Article mis à jour le 26 août 2023
Crimes et châtiment (suite)
Durant trois mois, aucun meurtre de « l’Étrangleur » n’eut lieu et l’on espéra qu’il ne frapperait jamais plus, apeuré par les efforts de la police ou ayant définitivement sombré dans la folie.
Les enquêteurs eurent le temps de vérifier les emplois du temps, faits et gestes, et antécédents de dizaines de suspects. Ils n’obtinrent malheureusement qu’une longue liste de personnes qui n’étaient pas « l’Étrangleur ».
Une autre série de meurtres allait pourtant débuter, différente de la première, et qui allait mettre à mal la théorie du tueur « haïssant sa mère ».
Le 5 décembre 1962 (jour de l’anniversaire de mariage de DeSalvo), Sophie Clark, une jolie Afro-Américaine de 21 ans, étudiante au Carnegie Institute for Medical Associates fut découverte sans vie par ses deux colocataires. Elles partageaient un appartement au 315 Huntington Avenue, à quelques pâtés de maisons de celui d’Anna Slesers, depuis le mois de septembre.
Sophie Clark était allongée sur le dos, nue, les jambes écartées, dans le salon. Elle avait été étranglée par deux de ses bas nylon, serrés très fermement sur son cou et qui formaient l’habituel nœud bouffant. Sa combinaison blanche avait, elle aussi, été nouée autour de son cou. Son soutien-gorge arraché reposait à côté de son corps. Elle avait été violée et du sperme fut retrouvé sur le tapis, entre ses jambes.
L’assassin avait fouillé l’appartement, ouvert les tiroirs et avait examiné sa collection de disques de musique classique ainsi qu’un album photo.
La porte d’entrée n’avait pas été forcée. Sophie Clark veillait beaucoup à sa sécurité et avait insisté auprès de ses colocataires pour qu’elles achètent un second verrou. Elle faisait très attention et demandait toujours qui était derrière la porte avant de l’ouvrir. Pourtant, son assassin était parvenu à la convaincre de le laisser entrer.
Sophie Clark écrivait une lettre à son fiancé lorsqu’elle avait été interrompue, probablement par le tueur. Elle se montrait très réservée envers le sexe opposé. Elle devait obtenir son diplôme en février 1963 et envisageait de retourner dans le New Jersey pour y épouser son fiancé.
Malgré ses points communs avec les meurtres des « dames âgées », il existait des différences avec ce dernier meurtre. Sophie Clark était jeune, noire et ne vivait pas seule. De plus, pour la première fois, le tueur avait lui-même violé sa victime.
Lorsque la police interrogea les voisins, Mme Marcella Lulka mentionna que vers 14h20, un homme avait frappé à sa porte et lui avait affirmé que le propriétaire de l’immeuble l’envoyait jeter un œil aux peintures des appartements. Elle l’avait laissé entrer. Il avait ensuite ajouté qu’il allait devoir travailler sur le plafond de sa salle de bain… et l’avait complimentée sur son physique : « Avez-vous déjà pensé à devenir mannequin ? ». Son jeune enfant l’avait rejointe et elle avait alors mis un doigt sur sa bouche : « Mon époux dort dans la pièce à côté ».
L’homme avait alors répondu qu’il devait visiter d’autres appartements et était parti sans demander son reste.
Elle le décrivit comme un jeune homme entre 25 et 30 ans, de taille moyenne, avec des cheveux « couleur de miel », portant une veste sombre et un pantalon vert.
« L’Étrangleur » allait par la suite décrire cette rencontre… mais il avait des cheveux noirs.
Trois semaines plus tard, Patricia Bissette, 23 ans, secrétaire dans une société d’ingénierie de Boston, fut découverte assassinée le lundi 31 décembre 1962, après que son employeur se soit inquiété de son absence. Il s’était rendu à son appartement ce matin-là pour l’emmener au travail, mais elle n’avait pas ouvert la porte lorsqu’il avait sonné. Il était revenu un peu plus tard, angoissé, a son appartement du 515 Park Drive, dans le même quartier où avaient vécu Anna Slesers et Sophie Clark. Le gardien de l’immeuble grimpa jusqu’à la fenêtre et entra.
Il découvrit Patricia Bissette dans son lit, la couverture remontée jusqu’à son menton comme si elle dormait. Il tira la couverture et découvrit plusieurs bas nylons serrés autour du cou de la jeune femme, entrelacés avec son chemisier, avec le nœud caractéristique. Elle avait été violée (elle était enceinte d’un mois).
Son assassin n’avait pas fouillé son appartement et la serrure avait été crochetée.
La police fut déconcertée par ces crimes. La jeunesse des deux nouvelles victimes semblait anéantir la première analyse des psychiatres (« la haine de la mère »). Les enquêteurs songèrent qu’il existait peut-être deux étrangleurs à Boston ou alors qu’un homme avait copié la façon de faire de l’Étrangleur.
Les Bostoniens, eux, pensèrent que les meurtres avaient été commis par le même homme et l’opinion publique se déchaîna contre l’apparente inefficacité de la police. Le préfet de police McNamara répliqua en annonçant que la police avait contrôlé plus de 5000 personnes coupables d’agressions sexuelles, interrogé des milliers de personnes et questionné plus de 400 suspects.
Durant deux mois, aucun autre meurtre de l’Étrangleur n’eut lieu. La police en profita pour analyser tous les meurtres depuis le début. Les enquêteurs interrogèrent toutes les personnes que les victimes avaient pu connaître et se rendirent dans tous les endroits qu’elles avaient pu fréquenter.
Sans résultats.
Le 8 mai 1963, Beverly Samans, une musicothérapeute de 23 ans, manqua son cours de chant à l’Église Unitaire de Boston. Son fiancé se rendit à son appartement du 4 University Road et y entra grâce à la clé qu’elle lui avait donnée.
Dès qu’il ouvrit la porte, il la vit allongée sur le divan convertible, les jambes écartées, attachées aux supports du divan. Ses mains étaient attachées dans son dos par l’une de ses écharpes. Deux bas nylons et une écharpe blanche noués ensemble étaient serrés autour de son cou, avec le nœud caractéristique.
Il semblait que Beverly Samans avait été étranglée, mais en fait, sa mort était due à quatre coups de couteau portés à sa gorge.
On l’avait frappée 22 fois en tout, 17 coups ayant été portés sur son sein gauche, sans doute alors qu’elle était déjà morte. Les liens autour de son cou étaient « décoratifs » et n’étaient pas assez serrés pour l’étrangler.
Le couteau ensanglanté qui l’avait frappée fut découvert dans la cuisine, sans aucune empreinte. Le médecin légiste releva également des traces de morsures sur ses seins, son ventre et ses cuisses. Il estima qu’elle avait été assassinée 48 heures plus tôt, le 6 mai.
Son appartement était en grand désordre, des coussins étaient éparpillés partout, son sac à main était ouvert, des livres et des vêtements avaient été jetés sur le plancher…
Mezzo soprano, Beverly Samans avait l’intention de devenir chanteuse d’opéra et voulait tenter sa chance au Metropolitan Opera de New York cette année. La police émit l’hypothèse selon laquelle son entraînement au chant aurait musclé son cou. Le tueur aurait alors eu beaucoup de mal à l’étrangler et aurait fini par la poignarder… En fait, il s’avéra qu’elle avait supplié son agresseur de ne pas la violer et lui avait répété qu’il était mauvais, qu’il était « pire qu’un animal ». Pris de rage, l’Étrangleur l’avait poignardée pour qu’elle cesse de lui parler.
La police commençait vraiment à désespérer.
De nouveau, aucun meurtre n’eut lieu durant l’été 1963. Juin, juillet et août passèrent sans qu’un meurtre ne puisse être attribué à l’Étrangleur et l’on espéra de nouveau qu’il s’était arrêté. Les femmes recommencèrent à sortir le soir et à prendre moins de précautions.
Mais le 8 septembre 1963, à Salem, Evelyn Corbin, une employée de 58 ans qui paraissait facilement 10 ans de moins, fut découverte assassinée au 224 Lafayette Street.
Elle s’apprêtait à se rendre à l’église lorsque l’Étrangleur avait frappé à sa porte. Elle était allongée sur son lit, sa chemise de nuit déchirée, et avait été étranglée avec deux de ses bas nylons, qui formaient le nœud habituel. Sa culotte avait été enfoncée dans sa bouche. Un bas était noué autour de sa cheville gauche. Elle avait été violée et mordue sur tout le corps.
Son assassin avait peu fouillé son appartement. Il n’avait ouvert qu’un tiroir et avait jeté, près du lit, des bas, le sac à main de sa victime et un soutien-gorge.
Le 25 novembre, les Bostoniens pleuraient toujours la mort du président John F. Kennedy, assassiné trois jours plus tôt, lorsque l’on découvrit le corps d’une nouvelle victime.
Le lendemain du décès du président, alors que la plupart des Américains étaient restés collés devant leur télévision, Joann Graff avait été violée et assassinée dans son appartement de la ville de Lawrence, au 54 Essex Street. Cette jeune dessinatrice industrielle de 23 ans, religieuse et très prude, était morte dans l’après-midi.
Sa blouse était remontée jusqu’au cou. Deux bas nylons et la jambe d’un justaucorps étaient attachés autour de son cou, chacun avec un nœud différent. Sa culotte était à terre et son soutien-gorge était déchiré. Le médecin légiste reconnut des marques de morsure sur sa poitrine.
L’appartement de Joann Graff avait été peu fouillé par son assassin, à peine un tiroir ouvert.
À 15h25, l’étudiant qui vivait dans l’appartement au-dessus d’elle, Ken Rowe, avait discerné des bruits de pas dans le hall. Lorsqu’il avait entendu quelqu’un frapper à la porte de l’appartement en face de lui, il avait ouvert sa porte, pour découvrir un homme d’environ 27-28 ans, avec des cheveux sombres et épais, en vêtements de travail verts. Il lui avait demandé si « Joan » vivait là, en se trompant sur la prononciation de son prénom.
L’étudiant lui avait répondu que Joann vivait dans l’appartement au-dessus. Un moment après, il avait entendu la porte de la jeune femme s’ouvrir et se fermer. Il avait pensé que Joann connaissait le jeune homme et l’avait laissé entrer dans son appartement.
Dix minutes plus tard, une amie avait téléphoné à Joann mais cette dernière n’avait pas répondu.
Le décès de Joann Graff ne suscita que peu de réactions, car toute l’attention des habitants de Boston (dont J.F. Kennedy était originaire) était focalisée sur la mort de leur président.
Un peu plus d’un mois plus tard, le 4 janvier 1964, deux jeunes femmes revinrent à leur appartement au 44A Charles Street, dans le quartier de Back Bay, après le travail. Elles découvrirent avec horreur que leur amie, Mary Sullivan, une secrétaire de 19 ans, qui n’avait emménagé dans cet appartement que 3 jours auparavant, avait été assassinée.
Elle avait été attachée et étranglée manuellement. Un bas était fermement serré autour de son cou. Une écharpe en soie rose formait un gros nœud sous son menton. Et une autre écharpe à fleurs rose et blanche était nouée par-dessus. Le tueur avait posé contre ses pieds une carte de vœux souhaitant une « Bonne et heureuse année ».
Elle était assise sur son lit, adossée contre la tête du lit, un oreiller sous les fesses, les genoux relevés et écartés. Sa blouse était remontée jusqu’aux épaules. Un liquide poisseux, qui se révéla être du sperme, coulait de sa bouche sur ses seins. Le manche d’un balai avait été enfoncé en elle.
L’appartement avait été fouillé, les tiroirs ouverts et leur contenu était éparpillé à terre. Des coussins et des chaises étaient renversés dans le salon. Du linge et des serviettes jonchaient le sol de la salle de bain.
Ce meurtre, peut-être le plus choquant de tous, provoqua la colère, d’une ampleur incomparable, des Bostoniens envers leur police. Les enquêteurs étaient pourtant déconcertés par l’attitude des femmes de Boston : malgré la panique provoquée par les meurtres du tueur, elles continuaient de le laisser entrer dans leur appartement, parce qu’elles le connaissaient ou parce qu’il parvenait à les convaincre de laisser un étranger pénétrer chez elles.
Le 17 janvier 1964, lors d’une réunion au sommet, le Procureur Général de l’état du Massachusetts, Edward Brooke, annonça qu’il s’investissait totalement dans cette affaire et en faisait sa priorité.
Brooke, le seul procureur général noir du pays, était un homme déterminé. Le risque politique était énorme pour lui, car il risquait sa carrière si l’Étrangleur n’était pas appréhendé.
Il décida de créer un groupe spécial qui coordonnerait les activités des différents départements de police : l’Étrangleur avait commis ses meurtres dans cinq juridictions différentes… qui ne partageaient que rarement leurs informations. Une équipe allait être assignée en permanence sur cette affaire et uniquement sur cette affaire. De plus, l’équipe spéciale de Brook devrait calmer les journaux. Deux reporters féminines du « Record American » avaient révélé les erreurs du Département de Police de Boston, l’accusant « d’inefficacité extrême ».
Pour diriger cette équipe appelée « Division spéciale en recherche et détection du crime », Brooke choisit un ami proche, son assistant, John S. Bottomly. Pour McNamara, le désaveu était total.
Le choix de Bottomly était controversé, car il manquait d’expérience en loi criminelle. Toutefois, ses supporters affirmèrent qu’il était honnête et très enthousiaste. Mais McNamara ne l’appréciait guère et nombreux étaient ceux qui le considéraient comme un arriviste sans scrupules. Il allait cependant se révéler être un organisateur très efficace.
L’équipe de Bottomly était formée du détective Phillip DiNatale, de la police de Boston, de l’officier spécial James Mellon, de l’officier de police métropolitaine Stephen Delaney et du Lieutenant de la police d’État Andrew Tuney. Le Docteur Donald Kenefick dirigeait un comité consultatif médico-psychiatrique formé de plusieurs experts, chargé de dresser un profil psychologique du ou des tueurs.
Le « Bureau de l’Étrangleur », comme les Bostoniens appelèrent la division spéciale, devait avant tout rassembler, organiser et assimiler plus de 37 000 pages de rapports des divers départements de police ayant été impliqués dans l’affaire, concernant – entre autres – les 2 300 suspects interrogés.
Le gouverneur Peabody offrit une récompense de 10 000$ à quiconque fournirait une information menant à l’arrestation et la condamnation de la personne ayant commis les meurtres des onze victimes « officielles » de l’Étrangleur.
Sur une suggestion de Bottomly (le mysticisme était à la mode, à l’époque), Brooke consentit à impliquer dans l’enquête Peter Hurkos, un célèbre médium hollandais. Un industriel anonyme prit en charge les services et les frais d’Hurkos. Ce dernier était probablement doué de certains dons de voyance, mais il avait plusieurs fois été pris en flagrant délit de mensonge ou s’était trompé dans ses prédictions.
Le médium identifia un suspect, un homme de 57 ans que le Bureau de l’Étrangleur avait soupçonné, un vendeur de chaussures ayant des problèmes mentaux et un pouce abîmé.
Chez lui, on découvrit des indices intéressants, et notamment des dessins d’appartements marqués de croix, pouvant symboliser l’emplacement où avaient été découvertes certaines victimes. Suivant une loi du Massachusetts, il fut placé dans un établissement de soins psychiatriques pour y être examiné et interrogé.
Hurkos quitta discrètement Boston le 5 février 1964. La collaboration d’Hurkos avec la police s’acheva brutalement trois jours plus tard, lorsqu’il fut accusé d’avoir usurpé l’identité d’un agent du FBI en décembre 1963 et arrêté. Il fût rapidement relâché et lavé de tous soupçons, mais la crédibilité du Bureau de l’Étrangleur souffrit de la présence et des allégations d’Hurkos : on soupçonna un coup monté par McNamara, des associations de droits civils accusèrent Brooke et Bottomly d’avoir bafoué les droits du vendeur de chaussures en le plaçant d’office dans un institut psychiatrique, etc.
Aucune preuve ne put relier le vendeur aux meurtres ni aux victimes, et il fut relâché 10 jours plus tard, car il n’était pas considéré comme dangereux pour la société.
Les experts du comité médico-psychiatrique du Docteur Donald Kenefick voyaient des différences importantes entre les meurtres des femmes âgées et ceux des jeunes femmes. Ils pensaient qu’il était peu probable qu’une seule et même personne ait commis tous les meurtres et qu’il devait exister deux étrangleurs ou des « copieurs ».
Le Docteur Kenefick expliqua que, selon son équipe, le tueur de dames âgées était un homme de 30 à 40 ans. « Il est plaisant, propre, ordonné et ponctuel. Il travaille de ses mains, ou a un passe-temps impliquant des ouvrages manuels. Il est sûrement célibataire, séparé ou divorcé. Il ne donne pas l’impression d’être un fou. Il n’a aucun ami proche de l’un ou l’autre sexe. Il est sûrement originaire d’Europe du Nord ».
Les psychiatres pensaient que l’Étrangleur avait tué uniquement les « vieilles dames » et que les « jeunes femmes » avaient été assassinées par un autre Étrangleur, ou alors par des hommes appartenant probablement à leur entourage, sans doute des « déséquilibrés, membres de la communauté homosexuelle ».
Cette explication venait de la croyance des psychiatres à l’époque, selon laquelle les homosexuels détestent tous les femmes et l’homosexualité pouvait alors expliquer les postures dégradantes dans lesquelles on avait retrouvé les victimes.
Un seul psychiatre – mais pas n’importe lequel – offrit une opinion différente lorsque Bottomly l’invita à l’une de leurs réunions, le 29 avril 1964 : le célèbre Docteur James Brussels, un psychiatre pionnier du profiling dont les profils psychologiques avaient permis d’arrêter le « fou à la bombe de New York » et le « Tueur de Noël ».
Brussels pensait qu’il n’existait qu’un seul et même tueur. Selon lui, l’Étrangleur était un schizophrène paranoïde. C’était un homme musclé, de taille moyenne, âgé d’environ 30 ans, glabre, à la chevelure épaisse et soignée, d’origine méditerranéenne (sans doute italienne ou espagnole) et célibataire.
« Cet homme est athlétique puisqu’il étrangle ses victimes en l’espace de quelques secondes. Je situe son âge vers les trente ans, à cause de son état paranoïde. Je ne pense pas qu’il soit plus âgé, étant donné que sa puissance musculaire et ses pulsions sexuelles ne seraient pas aussi fortes.
C’est, avec certitude, un « homme moyen », dans toute l’acceptation du terme. Sa taille est moyenne, sinon les témoins auraient remarqué un géant ou un nain. Mais les gens ne font pas attention à lui : c’est un homme invisible. Il se fond dans son environnement.
Comme il ne laisse jamais d’empreintes ni tout autre indice, on peut imaginer quelqu’un de propre et de net dans son apparence extérieure : il est rasé de près, les ongles nettoyés, portant des vêtements discrets. Ses cheveux sont toujours bien coiffés. J’ai même l’intuition qu’ils sont plus que simplement coiffés. Cet homme est obsédé par ses relations avec le sexe opposé : il veut que les femmes soient attirées par lui.
Étant donné que le supplice du garrot est en faveur dans l’Europe méridionale, l’Étrangleur peut être de souche italienne ou espagnole. Je ne pense pas qu’il soit marié.
Et je ne crois pas qu’il se fera prendre à la suite d’une enquête traditionnelle. À mon avis, Mary Sullivan a été sa dernière victime. D’une certaine manière, il s’est « guéri » de ses difficultés sexuelles les plus évidentes, mais pas de ses autres problèmes émotionnels. À partir de maintenant, il trouvera une satisfaction sexuelle avec des femmes conscientes, de façon plus ou moins normale.
Et il paraît possible que cet homme raconte volontiers son histoire. Même s’il n’en parle qu’à une seule personne, il éprouvera le besoin de parler de son « succès ». C’est un homme qui a été désespérément troublé par ses problèmes sexuels et, maintenant, qu’il les a surmontés, il se peut qu’il ait envie de le dire à d’autres personnes. »
Le comité accueillit froidement l’opinion du Docteur Brussel et émit les plus grandes réserves sur ses déductions. Quelques mois plus tard, les experts allaient tomber de haut, car les déclarations du Docteur Brussel allaient se révéler dignes de la divination.
La police était découragée et pensait avoir peu de chance de jamais trouver l’Étrangleur. Un seul soulagement notable : il n’y avait plus eu aucun meurtre de l’Étrangleur depuis un moment. Les enquêteurs continuaient d’interroger des suspects, des agresseurs sexuels pour la plupart, avec l’espoir d’arrêter l’Étrangleur avant qu’il ne recommence.
En mars 1964 commença une série d’agressions et de viols dans le Massachusetts, le Connecticut, le New Hampshire et Rhode Island. Vingt-cinq plaintes furent déposées en moins de huit mois, mais l’agresseur fit certainement bien plus de victimes.
Il était surnommé « L’homme en Vert » car il portait des vêtements de travail de cette couleur et se présentait comme un ouvrier chargé d’effectuer des réparations. Propre et très poli, il s’excusait souvent de ses actes auprès de ses victimes et s’en allait même parfois sans les toucher. Plusieurs fois, il pénétra par effraction dans les appartements ou les maisons. Les victimes étaient généralement des femmes d’âge mûr, occasionnellement attachées avec leurs bas ou leur combinaison. Toutes étaient menacées d’un couteau.
Le 2 novembre 1964, presque trois ans après avoir été libéré de prison, Albert DeSalvo fut de nouveau arrêté. Cette fois, il fut inculpé d’un crime bien plus sérieux qu’un cambriolage ou un « mesurage ».
Le 27 octobre de la même année, il était entré dans l’habitation d’une jeune femme mariée depuis peu, après que son époux a quitté l’appartement pour aller travailler. Elle faisait la grasse matinée dans son lit et avait été réveillée par la présence d’un homme dans sa chambre. Il avait sorti un couteau et lui avait dit : « Ne fais aucun bruit ou je te tue ». Il avait enfoncé sa culotte dans sa bouche et l’avait attachée sur son lit avec les pyjamas de son mari, les jambes écartées.
Il l’avait embrassée et caressée, puis lui avait demandé comment sortir de chez elle. « Tu vas rester silencieuse pendant 10 minutes ». Finalement, il lui avait présenté ses excuses et était parti.
La jeune mariée avait pu voir son visage et permit à la police d’établir un portrait-robot… qui rappela aux policiers de Cambridge le visage du « Mesureur », DeSalvo. Ils l’arrêtèrent et le conduisirent au commissariat, où la jeune femme le reconnut immédiatement.
DeSalvo fut relâché sous caution le 6 novembre, mais sa photo fut diffusée sur le réseau télétype de la police. Les policiers reçurent alors des appels du Connecticut, du New Hampshire et de Rhode Island concernant « l’Homme en Vert ».
La police arrêta de nouveau DeSalvo et ses victimes vinrent l’identifier. Il était mortifié que son épouse le voit avec des menottes, mais celle-ci ne fut pas surprise. Albert DeSalvo était obsédé par le sexe. Aucune femme ne pouvait jamais lui en donner assez. « L’Homme en Vert » avait ainsi agressé quatre femmes le 6 mai 1964 entre 9h et 14h, dans différentes villes du Connecticut.
L’épouse de DeSalvo lui demanda d’être honnête, d’admettre la vérité et de ne rien cacher. Il avoua alors être entré dans près de 400 appartements et avoir commis plusieurs viols. Il avait agressé plus de 300 femmes dans quatre états différents. Il est difficile de savoir si ces chiffres sont ou non exagérés, mais nombre d’agressions n’ont pas été déclarées à la police et les femmes qui ont eu le courage de le faire n’ont parfois pas admis tout ce que DeSalvo leur avait fait.
« Si vous connaissiez toute l’histoire, vous ne la croiriez pas » dit DeSalvo à l’un des policiers. « Ça va venir. Vous allez trouver ». Il répéta ensuite cette allusion au juge Pecce, qui n’y porta aucune attention.
Peu avant de passer en jugement, en novembre 1964, il annonça à son avocat, Jon Asgiersson, qu’il voulait lui « raconter quelque chose d’énorme ». Il lui affirma être l’Étrangleur de Boston, mais son avocat ne le prit pas au sérieux.
DeSalvo fut envoyé en observation à l’hôpital d’état de Bridgewater, qui n’a d’hôpital que le nom : c’est une prison abritant 2000 détenus et qui n’accueille pas de personnel spécialisé. En dehors du directeur, « il n’y avait pas un seul médecin psychiatre authentique dans l’hôpital et il n’y avait pas non plus un seul psychologue ayant son doctorat » (selon le Docteur Brussels).
En décembre 1964, le Dr Ames Robey, directeur médical de Bridgewater (et seul véritable psychiatre de l’établissement), envoya un rapport au juge indiquant que DeSalvo souffrait « d’un désordre de la personnalité sociopathique, d’une déviation sexuelle, avec des tendances modérées à la schizophrénie et à la dépression ». Il le considérait toutefois comme « compétent » pour suivre son procès et DeSalvo fut transféré à la prison d’East Cambridge. Le Dr Robey ne s’intéressa pas vraiment aux insinuations de DeSalvo concernant ses « autres crimes » et les « autres choses ».
Le 13 janvier, un ami d’Albert DeSalvo, Edward Keaney, avec lequel il avait effectué son service militaire en Allemagne, lui rendit visite. Il eut du mal à le reconnaître. « On voyait tout de suite que quelque chose ne tournait pas rond chez lui ». DeSalvo lui annonça : « Même si on me condamne à cinquante fois cette peine (la perpétuité), ce n’est rien par rapport à ce que j’ai fait. Je serai de loin l’homme le plus infâme du Massachusetts. Et ma famille devra changer de nom ». En quittant la prison, Keaney avait pensé que son ami était peut-être l’Étrangleur de Boston.
Le lendemain, DeSalvo sembla souffrir d’hallucinations auditives et visuelles : il voyait son épouse lui parler dans sa cellule. Le 18 janvier, devant l’aggravation de son état mental, on le renvoya à Bridgewater. Là, le Docteur Robey indiqua qu’il avait à présent une « réaction schizophrénique très aiguë, décompensation accompagnée de déviation sexuelle (schizophrénie pseudo-névrotique) avec des tendances hystériques prédominantes (sexuellement) ».
Le 25 janvier 1965, Irmgard, l’épouse de DeSalvo, quitta le domicile conjugal pour s’installer chez un membre de sa famille, dans le Colorado.
Le 4 février 1965, par décision de la Cour (suivant une loi du Massachusetts), il fut décidé qu’Albert DeSalvo resterait à Bridgewater jusqu’à nouvel ordre afin d’être examiné (et guéri…) par les psychiatres.
Quelques mois plus tard, son épouse allait retourner en Allemagne avec ses deux enfants et divorcer le 1er décembre 1966.
À Bridgewater, DeSalvo se retrouva dans la même aile que George Nassar, un criminel intelligent et dangereux qui avait été inculpé du meurtre de sang-froid du propriétaire d’une station-service.
Nassar était craint par les autres détenus et DeSalvo, pour donner le change, se vanta de ses « exploits » sexuels auprès de Nassar, mais ce dernier ne fut guère impressionné.
DeSalvo raconta les mêmes histoires à d’autres détenus, insinuant parfois qu’il avait fait « plus », qu’il avait « tué quelques jeunes filles ».
Nassar finit par croire les allégations de DeSalvo et en parla à son avocat, F. Lee Bailey.
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