le 17 juillet 1997, à 41 ans. Elle ne dit pas aux autorités où elle allait vivre, mais accepta de se faire connaître comme ex-criminelle là où elle s’installerait.
Mercedes Williams (qui éleva l’enfant que Charlene avait eu de Gallego) expliqua que sa fille avait quitté la Californie et qu’elle n’y reviendrait jamais.
En fait, elle vivrait toujours aux alentours de Sacramento et se serait remariée.

Les victimes de Gallego et Williams

Kippi Vaught (16 ans)
Enlevée au centre commercial du Country Club Plaza de Sacramento, le 11 septembre 1978.
Violée et assassinée.

Rhonda Scheffler (17 ans)
Enlevée au centre commercial du Country Club Plaza de Sacramento, le 11 septembre 1978.
Violée et assassinée.

Brenda Judd (14 ans)
Enlevée au parc d’attractions Washoe County Fair de Sacramento, le 24 juin 1979.
Violée et assassinée.

Sandra Colley (13 ans)
Enlevée au parc d’attractions Washoe County Fair de Sacramento, le 24 juin 1979.
Violée et assassinée.

Stacy Redican (17 ans)
Enlevée au centre commercial Sunrise Mall de Citrus Heights, le 24 avril 1980.
Violée et assassinée.

Karen Twiggs (17 ans)
Enlevée au centre commercial Sunrise Mall de Citrus Heights, le 24 avril 1980.
Violée et assassinée.

Linda Aguilar (21 ans)
Enlevée sur la route de Wedderburn (Oregon), le 7 juin 1980.
Violée et assassinée.

Virginia Mochel (34 ans)
Enlevée sur le parking du Sail Inn à Sacramento, le 16 juillet 1980.
Violée dans l’appartement de Gallego et assassinée.

Mary Elizabeth Sowers (20 ans)
Enlevée au centre commercial Arden Fair à Sacramento, le 1er novembre 1980.
Violée dans l’appartement de Gallego et assassinée.

Craig Miller (21 ans)
Enlevé au centre commercial Arden Fair à Sacramento, le 1er novembre 1980.
Assassiné de plusieurs balles.

Mode opératoire

Gerald Gallego utilisa d’abord Charlene comme « appât ». Des adolescentes se seraient méfiées d’un homme seul, mais pas de Charlene qui, de plus, paraissait bien plus jeune que son âge. Intelligente, Charlene savait toujours trouver les mots pour attirer les jeunes filles dans le piège : elle leur proposait un joint ou de l’argent, et savait se faire persuasive.

Une fois que les filles étaient montées dans le van, sous la menace de Gallego, elles étaient vulnérables et ne pouvaient se défendre. Charlene conduisait vers un coin reculé, dans le désert, et Gallego violait les jeunes filles. Jamais Charlene n’a tenté d’aider l’une des victimes. Plusieurs fois, Gallego est venu chercher une fille dans son van pour la tuer et a laissé l’autre avec Charlene, qui la surveillait. Et Charlene n’a jamais ouvert la porte du van pour que la fille puisse s’enfuir. Elle n’est pas non plus partie en trombe avec le van et la fille dedans, afin de joindre la police. Jamais.
La seule fois où elle s’opposa à Gallego, qui voulait enlever la fille de son patron, fut uniquement parce qu’elle avait peur de se faire prendre, vu qu’il existait un lien entre eux et cette fillette.

Ensuite, Gallego prit de l’assurance (trop) et obligea directement ses victimes à monter dans son van, l’arme à la main.

Gallego a tué de plusieurs manières différentes. Il a étranglé, fracassé le crâne avec une pierre ou un marteau, ou a utilisé une arme à feu. Pour les meurtres de Linda Aguilar et Virginia Mochel, il préféra utiliser ses mains et se surprit lui-même de la facilité qu’il eut à tuer.

Gallego était un lâche qui n’était violent qu’avec les femmes et courageux face à un homme seulement s’il tenait son pistolet. Il força Craig Miller à enlever ses chaussures avant de le faire sortir de la voiture, de peur qu’il ne se mette à courir ou lui saute dessus. Il l’a abattu par derrière.

Motivations

Gallego aimait les adolescentes. Il voulait des filles blondes aux yeux bleus, comme sa fille Sally Jo, comme Charlene. Selon ses propres aveux à Charlene, Gallego considérait sa fille comme « la seule femme de sa vie ». Il n’avait aucun remord de l’avoir violée et considéra qu’elle l’avait trahi en le dénonçant à la police, sans jamais comprendre pourquoi elle l’avait fait !
La mère de Gallego (qui appela la police lorsqu’il vint la trouver après que Sally Jo l’a dénoncé) était la chef de famille. C’était une femme autoritaire et dénuée de tendresse.
Peut-être le mépris, voir la haine des femmes, de Gallego venait-elle de là…

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Gallego était impotent et avait besoin d’humilier, d’être violent, pour être capable d’avoir une relation sexuelle. Cela s’aggravait lorsqu’il se passait un événement qui le rabaissait : la perte d’un emploi, par exemple.
Il demandait à Charlene de « trouver quelque chose » lorsqu’ils étaient au lit, et l’obligeait à agir de telle ou telle manière, durant des heures. Et il se tournait vers sa perversion, typique des hommes faibles qui cherchent à dominer les plus faibles. Il voulait que Charlene ressemble à une adolescente, qu’elle s’habille comme une adolescente.

Graduellement, l’obsession de Gallego pour son impuissance, son sentiment d’infériorité sociale et intellectuelle face à Charlene, et sa quasi-pédophilie, créèrent un terrain fertile pour ses crimes.
Gallego était petit et essayait toujours de paraître plus grand sur les photos. Il avait besoin de se sentir grand et fort, le genre d’homme qui peut avoir toutes les femmes qu’il veut lorsqu’il le veut.

Mais pour réaliser son fantasme, il avait besoin d’un ou d’une complice. Et il savait comment pousser Charlene à devenir cette complice. Il la poussait à être la meilleure, elle devait « mériter » d’être sa femme, elle devait être « la fille au cœur bien accroché », la fille « qui en avait ».
Et bien sûr, Gallego trouva toujours quelque chose à lui reprocher. Elle n’était jamais la fille « qui en avait ». Et Charlene voulait désespérément gagner ce « titre », vaincre sa rivale imaginaire.

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Charlene Williams-Gallego était une « fille à papa ». Dès sa petite enfance, elle avait eu une relation particulière avec son père. Bien que travaillant énormément, il essayait de la voir le plus souvent possible et la gâtait énormément. Il l’emmenait en avion lors de ses voyages d’affaires et elle jouait les hôtesses lorsqu’il recevait des clients à la maison.

Charlene avait grandi dans une culture très masculine (sa mère semble ne pas avoir été très présente et Charlene était LA femme de la maison), entre son père et ses associés, aussi s’attendait-elle (et voulait-elle) à ce que les hommes dominent. Pour elle, Gallego était « l’Homme », l’archétype du mâle. Et lorsqu’il se transforma de gentleman en amant violent, elle accepta ce changement comme le prix à payer pour être la femme de « l’Homme ».

Elle aimait et cherchait la compagnie des hommes, alors qu’elle considérait les femmes comme d’éventuelles ennemies avec lesquelles elle était en compétition. Elle ressentait la même colère envers les jeunes femmes violées par Gerald Gallego, parce que, pendant un moment, il les préférait à elle !
Lorsqu’elle a décidé de trahir Gallego et de tout révéler aux autorités, elle a voulu plaire aux enquêteurs qu’elle a menés sur les lieux des crimes. Elle voulait coopérer, elle voulait qu’ils la trouvent « gentille », elle voulait faire partie de leur « groupe d’hommes ».

Ceux-ci ont découvert que Charlene était très intelligente et qu’elle le savait. Gallego était costaud, mais elle était beaucoup plus intelligente que lui. Elle aimait se sentir meilleure que lui, trouver facilement un travail, pêcher des poissons, avoir des responsabilités, alors que Gallego avait du mal à garder le moindre emploi et se sentait inférieur parmi les hommes.

La chimie entre Gerald et Charlene Gallego reposait sur cette étrange insécurité, ce besoin de provoquer l’autre, d’appuyer sur son point faible, de le titiller constamment.
Il se peut que s’ils ne s’étaient pas rencontrés, Gerald, et encore moins Charlene, n’auraient été jusqu’au meurtre.

Au départ, Gallego s’était plaint que les filles que Charlene lui avait trouvées n’étaient pas assez jeunes. Mais les dernières victimes étaient des femmes, pas des adolescentes. Des femmes proches de l’âge de Charlene, comme si Gallego voulait la provoquer.

Gallego changea également de mode opératoire pour les quatre derniers meurtres. Il n’utilisa pas Charlene comme « appât ». Il agit spontanément, sans rien lui demander. De peur qu’il n’ait plus besoin d’elle, voir qu’il veuille la tuer, Charlene voulut se rendre le plus utile possible et nettoya les lieux des crimes, jeta les objets incriminants…
De même, elle était assez intelligente pour savoir que les manières irréfléchies de Gallego finiraient par les perdre, mais elle continua malgré tout à penser que « son homme » la protégerait envers et contre tout.

Charlene Gallego ne s’est jamais sentie coupable de quoi que ce soit. Elle n’a jamais compris qu’elle était, au minimum, la complice volontaire de l’assassin de dix personnes.

Citations

« Nous avions ce fantasme sexuel, vous voyez, alors nous l’avons simplement réalisé. Je veux dire, puisque c’était facile et amusant et qu’on adorait ça, pourquoi on ne l’aurait pas fait ? » : Charlene Gallego.

« C’était tellement facile ! Je ne savais pas que ça pouvait être si facile » : Gerald Gallego à Charlene, après avoir tué Linda Aguilar en lui fracassant le crâne.

« La seule chose qui m’intéresse, c’est de tuer… Seigneur, j’ai l’impression que mon père est en moi » : Gallego à un visiteur de prison.

« Ce que vous me faites est mal. Vous me condamnez à mort sans aucune fichue preuve, rien. C’est exactement ce que vous avez fait. Vous brisez votre propre loi » : Gerald Gallego, après sa sentence pour les meurtres de Stacy Redican et Karen Twigg.

Bibliographie

Livres en anglais :

All His Father’s Sins: The Shocking Truth About California’s Most Gruesome Serial Killer
Critique : Un livre intéressant et détaillé. Les auteurs ne présentent pas Charlene comme une victime, mais pas non plus comme le monstre qu’elle était. Pour le lieutenant Biondi, qui a enquêté sur l’affaire, elle était folle de Gallego et aurait tout fait pour son « homme ». Biondi reproche à Gallego sa lâcheté. Son père, Gerald Gallego Sr, n’a jamais exprimé le moindre remord, mais a eu le courage d’admettre ses crimes.

Sex Slave Murders: The Terrifying True Story of Gerald & Charlene Gallego
Critique : Tout comme le lieutenant Biondi, Flowers est intrigué par le fait que le père et le fils Gallego étaient des tueurs froids et sadiques. Il consacre plusieurs chapitres aux procès de Gallego, à ses contre-interrogatoires tragi-comiques, à son comportement de macho irresponsable. Il creuse le passé du couple de tueurs et essaye de comprendre le pourquoi du comment. Il prend également le temps de décrire, en détail, les vies des victimes et la douleur de leurs familles.

Liens

– La ville de Sacramento : le site officiel (en anglais)
– Le comté de Sacramento : le site officiel (en anglais)
– L’état de Californie : le site officiel de l’office de tourisme (en anglais)
– L’état du Nevada : le site officiel (en anglais)