Article mis à jour le 19 février 2024

Nom : Andrei Romanovich Chikatilo
Surnom : le boucher de Rostov, l’éventreur de Rostov, l’éventreur rouge
Né le : 16 octobre 1936
Mort le : 14 février 1994 (exécuté)

Andreï Chikatilo est, sans le moindre doute, l’un des pires tueurs en série que le monde ait connus. Profondément marqué par son enfance traumatisante et frustré par son impuissance sexuelle, il a assassiné des dizaines de femmes, d’adolescentes et de petits garçons avec une sauvagerie sans nom. Les manquements de la police et la bureaucratie soviétique lui ont permis de massacrer ses victimes durant 12 longues années, laissant libre cours à ses appétits sadiques.

Attention ! Les descriptions des crimes de Chikatilo sont particulièrement affreuses et peuvent choquer.

Information personnelles

Andreï Chikatilo est né en 1936 dans un petit village de “l’oblast” de Sumy, en République socialiste soviétique d’Ukraine. Selon certaines sources, sa tête était déformée en raison de la présence d’eau dans son crâne (hydrocéphalie). Les parents de Chikatilo, Anna et Roman, étaient tous deux ouvriers dans des fermes collectives et vivaient pauvrement dans une hutte d’une seule pièce.
Le village faisait partie d’un ensemble de grandes fermes collectives et le Chikatilo vivaient dans une communauté pauvre où régnait la précarité.

Dans les années 1930, l’ex-Union soviétique connut plusieurs famines terribles, en particulier en Ukraine, après que Staline eut imposé la collectivisation de l’agriculture et la réquisition de denrées alimentaires vers la Russie. Les kolkhozes, ou fermes collectives, étaient chargés de donner à l’État tous les produits de leur production agricole, à l’exception de ceux de première nécessité, qui étaient redistribués aux populations urbaines.
On estime qu’entre trois et cinq millions de personnes moururent de faim en Ukraine. Les populations étaient parfois tellement désespérées qu’il leur arrivait de prélever de la chair sur les cadavres pour la manger ou la vendre. Les enfants voyaient des cadavres émaciés dans les rues et entendaient de terribles récits de bébés dévorés.
La famille mangeait rarement à sa faim. Chikatilo allait affirmer n’avoir pas goûté de pain avant l’âge de 12 ans, ajoutant que lui et sa famille devaient souvent manger de l’herbe et des feuilles, tiraillés par la faim.

Chikatilo grandit durant ces famines et ses parents lui racontèrent qu’il avait eu un frère aîné, Stepan, qui avait été tué et dévoré. Lors d’un entretien en prison, il allait déclarer : « Beaucoup de gens sont devenus fous, ont attaqué des gens, ont mangé des gens. Ils ont attrapé mon frère, qui avait 10 ans, et l’ont mangé ». Il est possible que ce frère aîné n’ait jamais existé (en tout cas, sa naissance et son existence n’ont pu être corroborés par aucun document). Toutefois, la mère de Chikatilo lui enjoignait de rester dans la cour, sous peine d’être mangé à son tour. Andreï Chikatilo, profondément marqué par ce récit, trouvait l’idée effrayante… mais aussi émoustillante.

Quoi qu’il en soit, Chikatilo se souvint d’une enfance frappée par la pauvreté, les moqueries, la faim et la guerre.

Son père fut fait prisonnier pendant la Seconde Guerre mondiale et envoyé dans un camp, si bien que sa mère éleva Andreï presque seule.
Son père étant absent, Chikatilo et sa mère partageaient un seul lit. Il mouillait son lit de façon chronique (sans doute à cause de son hydrocéphalie, qui lui causait des problèmes pour contrôler sa vessie). Sa mère, une femme sévère, le réprimandait et le frappait pour qu’il cesse.
Il vit aussi les résultats de l’occupation nazie, les fusillades et les bombardements allemands, avec des corps déchiquetés dans les rues. Il allait expliquer des années plus tard que cela l’effrayait… mais l’excitait. Il n’avait pas encore 10 ans.

En 1943, alors qu’Andreï Chikatilo avait 8 ans, sa mère donna naissance à une petite fille, Tatyana, alors que son époux était toujours prisonnier. De nombreuses Ukrainiennes ayant été violées par des soldats allemands pendant la guerre, on supposa que Tatyana avait été conçue à la suite d’une de ces agressions. Et comme Chikatilo et sa mère vivaient dans une hutte d’une seule pièce, il est possible que ce viol ait été commis en présence du jeune Andreï.

Le père, Roman, ne revint pas immédiatement chez eux à la fin de la guerre. Cet homme doux et gentil, qui essayait de bien s’occuper de ses enfants, était mal vu du gouvernement soviétique, car il avait “permis aux Allemands de le faire prisonnier”… Dans la société soviétique, la capture ne suscitait pas l’empathie, Roman fut considéré comme un traître à son pays et envoyé dans les goulags après avoir été libéré (il ne revint qu’en 1949). La réputation de traître entraîna le rejet de la famille Chikatilo par l’ensemble de la communauté. En conséquence, le jeune Andreï fut ridiculisé et harcelé par ses pairs.

Andreï Chikatilo passa la plus grande partie de son enfance seul, à vivre dans ses fantasmes. Les autres enfants se moquaient régulièrement de lui à cause de son père, mais aussi en raison de sa timidité et de sa grande sensibilité. Il était constamment tenaillé par la faim, au point qu’il lui arrivait de s’évanouir, et portrait des vêtements rapiécés. Tatyana se souvint que son frère était malheureux à cette époque, qu’il se cachait souvent dans les buissons après avoir été poursuivi par les autres garçons.
Chikatilo développa toutefois une passion pour la lecture et la mémorisation de données, cela lui donnait confiance en lui. Il étudiait avec attention à la maison, à la fois pour se valoriser et pour compenser sa myopie qui l’empêchait de lire le tableau de la salle de classe. Pour ses professeurs, Chikatilo était un excellent élève qu’ils félicitaient quotidiennement. Mais, à la maison, Chikatilo et sa sœur étaient constamment réprimandés par leur mère, une femme que Tatyana allait qualifier de “dure et impitoyable”.

C’est à cet âge, selon lui, qu’Andreï Chikatilo commença à éprouver de la colère, voire de la rage. Pour se divertir et avoir l’impression d’être puissant, il imagina des scènes de torture où il était le bourreau, scènes qui allaient rester un élément fixe de ses meurtres, bien plus tard.

À la puberté, en écoutant les autres garçons parler de sexe et de filles, il comprit qu’il était physiquement différent d’eux. Il était impuissant. Et ce qui n’aurait pu être qu’une “panne” d’adolescent timoré allait se perpétuer toute sa vie.
En fait, Chikatilo eut sa première expérience sexuelle à 15 ans, lorsqu’il se jeta brutalement sur une amie de sa sœur âgée de 11 ans et que la jeune fille se débattit sous lui : à sa grande surprise, il fut tellement excité par sa réaction qu’il éjacula. Cette expérience le marqua, d’autant plus qu’au cours de sa vie, il allait être incapable d’avoir une érection, mais allait être capable d’éjaculer, ce qui aggrava sa maladresse sociale et sa haine de soi. Cette lutte devint aussi fixe dans son esprit que les images de torture.
Ainsi, à l’âge de 17 ans, il tomba amoureux d’une lycéenne, Lilya, mais était si nerveux et introverti qu’il n’osa jamais lui demander de sortir avec lui.

Une fois parvenu à l’adolescence, Chikatilo décida de “s’en sortir”. Il devint un élève modèle et un fervent communiste. Il fut nommé rédacteur en chef du journal de son école à l’âge de 14 ans et président du comité du parti communiste des élèves deux ans plus tard. Lecteur passionné de littérature communiste, il fut chargé d’organiser des marches dans les rues de son village. Il fut le seul élève de sa ferme collective à terminer le lycée, obtenant un diplôme avec d’excellentes notes en 1954.

Chikatilo demanda alors une bourse d’études à la très compétitive université d’État de Moscou, dans le but d’étudier le Droit, mais, bien qu’il ait réussi l’examen d’entrée, il ne fut pas accepté, car ses notes n’étaient pas suffisantes. Très contrarié, Chikatilo se persuada que sa demande de bourse n’avait pas été rejetée parce qu’il avait obtenu de moins bons résultats que d’autres étudiants, mais en raison de la réputation de “traitre” de son père.

Son rêve d’une carrière politique prestigieuse au sein du parti communiste fut anéanti par le rejet de sa candidature. Plutôt que de s’inscrire dans une autre université, il se rendit dans la ville de Koursk, où il travailla comme ouvrier pendant trois mois, avant de s’inscrire, en 1955, dans une école professionnelle. La même année, Chikatilo noua sa première relation sérieuse avec une jeune femme de la région. À trois reprises, le couple tenta d’avoir des rapports sexuels, mais Andreï Chikatilo ne parvint jamais à avoir une érection. Au bout de dix-huit mois, la jeune femme mit fin à leur relation.

Après avoir terminé sa formation, Chikatilo s’installa dans la ville de Nizhny Tagil, dans l’Oural, pour travailler sur un projet de construction durant deux ans. Il suivit des cours d’ingénierie par correspondance à l’Institut électrotechnique de communication de Moscou. 

En 1957, à 21 ans, il fut incorporé dans l’armée soviétique pour effectuer son service militaire durant trois ans. Il fut d’abord affecté aux gardes-frontières en Asie centrale, puis à une unité de communication du KGB à Berlin-Est. Ses états de service furent irréprochables et il adhéra au parti communiste peu avant la fin de son service militaire en 1960. Il était un “citoyen modèle”.

Lorsque Chikatilo retourna dans son village natal à la fin de son service militaire, il s’installa avec ses parents pour travailler avec eux dans la ferme collective. À nouveau, il rencontra une jeune femme qui lui plut, mais, à nouveau, leur relation se termina au bout de quelques mois après plusieurs tentatives infructueuses de rapports sexuels. Voulant bien faire, la jeune femme demanda naïvement à ses amis des conseils sur la manière dont Chikatilo pourrait surmonter son problème. Ceux-ci en parlèrent autour d’eux, la nouvelle se répandit et, bientôt, la plupart des jeunes gens du village découvrirent son impuissance.
Sa vie, telle qu’Andreï Chikatilo la voyait, était désormais “un désastre”.
Lors d’une interview réalisée en 1993, Chikatilo allait déclarer : « Les filles parlaient derrière mon dos et chuchotaient que j’étais impuissant. J’avais tellement honte. J’ai essayé de me pendre. Ma mère et quelques jeunes voisins m’ont tiré du nœud coulant. J’ai pensé que personne ne voudrait d’un homme aussi humilié. J’ai donc dû m’enfuir de là, loin de ma terre natale ».

Chikatilo trouva un emploi d’ingénieur en communications dans une commune située au nord de la grande ville portuaire de Rostov-sur-le-Don, non loin de la frontière entre l’Ukraine et la Russie, un important centre économique, industriel et scientifique.
Il s’y installa en 1961, louant un petit appartement près de son lieu de travail. La même année, sa jeune sœur, Tatyana, termina ses études et emménagea avec lui. Ils s’entendirent très bien. Quelques mois plus tard, grâce à l’aide financière de Chikatilo, leurs parents emménagèrent à leur tour dans la région de Rostov.
Tatyana vécut avec son frère pendant six mois avant d’épouser un jeune homme de la région. Elle ne remarqua rien d’anormal chez son frère, si ce n’était sa timidité chronique à l’égard des femmes. Sachant qu’il espérait fonder une famille, elle décida de l’aider à trouver une épouse.

En 1963, Chikatilo épousa la douce Feodosia Odnacheva, qui lui avait été présentée par sa sœur. Selon Chikatilo, bien qu’il ait été attiré par Feodosia, son mariage était en fait un mariage arrangé qui eut lieu à peine deux semaines après leur rencontre, par l’entremise de sa sœur et de son beau-frère. Si Feodosia comprit rapidement que leurs conversations seraient rares, elle apprécia que Chikatilo buvait peu d’alcool, était diplômé et travaillait dur. Il était timide, certes, mais il se montrait gentil.

Leur vie sexuelle fut “minimale”, selon ses propres dires, car Feodosia réalisa qu’il était impuissant (elle pensa qu’il était simplement très pudique). Ils convinrent alors que, pour concevoir des enfants, Chikatilo se masturberait et pousserait son sperme à l’intérieur de son épouse avec ses doigts. Ce stratagème fonctionna : deux ans plus tard, Feodosia donna naissance à une fille, Lyudmilla, puis, en 1969, à un fils nommé Yuri.

Le couple Chikatilo et leur fils

Chikatilo se montra un père aimant et doux, qui ne porta jamais la main sur ses enfants.
Le couple fonctionna tant bien que mal, mais, tout comme la mère de Chikatilo, son épouse commença à le critiquer, ce qui poussa Chikatilo à se retirer encore plus loin dans son monde imaginaire. 

Lorsque son épouse tomba enceinte pour la première fois, Chikatilo prit la décision de changer de vie. Il étudia la littérature et la langue russes par correspondance à l’université de Rostov, travaillant le jour et étudiant le soir, et obtint son diplôme un après la naissance de son fils. Un an plus tard, à 34 ans, il commença sa carrière de professeur de langue et de littérature russes à l’école professionnelle n°32 de Novoshakhtinsk, à 85km au nord de Rostov.

Bien qu’il fut intelligent et passionné par son sujet, Chikatilo ne fut pas un enseignant très efficace. Trop timide, trop décalé, il était incapable de maintenir la discipline dans ses classes et faisait régulièrement l’objet de moqueries de la part de ses élèves. Certains se souvinrent qu’il se mettait très en colère lorsqu’il surprenait des lycéens se tenir la main ou s’embrasser.

À partir de 1972, le comportement de Chikatilo passa de la normalité à des idées de perversion sexuelle et de fantasmes violents. Chikatilo fut peu à peu submergé par le désir sexuel qu’il éprouvait pour ses élèves et ne chercha plus à résister à ces pulsions.
Sa mère mourut en 1973, alors qu’il avait 37 ans. Coïncidence ou non, Chikatilo commit en mai de cette année sa première agression sexuelle connue sur l’une de ses élèves. Lors d’une excursion scolaire dans les bois de Novoshakhtinsk, il nagea dans un étang vers Lyubov Kostina, 15 ans, pour saisir ses seins et ses parties génitales, éjaculant alors que la jeune fille se débattait. Cet acte de domination sexuelle lui avait permis d’atteindre l’orgasme sexuel.

Quelques mois plus tard, Chikatilo convainquit une autre adolescente, Tonya Gultseva, de rester après les cours pour qu’il la “conseille”. Il allait expliquer des années plus tard qu’il avait été pris d’une envie irrésistible et qu’il avait tenté d’abuser d’elle jusqu’à ce qu’elle crie, ce qui permit à l’adolescente de s’échapper et de signaler l’incident. Chikatilo ne fit pourtant l’objet d’aucune mesure disciplinaire, car le directeur minimisa la situation, considérant que l’adolescente avait mal interprété les gestes de son enseignant.

Le système scolaire soviétique, développé dans les années vingt, organisait son école unique en un lieu où tous les élèves apprenaient la même chose jusqu’à la fin de leur scolarité. L’école reposait essentiellement sur le collectif. La gestion de l’enseignement y était centralisée, les élèves portaient tous l’uniforme, on enseignait le patriotisme, les sciences et le travail manuel étaient mis en valeur. Tout était géré depuis le Kremlin. Les élèves étaient aussi pris en main par des organisations extra-scolaires et moralistes. Chikatilo étant un fervent communiste et un enseignant passionné, les directeurs des différentes écoles dans lesquelles il travaillait ont toujours eu du mal à le sanctionner.

L’une des tâches de Chikatilo dans son école consistait à s’assurer que les élèves pensionnaires étaient présents dans leur dortoir le soir. À plusieurs reprises, il entra dans le dortoir des filles dans l’espoir de les voir se déshabiller. Il tenta aussi de caresser de jeunes garçons dans l’autre dortoir.
De l’aveu même de Chikatilo, au milieu des années 70, son désir de voir des enfants et des adolescentes nues l’amena à rôder autour des toilettes publiques, où il épiait fréquemment les jeunes filles. Il achetait des chewing-gums dans le seul but de leur offrir afin d’établir un contact et de gagner leur confiance. Chikatilo agressa sexuellement au moins trois jeunes filles qu’il rencontra de cette manière.

Face au nombre croissant de plaintes déposées contre lui par les élèves et leurs parents, le directeur de l’école n°32 convoqua finalement Chikatilo pour l’informer qu’il devait démissionner sous peine d’être licencié. 

Chikatilo quitta discrètement son emploi et trouva un poste d’enseignant dans une autre école de Novoshakhtinsk dès janvier 1974, l’école professionnel n°39. Là aussi, il semble qu’il agressa des adolescentes, mais il ne perdit cet emploi qu’à la suite d’une réduction de personnel en septembre 1978, avant de trouver un autre poste d’enseignant à l’école technique n° 33 de Shakhty, une ville minière et estudiantine entourée de lacs et de forêts, située à 47 km au nord de Rostov.
Chikatilo y déménagea avec sa famille. 

Agresser des jeunes filles lui donnait un sentiment de puissance, d’autant plus que lorsque certaines d’entre elles osaient le dénoncer, ces “incidents” étaient dissimulés et niés au lieu d’être poursuivis en justice, ce qui permit à un pervers de devenir un tueur.
Car pour être pleinement satisfait, Andreï Chikatilo devait se montrer violent. En décembre 1978, à l’âge “tardif” de 42 ans, il tua sa première victime.

Crimes et châtiments

Installé depuis septembre 1978 à Shakhty, il avait secrètement acheté une vieille cabane sur la rue Mezhovoy, pour y amener des prostituées ou des adolescentes qu’il agressait. 

La cabane

Le soir du 22 décembre 1978, il y attira une fillette de 9 ans, Yelena Zakotnova. Il tenta de la violer, mais ne parvint à avoir une érection. Lorsque la jeune fille se débattit désespérément pour lui échapper, il l’étouffa et la poignarda dans l’abdomen et le sexe, jouissant pendant l’acte.

Chikatilo lui banda les yeux avec son foulard d’écolière, puis l’étrangla avant de jeter son corps dans la rivière Grushevka. 

Lorsque le corps de la jeune fille fut retrouvé sous un pont voisin, seulement deux jours plus tard, Chikatilo aurait sans doute dû être arrêté. Ou, au moins, interrogé. De nombreux éléments de preuve le reliaient au meurtre de Yelena :
des taches de sang furent trouvées dans la neige près d’une clôture faisant face à la cabane achetée par Chikatilo ;
des voisins avaient remarqué que Chikatilo était présent dans la cabane le soir du 22 décembre ;
le sac d’école de Yelena fut trouvé sur la rive opposée de la rivière au bout de la rue de cette maison ;
et une témoin donna à la police une description détaillée d’un homme ressemblant beaucoup à Chikatilo, qu’elle avait vu parler avec Yelena Zakotnova à l’arrêt de bus où la jeune fille avait été vue en vie pour la dernière fois.

Mais malgré ces indices, c’est un ouvrier de 25 ans, Aleksandr Kravchenko, qui avait déjà purgé une peine de prison pour le viol et le meurtre d’une adolescente (alors que lui-même était adolescent), qui fut arrêté pour le crime. Une perquisition au domicile de Kravchenko révéla des taches de sang sur le pull-over de son épouse : il fut déterminé que le groupe sanguin correspondait à la fois à celui de Yelena Zakotnova et à celui de l’épouse de Kravchenko.

Kravchenko disposait toutefois d’un alibi très solide pour le 22 décembre 1978 : il avait passé tout l’après-midi chez lui avec son épouse et une amie de celle-ci, ce que les voisins du couple confirmèrent. Mais la police voulait un coupable, quel qu’il soit. Après avoir menacé la femme de Kravchenko de complicité de meurtre et son amie de parjure, les enquêteurs obtinrent de nouvelles déclarations : Kravchenko n’était rentré chez lui que tard dans la soirée le jour du meurtre.Confronté à ces témoignages modifiés et “bousculé” par les policiers, Kravchenko avoue l’assassinat de Yelena. 

Lors de son procès, en 1979, Aleksandr Kravchenko se rétracta et clama son innocence, affirmant que ses aveux avaient été obtenus sous une extrême contrainte. Il fut néanmoins reconnu coupable du meurtre et condamné à mort. Cette peine fut commuée en quinze ans d’emprisonnement (la durée maximale possible à l’époque) par la Cour suprême en décembre 1980. Sous la pression des proches de la victime, Kravchenko fut rejugé, à nouveau condamné et finalement exécuté par un peloton d’exécution en juillet 1983.

Sans doute apeuré par l’enquête, Chikatilo ne tua plus durant plusieurs années, mais continua d’agresser sexuellement des élèves. Sa carrière d’enseignant ne prit fin qu’en mars 1981 : le directeur lui indiqua que plusieurs parents s’étaient plaint d’attouchements sur des élèves. Chikatilo préféra démissionner. 

Le même mois, il commença à travailler comme chargé d’approvisionnement pour “Rostovnerud”, une usine basée à Rostov qui produisait des matériaux de construction. Les spécificités de l’industrie soviétique faisaient qu’il était souvent difficile pour les entreprises d’acquérir les matières premières nécessaires à la production. Cet emploi exigeait de Chikatilo qu’il voyage beaucoup à travers une grande partie de l’Union soviétique, soit pour acheter les matières premières nécessaires à la réalisation des quotas de production, soit pour négocier des contrats d’approvisionnement. Il se montra très efficace et obtint deux promotions durant les deux premières années.

Mais dans les années qui allaient suivre, Chikatilo allait consacrer la majeure partie de son temps et de son énergie à planifier sa vie de manière à faciliter ses meurtres.

Le 3 septembre 1981, Chikatilo assassinat sa seconde victime.

Il rencontra Larisa Tkachenko, 17 ans, à un arrêt de bus, alors qu’elle sortait d’une bibliothèque publique du centre-ville de Rostov.

Selon ses aveux ultérieurs, Chikatilo attira Larisa dans une forêt proche du fleuve Don sous prétexte de boire de la vodka et de « se détendre ».
Lorsqu’ils atteignirent un endroit isolé, il jeta l’adolescente à terre avant de lui arracher ses vêtements et de tenter de la violer, alors que que Larisa essayait de le repousser. N’ayant pas réussi à obtenir une érection, Chikatilo lui fit avaler de la boue pour étouffer ses cris avant de la battre et de l’étrangler. Il mutila le corps de Larisa avec ses dents, lui arrachant un mamelon. Il recouvrit son corps de feuilles, de branches et de pages de journaux déchirées, mais le corps de l’adolescente fut retrouvé dès le lendemain, car non loin d’une route. En fouillant les alentours, les enquêteurs trouvèrent la veste rouge, les vêtements et les sous-vêtements rayés de la jeune femme.

Neuf mois plus tard, le 12 juin 1982, Chikatilo se rendit en bus à Rostov pour acheter des légumes. Il devait changer de bus dans le village de Donskoi, mais, à la gare routière, son regard fut attiré par la robe à fleurs d’une jeune fille de 13 ans, Lyubov Biryuk, qui rentrait chez elle à pied après avoir fait des courses pour sa mère. Le beau-père de Lyubov venait de la croiser à l’arrêt de bus, non loin du magasin.
Elle et Chikatilo marchèrent ensemble pendant quelques centaines de mètres jusqu’à ce que leur chemin soit protégé de la vue de témoins potentiels par des buissons. Chikatilo se jeta alors sur Lyubov, la traîna dans un sous-bois, lui arracha sa robe, la poignarda et la taillada.

Ce troisième meurtre allait lancer une enquête qui allait durer huit ans.

Lorsque le corps de Lyubov fut retrouvé le 27 juin, il ne restait quasiment que des ossements. C’est un homme qui cherchait du bois de chauffage dans la “lesopolosa”, un chemin forestier au milieu de terres boisées plantée pour prévenir l’érosion, qui trouva les restes. Alors que la zone n’était large que d’une cinquantaine de mètres et longeait une autoroute, personne n’avait vu ce corps jusqu’à ce qu’il soit fortement décomposé. Il restait quelques petits morceaux de peau sur certains os et des cheveux noirs pendaient du crâne. L’homme qui trouva le cadavre le signala à la “militsia”, la police locale.

Le corps ne portait aucun vêtement qui aurait permis son identification et avait été laissé sur le dos, la tête tournée sur le côté. Les oreilles étaient suffisamment intactes pour que l’on puisse y voir de petits trous pour des boucles d’oreilles, et ceux-ci, ainsi que la longueur des cheveux, suggéraient que la victime était une jeune femme. La posture de la victime montrait qu’elle avait tenté de lutter contre son agresseur.
fut envoyé à la morgue de Novotcherkassk. Le médecin légiste découvrit que deux côtes avaient été brisées, peut-être par un couteau, puis compta vingt-deux coups de lame infligés à la tête, au cou, à la poitrine et à la région pelvienne. Le couteau avait apparemment entaillé les orbites, comme pour enlever les yeux.

La police pensa que l’assassin était “une bête frénétique.”

Lyubov Biryuk, originaire de Zaplavskaya, un village situé non loin de Novocherkassk, avait été déclarée disparue. Les enquêteurs appelèrent son beau-père, qui l’avait recherchée durant des jours et des jours après sa disparition, au début du mois. Il se rendit sur place pour examiner le squelette. S’accrochant probablement à une petite lueur d’espoir, il déclara que les cheveux de sa nièce n’étaient pas aussi foncés et que les os lui semblaient avoir été là depuis des mois, bien plus longtemps que la jeune fille n’avait disparu.

Mikhail Fetisov

Quelques heures plus tard, la milice centrale de Moscou envoya le major Mikhail Fetisov depuis Rostov-sur-le-Don, la grande ville la plus proche, pour mener l’enquête. Il dirigeait le département des enquête criminelle de toute la région.
Il requit des informations sur d’autres femmes disparues dans la région et ordonna à des cadets militaires en formation de fouiller les bois environnants. Il enjoignit également que l’on prenne les empreintes digitales de la peau restante sur les mains du squelette.

Le lendemain, les cadets trouvèrent une sandale blanche et un sac jaune contenant la marque de cigarettes que la jeune fille était partie acheter. Les empreintes digitales du cadavre et des couvertures de livres de l’écolière confirmèrent que ce corps était bien celui de Lyubov. L’analyse ADN permettant l’identification d’un corps n’existait pas encore à l’époque, mais les preuves dont disposaient les enquêteurs leur permirent d’être sûrs qu’il s’agissait bien de l’adolescente disparue.
Le médecin légiste émit l’hypothèse que les températures élevées et les fortes pluies avaient accéléré la décomposition du corps.

Malgré des recherches approfondies autour de la dépouille, aucun élément ne permit d’identifier l’assassin, et la robe que portait Lyubov avait disparue. Aucune trace du tueur ne pouvait être recueillie. 

On pensa qu’il s’agissait d’une attaque commise au hasard, presque impossible à élucider.

À l’époque, la plupart des meurtres dans cette région de Russie n’avaient que deux mobiles : la colère due à l’alcool, qui menait au meurtre d’un proche ou d’un membre de la famille, et les meurtres commis lors de vol ou de cambriolage. Or, aucun membre de la famille de la jeune fille n’était clairement suspecté et elle n’avait rien de valeur sur elle.

Près du corps serpentait un chemin que les gens empruntaient souvent et une route à seulement 75 mètres. L’assassin aurait pu être découvert durant le crime, mais il avait poignardé sa victime à de nombreuses reprises, bien plus que nécessaire pour la tuer. Même si les enquêteurs considéraient – comme on le leur avait appris à l’école de police – que les crimes sexuels étaient “les manifestations de sociétés occidentales complaisantes”, de nombreux signes indiquaient que ce meurtre était précisément ce type de crime.

L’autopsie montra plus tard que Lyubov avait été attaquée par-derrière et frappée violemment à la tête avec le manche et la lame d’un couteau. Peut-être avait-elle perdu conscience sur le coup. En tout état de cause, elle avait été poignardée au moins 22 fois et mutilée.

La police émit des hypothèses et commença à chercher des suspects potentiels : des malades mentaux, des délinquants juvéniles ou des personnes ayant des antécédents de crimes sexuels. Les enquêteurs tentèrent d’identifier les connaissances et amis de Lyubov et de comprendre comment elle avait pu rencontrer ce tueur.
Un homme, condamné pour un viol, apprit qu’il était suspecté et se rendit rapidement à la police. Cela sembla mettre un terme à l’enquête. Il n’y avait pas d’autres suspects viables et, pour ce qu’on en savait, le tueur avait donc été appréhendé.

Les policiers ne pouvaient s’imaginer que Chikatilo allait faire cinq nouvelles victimes entre juillet et septembre 1982.
Il commit trois meurtres durant les vacances d’été, à proximité ou à partir de stations de transport. Les victimes ne furent pas immédiatement identifiées :
Lyubov Volobuyeva, une adolescente de 14 ans tuée le 25 juillet dans un verger près de l’aéroport de Krasnodar (à 270km au sud de Rostov),
Oleg Pozhidayez, un garçon de 9 ans, sa première victime de sexe masculin, le 13 août, dans les bois près de la localité d’Enem (à 12km de Krasnodar).
– et Olga Kuprina, une fugueuse de 16 ans, le 16 août, tuée dans un village à l’est de Rostov.

Shakhty

Lorsque Chikatilo reprit le travail, ses performances et son état mental, tant au travail qu’à la maison, semblèrent s’être dégradés. Il se montra distrait, inconscient de ses responsabilités et eut des difficultés à se souvenir des tâches importantes.  Ses collègues trouvèrent qu’il se comportait étrangement. Au fil du temps, il devint la cible de plaisanteries au bureau. Un jour, un collègue plaça même une brique dans sa mallette pour le taquiner parce qu’il trouvait qu’il ne s’en séparait jamais. Mais Chikatilo prétendit que les moqueries et les blagues n’avaient pas lieu, se repliant sur lui-même.

En septembre, il assassina et mutila Sergey Kuzmin, un orphelin de mère de 15 ans qui logeait à l’internat de son école avec ses trois frères, et laissa son corps dans un bois près de la gare de Shakhty.

Le cas de Sergey est assez représentatif de ce qui arriva à nombre de victimes.
Malgré les protestations de ses frères, son école ne déclara pas la disparition de Sergey, le considérant simplement comme un fugueur, puisqu’il avait déjà séché les cours à plusieurs reprises. La direction attendit des semaines avant de demander à son père si Sergey était chez lui. Lorsqu’il répondit par la négative, le directeur de l’école se décida à prévenir la police, qui refusa d’enregistrer la disparition de l’adolescent. Le directeur dut appeler durant des mois et insister pour que les services de police consentent à ajouter le nom de Sergey à leur liste d’enfants disparus… Sans pour autant mener d’enquête.
Lorsque le corps décomposé de l’adolescent fut découvert en janvier 1983, les enquêteurs ne firent pas le lien avec les autres meurtres. Comment le pouvaient-ils ? Un policier se rendit sur place, mais ne fit pas transférer le squelette à la morgue. Ce n’est que six mois plus tard, quand il fut clair que la police de la région de Rostov était aux prises avec une série de meurtres, que l’enquêteur demanda une autopsie. Le médecin légiste, à la suite d’un examen superifciel, déclara qu’il s’agissait du corps d’une femme de 50 ans, qui ne fut pas ajoutée à la liste des victimes du tueur…
Il fallut attendre le milieu de l’année 1984 pour qu’un examen médico-légal digne de ce nom ne soit mené et qu’il conclut que la victime était un adolescent de 15 à 17 ans, qui avait été poignardé et avait eu les orbites mutilés.

Fin septembre 1982, un cheminot qui marchait près de la gare de Shakhty, la petite ville industrielle où Chikatilo avait été enseignant, tomba sur un corps en état de décomposition avancé. Le cadavre, qui semblait être là depuis environ six semaines, fut rapidement identifié comme celui d’une femme. Elle avait été déshabillée, laissée face contre terre, les jambes écartées. Une similitude essentielle avec le meurtre de Lyubov attira l’attention des enquêteurs : de multiples coups de couteau et des orbites lacérées.
Aucune personne de cette taille et de ce sexe n’ayant été signalée disparue, les enquêteurs ne purent l’identifier. Il fallut attendre 1985 pour découvrir qu’il s’agissait d’Irina Karabelnikova, une SDF de 18 ans qui se prostituait pour survivre. Elle s’était inscrite à l’Université, mais avait abandonné ses études et avait sombré dans l’alcool.

Fin octobre 1982, un soldat qui ramassait du bois dans une « lesopolosa » à quelques kilomètres de l’endroit où Lyubov Biryuk avait été assassinée, découvrit un autre squelette allongé face contre terre et recouvert de branches. L’autopsie révéla des blessures au couteau et des lésions aux orbites. Olga Kuprina, assassinée en août, n’allait pas être identifiée avant un bon moment.

Le lien entre les victimes était évident. Un tueur en série avait fait au moins trois victimes. Mais personne ne l’admettait, surtout pas la presse qui ne recevait aucune information et ne devait en publier aucune. Dans le “paradis communiste”, les tueurs en série n’existaient pas. Officiellement, il s’agissait de trois meurtres distincts non élucidés.

Viktor Burakov

Le major Fetisov mit toutefois sur pied une équipe spéciale de dix hommes pour lancer une enquête à plein temps. Il voulait réellement arrêter le tueur et l’empêcher de s’en prendre à d’autres citoyennes de la région.
Parmi les personnes qu’il recruta, un sous-lieutenant du laboratoire de criminologie, Viktor Burakov, 37 ans, était particulièrement doué pour l’analyse des preuves physiques telles que les empreintes digitales ou les empreintes de pas sur une scène de crime. Connu pour son application et son sérieux, il fut invité à rejoindre la “division des crimes particulièrement graves” en janvier 1983.
Personne ne se doutait alors de la diligence dont il ferait preuve… et devrait faire preuve.

Tout ce que les enquêteurs savaient à ce stade, c’est que le tueur – qu’ils appelaient désormais” le Maniaque” – ne fumait pas (sinon il aurait pris les cigarettes trouvées près de Lyubov), et qu’il s’agissait d’un homme. Il avait un problème avec les yeux, mais les policiers ne savaient pas s’il s’agissait d’une superstition, d’un fétichisme ou d’une autre considération. Quoi qu’il en soit, le fait d’arracher les yeux indiquait que le tueur avait passé du temps avec les victimes après leur mort.

En l’absence de pistes précises, l’unité décida de remonter dans le temps afin de découvrir d’éventuelles autres victimes. 
Mais en décembre 1982, la première véritable tâche de Viktor Burakov fut de diriger une enquête à Novoshakhtinsk, une ville agricole et minière de la région, où la disparition d’une fillette de 10 ans venait d’être signalée.

La lettre du « Chat noir »

Olga Stalmachenok s’était rendue à une leçon de piano le 10 décembre 1982. Personne ne l’avait revue depuis. Burakov interrogea ses parents et apprit qu’elle s’entendait bien avec eux et qu’elle n’avait aucune raison apparente de s’enfuir. La mère d’Olga avait du harceler la police locale pour qu’un officier finisse par la prendre au sérieux et décide qu’on devait rechercher la jeune fille…
Les parents avaient reçu une étrange carte postale signée d’un « Chat noir sadique » leur disant que leur fille se trouvait dans « les bois de Darovskaya » et les avertissant qu’il y aurait « dix autres victimes » l’année suivante. La carte postale avait sans doute été écrite par une personne qui connaissait la région car seuls les locaux utilisaient l’expression  » bois de Darovskaya ».
Viktor Burakov considéra qu’il s’agissait d’une plaisanterie de très mauvais goût, mais il craignit malgré tout que la jeune fille ne soit morte.

Ses craintes étaient fondées. Le 11 décembre 1982, Chikatilo avait rencontré la jeune Olga dans le bus qui l’emmenait chez ses parents à Novoshakhtinsk et l’avait persuadée de quitter le bus avec lui.
Un passager du bus déclara qu’un “homme mince d’âge moyen, aux cheveux grisonant, portant de larges lunettes et un chapeau”, avait fermement emmené Olga par la main.

Le 14 avril 1983, quatre mois après sa disparition, le corps d’Olga fut retrouvé dans un champ de maïs, à environ 5 km du conservatoire de musique où elle s’était rendue pour sa leçon. Son corps nu gisait dans une ornière de tracteur gelée au sein d’une ferme collective, sous un pylône de ligne à haute tension.
La police laissa le cadavre sur place jusqu’à ce que Viktor Burakov arrive pour observer la scène du crime de ses propres yeux. Comme Olga avait été tuée pendant l’hiver, la neige avait préservé en partie le cadavre, de sorte que les traces de coups de couteau étaient clairement visibles sur sa peau d’un blanc bleuté. Le crâne était perforé, tout comme la poitrine et l’estomac. Le couteau avait été enfoncé une cinquantaine de fois, frénétiquement, déplaçant les organes dans la cavité corporelle. Le tueur avait particulièrement visé le cœur, les poumons et les organes sexuels. Et comme pour les autres, il s’était attaqué aux yeux avec son couteau.

A une soixantaine de mètres du cadavre, les enquêteurs découvrirent, à moitié enterrés, un sac, des livres d’écoles, des partitions et une paire de chaussons.

Le sous-lieutenant Burakov savait qu’il était à la recherche d’un tueur en série vicieux, un pervers sexuel qui attaquait ses victimes de plus en plus souvent, sans toutefois attirer l’attention sur ce qu’il faisait et sans laisser de preuves. L’enquêteur ne savait pas vers qui se tourner. Les hommes qui tuent de cette manière étaient censés n’exister qu’en “Occident dégénéré”…
Il demanda toutefois que la carte postale du « Chat noir » soit analysée, ne sachant si elle avait été envoyée par le tueur ou un mauvais plaisantin. Le département technique du KGB se saisit de la carte, étudia l’écriture, identifia des détails caractéristiques, compila un tableau avec des « éléments clés », compara avec l’écriture de toutes les personnes embauchées pour travailler dans la région et des lettres anonymes… Aucun des techniciens ne parvint à retrouver le « Chat noir ».

Burakov, qui avait suivi le long chemin entre le conservatoire et l’endroit où le corps d’Olga avait été abandonné, pensa que le tueur avait forcément une voiture. Il était également convaincu que l’homme n’avait pas effrayé ni ses victimes, ni d’éventuels passants lorsqu’il s’est approché. Rien dans son apparence ne pouvait alarmer les femmes ou les enfants. Il serait donc plus difficile à trouver, mais le policier était persuadé que le tueur souffrait d’une sorte de trouble mental caché que, espérait-il, certaines personnes avaient remarqué.

Ne sachant où chercher, les supérieurs de Burakov émirent d’autres hypothèses. En raison de la sauvagerie des meurtres et des éviscérations pratiquées sur les corps des victimes, ils pensèrent que les meurtres avaient été perpétrés soit par un groupe prélevant des organes pour les vendre à des fins de transplantation, soit par une secte satanique, soit par un malade mental.
Une grande partie des efforts de la police se concentra sur la théorie selon laquelle le tueur devait être un malade mental ou un homosexuel (qui était considéré comme un crime et une perversité), voire un pédophile. Les alibis de tous les individus ayant passé du temps dans des services psychiatriques ou ayant été condamnés pour homosexualité ou pédophilie furent vérifiés et enregistrés dans un système de classement manuel par fiches. Les délinquants sexuels enregistrés firent également l’objet d’une enquête et, si leur alibi était corroboré, ils furent éliminés de l’enquête. Les enquêteurs passèrent – et perdirent – des mois et des mois à interroger tous ces hommes. Certains se suicidèrent après les interrogatoires musclés de la police ou la révélation publique de leurs penchants.

Les enquêteurs décidèrent de se concentrer sur les délinquants sexuels connus de la région, et plus précisément sur l’endroit où ils se trouvaient le 11 décembre dernier. Puis sur les malades mentaux libérés, et enfin sur les hommes qui vivaient ou travaillaient dans les environs du conservatoire et qui possédaient ou utilisaient une voiture. Les experts en écriture du KGB comparèrent la carte du “Chat noir” à des échantillons provenant de l’ensemble de la population de cette ville. C’était un travail fastidieux, qui pouvait ne pas donner le moindre indice.

Pendant les mois qui suivirent, les policiers ne découvrirent rien d’intéressant, bien que l’on se soit rendu compte que la neige pouvait facilement recouvrir d’éventuels corps ou indices.

En juillet 1983, ils ne remarquèrent pas la disparition de Lyudmila Kutsyuba, une SDF mère de deux enfants que Chikatilo assassina dans un bois près d’une station de bus Shakhty. Son corps n’allait être retrouvé qu’en mars de l’année suivante.

L’une des forêts du parc des Aviateurs

Puis, on apprit que le tueur avait encore frappé. En août 1983, dans le “parc des aviateurs” de Rostov-sur-le-Don, un groupe de garçons trouva des ossements dans un ravin. Là encore, aucun avis de disparition n’avait été émis, mais l’examen des ossements permit non seulement de relier ce crime aux autres, mais aussi de découvrir que la jeune fille était atteinte de trisomie. Les enquêteurs pouvaient vérifier auprès des écoles spécialisées de la région si l’une de leurs élèves avait disparu afin de procéder à une identification.

Le mot « Rostrov » signifie « croissance » en russe et, après les terribles expériences vécues par la ville pendant la Seconde Guerre mondiale, la plupart des citoyens étaient déterminés à réinventer la ville et à en faire la métropole prospère qu’elle avait été. De vastes étendues de terrains vagues à la périphérie de la ville avaient été transformées en parcs et en forêts pour tenter de remonter le moral de la population après toutes les souffrances endurées aux mains des Allemands. 
Le “parc des aviateurs” est une grande forêt urbaine située dans le quartier de Pervomaysky, à Rostov-sur-le-Don. Pendant la période soviétique, de nombreux événements, y compris des activités sportives, y étaient régulièrement organisés.

Il s’avéra que la jeune fille avait 13 ans et qu’elle fréquentait une « école pour enfants déficients mentaux ». Elle s’appelait Irina Dunenkova. Personne n’avait remarqué son absence, puisqu’il lui arrivait souvent de partir, et personne ne l’avait signalée, même après des semaines d’absence… 
Les policiers ne firent pas non plus de zèle durant leur enquête. En interrogeant les parents et les amies d’Irina, ils auraient pû découvrir que la soeur d’Irina, Valentina, avait eu des « relations intimes » avec un certain Andreï Chikatilo en 1981 et 1982. Elle avait emmené Irnia avec elle à deux reprises, et l’adolescente, qui devait donc considérer que cet homme était « de confiance », l’aurait suivi sans se méfier. La mention du nom de Chikatilo et de l’adresse de son domicile aurait sans aucun doute attiré l’attention des enquêteurs travaillant sur l’affaire des « Lesopolosa ». 

Le meurtre d’Irina Dunenkova fut relégué au second plan lorsqu’on découvrit un nouveau corps en septembre, dans une zone boisée du Parc des aviateurs, à trois kilomètres du lieu où avait été trouvé Irina. Il s’agissait d’Igor Gudkov, un garçon de 7 ans, leur plus jeune victime jusqu’ici. Il avait été poignardé, comme les autres, jusque dans les yeux. Il s’avéra qu’il avait disparu depuis le 9 août. Comme Olga, la petite fille qui se rendait à ses cours de piano, il avait emprunté les transports en commun.

Les enquêteurs étaient perplexes. Avec le peu qu’ils en savaient sur les tueurs en série, ils pensaient qu’ils s’en prennent toujours au même type de victime. Or, cet homme avait tué des femmes adultes, des adolescentes et de jeunes enfants, des filles et des garçons. Les enquêteurs se demandèrent s’il n’était pas possible que plusieurs tueurs, avec le même mode opératoire, frappent dans la région. Cela semblait impossible, mais l’idée qu’autant de victimes différentes puissent déclencher le même type de violence chez une seule et même personne l’était tout autant.

Puis Viktor Burakov apprit que le tueur avait finalement été appréhendé.
La traque était terminée.
Il se précipita dans la prison où le suspect était incarcéré pour en apprendre le plus possible sur cet homme.

Yuri Kalenik

Yuri Kalenik, 19 ans, vivait toujours dans le foyer pour enfants mentalement retardés où il avait vécu son enfance. Il fréquentait les amis de sa résidence. Dans la nuit du 5 au 6 septembre 1983, à Rostov, l’un de ses amis avait tenté de voler un trolleybus au dépôt Pervomaisky. Arrêté en flagrant délit, il avait expliqué avoir voulu voler le bus « pour s’amuser avec son ami Yuri ». Lorsque les policiers l’avaient réprimandé, il avait également expliqué que Yuri avait tué une fille et un garçon dans le parc des Aviateurs…
Ainsi, sur la base de la seule accusation d’un garçon mentalement attardé qui essayait d’échapper à une punition en pointant le doigt vers un autre homme, les policiers locaux pensaient avoir résolu l’affaire.

Yuri Kalenik avait donc été interrogé. Il n’avait pas le droit de consulter un avocat ni de garder le silence. Il savait à peine ce qui lui arrivait. Il avait tout nié. Il n’avait tué personne. Pourtant, les interrogateurs l’avaient gardé pendant plusieurs jours, pensant probablement qu’un coupable finirait par avouer. Yuri avait vite compris que, pour cesser d’être frappé, il devait leur dire ce qu’ils voulaient entendre. Ce qu’il avait fait. Et même un peu plus. Il avait avoué les sept meurtres et ajouté à sa liste quatre meurtres non élucidés commis dans la région. Il ne manquait plus à la police que des preuves à l’appui. Ce jeune homme était une sacrée prise !

Le sous-lieutenant Viktor Burakov accepta de poursuivre l’enquête. Yuri faisait un suspect acceptable, car il souffrait de troubles mentaux et empruntait les transports en commun. Et pourquoi avouer des crimes aussi brutaux s’il ne les avait pas commis ? À l’époque – et encore aujourd’hui -, on comprenait mal la psychologie des faux aveux.

Les personnes souffrant d’un déficit intellectuel ont tendance à être plus sensibles aux suggestions, en particulier lorsqu’elles sont fatiguées. Elles disent aux enquêteurs ce qui leur plaît – en général en fournissant les indices qu’elles entendent dans les questions qu’on leur pose. Le sociologue américain Richard Ofshe, professeur à l’université de Berkeley, a témoigné à plusieurs reprises durant des procès sur la coercition dans les petits groupes, les aveux et les interrogatoires. Il a expliqué que de nombreux suspects ont avoué des crimes qu’ils n’avaient pas commis, malgré les lourdes conséquences.

Lorsqu’un suspect peut conduire la police à l’endroit où une personne a été assassinée, cela est considéré comme une confirmation de sa culpabilité, et c’est ce que fit Yuri Kalenik pour plusieurs des cadavres. Pourtant, Burakov n’était pas convaincu. Il constata que Kalenik ne se rendait pas directement sur le site, même lorsqu’il en était proche, mais qu’il semblait errer jusqu’à ce que la police lui donne des indications sur l’endroit où elle attendait qu’il se rende. Burakov estima que tout cela n’était pas concluant. L’examen des aveux écrits du jeune homme le convainquit d’autant moins. Il était clair pour lui que Kalenik avait reçu la plupart des informations qu’il avait (trop bien) écrites et qu’il avait été intimidé par les policiers.

Viktor Burakov ne savait comment procéder pour sortir le jeune homme des problèmes dans lesquels il s’était plongé… et, en septembre, un autre corps fut découvert.
Plus précisément, dans une zone boisée à la périphérie de Novoshakhtinsk, on trouva les restes mutilés d’une jeune femme dont l’identité allait rester inconnue. (Chikatilo avait rencontré cette victime à la gare routière de Novoshakhtinsk alors qu’elle essayait de “trouver un client avec une voiture », elle aurait été prostituée).
Un groupe de policiers se rendit sur les lieux de nuit, se perdit et décida de repartir… puis en resta là. Le 8 octobre 1983, le corps fut à nouveau « découvert » par des habitants de Novoshakhtinsk. Un autre groupe de policiers se rendit sur place et, contrairement au précédent, retrouva le squelette.
Il ne restait pas grand chose du cadavre, et donc aucune preuve utilisable, mais le médecin légiste confirma que son assassin avait ouvert son abdomen, l’avait poignardé et avait endommagé une orbite. La jeune femme avait entre 18 et 25 ans, elle était là depuis plusieurs mois et ses vêtements avaient disparu.
Kalenik aurait pu être responsable de ce meurtre puisqu’il était libre à l’époque. 

Mais pas du meurtre de la victime suivante, qui fut retrouvée le 30 octobre près de la filature de coton de Shakhty, couvert de feuilles et de terre.

Vera Shevkun, 19 ans, avait été assassinée environ trois jours plus tôt, alors que Yuri Kalenik était en garde à vue. Il ne l’avait certainement pas tuée, alors que ses blessures étaient similaires à celles des autres victimes. Celui qui l’avait tuée était de plus en plus audacieux et frénétique. Vera avait été éventrée, son sein droit avait disparu et son utérus était introuvable. Des signes de lutte étaient visibles sur les lieux : des branches cassées, de l’herbe écrasée, du sang séché. 
Cependant, les yeux de Vera étaient intacts et elle n’avait pas été tuée dans une « lesopolosa », mais dans une zone industrielle.
Elle ne faisait peut-être pas partie de la série, bien qu’elle ait pris le train. Ou le tueur avait peut-être changé de méthode ou avait été interrompu.
Persuadés de tenir en Yuri Kalenik le tueur en série recherché, les policiers qui avaient fait avouer le jeune déficient mental suggérèrent qu’un second tueur devait être à l’oeuvre, ce qui convainquit leurs supérieurs…

Le 27 novembre 1983, un squelette fut retrouvé dans les bois enneigés, à la périphérie de la ville de Shakhty, non loin de la voie ferrée, au nord de Rostov. On estima que sa mort était survenue en septembre. Les yeux avaient été arrachés. Le squelette fut confié aux spécialistes médico-légaux de la reconstruction faciale de l’Institut de Moscou, qui utilisèrent le crâne pour reconstituer l’apparence de la victime. Il leur fallut des mois pour identifier Valentina Chuchulina, 22 ans.

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que le dixième meurtre “officiel” soit découvert, juste après le passage à l’année 1984. Retrouvé près de la voie ferrée à Persianovka, Sergey Markov était un adolescent de 14 ans porté disparu depuis le 27 décembre. Grâce au froid de l’hiver de l’hiver, le corps avait été conservé.
Le tueur avait poignardé Sergey dans le cou des dizaines de fois – le légiste compta finalement 70 blessures. Il avait ensuite incisé les parties génitales du garçon et avait enlevé tout ce qui se trouvait dans la zone pubienne. En outre, il avait violé sa victime. Les enquêteurs découvrirent ensuite qu’il s’était rendu dans un endroit proche pour faire ses besoins.

Il était clair que Yuri Kalenik n’était pas responsable des meurtres et que le monstre qui avait perpétré ces crimes était toujours en liberté. Dans sa hâte de clore ces affaires, la police avait commis une erreur.

Le major Fetisov décida de retracer les pas de Sergey le jour de sa disparition. Partant d’une ville appelée Gukovo, où le garçon vivait avec ses parents et d’où il était parti ce jour-là, il monta dans l’elechtrichka, le train local.
Dans la même ville se trouvait un foyer pour déficients mentaux et les enseignants rapportèrent qu’un ancien élève, Mikhail Tyapin, 23 ans, était parti à peu près en même temps que le garçon et avait pris le train. Il s’agissait d’un jeune homme très grand qui savait à peine parler. Une fois de plus, la police obtint des aveux très détaillés…
Tyapin et son ami, Aleksandr Ponomaryev, déclarèrent avoir rencontré Markov, l’avoir attiré dans les bois et l’avoir tué. Ils avaient également laissé leurs excréments. Tyapin, en particulier, avait de nombreux fantasmes de violence et avait revendiqué plusieurs autres meurtres non élucidés dans la région. Mais il ne mentionna jamais les dommages causés aux yeux. Et lui et Ponomaryev avouèrent deux meurtres dont il avait été prouvé qu’ils avaient été commis par quelqu’un d’autre.

La police était complètement désorientée. Le major Fetisov avait des doutes, tandis que le sous-lieutenant Burakov était certain qu’ils n’avaient pas appréhendé le tueur qu’ils recherchaient. Tous les soi-disant aveux étaient erronés. Il pensait qu’un seul homme était impliqué, que c’était un solitaire qui ne faisait pas partie d’un gang, et qu’il était dément, mais d’une manière subtilement perceptible.

C’est alors que les enquêteurs obtinrent leur premier élément de preuve valable. Le médecin légiste trouva du sperme sur le corps de Sergey Markov. Lorsqu’ils appréhenderaient le tueur, les policiers allaient pouvoir comparer les antigènes sanguins. Cela ne permettrait pas d’obtenir une correspondance précise, mais pourrait au moins éliminer des suspects. Et cela permit d’éliminer de la liste des suspects tous les jeunes hommes qui avaient avoué jusqu’à présent. Ils avaient tous le “mauvais type” de sang.

Mais le laboratoire publia ensuite un second rapport, affirmant qu’il avait mélangé les échantillons ! Le type sanguin correspondait en effet à celui de Mikhail Tyapin. Cela signifiait qu’il existait de bonnes chances que la police tienne l’assassin de Sergey Markov.

Pourtant, des cadavres continuaient d’être retrouvés.

En 1984, de nombreuses victimes furent découvertes dans des zones boisées et le parc des Aviateurs, certaines d’entre elles assez proches de l’endroit où les corps précédents avaient reposé avant d’être découverts.

Le premier corps retrouvé après l’arrestation de Mikhail Typapin, dans le parc des Aviateurs, non loin de l’endroit où le corps d’Irina Dunenkova avait été découvert, fut celui d’une femme qui avait été éventrée avec la même frénésie que les victimes précédentes. Ses yeux étaient intacts, mais le tueur lui avait coupé un doigt, la lèvre supérieure et le nez.
Les enquêteurs disposaient également d’un autre élément de preuve : une empreinte de chaussure laissée dans la boue, de taille 45. Sur les vêtements de la victime, on trouva des traces de sperme et de sang.
La jeune femme fut rapidement identifiée, car on retrouva sa carte d’identité dans un petit sac non loin du cadavre. Natalya Shalapinina avait 17 ans, se prostituait, et avait été vue à la gare routière avec un jeune homme qui travaillait à proximité. Interrogé, ce dernier avait un alibi.
Natalya ne voulait plus se prostituer, elle avait décidé de changer de vie : le jour de sa disparition, elle avait prévu d’apporter un dossier de candidature pour intégrer une école de conducteur de tramway.

Le rapport du médecin légiste fit état de trois faits significatifs : elle avait des poux pubiens, son estomac contenait des aliments non digérés et il n’y avait pas de sperme en elle. Le tueur s’était donc probablement masturbé sur elle. Il était possible que, compte tenu de son état de pauvreté, elle ait été attirée par la promesse d’un repas.
La police vérifia dans les pharmacies si quelqu’un avait acheté des traitements contre les poux du pubis, sans succès. Ils demandèrent aux médecins des cliniques soignants les maladies cutanées et vénériennes de leur signaler leur nouveaux patients, sans plus de résultats.

En revanche, les enquêteurs découvrirent une relation amicale entre Natalya et une certaine Olga Kuprina, qui avait disparu août 1982 à 16 ans. Elles habitaient dans le même quartier de Rostov et avaient fréquenté la même école. Le 10 août 1982, Olga s’était disputée avec sa mère et avait annoncé qu’elle quittait la maison pour ne plus y revenir. Elle avait vécu chez Natalya durant quelques semaines, avant de partir voir sa soeur qui vivait à Shakhty. Plus personne n’avait alors entendu parler d’elle.
En comparant des dossiers dentaires aux crânes provenant des squelettes de victimes, les policiers réussirent à identifier la deuxième victime de la série, retrouvée en octobre 1982, qui était bien Olga. Cela permit de relier deux des victimes entre elles, l’une ayant les orbites tailladées et l’autre non.

Un autre suspect fut arrêté et, évidement, avoua ce meurtre.
Mais Burakov recherchait un certain type de personnalité et personne ne semblait s’en approcher jusqu’à présent. Il en parla à ses supérieurs… et fut réprimandé. Son avis divisa également l’équipe spéciale d’enquêteurs en plusieurs factions, d’autant plus que le laboratoire de police scientifique n’était pas en mesure de leur donner une réponse définitive quant à savoir si les échantillons de sperme trouvés sur deux victimes provenaient de la même personne.
Ils firent alors appel à une scientifique du laboratoire de Moscou, qui obtint de meilleurs résultats. Le tueur était du groupe sanguin AB, ce qui permit d’éliminer toute la liste de suspects. Aucun des aveux recueillis jusqu’alors n’était valable et le tueur courait toujours.

Le 22 février, on découvrit le corps de Marta Ryabenko dans le parc des Aviateurs. Mais les enquêteurs refusèrent d’abord de l’ajouter à la liste : non seulement ses yeux n’avaient pas été touchés, mais elle avait 44 ans, la plus âgée des victimes. Elle était tombé dans l’alcool et la prostitution depuis son divorce en 1977.

En réalité, le tueur s’en prenait surtout aux prostituées, aux adolescentes « facilement accessibles », aux alcooliques, aux enfants issus de familles dysfonctionnelles et aux adolescents souffrant de handicap mental. Personne ne surveillait ces enfants solitaires, ne savait où ils se rendaient, quelles personnes ils rencontraient… La situation était similaire avec les femmes qui se prostituaient : il était difficile de deviner qui serait leur prochain partenaire et s’il serait un pervers. Et les enquêteurs avaient bien du mal à établir l’itinéraire possible d’une victime, tout comme il leur fallait beaucoup de temps pour l’identifier et contacter ses proches.

Et les policiers arrêtaient toujours le même type de suspect, avec toujours le même résultat. Le 26 février 1984, un adolescent souffrant de retard mental fut arrêté dans le parc des Aviateurs pour une tentative de viol. Sous la pression des interrogateurs, interrogé et emprisonné durant des mois avec des compagnons de cellule violents, il « avoua » avoir commis deux meurtres dans le parc… puis tenta de se suicider. En septembre 1984, devant l’absence de la moindre preuve, il fut condamné uniquement pour la tentative de viol, bien que sa victime ne l’ait pas identifié.

Le 11 mars 1984, non loin de la voie ferrée de la gare de Kirpichnaya, située à la périphérie de la ville de Shakhty, on retrouva le squelette d’une jeune femme qui avait été poignardée à de nombreuses reprises. Les enquêteurs tentèrent de reconstituer son visage à partir du crâne, dont certaines proportions différaient considérablement de la norme, ce qui laissait supposer que la femme décédée était mentalement handicapée. Il fallut des mois pour identifier Lyudmila Kutsyuba, 24 ans, qui avait disparu en juillet 1983. Enfant, elle avait subi un traumatisme crânien et avait été longtemps soignée dans un dispensaire psychoneurologique.

Fin mars, “le tueur des lesopolosa”, comme les policiers le surnommait, frappa de nouveau à Novoshakhtinsk. Il se saisit de Dmitriy Ptashnikov, un garçon de 10 ans, qui fut retrouvé trois jours après sa disparition, mutilé et poignardé dans une zone boisée proche de la gare routière. Chikatilo avait engagé la conversation avec le jeune Dmitriy devant une boutique de timbres, puis l’avait attiré en prétendant être, lui aussi, collectionneur. Il lui avait donné rendez-vous non loin de la gare afin d’échanger des timbres avec lui.
Dmitriy était issu d’une famille soviétique « classique », avait de bons résultats à l’école, ne s’était pas enfui de chez lui et ne « trainait » pas avec d’autres garçons. La police et la famille du garçon s’étaient imméditatement lancé à sa recherche. Un an après la disprition et le meurtre de la petite Olga Stalmachenok à Novoshakhtinsk, les enquêteurs avaient craind le pire… A raison.
Le corps du garçon était recouvert d’un manteau, son visage d’un chapeau, et ses mains étaient attachées avec des bretelles. Le bout de la langue de Dmitriy avaient disparu. Le sperme sur sa chemise permit de le relier aux deux crimes précédents où du sperme avait été trouvé. Près du corps de Dmitriy, les enquêteurs remarquèrent une grande empreinte de pas, de taille 45. L’empreinte des semelles correspondait à celle retrouvée près du corps de Natalya Shalapinina.
Et cette fois-ci, il y avait eu des témoins. Dmitriy avait été vu alors qu’il suivait “un homme d’âge moyen, de grande taille, aux joues creuses, portant des lunettes” avec qui il discutait. Des voisins et un ami de Dmitriy décrirent « un homme mince portant de larges lunettes, un manteau gris foncé de demi-saison, un chapeau de fourrure et tenant une malette sombre avec une serrure ». Tous les témoins parlèrent de l’étrange démarche traînante de cet homme – on aurait dit qu’il avait des jambes raides. Mais personne ne l’avait reconnu.
Quelqu’un d’autre avait vu une voiture blanche. Elle ne fut pas retrouvée et les policiers perdirent un temps précieux sur cette fausse piste.

Les autorités locales et nationales refusant toujours de relier officiellement les 14 meurtres connus des enquêteurs à cette époque en les attribuant à un seul et même tueur, chacun faisait l’objet d’une enquête séparée. Les policiers de Novochakhtinsk ne partagèrent donc pas le portrait robot ou la description de leur suspect.

Le 5 juillet, on découvrit une autre victime dans un bois à l’extérieur de Shakhty, celui d’une fillette tuée à coups de marteau et presque décapitée. Le 27 juillet, en venant re-examiner les lieux, les policiers trouvèrent le squelette d’une jeune femme qui avait été poignardée à de nombreuses reprises. Les deux n’allaient être identifiées qu’en 1985, grâce à la reconstruction faciale. Tatyana « Tanja » Petrosjan, une femme de 32 ans, et sa fille de 11 ans, Svetlana.
Tanja connaissait Chikatilo depuis 1978. Svetlana avait vu Chikatilo assassiner sa mère avant de la poursuivre sur près d’un kilomètre et de la tuer à coups de marteau.

Une fois Tatyana et Svetlana identifiées, plus d’un an après leur disparition, les enquêteurs rendirent visite à la mère de Tanja. Elle leur expliqua qu’un inconnu s’était présenté chez eux, dans le village de Donskoï, qui se disait enseignant. La mère de Tanja Petrosyan et sa sœur décrivirent cet homme aux policiers : d’âge moyen, grand et mince, portant de large lunettes, les jambes raides. Le jour de sa disparition, Tatyana avait annoncé à sa mère qu’elle partait pour Shakhty pour y rencontrer ce professeur qu’elle connaissait. Les policiers auraient dû faire dessiner un portrait-robot, chercher cet enseignant et partager son signalement. Ils n’en firent rien. Et leurs supérieurs ne leur demandèrent pas ce qu’ils avaient découvert à Donskoï.

Et le nombre de victimes ne cessa d’augmenter. Les enquêteurs ne savaient plus où donner de la tête.

Anna Lemesheva, 19 ans, disparut le 19 juillet 1984 alors qu’elle rentrait chez elle après un rendez-vous chez le dentiste. Son corps fut retrouvée le 25 juillet près de la gare de Kirpichnaya, non loin de la voie qui menait vers Shakhty.
Le yeux et la tempe gauche avait été percés et le tueur avait poignardé Anna à plusieurs reprises à la cuisse gauche, au sein et au pubis. Le tueur avait coupé les mamelons de la jeune femme, mutilé ses organes génitaux et découpé son utérus.

Les enquêteurs trouvèrent un morceau de papier non loin du corps, portant le nom et l’adresse d’un homme. Lorsque les policiers lui rendirent visite, il expliqua qu’il cherchait une personne pour s’occuper de son épouse gravement malade et qu’Anna Lemesheva avait été l’une des rares à répondre à son annonce. Il n’avait jamais eu de problème avec la justice, était un bon ouvrier et était même membre du parti communiste, mais les policiers l’arrêtèrent malgré tout. Ils le gardèrent en détention provisoire durant 10 jours pendant qu’ils enquêtaient sur ses allers et venues, perquisitionnaient son domicile… mais ne trouvèrent rien contre lui et finirent par le relâcher.

Durant l’été 1984, Chikatilo fut accusé du vol d’une batterie lors d’un voyage d’affaires à Moscou et fut contraint de démissionner discrètement afin d’éviter que des poursuites ne soient engagées. Avant qu’on ne lui demande de partir, Chikatilo avait déjà trouvé un nouveau poste dans une entreprise appelée “Spetsenergoavtomatika” à Rostov. Il déménagea donc dans la grande ville portuaire avec sa famille.

Plusieurs victimes ayant été découvertes dans le parc des Aviateurs de Rostov, la police déploya des agents déguisés en cyclistes, en vendeurs ambulants ou en couple de marcheurs pour surveiller les hectares de bois. Mais cette surveillance était trop gourmande en personnel, elle ne fut maintenue que durant quelques jours, jusqu’au 31 juillet.

Natalya Golosovskaya, 16 ans, disparut le 2 août 1984 sur le chemin vers Novoshakhtinsk, où elle devait rendre visite à sa sœur. Elle fut retrouvée dans le parc des Aviateurs, couvertes de feuilles. Des adolescents avaient entendu des cris alors qu’ils s’amusaient non loin du jardin d’enfants, mais n’avaient pas imaginé que Natalya était assassinée à quelques centaines de mètres d’eux. La bouche de l’adolescente était remplie de feuilles et de terre : le tueur avait essayé d’étouffer ses cris.
Le cadavre de Natalya présentait les blessures caractéristiques, mais contrairement aux meurtres précédents, la majorité d’entre elles avaient été infligées post mortem. 

Le corps de Lyudmila Alekseyeva, 17 ans, fut retrouvée le 10 août sur la rive gauche du Don. Contrairement au parc des Aviateurs, l’endroit était calme et désert, et le tueur avait pu agir sans crainte d’être découvert. Il avait poignardé Lyudmila à 39 reprises avec un couteau de cuisine, avait mutilé sa poitrine et le bas de son abdomen, lui avait coupé la lèvre supérieure…
Jeune fille séduisante, sociable et sympathique, Lyudmila était venue rendre visite à son frère en vacances et avait soudainement disparu le 7 août. Son frère, Vadim Kulevatsky, 27 ans, avait immédiatement signalé la disparition de sa sœur, mais pendant 10 jours, il n’avait eu aucune nouvelle de la police. 
Chikatilo avait engagé la conversation à un arrêt de bus pour proposer à Lyudmila de la conduire à la gare routière de Rostov. Des témoins parlèrent d’un homme d’âge mûr, grand et mince, mais lorsque l’identité de la jeune victime fut établie, Vadim Kulevatsky fut le premier à être soupçonné par les forces de l’ordre. L’enquêteur chargé de l’enquête tenta de la forcer à avouer le meurtre de sa propre sœur, mais Vadim, qui était chauffeur de taxi, pu prouver qu’il avait passé des jours à conduire ses clients.

Le corps émasculé et poignardé d’un garçon fut retrouvé dans un champ de maïs le 12 août, non loin d’une grande entreprise industrielle de Rostov. Il s’agissait de Dmitriy Illarionov, 13 ans, disparut le 10 juillet 1984 à Rostov alors qu’il allait chercher un certificat de santé pour participer à un camp d’été. 

Le nombre croissant de meurtres de garçons conduisit les enquêteurs à penser que le tueur pouvait être homosexuel. Rappelons qu’en 1984, l’homosexualité était considérée en URSS comme une perversion et un crime (elle ne fut décriminalisée qu’en 1993). Nombre de psychiatres et de policiers avaient déjà conclu que le tueur ne pouvait être qu’un homosexuel. Par conséquent, les homosexuels identifiés à Rostov furent arrêtés et interogés les uns après les autres, et on préleva leur sang pour analyse.

Le squelette d’une jeune femme fut retrouvé le 27 août sur les rives du Don, dans le village de Bagasenski, non loin de Rostov. Yelena Bakulina, 21 ans, avait été poignardée à mort le 22 juin et son corps avait été recouvert de feuilles et de branches. 

Le 2 septembre, c’est le corps d’un garçon de 11 ans, Aleksandr « Sasha » Chepel, qui fut retrouvé étranglé et recouvert de feuilles sur les rives du Don, près de l’endroit où Lyudmila Alekseyeva avait été tuée. Il avait disparu cinq jours plus tôt et la police avait rapidement commencé à le chercher, reconstituant son parcours en détail. Aleksandr était allé voir sa mère au travail, pendant sa pause déjeuner, puis s’était rendu chez un ami, avec qui il était allé au cinéma. Ils avaient pris le bus pour rentrer chez eux et s’étaient séparés à l’un des arrêts, vers 19h30.
Aleksandr avait été poignardé à 14 reprises, Chikatilo avait coupé son sexe, l’avait frappé, brûlé et violé.

Le 7 septembre, on découvrit le corps d’Irina Luchinskaya, une bibliothécaire de 24 ans assassinée la veille dans le parc des Aviateurs. Elle avait été poignardée à de multiple reprises et mutilée, mais le tueur avait laissé ses yeux intacts.

Enfin, deux jours plus tard, le 9 septembre, le squelette d’une jeune femme poignardé fut retrouvé dans le parc des Aviateurs. Sarmite Tsana, 20 ans, avait disparut depuis le 28 juillet, mais il fallut des mois pour l’identifier. Cette victime aurait dû être ajoutée à la liste du tueur, mais l’officier local n’ouvrit pas d’enquête et ne fit pas expertiser les objets saisis autour du corps. Sans doute ne voulait-il pas aggraver ses statistiques déjà bien mauvaises…

À la fin de l’été 1984, les autorités dénombraient 24 victimes probablement assassinées par le même homme. Chaque fois que du sperme avait été laissé sur place, il s’était avéré qu’il contenait le même antigène AB. Un seul cheveu gris sur une victime semblait provenir d’un homme, et des bouts de vêtements près d’un garçon ne lui appartenaient pas.
Le tueur semblait avoir quelque peu modifié sa manière de faire. Il ne s’attaquait plus aux yeux, mais il lui arrivait de découper la lèvre supérieure, et parfois le nez.

En l’absence de témoins, de preuves matérielles et de moyens de savoir comment cet homme persuadait ses victimes de le suivre seules, la police estima que l’enquête ne menait à rien. Le tueur avait accéléré son rythme, passant de cinq victimes la première année (selon eux) à environ une toutes les deux semaines. Il allait bien finir par commettre une erreur.
Les enquêteurs ne pouvaient pas savoir qu’ils n’avaient pas trouvé les premières victimes et qu’il faudrait encore du temps avant que la terrible série de meurtres ne s’arrête.

Le ministre de l’Intérieur nomma une douzaine de nouveaux enquêteurs sur l’affaire, et une force spéciale de quelque 200 hommes et femmes fut impliquée dans l’enquête. Le sous-lieutenant Burakov fut nommé à la tête de cette équipe, ce qui lui permit d’étudier les pistes à mesure qu’elles se présentaient. Cela lui conféra également la lourde responsabilité d’élaborer un plan efficace pour arrêter le tueur. Des policiers furent chargés de travailler sous couverture dans les gares routières et ferroviaires, et de se promener dans les parcs.
Ils décidèrent qu’ils recherchaient un homme d’environ 30 ans, grand, mince, de groupe sanguin AB. Il était prudent et était plutôt intelligent. Il s’exprimait bien, il était probablement persuasif. Il voyageait et vivait avec sa mère ou sa femme. Il pouvait s’agir d’un ancien patient psychiatrique ou d’un toxicomane, et il pouvait avoir des connaissances en anatomie et savait manier un couteau. Toute personne correspondant à ces caractéristiques devrait se soumettre à une prise de sang.

Mais ces mesures furent plus ou moins bien appliquées : il arriva que le déploiement du personnel soit perturbé parce qu’ils étaient envoyés sur une autre affaire, que les équipes de garde ne soient pas désignées ou que du personnel en uniforme soit envoyé à la place des policiers en civil…

La presse ne fut pas autorisée à publier le moindre article sur les liens entre les crimes, mais seulement à demander des témoignages sur l’un ou l’autre des meurtres. Aucun avertissement ne fut donné aux parents pour qu’ils protègent leurs enfants ou aux jeunes femmes qui sortaient seules.

Peu de temps après, un policier en civil, Aleksandr Zanasovsky, repéra un homme plus âgé à la gare routière de Rostov. Cet homme, qui portait de grandes lunettes et une mallette, parla à une adolescente et lorsque celle-ci monta dans son bus, il fit le tour et s’assit à côté d’une autre adolescente pour engager à nouveau la conversation. Ce comportement étant suspect, Zanasovsky estima qu’il était temps de l’interroger.
L’homme s’appelait Andrei Chikatilo, il avait 47 ans, et était responsable dans une société de fourniture de machines. Il était en voyage d’affaires, mais vivait à Rostov. Quant à savoir pourquoi il approchait les jeunes femmes, il expliqua calmement qu’il avait été enseignant et que parler aux jeunes lui manquait. Trouvant l’explication satisfaisante et l’homme inoffensif, le policier le laissa partir.
Mais quelque temps plus tard, il repéra à nouveau Chikatilo à la gare et le suivit, montant dans le même bus que lui afin de le surveiller. « Il semblait très mal à l’aise », indiqua le rapport de Zanasovsky, « et tournait sans cesse la tête d’un côté à l’autre, comme pour vérifier s’il était suivi ».
Il suivit Chikatilo dans un autre bus et le vit aborder plusieurs jeunes femmes, regarder leur poitrine, effleurer leurs jambes, pour finir par se frotter sur l’une d’elles. Le policier l’arrêta pour “comportement indécent en public” et fouilla dans sa malette. À l’intérieur se trouvaient un pot de vaseline, un couteau de cuisine long de 20 cm, un morceau de corde et une serviette sale : un équipement bien insolite pour un homme d’affaires, mais Chikatilo trouva une explication pour chaque objet, prétendument utilisé dans le cadre de ses déplacements professionnels. Il utilisait le couteau simplement pour couper des saucisses lorsqu’il mangeait “sur le pouce” et la vaseline à la place de mousse à raser… Lorsque Zanasovsky remarqua ce qui lui sembla être des traces de sang sur le couteau et la mallette, Chikatilo sembla paniqué.

Zanasovsky pensa tenir le tueur des “lesopolosa”. Il pressa le procureur de venir interroger son suspect.
Il correspondait parfaitement à la description du témoin qui avait vu un homme d’âge mûr enlever la petite Olga Stalmachenok. C’était cependant un employé et un père de famille sans histoire…
L’enquête sur ce suspect idéal ne fut pas confiée à un officier de la police de Rostov, ni à un employé du département des enquêtes criminelles du ministère de l’Intérieur. L’enquête fut menée par l’inspecteur Litovchenko, du département des affaires intérieures du district de Pervomaisky, qui n’avait fait aucune avancée sur le meurtre Natalya Golosovskaya. Il ne fouilla pas le passé de Chikatilo, n’interrogea pas ses voisins et se contenta de lui faire une prise de sang, puis d’attendre les résultats de tests sanguins.

Il s’avéra que le sang de Chikatilo était du groupe A, et non AB. Il était également membre du parti communiste et présentait de bonnes références de moralité. Rien n’existait dans ses antécédents qui puisse éveiller les soupçons. Les enquêteurs le gardèrent en prison pendant quelques jours pour voir si le fait d’être assis dans une cellule pouvait le pousser à faire des aveux. Il nia tout, même s’il admit une « faiblesse sexuelle ». 

Comme il n’avait pas le bon groupe sanguin, il ne pouvait pas être leur assassin… Les enquêteurs faisaient confiance à leur laboratoire scientifique qui n’était en réalité pas assez moderne pour être réellement efficace, et produisit un résultat éronné.

Les seules indices qui leur restaient étaient le contenu de sa malette et le rapport de police sur ses activités dans les gares.
Le couteau et la malette saisis ne furent analysés pour savoir s’ils présentaient effectivement des traces de sang. Non seulement les vêtements de Chikatilo ne furent pas examinés, mais ils lui furent rendus.

L’accusation pour le vol de batterie toutefois remise sur la table, Chikatilo attira de nouveau l’attention de la police. Un enquêteur du bureau du procureur l’interrogea à la hâte et ne vérifia pas ses explications concernant les circonstances de son arrestation par Zanasovsky et les objets qui avaient été saisis dans sa mallette. Il rédigea toutefois un mémo ordonnant de perquisitionner le bureau où Chikatilo travaillait, d’interroger les proches en tant que témoins et de vérifier les rumeurs selon lesquelles ils auraient agressés des élèves lorsqu’il était enseignant. Ce mémo ne fut malheureusement pas suivi d’effet et aucune enquête ne fut menée.

Il semble que Chikatilo profita d’une « guerre des services » entre les enquêteurs de Rostov et les procureurs moscovites, qui se préocuppaient surtout de leur réputation. Un groupe du bureau du procureur général luttait contre le bureau du procureur et la police de la région de Rostov pour la libération du jeune déficient mental Yuri Kalenik et d’autres jeunes gens fragiles, qui s’étaient accusés d’un certain nombre de meurtres sous la pression des policiers. De nombreux employés de la police et du parquet de Rostov, y compris des cadres supérieurs, étaient impliqués dans ces arrestations. L’arrestation de Chikatilo aurait démontré l’innocence de Kalenik et des autres adolescents, entraînant un blâme, peut-être une condamnation, de ceux qui, pendant deux ans, avaient détenu des adolescents innocents et déficients mentaux, leur extorquant des témoignages falsifiés. Il ne fallait pas trouver un autre coupable… Est-ce la raison pour laquelle l’enquête sur Chikatilo fut menée avec tant de désinvolture ?

Après la clôture de l’enquête sur l’affaire de vol, en novembre 1984, l’épouse de Chikatilo fut convoquée au bureau du procureur de la ville de Novoshakhtinsk et, contre récépissé, la malette de son mari – vide – lui fut restituée. On ne sait ce qu’il advint de son contenu.
En décembre, Andreï Chikatilo fut condamné à six mois d’emprisonnement pour « vol de bien socialiste » et fut exclu du parti communiste. Ayant déjà passé 3 mois en prison, il fut libéré au bout de trois mois et cessa de tuer jusqu’à l’été suivant, sans doute apeuré par son arrestation.

Alexandr Bukhanovsky

Frustré par l’absence d’avancée dans son enquête, ignorant de l’existence et de l’arrestation de Chikatilo, le sous-lieutenant Burakov décida d’enfreindre le protocole et de consulter des experts psychiatres à Moscou. Il voulait savoir ce qu’ils pensaient de l’idée qu’une seule personne tue des femmes et des enfants des deux sexes. La plupart d’entre eux ne furent pas intéressés ou refusèrent de se prononcer, faute de détails suffisants.
Cependant, le psychiatre le plus expérimenté de Rostov-sur-le-Don, Alexandr Bukhanovsky, 41 ans, accepta d’étudier les quelques détails connus, ainsi que les schémas des scènes de crime, afin de dresser un profil psychologique du tueur. Il avait une fille adolescente et vivait à 3 km des lieux des crimes. Bukhanovsky était un peu un mouton noir, s’étant spécialisé dans des domaines médicaux aussi tabous que les déviances sexuelles, mais Viktor Burakov voulait trouver toute l’aide qu’on pouvait lui offrir.

Au début, les jeunes officiers de Burakov se moquèrent de cette tentative : un universitaire corpulent marchant dans les sous-bois, avec ses bretelles rouges et ses chaussures de luxe ? Le psychiatre avait été convié contre la volonté de Moscou, et de nombreux policiers étaient gênés à l’idée de faire appel à quelqu’un dont le domaine d’expertise était l’homosexualité et la transsexualité. À quoi servait une connaissance approfondie de la sexualité lorsqu’il s’agit de décrypter les actes horribles d’un tueur en série ?

Bukhanovsky lut tout ce qu’il put trouver et se spécialisa dans les pathologies sexuelles et la schizophrénie. Cette affaire, pour inhabituelle qu’elle soit, l’intéressait. Dix jours plus tard, il rédigea un rapport de 7 pages qui choqua à l’époque par la nouveauté de son aspect sexuel. Le tueur était un « homme d’âge moyen, cultivé, ayant une formation secondaire technique ou supérieure, qui a travaillé comme enseignant ou éducateur, et ayant des antécédents d’attouchements sexuels et des problèmes sexuels personnels ».
Selon lui, le tueur souffrait d’une certaine forme d’insuffisance sexuelle et il aveuglait ses victimes pour les empêcher de le regarder. Il brutalisait leurs cadavres, en partie par frustration et en partie pour augmenter son excitation. C’était un sadique et il avait du mal à se soulager sans cruauté. Souvent, les sadiques aiment infliger des blessures superficielles, comme c’était le cas pour beaucoup de ces victimes.
Il était compulsif, suivant l’aiguillon de son besoin, et était déprimé jusqu’à ce qu’il puisse tuer. Il pouvait même avoir des maux de tête. Il pouvait élaborer un plan et le suivre. C’était un solitaire et il frappait seul.
Toutefois, il n’était ni attardé, ni marginal, ni homosexuel, ni schizophrène. Il fallait chercher un citoyen et employé ordinaire, banal.

L’analyse du docteur Bukhanovsky modifiait radicalement la liste des suspects.

Mais Burakov obtint finalement les opinions de deux autres psychiatres, dont l’un insistait sur le fait qu’il y avait deux tueurs. Le policier estima que personne ne lui avait donné quoi que ce soit qui le rapproche de la conclusion de l’affaire. Il était toujours frustré.

Les arrestations et interrogatoires des homosexuels de Rostov ne produisaient aucun résultat. Le docteur Bukhanovsky réaffirma à Burakov et aux chefs de la police régionale, citant des preuves scientifiques, qu’il est inutile et improductif de rechercher le tueur parmi les homosexuels. Les policiers écoutèrent ses arguments, mais aucun ordre ne fut donné en ce sens, et durant des années à Rostov-sur-le-Don et dans toute la région sud de l’URSS, les homosexuels furent méthodiquement identifiés, afin que l’on vérifie leur implication dans les meurtres connus.

Partant de l’idée que le tueur souffrait d’un dysfonctionnement sexuel, Burakov consulta ainsi les dossiers d’hommes condamnés pour des “crimes homosexuels” et tomba sur Valery Ivanenko, qui avait commis plusieurs actes de « perversion » et se disait psychotique. Il avait aussi une personnalité charismatique et avait été enseignant. Âgé de 46 ans, il était grand et portait des lunettes. Il avait été interné à l’institut psychiatrique de Rostov mais s’en était échappé. Bref, il semblait trop beau pour être vrai. Il était le suspect idéal.

En surveillant l’appartement de la mère invalide d’Ivanenko, Burakov l’arrêta lorsqu’il s’y présenta. Mais son sang était du groupe A, ce qui l’innocenta. En échange de sa libération, Burakov lui demanda malgré tout de l’aider à enquêter sur les homosexuels. Ivanenko se révéla très doué pour obtenir des informations secrètes, ce qui amena d’autres personnes à fournir encore plus d’informations sous la pression.
Viktor Burakov en sut bientôt beaucoup sur le monde souterrain de Rostov, mais il avait toujours l’impression de s’enfoncer dans des impasses. Les homosexuels sur lesquels il enquêtait ne lui semblaient pas présenter les troubles de la personnalité nécessaires pour commettre ces crimes. Il commença à se rallier à l’opinion du docteur Bukhanovsky selon laquelle ce tueur était hétérosexuel, mais probablement impuissant en ce qui concernait les relations sexuelles normales. Il avait besoin de plus de détails.

En janvier 1985, Chikatilo commença à travailler pour une nouvelle entreprise de construction de locomotives à Novocherkassk, à 35km au nord de Rostov. Ses collègues le trouvèrent rapidement étrange, notant ses difficultés à se concentrer et à se souvenir des informations importantes. C’était un homme poli et calme, mais renfermé.

L’autre événement important pour Chikatilo, durant l’année 1985, fut le mariage de sa fille, Lyudmilla.

La pression était forte sur la police pour élucider les crimes déjà commis, mais plus aucun corps ne fut retrouvé durant les sept premiers mois de l’année 1985. Les enquêteurs se demandèrent si le tueur avait déménagé ou voyagé dans cette région. Peut-être avait-il été arrêté pour un autre cime ou était-il mort ?
L’impression étaient de plus en plus vive, chez les policiers, qu’ils chassaient une ombre plutôt qu’un homme. Peut-être ne l’arrêteraient-ils jamais… Déçus, démotivés, de nombreux enquêteurs commencèrent à se désintéresser de l’affaire. Des frictions et des querelles virent le jour dans le groupe, des signes de jalousie et d’orgueil blessé.

Puis un corps fut retrouvé le 3 août 1985, non pas à Rostov, mais à 1000 km plus au nord, près de Moscou. Il présentait des similitudes avec les autres et gisait près de l’aéroport Domodedovo, la bouche remplie de feuilles. Chikatilo s’était rendu à Moscou pour un voyage d’affaires et avait rencontré Natalya Pokhlistova, une jeune femme de 18 ans atteinte d’une déficience intellectuelle, dans les trains de banlieue qui relient les aéroports. Il lui avait proposé de l’argent en échange de faveurs sexuelles, puis l’avait escortée dans une zone boisée où il l’avait mutilée et assassinée, à peine à 200m de chez elle.

Burakov se rendit à Moscou pour regarder les photos de la jeune fille qui y avait été assassinée. Les mutilations ressemblaient tellement à celles des victimes de Rostov qu’il sut immédiatement que le tueur s’était rendu à Moscou pour une raison ou une autre. Il vérifia les horaires des vols entre Moscou et l’aéroport où la victime avait été retrouvée, et demanda à des agents d’examiner minutieusement tous les billets manuscrits. Sans résultat. 

Des détectives de Moscou mirent en évidence une série de meurtres de jeunes garçons qui avaient commencé lorsque les meurtres de Rostov avaient cessé. Les trois garçons avaient été violés et l’un d’entre eux avait été décapité. Le tueur avait-il changé de lieu d’habitation et donc tuait-il dans une nouvelle zone, ce qui expliquerait l’absence de meurtre à Rostov durant le début de l’année ?

Mais l’équipe de Rostov fut ramenée à Shakhty dès le 28 août. Dans un bosquet près de la gare routière, Irina Gulyayeva, une jeune femme de 18 ans, sans domicile fixe, gisait morte, la bouche remplie de feuilles. On trouve, à côté de ses blessures, du sperme dont le groupe sanguin était AB. Entre ses doigts se trouvait une mèche de cheveux gris, semblable à celle retrouvée lors l’un des meurtres précédents.
Jamais les enquêteurs n’avaient trouvé autant de preuves sur une scène de crime jusqu’à présent. Ils pensaient qu’ils allaient bientôt résoudre cette affaire.

Ils trouvèrent un bon suspect qui avait eu un contact avec une victime précédente et avait avoué (après 10 jours d’interrogatoire “intensif”). Mais pour le sous-lieutenant Burakov, ces aveux ne sonnaient pas juste. Le suspect ne fut pas en mesure de les conduire sur le lieu du crime.
Une fois de plus, et c’était terriblement frustrant, il n’était pas leur homme.

Issa Kostoyev

Devant le manque de résultat, un procureur moscovite qui avait déjà enquêté sur un autre tueur en série (Vladimir Storozhenko, qui avait assassiné 13 victimes à Smolensk), l’enquêteur en chef Issa Kostoyev, fut nommé pour mener l’enquête sur les meurtres des “lesopolosa”.
À ce moment-là, 15 procureurs et 29 inspecteurs étaient déjà impliqués ou s’étaient succédé. Kostoyev examina le travail accompli jusqu’à présent et estima qu’il ne s’était « pas bien déroulé »…
Points positifs : des policiers surveillaient les gares ferroviaires et routières à la recherche d’activités suspectes, et des enquêtrices se faisaient passer pour des prostituées ou des vagabondes pour essayer d’amener les hommes – et donc peut-être le tueur – à leur parler.
Par contre, une guerre des égos et un manque de confiance faisaient que la police et les procureurs de Rostov ne collaboraient pas correctement, ces derniers bombardant Moscou de rapports sur la négligence des forces de l’ordre locales, qui, il faut l’admettre, avaient souvent « oubliés » des cadavres, piétiné des scènes de crime, perdu des preuves matérielles et, bien évidemment, obtenus des aveux en utilisant des techniques musclées. 
Yuri Kalenik, l’adolescent mentalement attardé, était sans doute accusé à tord, au moins pour certains meurtres. Les enquêteurs qui assuraient qu’il était bien le tueur, ou l’un des tueurs, affirmaient que les amis de Kalenik, toujours en liberté, commettaient depuis des meurtres spécifiquement pour détourner les soupçons de leur ami emprisonné depuis septembre 1983.

En fait, Kotsoyev pensait qu’ils avaient déjà trouvé l’homme qu’ils recherchaient, mais qu’ils ne le savaient pas. Cela ne contribua pas à améliorer le moral déjà bien bas de l’équipe d’enquêteurs.

Kostoyev décida de réorganiser les enquêteurs en trois équipes. Un groupe se concentra sur Shakhty, un autre sur Rostov et le troisième sur Novoshakhtinsk. Sa stratégie était simple : enquêter systématiquement sur chaque meurtre et se concentrer sur les zones environnantes.

Après tout ce temps, le jeune Yuri Kalenik était toujours en prison en attendant la fin de l’enquête le concernant, mais les enquêteurs étaient concentrés sur le tueur. Il était clair que quelque chose ne fonctionnait pas dans le processus et le procureur Kostoyev était furieux. Il ne croyait pas que Yuri Kalenik soit coupable.

Viktor Burakov se tourna à nouveau vers le Docteur Bukhanovsky, l’autorisant enfin à consulter tous les rapports de la scène de crime afin qu’il puisse rédiger un profil plus détaillé. Cela pourrait, pensa-t-il, les aider à réduire le nombre de pistes.
Bukhanovsky prit tous les documents qu’on lui présenta, puis passa des mois à rédiger 65 pages consacrées à une description de l’esprit du tueur qui lui semblait logique d’après son travail sur les dysfonctionnements sexuels, les nécrophiles et les sadiques.
Il qualifia le tueur inconnu de « tueur X ».

X n’était pas psychotique, parce qu’il contrôlait ce qu’il faisait et qu’il était motivé par un intérêt personnel. Il était narcissique et arrogant, se considérant comme un surdoué, bien qu’il ne soit pas excessivement intelligent. Il préméditait et planifiait ses crimes, mais n’était pas créatif. Il était hétérosexuel, les garçons étant un « substitut par procuration ». C’était un “nécro-sadique”, qui avait besoin de voir des gens mourir pour obtenir une satisfaction sexuelle.

Pour que ses victimes ne puissent pas se défendre, il les frappait à la tête. Les multiples coups de couteau étaient un moyen de les « pénétrer » sexuellement. Il s’asseyait à califourchon sur eux ou s’accroupissait à côté d’eux, s’approchant le plus possible. Les entailles les plus profondes représentaient l’apogée de son plaisir, et il pouvait se masturber, soit spontanément, soit avec sa main.

Il existait de nombreuses raisons pour lesquelles le tueur avait découpé les yeux de ses victimes, mais rien dans les scènes de crime ne suggérait ce qui l’avait réellement motivé. Il pouvait être excité par les yeux ou les craindre. Il pouvait croire que son image restait sur les yeux de ses victimes, la dernière chose qu’elles avaient vue, une superstition assez répandue dans la région. Le fait de couper les organes sexuels était une manifestation de pouvoir sur les femmes. Il pouvait conserver les organes manquants ou les manger. L’ablation des organes sexuels des garçons pouvait être un moyen de les “neutraliser” et de les faire paraître plus féminins.

L’hypothèse selon laquelle X réagissait aux changements climatiques constituait un élément intéressant. Avant la plupart des meurtres, la température avait baissé. Cela pouvait être son élément déclencheur, surtout s’il coïncidait avec d’autres facteurs de stress à la maison ou au travail. La plupart des meurtres avaient été commis en milieu de semaine, du mardi au jeudi.

Si le Docteur Bukhanovsky resta vague sur la taille et la profession du tueur, il pensait désormais que l’âge de X se situait entre 45 et 50 ans. Il était probable qu’il ait eu une enfance difficile. Il était en conflit et se renfermait probablement sur lui-même. Il avait une vie fantasmatique riche, mais une réaction anormale à la sexualité. Bukhanovsky ne put pas pu dire si l’homme était marié ou s’il avait eu des enfants, mais s’il était marié, sa femme le laissait faire ce qu’il voulait et ne lui demandait pas grand-chose.

Ses meurtres étaient compulsifs et pouvaient s’arrêter temporairement s’il sentait qu’il risquait d’être découvert, mais ne s’arrêtaient jamais complètement jusqu’à ce qu’il meure ou qu’il soit arrêté.

Malgré la longueur et le détail de ce rapport psychologique, que Burakov considéra avec intérêt, il n’y trouva rien de réellement concret pour l’aider à retrouver son tueur.

Anatoly Slivko

Déçu, le procureur Issa Kostoyev décida alors de consulter quelqu’un qui était beaucoup plus “proche” de ce type de crimes : Anatoly Slivko, un homme condamné pour le meurtre de sept garçons, qu’il avait pendus, violés et assassinés pour ressentir un plaisir sexuel, en photographiant chaque instant.
L’enquêteur voulait que cet homme lui explique le fonctionnement de l’esprit d’un tueur en série. Slivko attribua ses actes à son incapacité à éprouver une excitation et une satisfaction sexuelles normales. Il lui expliqua qu’il avait eu des fantasmes sans fin à cause desquels il ressentait un besoin de passer à l’acte, et le fait planifier ses crimes lui procurait déjà une satisfaction. Là non plus, ses propos n’apportèrent rien de concret à l’enquête.
Toutefois, la façon de se comporter de Slivko durant l’interrogatoire enseigna à l’enquêteur qu’un tueur de ce type pouvait posséder un esprit compartimenté, capable de tuer des garçons, mais se montrant indigné par la consommation d’alcool en présence d’enfants. Enseignant, Slivko était un homme doux, tranquille, un bon père de famille qui ne fumait pas et ne buvait pas.
Cela signifiait que « leur » tueur pouvait tout à fait vivre d’une manière qui dissimulait ses véritables penchants, être marié, avoir des enfants, paraître charmant… 

Les enquêteurs pensaient que “tueur X” ressemblait beaucoup à Slivko, ce qui signifiait qu’il serait pratiquement impossible à attraper.

Mais ensuite, curieusement, les meurtres semblèrent s’arrêter.

À la fin de l’année 1985, le sous-lieutenant Burakov et le procureur Kostoyev organisèrent des patrouilles dans tous les trains des districts où les meurtres avaient eu lieu. Les policiers en civil et les miliciens volontaires arrêtaient et vérifiaient les papiers de toute personne paraissant suspecte. Des hélicoptères de l’armée furent utilisés pour surveiller les lignes de chemin de fer et les forêts adjacentes depuis le ciel.

Chikatilo, sa fille, son beau-fils et son petit-fils

C’est sans doute à cause de cette surveillance accrue que Chikatilo cessa de tuer durant des mois. Il devint grand-père d’un petit-garçon en 1986, un bébé en pleine santé dont il se montra très fier.

Rien ne se produisit cet hiver-là ni au printemps suivant.
Puis, le 23 juillet 1986, le corps d’une femme de 33 ans fut découvert, mais il ne portait aucune des marques caractéristiques du tueur, si ce n’est qu’elle avait été poignardée à plusieurs reprises.
Viktor Burakov douta qu’elle fasse partie de la série.
Ce ne fut pas le cas de la jeune femme retrouvée le 18 août. Elle avait été poignardée, éventrée, ses yeux arrachés, mais elle avait été en grande partie enterrée, à l’exception d’une main qui dépassait de la terre, ce qui constituait une nouveauté dans le mode opératoire. Les enquêteurs s’interrogeaient : et si d’autres personnes n’avaient pas encore été retrouvées et se trouvaient également sous la terre ?

Les experts en graphologie abandonnèrent finalement la carte postale du “Chat noir” reçue par les parents d’Olga Stalmachenok en décembre 1982 et la police ne put aller plus loin dans ses enquêtes sur les 14 suspects figurant sur la liste jusqu’à présent et qui, selon Burakov, pouvaient tous être éliminés.
Il créa un livret exhaustif des crimes à distribuer aux autres services de police, et un fichier fut créé pour garder une trace des nouvelles pistes. Lui et son équipe étaient tenaillés par la crainte que cette affaire ne soit jamais résolue.

À la fin de l’année 1986, Viktor Burakov fit une dépression nerveuse. Faible et épuisé, incapable de dormir, il se rendit à l’hôpital, où il resta un mois, puis fut envoyé en repos pour un autre mois. Quatre années de travail intense l’avaient exténué. Mais il ne voulait pas abandonner.
Il ne se doutait pas alors qu’il n’était qu’à mi-chemin de son enquête. Le tueur n’en avait pas encore terminé.
La période de repos de Burakov lui permit toutefois de prendre du recul. Il put réfléchir aux stratégies utilisées jusqu’alors et estima qu’aucune d’entre elles ne les menait sur la bonne voie. De plus, elles étaient toutes gourmandes en temps et en ressources. Il ne pourrait attraper ce tueur que si celui-ci refaisait surface, c’est-à-dire s’il assassinait une nouvelle victime. C’était une idée sinistre, mais c’était leur seul espoir.

Pourtant, rien ne se produisit pendant le reste de l’année, ni durant l’année 1987.

Entre 1986 et 1989, Konstantin Cheryomushkin a violé et assassiné quatre jeunes filles dans la ville satellite de Bataysk près de Rostov-sur-le-Don. Après les meurtres, Cheryomushkin a coupé les tétons et les organes génitaux des victimes, ce qui a amené l’équipe d’enquêteurs qui cherchait Chikatilo à supposer que ces crimes avaient été commis par leur “tueur du lelopolosa”.
Mais l’enquête a ensuite révélé que les meurtres avaient été commis par un autre tueur, qui s’était rendue sur les lieux du crime en voiture et avait emporté les objets de valeur des victimes (contrairement à Chikatilo). Cheryomushkin espérait que ses crimes seraient confondus avec ceux de Chikatilo. Les enquêteurs ont été surpris qu’un assassin se mette à tuer au beau milieu d’une opération de grande envergure visant à arrêter un autre criminel.

Viktor Burakov en vint à espérer – ou redouter – que le tueur ne soit décédé. En réalité, Chikatilo, craignant toujours d’être remarqué dans une gare de la région de Rostov, commença à tuer dans des endroits très éloignés, plutôt que dans les “lesopolosa”.

Le 16 mai 1987, lors d’un voyage d’affaires dans l’Oural, il trouva Oleg Makarenkov, un garçon de 13 ans, dans une gare, et le tortura avant de l’assassiner à Revda, à 2200 km à l’est de Rostov. 

Chikatilo commit deux autres meurtres de garçons cette année-là. 

Le 29 juillet, il assassina Ivan Bilovetsky, 12 ans, dans un bois le long d’une ligne de chemin de fer, dans la ville ukrainienne de Zaporijjia, à 400 km de Rostov. Son corps fut retrouvé par son propre père le lendemain.

Le 15 septembre, Chikatilo convainquit Yuri Tereshonok, un élève d’une école professionnelle de 15 ans, de descendre d’un train à Leningrad/Saint-Petersbourg, à 1800 km au nord de Rostov.

Le 6 avril 1988, alors que l’hiver se transformait en printemps, un cheminot découvrit le corps nu d’une femme dans une zone couverte de mauvaises herbes, non loin d’une usine de métaux et de la gare de Krasny Sulin, au nord de Shakhty.
Ses mains étaient liées derrière son dos, elle avait été poignardée à plusieurs reprises, le bout de son nez avait disparu et son crâne avait été défoncé. Seule une grande empreinte de pas fut retrouvée à proximité. Des personnes se souvinrent avoir vu la jeune femme, mais elle était seule. Il n’y avait aucune trace d’agression sexuelle et ses yeux n’avaient pas été touchés. Elle n’avait pas non plus été tuée dans les bois.
Elle ne fut jamais identifiée. Peut-être était-elle prostituée ou SDF.

Les enquêteurs se demandèrent s’ils devaient inclure ce meurtre dans la série. Peut-être le tueur des “lesopolosa” n’était-il plus en activité ?
Pourtant, à peine un mois plus tard, le 17 mai, le corps d’un garçon de 9 ans fut découvert dans les bois, non loin de la gare de Ilovaisk, à 165 km au nord-ouest de Rostov. Il avait été violé, puis sa bouche et son anus avaient été bourrés de terre. Il présentait de nombreux coups de couteau et un coup au crâne, et son assassin avait coupé son sexe.
Contrairement à la femme assassinée le mois précédent, le garçon fut rapidement identifié. Il s’appelait Aleksei Voronko et avait disparu depuis deux jours. Un camarade de classe l’avait vu en compagnie d’un homme d’âge moyen « aux dents en or », portant une moustache et un sac de sport. Ils étaient allés ensemble dans les bois et Aleksei avait dit qu’il reviendrait bientôt, mais il n’est pas revenu.
Il s’agissait d’une piste intéressante. Les enquêteurs se rapprochèrent des dentistes locaux, car peu d’adultes de la région pouvaient s’offrir des couronnes en or pour leurs dents.
Pourtant, lorsque la fin de l’année arriva, aucun suspect aux dents en or n’avait été identifié.

En juillet 1988, Chikatilo assassina également Yevgeny Muratov, un adolescent de 15 ans, dans un bois proche de la gare de Donleskhoz. Son meurtre signait le retour du tueur dans la région de Rostov, où il n’avait plus frappé depuis 1985. Mais les enquêteurs ne pouvaient s’en rendre compte, car le squelette d’Yevgeny ne fut retrouvé que le 10 avril 1989.

À la fin de l’année 1988, le ministère de la Santé apprit aux enquêteurs qu’il arrivait que le type du sang dans les sécrétions ne corresponde pas aux groupes sanguins. Dans de rares cas « paradoxaux », il n’existait aucune concordance : le groupe sanguin pouvait donc être différent dans le sang et dans le sperme. La vérité est qu’ils avaient fini par comprendre que la laboratoire scientifique de la police avait commis de nombreuses erreurs et qu’aucune analyse sanguine précédente ne pouvait être prise au sérieux…
En d’autres termes, n’importe lequel des suspects éliminés sur la base du groupe sanguin pouvait en réalité être l’assassin. Bien que cette nouvelle fut frustrante et rendit l’enquête plus difficile à bien des égards, elle rouvrait également quelques portes qui avaient été fermées.
Mais cela impliquait de prélever des échantillons de sperme (ce qui devait être accepté par les suspects), et non de sang, et de recommencer quatre années de travail.

La seule méthode d’enquête qui semblait viable était de poster davantage d’hommes pour surveiller les gares routières et les gares de trains.

Et le tueur fut son retour à Rostov. 
En réalité, à partir de cette année 1989, Chikatilo commença à devenir paranoïaque et sa vie se mit à tourner entièrement autour de ses fantasmes brutaux.

Le 28 février, il assassina Tatyana Ryzhova, une adolescente de 16 ans, fugueuse originaire de Glubokyi, dans la région de Rostov, et décrite comme ayant “une réputation d’alcool et de promiscuité”.
Le mode opératoire fut si différent de ses habitudes que les enquêteurs n’établirent par de lien entre le meurtre de Tatyana et leur tueur. Chikatilo l’assassina dans l’appartement de sa propre fille, à Shakhty, puis découpa son corps en morceau pour le faire disparaître “discrètement”. Son corps démembré fut retrouvé le 9 mars par un sans-abris, non loin de la gare de Shakhty : trois paquets enveloppés dans des vêtements et attachés avec de la ficelle dans un tuyau d’évacuation. 

Le 10 avril 1989, le nom de Yevgeniy Muratov, porté disparu depuis l’été 1988, vint donc officiellement s’ajouter à la série des “lesopolosa”. Quatre adolescents découvrirent son corps dans une forêt proche de la gare de Donleskhoz.
Son assassin l’avait poignardé au moins trente fois et lui avait coupé le sexe. Il était en état de décomposition avancée et avait séjourné sous la neige pendant des mois. Mais les policiers l’identifièrent grâce à son passeport et une lettre trouvés non loin de lui.
Ce garçon était issu d’une bonne famille, il n’était pas un sans abris, et la police – enracinée dans ses préjugés et ses partis pris – hésita à l’inclure dans la liste des victimes.

Aucun des enquêteurs chargés de surveiller les trains et les usagers des gares de cette zone n’avait signalé quoi que ce soit de suspect. Aucun homme d’âge mûr accompagné de garçons ou de femmes. Toutefois, une employée de la billetterie déclara avoir vu un homme cet été-là sur le quai. Il avait essayé de convaincre son “fils” de l’accompagner dans les bois. La police identifia et retrouva l’homme en question, mais il avait un alibi.

Le jeune Yuri Kalenik avait (enfin) été libéré de prison après avoir purgé une peine de cinq ans et il vivait maintenant près de la zone où le corps avait été trouvé. Peut-être l’avait-on libéré précipitamment. Lorsqu’il fut interrogé, il insista sur le fait qu’il ne savait rien, et les enquêteurs, cette fois-là, le laissèrent partir.

Le 11 mai, Aleksandr Dyakonov, un garçon de 8 ans, disparut. Aleksandr était si jeune et naïf que Chikatilo n’eut pas besoin de lui mentir ou de le manipuler. Il lui prit la main et l’emmena avec lui. Son corps fut retrouvé en juillet dans un buisson, au bord d’une route, par un chauffeur de taxi qui avait remarqué un cartable et un livre. Le garçon avait été poignardé et mutilé.

Des années plus tard, les parents d’Aleksandr allaient expliquer qu’ils avaient signalé la disparition de leur fils à la police. En réponse, l’enquêteur local avait appelé chaque jour le père de « Sasha » pour l’interroger et le pousser à avouer le meurtre de son propre fils… Lorsque la mère du garçon avait contacté la police pour exiger qu’il cesse de harceler son mari, l’enquêteur avait répondu par une menace : « Si vous vous plaignez à ma hiérarchie, je jetterai votre mari en prison et vous dans un hôpital psychiatrique.« 

Le corps d’Aleksandr gisait en plein centre de Rostov-sur-le-Don, dans un petit îlot de verdure à l’intersection des rues Nansen et Sheboldaev. 
Ce changement dans les habitudes du tueur, des bois à une route, alerta les autorités sur la possibilité que le tueur ait remarqué la surveillance mise en place dans les gares et qu’il ait changé sa façon de se “procurer” des victimes.
Pourtant, tuer quelqu’un si près d’une route était imprudent. Le tueur aurait pu être surpris durant son crime. Les enquêteurs reprirent espoir, car même le tueur le plus organisé pouvait se désintégrer lorsque l’envie de meurtre remplaçait la prudence.

Le 20 juin, Chikatilo assassina Aleksey Moiseyev, 10 ans, à Kolchugino, à 1200 km au nord de Rostov et non loin de Moscou. Alors que le garçon s’amusait sur la plage d’un lac, il le convainquit de le suivre dans la forêt.

Le 19 août 1989, Chikatilo assassina une étudiante hongroise, Yelena Varga, dans une zone boisée éloignée de toute gare ferroviaire ou routière, à Krasnoznamenka, à 40km au nord de Rostov. Elle fut massacrée et mutilée, comme toutes les autres victimes féminines de la série des “lesopolosa”. Et on trouva des cheveux gris sur sa jupe.
Chikatilo l’assassina alors qu’il se rendait à l’anniversaire de son père. Voyant la jeune femme à un arrêt de bus, il lui proposa de la raccompagner, mais l’attira dans les bois et la poignarda. Après avoir découpé son utérus, il se rendit à la fête.

Un peu plus d’une semaine plus tard, un garçon de 10 ans, Aleksei « Aliocha » Khobotov, fut porté disparu. On ne le retrouva que des années plus tard : le garçon rencontra Chikatilo à l’extérieur d’un théâtre à Shakhty et le tueur le convainquit de le suivre. Il l’enterra dans une tombe peu profonde dans un cimetière voisin.
Aleksei avait demandé à sa mère s’il pouvait aller faire de la balancoire dans un parc proche de leur domicile. Lorsqu’il n’était pas revenu, ses parents avaient prévenu la police, qui n’avait pas réagit. Quelques jours plus tard, totalement désespérés, ils s’étaient rendu au poste de police pour demander qu’on chercher leur fils… et l’enquêteur local avait tenté de leur faire avouer qu’ils avaient tué leur propre enfant.

Les difficultés de Chikatilo se faisaient de plus en plus évidente dans son travail. Il avait souvent des problèmes avec ses supérieurs, mais considérait que c’était uniquement de leur fait, estimant qu’ils étaient incapables de reconnaître qu’il était un bon employé. 
Dans un autre domaine, il devint obsédé par des travaux de rénovation effectués à l’extérieur d’un appartement appartenant à la famille Chikatilo. Ce logement était destiné à son fils Yuri, qui terminait son service militaire. Selon Chikatilo, les rénovations décidées par la copropriété dévalorisait l’appartement. Il écrivit des lettres de réclamation aux bureaux locaux, dans l’espoir de faire arrêter ces rénovations, sans succès. Il continua à envoyer des lettres, d’abord au niveau régional, puis au bureau central du parti communiste et enfin au dirigeant, Mikhaïl Gorbatchev. Au début, les lettres semblaient cohérentes, mais elles devinrent de plus en plus paranoïaques, accusant divers groupes mafieux, en particulier la mafia assyrienne qui, selon lui, le suivait et conspirait pour le tuer.

Après tous ces meurtres, toute cette brutalité, Chikatilo commençait à ressentir des difficultés à feindre la normalité.

Le 19 février 1990, le corps sexuellement mutilé d’un garçon de 11 ans fut retrouvé dans un “lesopolosa”, non loin d’une voie ferrée. Andrei Kravchenko avait été enlevé le 14 janvier après-midi, dans les rues proches de son domicile de Shakhty, alors qu’il quittait son club de sport. Il avait été poignardé à 17 reprises et mutilé.
Cette fois-ci, les policiers firent un véritable travail d’enquête, qui n’apporta malheureusement aucun résultat. Andrei avait exprimé son envie d’aller dans un vidéoclub et son corps avait été retrouvé à une distance considérable du centre-ville de Shakhty. Les policiers se concentrèrent donc sur « les personnes qui manifestent un intérêt malsain pour les enfants », cherchant des suspects dans les vidéoclubs situés à la gare routière, dans les centres culturels, les restaurants, les cinémas et le parc de la ville. Durant quelques semaines, des policiers en civils s’intéressèrent aux hommes célibataires qui utilisaient les transports et attiraient l’attention par leur agressivité et un comportement étrange.
Les policiers interrogèrent d’éventuels témoins qui se promenaient sur la « lesopolosa », les chauffeurs de taxi autour de la gare de Shakhty et les employés des gares alentours. Ils firent du porte à porte dans le quartier où Andrei avait disparu, sa photo à la main.

Si cette enquête ne permit pas d’identifier Chikatilo, elle donna cependant une idée aux enquêteurs. Andrei avait été convaincu par un homme de le suivre, ses amis avaient parlé d’un « oncle » qu’il avait mentionné et qu’il devait rencontrer. Mais peut-être le tueur avait-il abordé d’autres enfants qui avaient refusé de le suivre ? Peut-être même certaines victimes étaient-elles parvenu à s’enfuir et avaient échappé à la mort ?
Les policiers interrogèrent les écoliers de Shakhty et un garçon de 12 ans, Denis Volkov, leur expliqua qu’à la mi-août 1989, un homme d’une cinquantaine d’années l’avait abordé, un soir, alors qu’il se trouvait devant la Palais de la culture. Denis observant l’affiche d’un film, l’homme avait lancé la conversation sur le cinéma, puis lui avait demandé quelle école il fréquentait. Quelle coïncidence, l’homme était justement enseignant d’anglais dans ce même établissement ! Denis maîtrisant mal cette langue, l’homme lui avait proposé de lui donner des cours gratuitement. Puis, ils s’étaient installés dans un parc proche et peu fréquenté. L’homme avait alors commencé à « appater » Denis en lui expliquant qu’il faisait de la plongée dans des camps d’été et, devant l’intérêt du garçon, lui avait proposé de pratiquer cette activité la semaine suivante. Ils avaient ainsi discuté des autres centres d’intérêts du garçon, jusqu’à ce que Denis décide de rentrer chez lui. L’homme l’avait raccompagné et lui avait donné rendez-vous le lendemain, au parc.
Heureusement, Denis avait parlé de ce « charmant monsieur » à ces parents, qui l’avaient réprimandé et lui avaient interdit de le revoir.
Aleksey Khobotov avait sûrement été attiré de la même manière, devant le théâtre de Shakhty, en août 1989.

En mars, un autre garçon de 10 ans, Yaroslav Makarov, fut tué dans les jardins botaniques de Rostov, poignardé à 56 reprises, éventré, ses organes sexuels et sa langue coupés.
Il avait disparu de la gare de Rostov alors qu’il faisait l’école buissonnière. Il lui arrivait souvent de trainer autour de la gare pour mendrier quelques pièces ou des cigarettes.
Des témoins donnèrent des descriptions différentes de « personnes d’intérêt ». Une dame âgée, bénévole aux jardins botaniques, avait remarqué un homme de grande taille, aux épaules tombantes, portant des lunettes et une malette à la main. Mais deux hommes décrivirent un même suspect que la police identifia et arrêta. Il s’agissait d’un cordonnier qui collectionnait les couteaux et avait des troubles mentaux. Il fut toutefois innocenté, car il avait un alibi.

Les policiers renforcèrent alors leur surveillance des lieux fréquentés par les enfants.
Sans doute est-ce la raison pour laquelle Chikatilo changea à nouveau de style de victime, s’en prenant en avril à une femme de 31 ans, Lyubov Zuyeva, qu’il rencontra alors qu’elle se rendait de Novocherkassk à Shakhty. Son squelette allait être retrouvé dans un bois près de la gare de Donleskhoz le 24 août.

Puis, il attendit que la motivation des enquêteurs diminue et qu’ils soient moins présents avant de recommencer à tuer.

En juillet 1990, des ouvriers trouvèrent le corps d’un garçon de 13 ans, Viktor Petrov, tué et mutilé dans les jardins botaniques, non loin de l’endroit où l’on avait trouvé Yaroslav Makarov. Dans la nuit du 28 juillet, Chikatilo avait attiré Viktor depuis la gare de Rostov-Glavny, où le garçon et sa mère devaient attendre un bus très tôt le matin. Occupée par ses deux plus jeunes enfants, sa mère l’avait perdu de vue quelques minutes alors que Viktor allait chercher de l’eau. Elle s’était précipité au commissariat, mais les policiers avaient attendu 10h pour chercher le garçon.
Une fois le cadavre de Viktor découverte, les policiers fouillèrent les abords de la gare, interrogèrent d’éventuels témoins, les chauffeurs de taxi et de bus de nuit, les techniciens des jardins botaniques… En vain.

Les policiers avaient maintenant ce qu’ils croyaient être 32 victimes assassinées au cours des huit dernières années.

En 1990, Mikhaïl Gorbatchev était au pouvoir depuis un certain temps et avait lancé de nombreuses réformes, dont l’assouplissement des restrictions imposées aux médias, ce qui permit de faire largement connaître les meurtres commis par le tueur des “lesopolosa”.
Les journaux, désormais libres de publier ces informations, mirent la pression sur les enquêteurs. La population de la région de Rostov sombra dans la panique. 
Ceux qui occupaient les postes les plus élevés dans la police (et qui avaient auparavant sapé l’enquête avec leur esprit bureaucratique tout soviétique) menaçaient à présent de licenciement ceux qui occupaient les échelons inférieurs.
Il fallait arrêter ce tueur. 
Les policiers furent dotés d’ordinateurs et d’une base de données, qui remplacèrent avantageusement les fiches en carton. On décida de mieux former et superviser le personnel, ainsi que d’installer de nouveaux équipements radio pour que les policiers puissent plus facilement communiquer.

Malgré ses réformes bienvenues, Chikatilo continua de tuer.

Le 14 août 1990, Ivan « Vanya » Fomin, 11 ans, alla se baigner non loin du chalet de sa grand-mère sur la plage municipale de Novocherkassk, à côté d’un « lesopolosa ». Dans les hauts roseaux, non loin de nombreux témoins potentiels qui auraient dû l’entendre sinon le voir, le tueur en série le poignarda 42 fois et coupa son sexe.
Ses parents prévinrent la police de sa disparition, qui pensa d’abord à une fugue bien qu’Ivan soit un garçon sérieux et qui s’entendait bien avec sa famille. Malgré leurs supplications, les policiers locaux ne firent aucune recherche. Le père d’Ivan parcouru les fourrés avec des amis, puis convainquit des militaires de la base locale de chercher son fils. Le 17 août, ce sont eux qui retrouvèrent le corps nu du petit garçon, sur la rive droite de la rivière Aksai, près d’une voie ferrée.
A nouveau, une fois le corps de la victime retrouvé, les policiers foullièrent les lieux, interrogèrent d’éventuels témoins… Plusieurs parlèrent d’un homme d’âge mûr, entièrement vêtu, marchant sans but le long de la plage.

Le tueur des « lesopolosa », le « tueur X », était-il de retour ? Entre 1982 et 1984, il avait assassiné une majorité de victimes féminines, le plus souvent autour Shakhty ou à Rostov-sur-le-Don (notamment au Parc des Aviateurs). Mais depuis 1988, c’était en majorité des garçons qui étaient massacrés, dans des zones complètement différentes de la région de Rostov.
Le procureur Issa Kostoyev était d’avis que les garçons avait été assassinés par un autre tueur.
Ces sept affaires de meurtre de garçons faisaient l’objet d’enquêtes séparées et individuelles par des enquêteurs de différents districts. Il fallut attendre novembre 1990 pour que le chef adjoint de l’unité d’enquête du bureau du procureur de la région de Rostov publie une résolution visant à regrouper toutes ces affaires en une seule procédure et à les transférer au bureau d’enquête de Kostoyev.

Entre temps, et devant l’indignation bien compréhensible de l’opinion publique, Viktor Burakov décida d’un nouveau plan d’action.
Il choisit les gares où il était le plus probable que rôde le tueur et rendit la surveillance plus visible dans les autres, de sorte que seules celles où se trouvaient des agents en civil paraîtraient sûres au tueur. Les enquêteurs allaient essayer de le forcer à agir dans des endroits particuliers, et dans ces endroits, ils allaient enregistrer les noms de tous les hommes qui allaient et venaient.
Des enquêteurs seraient également installés dans les forêts avoisinantes, habillés en fermiers. C’était une opération d’envergure, impliquant plus de 350 personnes qui devraient être sur le qui-vive durant un long moment, mais cela semblait faisable.

Il sembla que la gare de Donleskhoz soit un bon endroit pour installer un poste de surveillance discret, puisque deux des victimes avaient été retrouvées près de là. Les cueilleurs de champignons l’utilisaient généralement pendant l’été, mais en dehors de cette période, elle était généralement peu fréquentée. Deux autres gares furent aussi sélectionnées.

​​Mais malgré la surveillance, le tueur choisit une victime dans la station de Donleskhoz. Le 17 octobre, il tua un adolescent mentalement attardé de 16 ans, Vadim Gromov, le poignardant 27 fois et le mutilant avant de se débarrasser de ses vêtements. Lorsque l’on retrouva son corps couverts de feuilles, le 3 novembre, une partie de sa langue avait disparu, de même que son sexe, et un œil avait été poignardé.
Lorsque son identité fut établie, les enquêteurs apprirent que Vadim passait la plupart de son temps dans l’electrichka, le train lent, et que de nombreux passagers du train Shakhy – Krasny Sulin l’avait remarqué… mais que personne ne l’avait vu en sortir avec quelqu’un.

Burakov et Kostoyev étaient désespérés. Le plan était une bonne idée, mais le tueur avait réussi à éviter les policiers.

Puis un autre adolescent de 16 ans, Viktor Tishchenko, fut porté disparu le 30 octobre, alors qu’il s’était rendu à la gare de Shakhty pour acheter des billets, afin de partir en vacances chez des proches. Beau et athlétique, Victor était plus grand que toutes les autres victimes masculines assassinées jusqu’à présent, pesant près de 60 kilos.
Son corps fut retrouvé à trois kilomètres au sud, dans les bois, proche d’une voie ferrée et avec les blessures habituelles. C’est presque au même endroit que la mère et sa fille, Tatyana et Svetlana Petrosyan, avaient été retrouvées six ans plus tôt. Dans le bosquet, les enquêteurs trouvèrent les traces d’une longue lutte. Viktor s’était bien défendu, mais son assassin avait finalement eu le dessus.
300 mètres plus loin, les enquêteurs retrouvèrent le billet de train que Viktor avait acheté. Lorsqu’il interrogèrent la guichetière, elle parla d’un homme d’âge mûr portant de larges lunettes, grand et mince, au comportement étrange, qui rôdait dans la gare et avait engagé la conversation avec Viktor.

Burakov ne comprenait pas. Le piège était tendu, tout le monde s’était mis en place. En réalité, le jour de la disparition de Viktor, les postes du surveillance avaient été annulés parce qu’il n’y avait pas assez de policiers pour patrouiller à Novotcherkassk… Il fut donc décidée d’emmener la guichetière dans les gares et les trains de Shakthy et Rostov, à la recherche de cet homme.

Mais le tueur tua à nouveau, sans être remarqué.
Cette fois, sa victime était une jeune SDF de 22 ans, Svetlana Korostik, assassinée dans les bois près de Donleskhoz. Elle était la 36e victime connue, avait été battue et éventrée, et une partie de sa langue avait été coupée.
Chikatilo lui avait arraché les deux mamelons et les avait mangés sur place avant de recouvrir son corps nu de feuilles et de branches.

Igor Rybakov

En retournant à la gare, Chikatilo avait vu quatre femmes, des cueilleuses de champignons avec leur panier, et un homme, debouts sur le quai. L’homme, le sergent Igor Rybakov, un policier de l’opération “lelopolosa”, avait remarqué Chikatilo : il l’avait vu sortir des bois et se laver les mains et les chaussures à une pompe à eau. Il avait également une trace rouge sur la joue et l’oreille, un doigt présentant une blessure et des brindilles sur l’arrière de son manteau. Chikatilo marchait à côté du quai en essuyant la sueur de son visage. Il avait amicalement salué les cueilleuses de champignons, comme s’il s’agissait de vieilles connaissances.
Le considérant comme un simple « cueilleur de champignons », le sergent Rybakov s’était contenté de lui demander son nom, il n’était pas descendu du quai pour aller voir ce qu’avait bien pu faire Chikatilo dans les bois. Il ne pouvait pas quitter son poste de surveillance, car son binôme était absent.

Ce fut seulement lorsque le corps de Svetlana Korostik fut découvert que les enquêteurs remarquèrent le nom noté par Rybakov.

Dans le manuel opérationnel qu’avait fait imprimé Viktor Burakov pour les enquêteurs, ce nom figurait au neuvième rang parmi une liste de 95 anciens suspects. Ce nom peu commun, ils l’avaient déjà vu. Jusqu’à ce jour, des milliers de personnes avaient fait l’objet d’une enquête, mais cet homme avait déjà été interrogé en 1984, il avait semblé être un très bon suspect et n’avait été relâché que parce que son groupe sanguin ne correspondait pas aux échantillons de sperme.
Et les enquêteurs savaient à présent qu’il ne fallait pas s’attacher à cette différence avec le groupe sanguin.
Lors de son séjour en prison, il avait admis une « faiblesse sexuelle » et, du bout des lèvres, qu’il avait dû quitter son emploi d’enseignant parce qu’il avait « caressé » une élève…
Les enquêteurs firent des recherches sur leur suspect. Il avait vécu dans les villes où des crimes avaient eu lieu.
Sa femme et son fils vivaient à Chakhty et lui, dans un appartement à Novotcherkassk, il entretenait des contacts périodiques avec sa famille. Il avait commencé à travailler à Rostov en août 1984, juste au moment où commençait une vague de meurtres.
Andrei Romanovich Chikatilo, 54 ans, se trouvait à la gare de Donleskhoz le 6 novembre.
Il était “placé” sur les lieux de la disparition d’une victime.

C’était le tueur. Ils en étaient sûrs.

Burakov fit surveiller ce suspect. Il apprit qu’il avait démissionné de son poste d’enseignant à la suite d’allégations répétées d’attouchements et de voyeurisme sur des élèves des deux sexes.
Il avait ensuite travaillé pour une entreprise, mais avait été licencié parce qu’il n’était pas revenu de ses voyages d’affaires avec les fournitures qu’il était censé chercher. Qu’avait-il donc fait de son temps ? Ses déplacements professionnels coïncidaient avec de nombreux autres meurtres, y compris ceux de Moscou.
Il avait été condamné pour vol et durant la période qu’il avait passée en prison en 1984, il n’y avait eu aucun meurtre.
Il avait été membre respecté du parti communiste, mais en avait été exclu en raison de son incarcération pour vol.

Mais toutes les preuves étaient indirectes. Les enquêteurs devaient soit le prendre sur le fait, soit le faire avouer. Durant la surveillance, ils ne virent qu’un homme ordinaire qui ne faisait rien d’inhabituel, si ce n’est qu’il parcourait constamment les trains de banlieue et entrait volontairement en contact avec des femmes et des adolescents.
C’était frustrant. Le procureur Issa Kostoyev, qui lut le rapport sur Chikatilo, ordonna son arrestation. Il ne voulait pas risquer que les policiers « perdent » Chikatilo et qu’il assassine une nouvelle victime sous leur nez. Et le tueur pouvait aussi cesser de tuer durant des mois, comme cela lui était déjà arrivé.

Le 20 novembre 1990, Chikatilo quitta son travail pour faire soigner l’un de ses doigts, que Viktor Tishchenko, son avant-dernière victime, avait tordu et mordu. Des radiographies ayant conclu que son doigt était cassé, il rentra chez lui, mais ressorti peu après pour se promener, sans savoir que des policiers le surveillaient.
Vers 13 heures, il rencontra un garçon dans un parc de Novotcherkassk, marcha et discuta avec lui dans des endroits isolés pendant plus d’une demi-heure, puis le quitta et retourna dans son appartement. Inquiets, les policiers se présentèrent au garçon pour l’interroger. Il s’avéra que Nikita, un écolier de 12 ans, ne connaissait pas Chikatilo. Mais le « gentil monsieur » lui avait promis de lui procurer une cassette d’un film vidéo à la mode, était allé chercher la cassette et lui avait demandé de l’attendre dans le parc. Les agents ordonnèrent à Nikita de rentrer chez lui.
Vers 15 heures, Chikatilo quitta son appartement avec un petit sac en tissu à la main, se promena dans le parc et, ne voyant pas Nikita, tenta de prendre contact avec d’autres garçons et adolescents, et d’engager la conversation avec eux. Lorsque des personnes s’approchaient, il s’éloignait immédiatement du garçon et gardait ses distances avec lui. Puis, alors que le jour déclinait, il se dirigea vers une zone boisée. Les officiers décidèrent de l’arrêter.
Deux hommes vêtus de vestes en cuir se rapprochèrent de lui. Ils trouvèrent sur lui un canif pliant bien aiguisé, un ruban et une cordelette.

Andrei Chikatilo ne sembla pas particulièrement surpris. Les deux policiers le trouvèrent calme, mais fatigué, et il leur parut presque soulagé. Les deux officiers se rendirent au bureau centrale de la police de Rostov, dans le bureau du chef du département, Mikhaïl Fetisov. Le procureur et chef de l’équipe d’enquête Issa Kostoyev, le chef du département des enquêtes criminelles du ministère de l’Intérieur de la Fédération de Russie, le procureur régional, son adjoint et le chef du bureau de médecine légale de Rostov les attendaient.

Chikatilo resta tout aussi calme tout au long de la procédure d’enregistrement, presque détaché, ou abasourdi, même lorsqu’on préleva sa salive, son sang et des cheveux. Il ne fournit que peu ou pas de raisons pour expliquer sa blessure à la main ou la présence d’un couteau et d’une cordelette sur lui, apparaissant de plus en plus abattu.

Le major Mikhaïl Fetisov souhaitait mener l’interrogatoire, mais le procureur Issa Kostoyev décida qu’il s’en chargerait. Il ordonna qu’on amène Chikatilo au siège régional du KGB, à Rostov-sur-le-Don. Il expliqua qu’il souhaitait mener le premier interrogatoire en privé afin d’éviter de futures déclarations de l’accusé faisant état de « pressions extérieures » exercées sur lui. Peut-être voulait-il aussi s’attribuer le mérite des aveux du tueur… à lui seul.

Les enquêteurs placèrent alors Chikatilo dans une cellule avec un informateur, prétendument arrêté pour un crime en col blanc, qui était censé lui faire admettre ses crimes. Chikatilo n’allait échanger quelques mots avec lui durant sa détention.

Le lendemain, une perquisition au domicile de Chikatilo, qui “fit honte à sa famille”, ne permit pas de trouver des objets ayant appartenu aux victimes, mais mis à jour 23 couteaux, un marteau et une paire de chaussures qui correspondaient aux empreintes de semelles découvertes à côté de l’une des victimes.

La perquisition ne fourni à l’enquête aucun atout évident, contrairement à ce que Kostoyev avait espéré. Il n’avait rien sous la main qui permettait de prouver sans équivoque la culpabilité de Chikatilo. Il fallait désormais développer une stratégie d’interrogatoire qui concentrerait tout ce que Kostoyev savait sur Chikatilo et ses crimes.

Le procureur Kostoyev décida de procéder à l’interrogatoire, en présence de l’avocat commis d’office de Chikatilo, en se montrant d’abord poli et compréhensif, pour faire parler le suspect.
Il voulait que la pièce soit dépouillée, avec seulement un coffre-fort : on expliquerait à Chikatilo que des preuves contre lui y étaient enfermées. En dehors de ce coffre, il y avait un bureau, une table et deux chaises. Lorsque Chikatilo entra, Kostoyev put constater qu’il s’agissait d’un homme grand et d’âge mûr, avec un long cou, des épaules inclinées, des lunettes trop grandes et des cheveux gris. Il avait une démarche traînante, comme une personne âgée fatiguée, mais Kostoyev n’était pas dupe. Il pensait que Chikatilo était un tueur calculateur qui possédait beaucoup d’énergie quand il en avait besoin.

Chikatilo lui semblait facile à briser, et Kostoyev n’avait échoué à obtenir des aveux que dans trois cas sur des centaines d’interrogatoires. Il entrait dans la tête du suspect, comprenait sa logique et le faisait parler. Tous les coupables finissaient par avouer. Il le fallait.

Dans un premier temps, Chikatilo nia les allégations portées contre lui et assura qu’il avait été arrêté en raison de sa protestation contre les rénovations effectuées dans l’appartement de son fils. Il avait accusé les fonctionnaires et les bureaucrates de se laisser corrompre. Les meurtres dans la région de Rostov ? Non, cela n’avait rien à voir avec lui.

La police s’était trompée, comme elle l’avait fait en 1984 lorsqu’il avait fait l’objet de la première enquête. Il nia s’être trouvé dans une gare le 6 novembre et ne savait pas pourquoi cela avait été signalé. Kostoyev savait qu’il mentait et le fit savoir à Chikatilo. Lorsqu’il lui annonça que le médecin légiste en chef, après avoir étudié sa main, avait conclu que son doigt portait la trace d’une morsure humaine, Chikatilo nia de nouveau, affirmant qu’il avait été blessé lors du chargement de conteneurs au travail.

Le lendemain, Chikatilo renonça à son droit à être accompagné d’un avocat.
Il rédigea ensuite un document de trois pages dans lequel il avouait une « faiblesse sexuelle » – les mots qu’il avait déjà utilisés auparavant – et des années d’humiliation. Il fit allusion à une « activité sexuelle perverse », sans la nommer, et déclara qu’il ne se contrôlait plus. 

Dans ce document, il indiquait subtilement ses motivations pour les crimes qu’il avait commis sans toutefois admettre aucune activité criminelle : « Depuis l’enfance, j’ai été humilié et j’ai toujours souffert », « Dans les manifestations sexuelles perverses, je ressens une certaine rage, je ne me contrôle pas et je ne peux pas contrôler mes actions », « Parce que depuis l’enfance, je n’ai pas pu me montrer comme un homme et une personne à part entière, cela [l’activité sexuelle perverse] m’a apporté un calme non pas sexuel, mais psychique et spirituel pendant une période prolongée. Surtout après avoir regardé des vidéos montrant des rapports sexuels pervers et toutes sortes de cruautés et d’horreurs…« 

Il n’admit rien de précis. Mais le lendemain, Chikatilo écrivit un autre texte, plus long, dans lequel il affirmait qu’il s’était déplacé dans les gares et qu’il avait vu comment les jeunes y étaient les victimes sexuelles de sans-abri. Il admit également qu’il était impuissant. Il laissa entrevoir une possibilité d’aveu en évoquant l’humiliation qu’il avait ressentie tout au long de sa vie, ainsi que sa haine des vagabonds ou des déviants sexuels : « Ces éléments pourris ont-ils le droit d’exister, au vu et au su de toute la population ?

Il sembla qu’il s’agissait d’une confession indirecte, où il se sentait coupable, mais se défendait en désignant d’autres suspects et en faisant allusion au fait qu’il était préférable que certains de ces mendiants meurent plutôt qu’ils ne se reproduisent. 
Il mentionna enfin qu’il avait pensé au suicide.

Après la lecture de ces lettres, Kostoyev lui répondit que son seul espoir était de tout avouer d’une manière qui montrerait qu’il avait des problèmes mentaux, afin qu’un examen puisse démontrer qu’il était légalement fou et qu’il puisse être soigné. Dans le cas contraire, les preuves dont ils disposaient le condamneraient sans aucun aveu et il n’aurait aucun espoir de se sauver. Kostoyev pensa que sa proposition était convaincante.

Chikatilo demanda le week-end pour réfléchir et déclara qu’il se soumettrait ensuite à un interrogatoire. Tout le monde s’attendait à ce qu’il avoue, mais le jour venu, il insista sur le fait qu’il n’était coupable d’aucun crime. Il rédigea un nouveau texte : « En effet, le 23 novembre, j’ai moi-même écrit de ma propre main qu’aujourd’hui, le 26 novembre, j’avais l’intention de faire des aveux sur mes crimes. Rien ne m’y a obligé, mais néanmoins, aujourd’hui, je déclare que je n’ai rien à admettre. Je n’ai commis aucun crime.« 
Pour chaque période cruciale concernant un meurtre, il affirma qu’il était chez lui, avec son épouse. Kostoyev pensait mener l’interrogatoire, mais Chikatilo continuait de nier. Poliment, à voix basse, un peu perdu. Mais il niait.

Kotsoyev lui présenta le rapport du sergent Rybakov, mais Chikatilo répéta qu’il s’était trompé.
Le procureur souligna qu’il était en voyage d’affaires pour Bakhmout, justement le jour où Aleksey Voronko avait été assassiné, sur le chemin, à Ilovaisk. Chikatilo affirma qu’il s’agissait d’une simple coïncidence.
Chikatilo réfuta également les témoignages des personnes qui avaient reconnu sa photo et l’avaient identifié comme l’homme qui traînait autour de Viktor Tishchenko à la gare de Shakhtnaya le jour de sa mort.
Kostoyev était dépité, car il n’existait pas un seul élément de preuve direct reliant son suspect aux meurtres. Et pourtant, il sentait son suspect sur le fil du rasoir, prêt à avouer… Il tenta de convaincre Chikatilo de parler, mais ce dernier lui répéta : « Attendez un peu, laissez-moi le temps, j’ai peur de parler ».

Le lendemain, Chikatilo revint quelque peu sur ses déclarations. En fait, il avait été impliqué dans certaines activités criminelles, mais pas dans des meurtres. En 1977, il avait caressé des écolières, mais c’étaient elles qui l’avaient excité. Il avait du mal à se contrôler en présence d’enfants, mais il n’avait perdu le contrôle qu’à deux reprises.

Il écrivit à nouveau : « Mon comportement incohérent ne peut pas être considéré comme une tentative d’échapper à la responsabilité de ce que j’ai fait. Certains pensent peut-être que même après mon arrestation, je n’ai pas réalisé le danger et la gravité de ce que j’avais commis. Mon cas est de nature exceptionnelle. Ce n’est pas la peur des responsabilités qui me fait me comporter ainsi, mais ma tension mentale et nerveuse interne… Je suis prêt à témoigner, mais je vous demande de ne pas me tourmenter avec des détails et des détails, car mon psychisme ne le supporte pas. (…) Je n’avais aucune intention de cacher quoi que ce soit à l’enquête… Tout ce que j’ai fait me fait trembler… Je suis juste reconnaissant envers les autorités de m’avoir capturé.« 

Il semblait encore une fois prêt à tout révéler, mais n’en fit rien, et neuf jours s’écoulèrent sans que Kostoyev ne se rapproche de son but. Tour à tour menaçant et encourageant, il ne savait pas comment faire pression sur cet homme pour qu’il s’ouvre enfin.

L’informateur placé dans la cellule de Chikatilo finit par expliquer que les techniques d’interrogatoire étaient trop brusques et qu’elles mettaient Chikatilo sur la défensive. Il était peu probable qu’elles fonctionnent. Le procureur Kostoyev avait ainsi fait venir des photographes pour humilier Chikatilo et le pousser à croire qu’ils allaient montrer les photos à sa famille. Pourtant, le suspect n’avait pas cédé de terrain.

Il n’avait plus droit qu’à un seul jour avant de devoir inculper Chikatilo d’un crime, et jusqu’à présent, les enquêteurs n’avaient pas de preuve suffisamment solide pour ne serait-ce qu’un seul de meurtres. Ils allaient devoir le relâcher. 

Viktor Burakov pensa que quelqu’un d’autre devait interroger Chikatilo, et son candidat était le Docteur Bukhanovsky. Le procureur Kostoyev dut finalement admettre qu’il n’arrivait à rien avec le suspect. Il accepta de laisser le psychiatre voir ce qu’il pouvait faire.

Décision judicieuse.

Bukhanovski accepta d’interroger Chikatilo, mais par intérêt professionnel et non pour démontrer sa culpabilité. Le 29 novembre, il se retrouva dans une pièce fermée, seul avec le meilleur suspect dans les meurtres des “lesopolosa”.

Le psychiatre comprit rapidement qu’il s’agissait exactement du type d’homme qu’il avait décrit dans son profil psychologique de 1987. De nombreux indicateurs étaient présents : un homme ordinaire, solitaire, non menaçant, plutôt maladroit socialement.
Le docteur se présenta à lui avec humilité, lui expliquant qu’il était médecin et non policier, et qu’il voulait avant tout l’aider. Il n’était pas ici pour le juger, ni pour évaluer ses actions de manière morale. Il sentit que cet homme voulait parler de sa rage et de son humiliation, et qu’il valait mieux lui témoigner de la sympathie et l’écouter. Il passa des heures à le faire, puis Bukhanovski demanda à Chikatilo de l’aider sur certains aspects du profil dont il n’était pas tout à fait sûr. Il sortit son rapport de 65 pages, lui lut les pages concernées, quelques passages choisis où il décrivait son enfance, sa jeunesse, ses parents. Chikatilo l’écouta attentivement, les larmes aux yeux, attentif à la seule personne qui semblait l’avoir jamais compris. La description de Bukhanovski analysait la nature des perversions de Chikatilo et certaines de ses causes.

“Le tueur est homme solitaire de 40 à 50 ans, qui a vécu une enfance esseulée et douloureuse. Il est incapable de flirter et de courtiser une femme. L’homme est éduqué, sans doute marié et a peut-être des enfants. Mais c’est aussi un sadique souffrant d’un problème sexuel, sans doute l’impuissance, qui ne peut obtenir l’excitation sexuelle et l’orgasme qu’en voyant sa victime souffrir. Les meurtres sont analogues aux actes sexuels que cet individu est incapable d’accomplir, et son couteau est le substitut de son pénis qui ne peut fonctionner normalement.”

En entendant le psychiatre détailler si clairement sa vie secrète, Chikatilo se mit à trembler. Finalement, il confirma ce que disait Bukhanovski, s’effondra et admit que tout était vrai. Il avait fait ces choses horribles.
En larmes, il s’exprima « d’abord de manière chaotique, puis de plus en plus cohérente et détaillée. Pour la première fois de sa vie, il raconta ce qui lui était arrivé, comment cela avait commencé, comment le premier meurtre s’était produit, comment il l’avait tourmenté, sa vie difficile et bien plus encore. »

Ils parlèrent pendant des heures, puis le psychiatre sortit de la pièce et annonça aux interrogateurs de la police que le suspect était maintenant prêt à avouer.

Le procureur Kostoyev prépara alors une déclaration officielle accusant Chikatilo de 36 meurtres. Il était loin du compte, mais personne ne le savait encore.

Chikatilo lut l’acte d’accusation et reconnut qu’il était coupable des crimes énumérés. Il voulait désormais dire la vérité sur sa vie et sur ce qui l’avait conduit à commettre ces crimes. Chikatilo avait une excellente mémoire et était en mesure de fournir de nombreux détails sur sa « carrière criminelle ».
Il admit notamment avoir commis son premier meurtre, non pas au moment où la police avait commencé enquêter sur le meurtre de Lyubov Biryuk en juin 1982, mais des années plus tôt, en 1978. Il avait tué une petite fille, Yelena Zakotnova, âgée de 9 ans.
Ce nom glaça les enquêteurs et le procureur. Aleksandr Kravchenko avait été jugé et exécuté en 1983 pour ce meurtre. 

Chikatilo expliqua qu’il s’était installé à Shakhty cette année-là pour enseigner. Avant l’arrivée de sa famille, il passait son temps libre à observer les enfants et à ressentir un fort désir de les voir sans vêtements. Pour “préserver son intimité”, il avait acheté une cabane dans une rue sombre. Lorsqu’il s’y était rendu, un jour, il était tombé sur la jeune fille, avait été pris d’un désir sexuel puissant et l’avait emmenée dans la cabane pour la violer. Il lui avait bandé les yeux avant de l’étrangler et de la poignarder.

Il avait été suspecté, car il avait été vu par un témoin et du sang avait été retrouvé sur le pas de sa porte, mais Kravchenko avait avoué sous les coups des policiers… Chikatilo avait échappé aux enquêteurs, mais avait été tellement choqué d’avoir failli être arrêté qu’il n’avait pas commis son second meurtre avant plusieurs années (comme Jeffrey Dahmer).

Mais ses pensées avaient été peu à peu accaparées par les images de la souffrance de la Yelena. Il avait tenté d’éviter la tentation et de lutter contre ces pulsions, mais, à partir de  1981, il n’avait pas pu continuer à le faire et avait été submergé par ses fantasmes.

Chikatilo expliqua qu’il détestait voir les vagabonds des gares partir dans les bois pour des rencontres sexuelles (réelles ou imaginaires) qu’il ne pourrait jamais imiter. Ses fantasmes étaient devenus plus violents. En 1981, il s’était jeté sur une jeune vagabonde en quête d’argent, mais il avait aussi utilisé ses dents pour lui arracher un téton et l’avaler. « Au moment où je l’ai coupée et j’ai vu son corps ouvert, j’ai éjaculé involontairement.” Il l’avait recouverte de papier journal et avait emporté ses organes sexuels, avant de les jeter dans les bois.

Il se souvenait de chacun des meurtres qu’il avait commis dans les “lesopolosa” et les passa en revue, un par un. Parfois, il avait agi comme un prédateur, apprenant les itinéraires et les habitudes d’une future victime et trouvant le moyen de l’isoler. D’autres avaient été des victimes d’opportunité qui arrivaient au mauvais moment. 

Pour corroborer ses dires, il dessina des croquis des scènes de crime, et ce qu’il disait correspondait aux faits connus des enquêteurs. Il accepta de rejouer certains meurtres avec des mannequins pour expliquer comment il avait agit.

Puis, il confirma ce que tout le monde craignait : il avait ajouté d’autres victimes à la liste. Beaucoup plus.

Il avait tué un garçon dans un cimetière et l’avait placé dans une tombe peu profonde – un trou, disait-il, qu’il avait creusé pour lui-même lorsqu’il avait envisagé de se suicider. Il emmena les enquêteurs sur place et ils retrouvèrent le corps d’Aleksey Khobotov.

Les policiers l’accompagnèrent dans les endroits où il avait abandonné des victimes qui n’avaient pas été retrouvées, il mima ses actes sur les lieux, indiquant un fourré ou un trou où il fallait chercher.

Les meurtres s’étaient succédé, ici et là, et Chikatilo avait toujours laissé ses victimes à l’endroit même où il les avait tuées, à l’exception de l’une d’entre elle, Tatyana Ryzhova. Chikatilo décrivit un meurtre dans l’appartement vide de sa propre fille et, pour sortir le corps, il avait dû le démembrer et jeter les morceaux dans un égout. La police, à l’époque, avait décidé qu’il y avait trop de différences pour l’inclure dans la série de meurtres.

Chikatilo tenta d’exprimer des remords pour ses crimes, mais fournit ce qu’il croyait être des justifications pour son comportement : son enfance difficile et son impuissance. 

En fin de compte, Andreï Chikatilo avoua 56 meurtres, bien que 53 seulement aient été corroborés : 31 femmes et filles, et 22 garçons. (Il n’a pas été inculpé pour trois des meurtres avoués pour lesquels les corps des victimes n’ont pas été retrouvés, malgré ses indications).
Le sous-lieutenant Burakov pensait qu’il y en avait peut-être même plus.

Le procureur Kostoyev disposait désormais de suffisamment de preuves pour poursuivre cet homme en justice.

Chikatilo pensait souffrir d’une maladie qui provoquait ses pulsions incontrôlables. Il voulait voir des spécialistes de la déviance sexuelle et affirma qu’il répondrait à toutes leurs questions.
Il fut envoyé à l’Institut Serbsky de Moscou pendant deux mois pour y subir une évaluation psychiatrique et neurologique par le Docteur Andrei Tkachenko (psychiatre médico-légal et sexologue). Il fut déterminé qu’il souffrait de lésions cérébrales depuis la naissance, dues à une hydrocéphalie légère, qui avaient affecté sa capacité à contrôler sa vessie et ses érections. Il avait “un désordre de la personnalité borderline avec des tendances sadiques”. Cependant, d’après tous les rapports, il était sain d’esprit. Il savait ce qu’il faisait et aurait pu se contrôler. 

Le Dr Bukhanovsky était d’un avis différent et pensait qu’il aurait dû être interné dans un hôpital psychiatrique, pour être analysé et interrogé.

Le procès de Chikatilo commença le 14 avril 1992. Il fut amené dans la salle d’audience de Rostov et assis dans une grande cage de fer (pour le protéger des familles des victimes). Le juge était assis sur une estrade et deux citoyens de chaque côté faisaient office de jurés. Deux cent vingt-cinq volumes d’informations avaient été recueillis à son sujet et, surtout, contre lui.
Tout aurait dû se passer sans encombre, mais le procès fut une véritable foire.

La presse avait publié de nombreux articles sur « le Maniaque » et avait prévenu que son procès allait avoir lieu, de sorte que les familles de plusieurs de ses victimes présumées remplirent la salle d’audience, qui comptait 250 places. Lorsque Chikatilo fit son apparition, elles se mirent à crier, à l’insulter, à le menacer de mort. Il ne montra que peu d’émotion envers les familles et sembla même parfois faire la grimace en réponse à leurs cris.

Tout au long du procès, Chikatilo manifesta du dédain tant pour les proches des victimes que pour la procédure judiciaire. Il se comporta de manière étrange, notamment en sortant des photos de femmes à moitié nues et en se disputant avec le juge. Il s’intéressait surtout à ses difficultés personnelles, il voulait parler de lui, les victimes et leur famille lui importaient peu.
Chikatilo parut plutôt s’ennuyer, sauf lorsqu’il montrait un éclair de colère et hurlait contre la foule. À deux reprises, il baissa son pantalon pour exposer son sexe et parler de son impuissance, insistant sur le fait qu’il n’était pas homosexuel. Les juges le firent sortir de la salle d’audience.

Que sa folie fut réelle ou jouée, jour après jour, il parut perdre pied, roulant des yeux, abordant des faits sans rapports avec le procès ou faisant des suggestions sexuellement provocantes au juge.

Il existait une chance que ses problèmes psychologiques lui évitent la peine capitale, mais son avocat, Marat Khabibulin, ne fut pas autorisé à faire appel à des experts psychiatres. Il put seulement contre-interroger ceux que l’accusation présentait. Comme il n’avait été désigné qu’après les aveux complets de Chikatilo, il se trouvait dans une situation très désavantageuse. Le Dr Bukhanovsky se vit refuser le droit de témoigner de l’état mental de Chikatilo.

Le juge Leonid Akubzhanov n’admit aucune défense d’aliénation mentale. Il considéra que le comportement prédateur de Chikatilo, sa préméditation, son sang-froid et sa capacité à se déplacer vers des endroits plus sûrs démontraient son degré de contrôle mental, ainsi que le fait qu’il avait arrêté de tuer pendant plus d’un an (une année au cours de laquelle il déclara avoir fêté son 50e anniversaire et être “de bonne humeur”).

Le juge Akubzhanov devint le principal accusateur de Chikatilo, posant des questions acerbes aux témoins et lançant des remarques désobligeantes au prisonnier, qui ne répondait quasi jamais. Au bout de plusieurs mois, Chikatilo défia le juge, affirmant que c’était lui qui était “aux commandes”. « C’est mon enterrement », déclara-t-il.

À un moment donné, il nia spontanément avoir commis six des meurtres et, à un autre moment, il en ajouta quatre nouveaux. Il se disait victime de l’ancien système soviétique et se qualifiait lui-même de « bête folle ». Il assura également que 70 « incidents » lui avaient été attribués, et non 53. Lorsqu’on lui demanda s’il avait gardé une trace de ses meurtres, Chikatilo répondit : « Je les considérais comme des avions ennemis que j’avais abattus. »
Il affirma finalement que la société devait lui être reconnaissante d’avoir rempli la mission d’un certain ordre social, en tuant des clochards, des prostituées, des enfants malades mentaux et dysfonctionnels…

Le procès se poursuivit jusqu’au mois d’août. La défense résuma sa position en arguant que les preuves et les analyses psychiatriques étaient erronées et que les aveux avaient été obtenus sous la contrainte. L’avocat demanda un non-lieu.

Le lendemain, Chikatilo se mit à chanter dans sa cage et débita ensuite un chapelet d’inepties, assurant avoir été « irradié ». Il fut expulsé du tribunal avant que le procureur n’entame sa plaidoirie finale. Il rappela ce que signifiait le sadisme, lista chacun des meurtres et requit la peine capitale.

Chikatilo fut ramené dans sa cage afin d’avoir une dernière occasion de s’exprimer. Il resta muet.

Le juge mit deux mois à rendre son verdict et, le 14 octobre, six mois après le début du procès, il déclara Andreï Chikatilo coupable de 5 agressions sexuelles (commises lorsqu’il était enseignant) et de 52 meurtres. Chikatilo se mit à huler « Escrocs ! », crachant, jetant son banc sur les barreaux de sa cage et exigeant de voir les cadavres. Le juge le condamna à être exécuté par balles. Les familles présentes réclamèrent que Chikatilo leur soit remis afin qu’il soit mis en pièces. Il fut ramené dans sa cellule pour attendre les résultats d’un appel : son avocat déclara que l’évaluation psychiatrique n’avait pas été objective et qu’il souhaitait une analyse plus approfondie.

De nombreux professionnels à l’international estimèrent que son comportement était si aberrant qu’il devait être étudié vivant. Cet homme, titulaire d’un diplôme universitaire en littérature russe, ayant une femme et des enfants, sans antécédents apparents de maltraitance, avait pourtant l’esprit et le comportement d’un monstre pervers. Comme il l’avait dit de lui-même, il était apparemment « une erreur de la nature ». Il aurait été vraiment intéressant de le soumettre à une analyse biologique et psychologique bien plus poussée.

Mais le 14 février 1994, ses différents appels et sa demande de grace ayant été rejetés, Andreï Chikatilo fut emmené dans une pièce insonorisée et exécuté.


LA SOCIETE SOVIETIQUE

On ne peut parler des crimes de Chikatilo sans souligner qu’il a échappé à la capture pendant de nombreuses années en raison des erreurs commise par la police et de la désorganisation du système judiciaire soviétique, hautement bureaucratique. Cette impunité perçue a sûrement renforcé sa croyance selon laquelle il pouvait continuer à tuer sans craindre d’être arrêté.

On peut presque dire que le système soviétique l’a “aidé” à tuer. 

Les crimes de Chikatilo ont exploité les faiblesses de la société soviétique déliquescente. La pauvreté poussait de nombreux jeunes des zones rurales à quitter leur foyer pour aller vivre en ville. Mais n’ayant ni contacts, ni amis, ni argent sur place, ces jeunes pouvaient facilement se retrouver dans des situations dangereuses, et leur disparition passait souvent inaperçue.

Jusqu’à l’avènement de Gorbatchev, la presse nationale n’a pratiquement jamais parlé de la série de meurtres : de telles choses n’arrivaient, officiellement, que dans les pays occidentaux “corrompus par le capitalisme”. 

La culture de la fuite (« Nous faisons semblant de travailler et vous faites semblant de nous payer ») était très répandue dans la société soviétique et touchait également les forces de police. 
De plus, sous la pression de la hiérarchie et des quotas à atteindre, les forces de police n’hésitaient pas à extorquer des aveux à n’importe quels suspects arrêtés : malades mentaux, homosexuels, déficients mentaux, anciens détenus… Nombre d’entre eux ont passé des mois, voire des années en prison. Les meurtres ont continué, mais les policiers trouvaient simplement d’autres suspects à emprisonner.
Isa Kostoev, chef du Département des crimes importants, était persuadé que le meurtrier était homosexuel et a lancé une campagne pour terroriser la communauté. Il a, par ailleurs, dénigré le travail des polices locales et la collaboration du Docteur Bukhanovski.

La version présentée par les autorités, selon laquelle les crimes avaient été commis par plusieurs déficients mentaux, ne pouvait pas être prise au sérieux. Mais il était impossible de l’abandonner : l’enquête était contrôlée et validée non seulement par le ministère de l’Intérieur, mais aussi par le Comité central du Parti. Les employés de la Direction des affaires intérieures de la région de Rostov avaient affirmé aux dirigeants que les assassins avaient été arrêtés et que l’affaire était résolue. Le chef adjoint du département régional de la police avait pris la parole publiquement lors de réunions syndicales pour expliquer que les meurtres avaient été commis par des déficients mentaux.
En conséquence, la direction du Département des affaires intérieures de Rostov, ainsi que le ministère de l’Intérieur et le Bureau du procureur de l’URSS, qui avaient affirmé au Comité central du PC que les meurtres étaient résolus, ne pouvaient se renier.
La majorité des responsables du parti se préoccupaient de l’image du parti communiste plutôt que de la sécurité physique des populations qu’ils étaient censés protéger.

Évidement, nombreux étaient les enquêteurs qui ne souscrivaient pas à l’hypothèse du groupe de déficients mentaux assassins… Mais, pour autant, ils ne cherchaient pas un tueur en série. Toutes les affaires de meurtres étaient examinées séparément, par des enquêteurs distincts, et, les efforts des différents enquêteurs visaient simplement à résoudre “leur cas” et à rechercher “leur assassin”.

Le régime soviétique était, en grande partie, basé sur la déformation et la dissimulation de la vérité. Les dirigeants de la police (et du parti) préféraient fermer les yeux pour protéger un modèle idéologique et social. Un régime avec une idéologie officielle et unique, selon laquelle l’existence même d’un tueur en série était impossible dans une société communiste par définition parfaite.

Pire : les enquêteurs locaux avaient conscience de l’existence d’un tueur en série, même s’ils ne pouvaient officiellement l’exprimer. Mais dans les années 1980, une série d’affaires de corruption s’est déroulée dans la région de Rostov, dans lesquelles était impliquée la quasi-totalité de l’appareil d’enquête.
Le groupe d’enquête du parquet russe, dirigé par Issa Kostoev, enquêtait sur des cas de corruption dans les tribunaux, le parquet et le barreau régional. Pendant plusieurs années, environ 70 personnes ont été poursuivies pénalement. Toutes les forces de police de la région ont été massivement concernées par ce « nettoyage », en tant qu’enquêteurs ou que suspects, laissant de côté les crimes de sang.

Enfin, la culture soviétique elle-même (le respect des aînés, la mentalité selon laquelle tous sont des « camarades », la tendance des enfants à appeler les inconnus plus âgés « oncle » ou « grand-père » et à leur faire confiance) a aussi permis à Chikatilo de continuer à tuer. Dans une telle société, ce travailleur à la voix douce, en costume-cravate et portant toujours une malette, semblait naturellement digne de confiance – quelle que soit la cargaison macabre que sa malette contenait.

Les victimes de Chikatilo

Yelena Zakotnova, 9 ans
Assassinée le 22 décembre 1978 à Shakhty.

Larisa Tkachenko, 17 ans
Assassinée le 3 septembre 1981 à Rostov.

Lyubov Biryuk, 13 ans
Assassinée le 12 juin 1982 près du village de Donskoi, à côté de Rostov.
Elle a été la première victime liée à l’enquête sur le tueur des “lesopolosa”.

Lyubov Volobuyeva, 14 ans
Assassinée le 25 juillet 1982 près de l’aéroport de Krasnodar.

Oleg Pozhidayev, 9 ans
Assassiné le 13 août 1982 près d’Enem, dans la république d’Adyguée.
La première victime masculine de Chikatilo. Son corps n’a jamais été retrouvé.

Olga Kuprina, 16 ans
Assassinée le 16 août 1982 à Kazachi Lagerya, au nord de Rostov.

Irina Karabelnikova, 18 ans
Assassinée le 8 septembre 1982 à Shakhty.

Sergey Kuzmin, 15 ans
Assassiné le 15 septembre 1982 à Shakhty.

Olga Stalmachenok, 10 ans
Assassinée le 11 décembre 1982 à Novoshakhtinsk.

Laura Sarkisyan, 15 ans
Assassinée aux alentours du 18 juin 1983 à Shakhty.

Irina Dunenkova, 13 ans
Assassinée en juillet 1983 dans le parc des Aviateurs à Rostov.

Lyudmila Kutsyuba, 24 ans
Assassinée en juillet 1983 à Shakhty.

Igor Gudkov, 7 ans
Assassiné le 9 août 1983 dans le parc des Aviateurs à Rostov.

Une femme inconnue, entre 18 et 25 ans
Assassinée en juillet ou août 1983 à Novoshakhtinsk.

Valentina Chuchulina, 22 ans
Assassinée après le 19 septembre 1983 à Kirpichnaya, à 50km de Rostov.

Vera Shevkun, 19 ans
Assassinée le 27 octobre 1983 près de Shakhty.

Sergey Markov, 14 ans
Assassiné le 27 décembre 1983 près de Novocherkassk.

Natalya Shalapinina, 17 ans
Assassinée le 9 janvier 1984 dans le parc des Aviateurs à Rostov.

Marta Ryabenko, 44 ans
Assassinée le 21 février 1984 dans le parc des Aviateurs à Rostov.
La victime la plus âgée de Chikatilo.

Dmitriy Ptashnikov, 10 ans
Assassiné le 24 mars 1984 à Novoshakhtinsk.

Tatyana Petrosyan, 29 ans
Assassinée le 25 mai 1984 près de Shakhty.

Svetlana Petrosyan, 10 ans
Assassinée le 25 mai 1984 près de Shakhty.

Yelena Bakulina, 21 ans
Assassinée le 22 juin 1984 près de Bagaïevskaïa.

Dmitriy Illarionov, 13 ans
Assassiné le 10 juillet 1984 non loin de Rostov.

Anna Lemesheva, 19 ans
Assassinée le 19 juillet 1984 à Kirpichnaya.

Sarmite Svetlana Tsana, 20 ans
Assassinée le 28 juillet 1984 dans le parc des Aviateurs à Rostov.

Natalya Golosovskaya, 16 ans
Assassinée le 2 août 1984 dans le parc des Aviateurs à Rostov.

Lyudmila Alekseyeva, 17 ans
Assassinée le 7 août 1984 à Rostov.

Une femme non identifiée, entre 20 et 25 ans
Assassinée entre le 8 et le 11 août 1984 sur les rives de la rivière Chirchiq en Ouzbékistan.

Akmaral Seydaliyeva, 10 ans
Assassinée le 13 août 1984 à Tashkent, en Ouzbékistan.

Aleksandr Chepel, 11 ans
Assassiné le 28 août 1984, sur les rives de la rivière Don, non loin de l’endroit où Lyudmila Alekseyeva avait été tuée.

Irina Luchinskaya, 24 ans
Assassinée le 6 septembre 1984 dans le parc des Aviateurs à Rostov.

Natalya Pokhlistova, 18 ans
Assassinée le 1er août 1985 près de l’aéroport de Domodedovo, au sud de Moscou.

Irina Gulyayeva, 18 ans
Assassinée le 27 août 1985 à Shakhthy.

Oleg Makarenkov, 12 ans
Assassiné le 16 mai 1987 à Revda, dans l’Oural.

Ivan Bilovetsky, 12 ans
Assassiné le 29 juillet 1987 à Zaporijia, en Ukraine.

Yuri Tereshonok, 16 ans
Assassiné le 15 septembre 1987 à Leningrad / Saint Petersbourg.

Une femme non identifiée, entre 22 et 28 ans
Assassinée entre le 1er et le 4 avril 1988 à Krasny Sulin, au nord de Shakhthy.

Aleksey Voronko, 9 ans
Assassiné le 15 mai 1988 à Ilovaisk, en Ukraine.

Yevgeny Muratov, 15 ans
Assassiné le 14 juillet 1988 près de Rostov.

Tatyana Ryzhova, 16 ans
Assassinée le 28 février 1989 dans l’appartement de la fille de Chikatilo à Shakhty.

Aleksandr Dyakonov, 8 ans
Assassiné le 11 mai 1989 à Rostov.

Aleksey Moiseyev, 10 ans
Assassiné le 20 juin 1989 à Kolchugino, au nord-est de Moscou.

Yelena Varga, 19 ans
Assassinée le 19 août 1989 près de Rostov.

Aleksey Khobotov, 10 ans
Assassiné le 28 août 1989 à Shakhty. 

Andrei Kravchenko, 11 ans
Assassiné le 14 janvier 1990 à Shakhty.

Yaroslav Makarov, 10 ans
Assassiné le 7 mars 1990 dans les jardins botaniques de Rostov.

Lyubov Zuyeva, 31 ans
Assassinée le 4 avril 1990 à Donleskhoz, non loin de Shakhty.

Viktor Petrov, 13 ans
Assassinée le 28 juillet 1990 dans les jardins botaniques de Rostov.

Ivan Fomin, 11 ans
Assassiné le 14 août 1990 à Novocherkassk, non loin de Rostov.

Vadim Gromov, 16 ans
Assassiné le 17 octobre 1990 près de Shakhty.

Viktor Tishchenko, 16 ans
Assassiné le 30 octobre 1990 à Shakhty.

Svetlana Korostik, 22 ans
Assassinée le 6 novembre 1990 à Donleskhoz,  au nord de Shakhty.

Chikatilo est le principal suspect du meurtre d’Irina Pogoryelova, 18 ans, secrétaire de tribunal à Bataysk, au sud de Rostov, disparue le 11 août 1986 et dont le corps a été retrouvé enterré sur le terrain d’une ferme collective le 18 août. Le corps d’Irina portait précisément les mêmes mutilations que celles trouvées sur les victimes de Chikatilo. Lors de ses premiers aveux, Chikatilo avait nié avoir tué la jeune femme, mais il a admis lors de son procès qu’il l’avait bien tuée.

Lors de son procès, Chikatilo a d’ailleurs affirmé avoir commis quatre autres meurtres en plus des 53 pour lesquels il a été jugé. On peut supposer que trois de ces victimes étaient les trois qu’il avait initialement avoué avoir commis lors de son interrogatoire en 1990 et que la police n’avait pu ni localiser ni faire correspondre à des dossiers de personnes disparues. La quatrième personne a été nommément désignée comme étant Irina Pogoryelova.
Si l’affirmation selon laquelle il a tué quatre autres victimes est vraie, le nombre total de victimes revendiqué par Chikatilo est de 57.

Mode opératoire

Le mode opératoire de Chikatilo a été changeant, selon son besoin du moment ou l’opportunité qui se présentait.

Chikatilo, homme timide et maladroit, s’en est surtout pris à des adolescentes et de jeunes garçons. Les rares femmes adultes étaient souvent des prostituées ou des SDF.
Il s’en prenait généralement aux plus faibles, aux plus “simple à approcher”, les laissés-pour-compte de la société. Jeunes fugueurs, orphelins, prostituées, alcooliques, handicapés mentaux.

Ses voyages d’affaire l’ont conduit dans de nombreuses gares ferroviaires et routières où il a pu convaincre de jeunes gens vulnérables des deux sexes de l’accompagner. La plupart du temps, il leur promettait de l’argent, de la nourriture ou d’autres friandises pour les attirer dans les forêts isolées qui bordent la plupart des villes russes.

En ce qui concerne les meurtres de garçons, il avait pris l’habitude de se rendre dans les lieux où se concentraient les adolescents : parcs publics, clubs de jeux, terrains de sport, cinéma, gares. Il choisissait sa future victime et prenait contact en se présentant comme enseignant afin d’inspirer confiance en lui. En discutant avec l’enfant ou l’adolescent, il identifiait son centre d’intérêt, puis suscitait en retour l’intérêt du garçon en lui promettant de l’aider à acheter des pièces de monnaie, des timbres, à regarder des vidéos, à acheter des équipements sportifs prestigieux, à faire du sport, etc. Après avoir établi le contact, il convainquait le garçon de la suivre dans un endroit isolé. 

Il tuait ses victimes, généralement en les poignardant, en les tailladant et en les éviscérant à l’aide d’un couteau, bien que certaines victimes, en plus de recevoir une multitude de coups de couteau, ont également été étranglées ou battues à mort.

Chikatilo avait compris qu’il devait s’accroupir à côté de ses victimes s’il voulait éviter que leur sang tache ses vêtements (technique qu’il démontra avec un mannequin). De toute façon, il travaillait dans une entreprise de transport de matériaux et avait toujours une excuse pour une égratignure ou une coupure.

Les motivations de Chikatilo

Chikatilo était impuissant, ce qui a contribué à sa frustration sexuelle et à sa colère envers les femmes. On pourrait donc penser qu’il tuait ses victimes uniquement dans le but d’obtenir un plaisir sexuel, car il a lui-même admis qu’il avait eu des orgasmes durant les meurtres.

En réalité, Andreï Chikatilo a assassiné ses victimes à la fois par sadisme sexuel et dans le but de ressentir un pouvoir absolu sur elles.
Le pouvoir et la domination sont considérés comme l’une des motivations les plus souvent évoquées chez les tueurs en série. L’assassin cherche à exercer un contrôle sur la victime en planifiant, en attirant ou “acquérant”, puis en assassinant sa victime. 
Totalement narcissique, exclusivement préoccupé par ses problèmes et son plaisir, Chikatilo ne considérait pas ses victimes comme des êtres humains, mais comme un moyen de parvenir à “se sentir bien”.

LA VOLONTE DE POUVOIR

Au départ, la “volonté de pouvoir” d’Andreï Chikatilo peut être considérée comme une détermination à obtenir une revanche sur sa vie. Durant son adolescence et sa jeune vie d’adulte, il a tenté de se rassurer, de changer de vie, de s’améliorer. Mais ce désir de prendre sa vie en main s’est transformé en volonté de domination et d’omnipotence.

Devant les policiers et les psychiatres, Chikatilo s’est toujours présenté comme une victime et non un meurtrier. Parlant tant de son enfance que de l’âge adulte, il s’est décrit uniquement en termes de détresse, de maladies physiques et de brimades.
On ne peut le nier, l’enfance et l’adolescence de Chikatilo ont été marquées par l’adversité et le désespoir : guerre, famine, rejet par les pairs et maladies physiologiques.
Durant son enfance et son adolescence, Chikatilo a été l’objet de moqueries et de railleries de la part des autres garçons de sa communauté, à cause de son père. Puis, il a tenté de sortir avec des filles, mais a essuyé de nombreux échecs à cause de son impuissance.
Dès l’enfance, Chikatilo s’est senti inférieur et, parvenu à l’adolescence, il a voulu améliorer son statut tant social qu’économique, afin de retrouver la maîtrise de son environnement.

​​En 1952, Chikatilo a commis son premier acte d’agression sexuelle sur l’amie de sa jeune sœur. Il a obtenu une satisfaction sexuelle tandis qu’elle criait et essayait de s’enfuir.
Cette agression et le plaisir qu’il a ressenti a eu un effet phénoménal et durable sur le désir de pouvoir et de domination de Chikatilo lors des rencontres sexuelles.

Dès qu’il a quitté l’école, Chikatilo a décidé de poursuivre ses études et de faire carrière dans le droit et la politique. Il se voyait déjà membre éminent du Kremlin, mais il n’a pas réussi le difficile examen d’entrée à l’université de Moscou. Ce rejet a été accueilli avec ressentiment par Chikatilo, qui a abandonné complètement son projet de carrière en droit et en politique. Il ne s’est pas inscrit dans d’autres universités dont les critères d’admission étaient moins stricts, mais a choisi de modifier son parcours professionnel. Il a également tenté de justifier ce refus en expliquant que l’université le punissait parce que son père avait été capturé durant la guerre et non parce qu’il n’avait pas un assez bon niveau scolaire.

Chikatilo a adhéré au parti communiste et, bien qu’une telle adhésion ait été normale à l’époque, il est possible que Chikatilo ait considéré que cette adhésion lui conférait un statut et une importance au sein de sa communauté.
À l’époque, l’appartenance au parti conférait à ces membres un statut positif dans la société et leur accordait des droits et des privilèges particuliers, tels que de meilleurs logements et de meilleures affectations. Chikatilo était fier de son appartenance au parti, cela correspondait à son désir d’améliorer son statut et de ressentir un sentiment de supériorité.

Cependant, son impuissance et son éjaculation précoce continuaient de lui peser, même après avoir épousé Feodosia, qui avait accepté ses problèmes et lui avait donné deux enfants. Durant des années, au lieu de s’amenuiser, son sentiment d’inadéquation s’est lentement développé, se transformant en un désir persistant et proéminent de pouvoir et de contrôle. Car, outre l’impuissance sexuelle, Chikatilo subissait des humiliations et des quolibets dans sa vie quotidienne. Ses élèves et ses collègues se moquaient de lui, lui donnaient des surnoms dévalorisants. Il était la cible de plaisanteries et de farces.

Son impuissance était pour lui une obsession lancinante, d’autant plus que Chikatilo était un égocentrique. Lors d’une interview réalisée en 1993, Chikatilo a déclaé : « Les filles parlaient derrière mon dos et chuchotaient que j’étais impuissant. J’avais tellement honte. J’ai essayé de me pendre. »

Il a donc cherché un moyen d’accroître sa maîtrise et sa supériorité.
Il aurait pu choisir un emploi qui lui convenait mieux. Il aurait pu tenter de vaincre sa timidité, peut-être en demandant l’aide de sa sœur. Il aurait pu faire une nouvelle tentative de carrière politique. 
Mais il a choisi de commettre des attouchements sur ses élèves.
Il éprouvait un sentiment de contrôle et de puissance lorsqu’il dominait ses élèves pendant l’acte d’agression, à tel point qu’il était capable d’atteindre un sentiment de virilité et de gratification sexuelle. Il a expliqué que la peur qu’il suscitait chez ses élèves lui procurait un sentiment d’excitation et un pouvoir qu’il n’avait jamais connu auparavant. Un pouvoir grisant.

En évoquant, après son arrestation, les circonstances qui ont immédiatement précédé sa deuxième agression sur l’une de ses élèves en 1973, Chikatilo a raconté : « C’était une fille plus âgée, dans la classe de terminale. Elle s’appelait Ultseva, je crois. Elle était déjà développée et tout. Elle avait des seins et tout… Quelque chose a commencé à me ronger. C’était ce que je n’avais pas eu : une jeunesse, une enfance, et elle était là, assise comme ça, les jambes ouvertes. Eh bien, je lui ai donné une fessée sur les jambes, sur l’arrière-train et sur les seins. Puis je l’ai enfermée dans la salle de classe ».
Après des années durant lesquelles il s’était senti inapte et inférieur, même en tant qu’enseignant, le pouvoir qu’il a ressenti sur ces adolescentes a été comme une drogue.

Enfin, bien qu’il ait été contraint de démissionner, aucune charge n’a été retenue contre lui et il a trouvé un nouvel emploi où il a continué à harceler sexuellement d’autres élèves. Il s’est senti intouchable, ce qui l’a conduit à commettre des crimes de plus en plus agressifs.

La progression des crimes de Chikatilo démontre d’ailleurs un désir croissant de pouvoir, de puissance et de contrôle. Il a d’abord imposé des attouchements à des élèves dans les écoles où il travaillait. Il a ensuite commis des meurtres opportunistes en profitant des victimes qui se présentaient à lui. Puis il a restructuré sa vie, activement et intentionnellement, afin de trouver des occasions d’attirer des victimes et de les assassiner.
Avec les années, les crimes de Chikatilo ont progressivement gagné en létalité et en intensité.

En 1978, Chikatilo a acheté une cabane dans la ville de Shakhty au sein duquel il s’est créé un espace où il pouvait vivre ses fantasmes. Dans l’intimité de cet endroit secret, il a créé un lieu où il pouvait manifester ses désirs de pouvoir et de domination, sans être gêné par la réalité existant au-delà des murs de la cabane.
Après le meurtre de Lyubov Biryuk, Chikatilo n’a plus essayé plus de résister à ses pulsions meurtrières, au contraire : entre juillet et septembre 1982, il a tué cinq victimes âgées de 9 à 18 ans.

La manière dont Chikatilo a ritualisé ses crimes est également une indication marquante de ses aspirations à la domination et à la supériorité. Dans de nombreux cas, son impuissance sexuelle à l’égard de ses victimes féminines est devenue le moteur de son désir de pouvoir.  Lorsqu’il n’était pas en mesure d’avoir des rapports sexuels normaux, Chikatilo remplaçait son organe sexuel par un couteau qu’il utilisait violemment pour manifester sa convoitise, sa colère et sa puissance sur une autre personne.
Il a décrit cette expérience en déclarant : « Comme depuis l’enfance, je ne pouvais pas me montrer comme un homme et une personne à part entière, cela [l’activité sexuelle perverse] m’a procuré un calme non pas sexuel, mais psychique et spirituel pendant une longue période ».

Chikatilo a expliqué que, lorsqu’il s’en prenait à un garçon, il prétendait être un partisan soviétique qui avait fait un prisonnier de guerre allemand. Alors qu’il détenait « le prisonnier de guerre », il lui donnait des instructions et le punissait, faisant ainsi l’expérience de la puissance et de la domination ressenties par les soldats dans de telles situations. Il est important de noter que, lorsqu’il était enfant, il avait ressenti la honte d’avoir un père qui avait été capturé et fait prisonnier de guerre, et les tortures qu’il infligeait au garçon lui permettaient de devenir le ravisseur agressif.
Les victimes masculines étaient toutes jeunes ou de petite taille, et donc facilement maîtrisables, ce qui a permis à Chikatilo de continuer à s’imaginer fort et supérieur, sans risques, en obtenant un contrôle physique et mental sur ses jeunes victimes.

Au cours de l’année 1984, Chikatilo a commis 15 meurtres, un nombre plus élevé que n’importe quelle autre année. Au cours de cette période, il a affiné les techniques nécessaires pour attirer ses victimes et les tuer, et il a établi son rituel et sa signature. Mais il faisait face à une détérioration marquée d’autres domaines de sa vie, y compris le travail et la famille. C’est également l’année où les enquêtes se sont intensifiées et où les rumeurs ont permis au grand public de découvrir ses crimes.
La peur qu’il instillait parmi la population locale et la meilleure maîtrise de son mode opératoire ont donné à Chikatilo un sentiment d’importance et de puissance qu’il n’avait pas connu auparavant, ce qui l’a conduit à commettre son plus grand nombre de meurtres. En outre, l’absence de succès et de maîtrise dans d’autres domaines de son existence a probablement joué un rôle en renforçant son désir de dominer la vie et la mort.

Vers la fin de la quarantaine, Chikatilo a commencé à présenter un comportement déconcertant, au point que certains se sont demandé s’il ne perdait pas l’esprit. La conviction de Chikatilo que la mafia assyrienne le persécutait, les rénovations de son appartement et les lettres grandioses envoyées à Gorbatchev, attendant de lui qu’il intervienne personnellement pour régler ses problèmes… Mais ces délires indiquent aussi un désir sous-jacent d’affirmer son importance, comme en témoignent l’idée que la mafia s’intéressait à lui, le petit employé anonyme, et sa conviction que son appartement nécessitait l’attention du chef de l’État.

L’année de l’arrestation de Chikatilo, en 1990, la fréquence des meurtres a augmenté. En l’espace de 11 mois, il a commis huit meurtres supplémentaires. Cela s’est produit malgré l’intensification des enquêtes sur les meurtres de Lesopolosa, qui ont été rendues publiques et dont on a parlé ouvertement à la suite des réformes de la perestroïka. Il semble que Chikatilo n’ait pas été affecté par ces changements et qu’il ait continué à tuer.
Chikatilo ne se souciait pas d’être pris ou ne croyait pas qu’il le serait, son sentiment de pouvoir et de contrôle était devenu immense, proche du délire. La multiplication des reportages dans les médias a également entraîné une montée sans précédent de la peur et de la panique au sein de la population. Cela a pu renforcer le sentiment de pouvoir de Chikatilo, qui constatait l’impact de ses actes sur les autres. L’impuissant, le professeur raté, l’employé humilié était capable de terrifier une ville dans sa totalité, voire une région entière.

Au cours des interrogatoires, Chikatilo a rendu la tâche difficile à l’enquêteur principal Issa Kostoyev. Il a d’abord refusé de coopérer, puis a déclaré qu’il se contenterait d’écrire des aveux, mais qu’il ferait le lendemain. Il a continué ainsi, chaque confession écrite ne détaillant que ce qu’il voulait que les enquêteurs sachent, notamment les nombreuses façons dont il s’était senti victimisé tout au long de sa vie. Son comportement pendant l’interrogatoire indique un désir de contrôler le processus alors qu’il était incarcéré, en position d’infériorité. Il a détourné l’attention de ses victimes pour se recentrer uniquement sur ses propres difficultés de jeunesse. Chikatilo a ensuite renoncé à son droit à un avocat, préférant se représenter lui-même. Il se percevait comme compétent dans des domaines où il n’avait pas suffisamment de connaissances, il surestimait ses propres capacités.

Il est intéressant de noter que, quand Chikatilo a accepté d’écrire des (semi)aveux face à Kotsoyev, ses lettres contenaient de nombreuses fautes de grammaire et d’orthographe qui ont éveillé les soupçons des policiers, car Chikatilo était un homme instruit. Freud a émis l’hypothèse que des motivations et une intention inconscientes se cachent derrière les distorsions écrites, orales ou comportementales. Chikatilo ne parvenait pas encore à admettre qu’il avait été arrêté, il ne voulait pas avouer la totalité de ses actes, il éprouvait des difficultés à parler de ses fantasmes et “cachait” ses véritables motivations derrière des fautes et des erreurs.

Une fois que Chikatilo s’est montré plus coopératif, grâce au Docteur Bukhanovsky qui a réussi à obtenir des aveux, ses explications et ses descriptions de ses victimes ont été particulièrement significatives de sa manière de penser. Il a décrit ses victimes comme des “êtres inférieurs” et représentant un mal qu’il tentait d’exterminer, avec raison.
« Ces éléments pourris ont-ils le droit d’exister, au vu et au su de toute la population ?” Chikatilo mettait en avant son statut prétendument supérieur face à des “créatures” qu’il considérait comme “non-humaines”. 
Se considérant comme supérieur à elles, il avait l’impression que ses actes étaient justifiés envers ceux qui le mettaient en colère et qui, pensait-il, était haï de toute la société. 
Chikatilo a également justifié ses actes en se présentant lui-même comme une victime souffrant de déficits sexuels.

Lorsqu’il a demandé à subir une évaluation psychiatrique, ce n’était pas dans le but de comprendre ses actes ni d’être “traité pour ses anomalies”, mais pour échapper à la justice.

Lors de son procès en 1992, Chikatilo n’a pas fait preuve du moindre remord, ni d’une once d’empathie face aux familles de ses victimes en colère et en pleurs dans la salle d’audience. Chikatilo ne se souciait guère de la valeur de la vie de ceux qu’il avait tués. 
À plusieurs reprises, il s’en prit verbalement au juge, qui ne respectait pas toujours la procédure judiciaire ou l’accusé, et a fini par l’insulter.
Même dans une cage, face à des proches de victimes qui voulaient le lyncher et aux nombreux dossiers débordant de preuves, Chikatilo pensait pouvoir contrôler la manière dont le procès se déroulait.
Et, une fois condamné à mort, il a répété doctement à tous les journalistes qui l’ont interviewé que le président Boris Eltsine allait le gracier. Il en était persuadé.

Jusqu’au bout, il est resté persuadé qu’il ne serait pas exécuté. Les employés de la prison Novotcherkassk, où Chikatilo attendait son exécution, ont déclaré qu’il surveillait très attentivement sa santé, faisait des exercices tous les matins, lisait beaucoup et écrivait des lettres interminables, se plaignant des enquêteurs et du juge…

LA PERVERSION SADIQUE

L’origine des fantasmes sadiques de Chikatilo est à chercher durant son enfance et son adolescence : l’humiliation, les sentiments d’inadéquation, l’impuissance sexuelle. Il a sûrement créé des scénarios imaginaires dans lesquels il était puissant, dominant ou se vengeait.

Durant son enfance et son adolescence, Chikatilo a vécu des événements traumatiques et, en réponse, il est logique qu’il se soit réfugié dans la rêverie et le fantasme. Cette vie fantasmatique est devenue à la fois une habitude et un refuge.
Mais il est aussi intéressant de noter qu’un enfant ou un adolescent exposé à l’environnement extrême que Chikatilo a connu peut se désensibiliser de la violence et de l’agression, au point que cela devienne la norme pour lui. 
Les fantasmes sadiques trouvent souvent leur origine dans des expériences précoces de maltraitance qui provoquent une colère et une agressivité sous-jacentes à l’égard des personnes responsables de la négligence ou de la maltraitance. La mère de Chikatilo était une femme sévère, exigeante, qui n’avait aucune pitié pour ses enfants. Son père, Roman, plus doux et compréhensif, a été absent du foyer pendant de nombreuses années, laissant son fils “aux mains” de sa mère. 

Au cours de cette période, Chikatilo a développé une stratégie d’adaptation : il s’évadait dans un monde imaginaire en lisant des livres et des articles, en particulier ceux centrés sur les événements de la guerre et les actes héroïques des courageux partisans soviétiques. Il a commencé à s’imaginer comme l’un des héros soviétiques dont il lisait les exploits et qui faisait des prisonniers ennemis. 
Son texte préféré était un livre intitulé “La jeune garde” d’Alexandr Fadeyev (1946), qui parlait – entre autre – de jeunes partisans soviétiques qui torturaient et tuaient secrètement des soldats allemands.

Lorsque Chikatilo a décri son enfance, il a expliqué que son exposition à la guerre et aux effusions de sang l’avait conduit à éprouver non pas de la peur et du dégoût, mais un sentiment d’excitation lorsqu’il était témoin de scènes de violence, ce qui témoigne de la formation de l’une de ses premières associations entre la souffrance et le plaisir.

Durant l’adolescence, Chikatilo s’est livré à son premier acte de sadisme sexuel lorsque l’ami de sa sœur est venu à la maison. Chikatilo a déclaré qu’il avait été pris d’une envie soudaine de la violer. Il l’a poussée au sol et a connu sa première éjaculation alors qu’elle se débattait pour lui échapper. Cette première agression l’a très fortement marqué, le convaincant qu’il ne pourrait sans doute pas obtenir de gratification sexuelle d’une autre manière.

Jusqu’à la fin de la trentaine, Chikatilo a développé des fantasmes, mais ne les a pas réalisés.
Confronté à ses difficultés à fréquenter des femmes malgré l’attirance qu’il ressentait pour elles, il a préféré se tourner vers le fantasme, un moyen pour lui d’expérimenter l’intimité physique qu’il souhaitait. Cette vie fantasmatique s’est poursuivie même après son mariage, car il faisait toujours face à son impuissance sexuelle.
Lorsqu’il a entamé une carrière d’enseignant, il s’est rendu compte qu’il n’avait pas l’assurance nécessaire pour exercer un contrôle sur ses élèves et préserver la discipline pendant les cours. Les élèves et les collègues se moquaient de lui et sapaient ouvertement son autorité. Là aussi, il s’est probablement réfugié dans ses fantasmes, où il pouvait s’imaginer fort et en contrôle de ceux qui l’entouraient.
Peu à peu, l’esprit de Chikatilo s’est éloigné de son environnement réel. Au cours de ses interrogatoires, il a déclaré qu’il éprouvait une rage croissante lorsqu’il voyait de jeunes étudiants s’embrasser ou se caresser, car il percevait cela comme un rappel de son impuissance, qu’il considérait comme une incapacité à démontrer sa masculinité.

Cela semble avoir conduit à son premier changement significatif, en 1973, lorsqu’il a décidé de passer des fantasmes à la réalité.
Il est intéressant de noter que c’est aussi l’année où sa mère est décédée. Peu après, il a suivi certaines de ses pulsions, d’abord en regardant des femmes se déshabiller dans les vestiaires de plage. Cela s’est progressivement transformé en attouchements inappropriés sur des élèves, puis en agressions. La peur et les cris des lycéennes provoquait son excitation sexuelle. Le sentiment de plaisir et de puissance obtenu grâce au sadisme et à l’agression a probablement renforcé son désir de se livrer à des actes qui faisaient souffrir d’autres personnes.

Moqué tant par ses élèves que par ses collègues, Chikatilo avait, dans son monde imaginaire, une image d’homme fort et en maîtrise, ce qui a assurément renforcé sa plongée progressive dans ses fantasmes sadiques.
L’intimité physique qu’il partageait avec son épouse a diminué au cours de cette période. Il a expliqué qu’en 1984, Feodosia et lui n’avaient plus aucune relations sexuelles. Au fur et à mesure que Chikatilo se livrait à des actes sexuels sadiques qui lui permettaient d’atteindre l’orgasme en instillant la peur et la souffrance, l’intimité physique normale n’avait plus de raison d’être pour lui.

Le Dr Tkachenko a également noté que les relations sexuelles de Chikatilo avec son épouse avait pris fin en 1984, année au cours de laquelle il avait commis le plus grand nombre de meurtres. Chikatilo a déclaré que sa femme était tombée enceinte avant la fin de leur relation sexuelle et que, bien qu’il ait insisté sur le fait qu’il voulait l’enfant, Feodosia s’était fait avorter sans son consentement.

Durant cette période, outre ses difficultés conjugales, Chikatilo a été décrit par ses collègues comme un homme qui vivait dans son propre monde et qui avait des difficultés à interagir socialement. 
Si Chikatilo a changé d’emploi, passant d’enseignant à snabzhenyetz, ce n’est pas uniquement pour échapper aux parents des enfants qu’il avait agressés, mais aussi et surtout parce que cet emploi, il l’avait bien compris, allait lui offrir des possibilités accrues de sadisme et d’agression. Chikatilo a modifié volontairement sa vie pour laisser plus de place à son monde imaginaire.

Mais c’est principalement dans les meurtres de Chikatilo que l’on peut observer un sadisme sexuel. Il a expliqué que son premier meurtre, celui de Yelena Zakotnova en décembre 1978, à l’âge de 42 ans, a été opportuniste. Selon lui, il n’avait pas eu l’intention de tuer la jeune fille, mais avait été tellement stimulé et excité par ses cris et sa peur qu’il avait perdu le contrôle. Il avait été obsédé par la souffrance de sa victime, ce qui lui avait donné une envie puissante de revivre cette expérience. Cette description indique le plaisir intense qu’il tirait de la souffrance d’autrui, et cette sensation agréable le poussait à vouloir en faire à nouveau l’expérience.
Chikatilo a souligné qu’au début, il a tenté de résister à ces pulsions, interrompant souvent des voyages d’affaires pour rentrer chez lui plutôt que de céder à la tentation de chercher une victime. Mais, en septembre 1981, il a finalement cédé à l’envie de revivre cette première expérience.

Par la suite, il n’a pu atteindre l’excitation sexuelle et l’orgasme qu’en poignardant et en tailladant à mort des femmes et des enfants.

Chikatilo a choisi un couteau comme arme de prédilection, ce qui lui a probablement permis d’avoir un contact intime avec la peur et la douleur de ses victimes. Ce couteau est devenu un symbole phallique, une manière de pénétrer le corps de ses victimes malgré son impuissance.
Ses crimes étaient d’une nature extrêmement brutale et agressive : de multiples coups de couteau, l’excision de certaines parties du corps, des éventrements, des coups de couteau dans les yeux, ainsi que la mastication de certaines parties du corps (voire l’ingestion de ces parties). Tous ces actes apportant à Chikatilo un grand plaisir sadique, il les a répétés lors de crimes ultérieurs.

En 1990, avant son arrestation, Chikatilo avait commis des meurtres qui peuvent être considérés comme distincts de la plupart de ceux qu’il avait perpétrés auparavant. D’abord, il recherchait de plus en plus de victimes masculines et, lorsqu’il s’en prenait à ces garçons, il s’imaginait tel un héros de guerre qui avait capturé des prisonniers ennemis. Ce jeu de rôle était probablement lié à ses lectures de livres de guerre durant sa jeunesse et à ses fantasmes de soldat courageux et fort. Il avait ainsi trouvé un mécanisme pour transformer ses fantasmes en réalité, ce qui pourrait expliquer sa progression vers des victimes plus masculines que féminines.
Ensuite, on peut observer une gradation dans la brutalité de ses crimes, comme en témoigne le nombre de coups de couteau (42) infligés à Ivan Formin, l’une de ses dernières victimes. Il ressentait sans doute une colère grandissante face à la déliquescence de sa vie personnelle et professionnelle, qui a eu une incidence sur ses fantasmes et ses crimes.

Lors de son procès, face à la douleur et à la souffrance des familles de ses victimes, Chikatilo a parfois grimacé en les regardant et n’a manifesté aucune empathie ou remords visible. Cela témoigne du plaisir sadique qu’il tirait non seulement de la souffrance de ses victimes, mais aussi de la douleur des familles qui avaient perdu des êtres chers d’une manière aussi horrible.

MALADE MENTAL OU PAS ?

Trois examens de psychiatrie légale ont reconnu sans équivoque Chikatilo sain d’esprit, c’est-à-dire « qu’il ne souffrait d’aucune maladie mentale et conservait la capacité d’être conscient de ses actes et de les gérer ». Cependant, il est possible que l’opinion des médecins a été dictée par le désir de protéger la société russe de ses crimes. S’il avait été reconnu fou, c’est-à-dire malade mental, Chikatilo aurait évité l’exécution et aurait fini dans un hôpital spécialisé. Donc, théoriquement, après un certain temps, il aurait pu être libéré.

Le docteur Bukhanovsky a affirmé que Chikatilo était malade, et qu’il aurait dû être interné dans un hôpital psychiatrique spécialisé afin d’être analysé.

Lors de ses aveux et des reconstitutions, Chikatilo a donné de nombreux détails et a démontré la préméditation de ses crimes. Il commettait ses meurtres dans un état d’ivresse, de frénésie, mais il les préparait délibérément, systématiquement. Il a été capable d’endormir la vigilance de ses victimes au point que certaines l’ont suivi dans la forêt sur plusieurs kilomètres. Si la victime refusait de l’accompagner, il ne faisait jamais pression sur elle, craignant d’attirer des témoins, mais partait immédiatement à la recherche d’une autre proie.

Le 20 août 1991, après que la police eut terminé son interrogatoire, y compris les reconstitutions de tous les meurtres sur chaque scène de crime, Chikatilo a été transféré à l’Institut Serbsky à Moscou pour subir une évaluation psychiatrique de 60 jours afin de déterminer s’il était mentalement apte à être jugé.
Chikatilo a été analysé par un psychiatre chevronné, Andrei Tkachenko, qui a constaté que Chikatilo présentait divers problèmes physiologiques, qu’il a attribués à des lésions cérébrales prénatales. En examinant les antécédents de Chikatilo, Tkachenko a observé une « descente régulière, mais progressive dans la perversion, aggravée par des facteurs biologiques et environnementaux, avec des actes de violence meurtrière de plus en plus extrêmes, commis en fin de compte pour soulager une tension interne”.
Le 18 octobre, Tkachenko a conclu que, bien que souffrant d’un trouble de la personnalité limite avec des caractéristiques sadiques, Chikatilo était apte à être jugé.

LA SIGNATURE ET LE RITUEL

Le rituel dans les meurtres en série (également appelé “signature”) a été définie comme le fait de commettre des actes qui étaient en grande partie inutiles pour tuer la victime.
L’objectif précis du rituel dans le meurtre en série est souvent de supprimer ou de maîtriser des expériences traumatisantes vécues durant l’enfance, de retrouver la maîtrise de son environnement, d’exprimer qui l’on est, de transformer son fantasme en réalité et de reconstituer les conflits psychologiques de l’enfance dans lesquels l’individu a inversé les rôles et est devenu l’agresseur.
Contrairement au mode opératoire, le rituel joue une fonction plus psychologique et symbolique. Il est inutile pour commettre le crime, mais il personnalise les meurtres d’une manière stable et inflexible dans le temps.

Chikatilo a expliqué en détail comment les attouchements, qui ont commencé en 1973, se sont transformés en un premier meurtre opportuniste, qui s’est ensuite transformé en un rituel raffiné et complexe, imprégné d’une signification psychologique. Cette signification a été résumée par Chikatilo dans l’une des confessions écrites : « parce que depuis l’enfance, je ne pouvais pas me montrer comme un homme et une personne à part entière, ceci [l’activité sexuelle perverse] m’a apporté un calme non pas sexuel, mais psychique et spirituel, pendant une longue période ».

Chikatilo avait créé un rituel élaboré que se déroulait en plusieurs phases : la phase de sélection, la phase de leurre, la phase pré-homicide et la phase pendant/post-homicide. En outre, le rituel différait entre les victimes masculines et féminines et témoignaient d’une progression et d’un perfectionnement au fil du temps.
Chikatilo passait la plus grande partie de son temps à mettre en scène et planifier sa vie pour faciliter la commission de ses crimes et le rituel s’étendait donc au-delà du meurtre lui-même.

Chikatilo a acheté la cabane à Shakhty, où il a commencé à manifester et à pratiquer les comportements qui allaient devenir ses rituels. Son premier meurtre semble opportuniste : il a rencontré Yelena Zakatnova qui rentrait chez elle alors qu’il se rendait à sa cabane.
Mais les meurtres suivants sont devenus de plus en plus délibérés et planifiés, que ce soit dans le choix de la victime, du lieu, des actes commis et des résultats souhaités.

La phase de sélection.
Chikatilo a choisi des victimes féminines qu’il avait vues adopter un comportement de promiscuité et qu’il pouvait facilement attirer dans des zones boisées en leur promettant de l’argent ou un “cadeau”. Chikatilo avait rationalisé ses actes, il se voyait sous un jour positif, car, en s’en prenant à cette victime, il allait “purifier la société”.
Lorsqu’il choisissait une victime masculine, Chikatilo préférait choisir des adolescents filiformes ou des enfants afin de pouvoir les dominer facilement le moment venu. En choisissant des garçons plus faibles, Chikatilo a pu se créer une illusion de masculinité et de pouvoir qui avait une importance psychologique pour lui.

La phase de séduction / d’appât semble être similaire chez les femmes et les hommes.
Il offrait quelque chose pour séduire sa future victime, afin qu’elle lui suive volontairement dans une zone boisée, sans qu’il ait besoin d’utiliser la violence. Sans se faire remarquer.
Avec les filles et les femmes, il offrait de l’argent ou de la nourriture en échange d’un rapport sexuel, tandis que les garçons se voyaient offrir des friandises, des timbres, des pièces, des cassettes vidéos ou des cartes postales.

Une fois dans l’intimité d’un bois, Chikatilo entamait la phase pré-mortelle de ses rituels. C’est cette phase qui présente le plus de différences entre les femmes et les hommes.
Avec les femmes, Chikatilo semblait initier des rapports sexuels normaux, mais il semble que son impuissance déclenchait une véritable rage, surtout si les femmes avaient “des exigences” ou qu’il avait l’impression qu’elles “le ridiculisaient” (selon ses propres mots). Dès l’adolescence, il avait vite compris qu’il ne pouvait pas être excité sans violence. « Il fallait que je voie du sang et que je blesse les victimes.” 
Dans le cas des victimes masculines, le rituel était clairement et directement lié à des fantasmes antérieurs. Une fois dans la zone boisée, Chikatilo leur liait les mains avec une corde et se lançait dans un jeu de rôle dans lequel il était un partisan soviétique qui avait courageusement capturé un prisonnier de guerre et le conduisait à la mort. Les actes de torture qui s’ensuivaient donnaient du pouvoir à Chikatilo, il avait l’impression illusoire d’enfin maîtriser son sentiment d’impuissance ressenti durant l’enfance.

La dernière phase se situe pendant et/ou après l’homicide. Une fois “enragé”, Chikatilo a le plus fréquemment utilisé son couteau, car cela lui permettait d’être proche de la douleur et de la souffrance de sa victime, ce qui facilitait le sentiment de plaisir sadique. Et le couteau est un symbole phallique qui lui permettait d’exercer sa puissance sexuelle et son pouvoir masculin sur ses victimes, qu’elles soient hommes ou femmes.
Les coups de couteau plantés dans les corps de ses victimes étaient un substitut à un rapport sexuel qui ne pouvait avoir lieu. Chikatilo poignardait ses victimes à plusieurs reprises, en commençant par le haut de l’abdomen et en descendant vers les parties génitales. C’est à ce moment que Chikatilo obtenait une satisfaction sexuelle. 
Il n’a pu expliquer pourquoi il coupait la langue et le pénis des garçons, mais il a dévoilé au docteur Andrei Tkachenko qu’il se “vengeait de la vie” sur les organes génitaux de ses victimes.

Une fois sa victime morte, il arrivait à Chikatilo de découper certaines parties du corps et de les mâcher, dans une sorte de rituel de fusion symbiotique avec ses victimes, pour qu’elles lui appartiennent totalement.

Mais le rituel de Chikatilo n’était pas entièrement figé. Au fil du temps, il a modifié temporairement ou définitivement ses rituels. Il a changé de lieu à plusieurs reprises en raison de l’intensification des enquêtes policières et, en 1989, il a assassiné Tatyana Ryzhova dans l’appartement de sa propre fille, restructurant complètement son rituel et agissant de manière opportuniste. 
Ces adaptations semblent s’être produites pour des raisons uniquement pratiques.

LA DESHUMANISATION DE SES VICTIMES

Au cours des interrogatoires et des évaluations cliniques, Chikatilo a expliqué le peu de considération qu’il avait pour les personnes qu’il avait choisies comme victimes. Il a longuement souligné à quel point leur mode de vie l’avait offensé pour justifier sa brutalité à leur égard, mais n’a décrit que brièvement les atrocités qu’il leur avait infligées. « Ces éléments pourris ont-ils le droit d’exister, au vu et au su de toute la population ? »; « J’ai dû regarder des scènes de la vie sexuelle de ces clochards dans les gares et les trains.  Et je me suis souvenu de mon humiliation de ne jamais pouvoir prouver que j’étais un homme à part entière » ; « Pourquoi ont-ils le droit de profiter de la vie ? Et en plus, ils se multiplient rapidement, ont beaucoup d’enfants. Ils utilisent leurs enfants pour s’offrir une vie luxueuse en mendiant. Et leurs enfants tombent alors dans le même monde criminel ».

Ces citations sont révélatrices de la manière dont Chikatilo en est venu à considérer ses victimes comme des sous-humains, un problème de société, ce qui lui permettait de redéfinir ses actes comme justes, voire héroïques, en débarrassant la société de ces “déchets”.
Non seulement il n’avait pas la moindre compassion pour des jeunes femmes prêtes à vendre leur corps pour un peu de nourriture, mais il considérait toutes ses victimes, quel que soit leur âge, leur sexe ou leur style de vie, comme des déchets à éliminer.
En pensant de cette manière, Chikatilo en est venu à considérer ses victimes comme un simple moyen d’atteindre un but qui, dans son cas, était le soulagement de l’humiliation sexuelle et la rage sous-jacente qu’il portait depuis l’enfance.

Lors des interrogatoires, Chikatilo s’est concentré davantage sur son propre ressenti physique et émotionnel après le meurtre que sur celui de sa victime ou de sa famille.
Il a également déclaré : “Il est possible que quelqu’un m’ait dit son nom de famille, mais je ne m’en souviens pas. Les noms de famille ne m’intéressaient pas”. En évitant de connaître leur identité, Chikatilo s’est donné les moyens de rester indifférent à leur humanité même, car un nom aurait pu l’extirper de son fantasme, lui rappeler que sa victime était un être humain, et peut-être l’empêcher de l’utiliser à ses propres fins.
Lorsque le procureur Kostoyev a demandé à Chikatilo pourquoi il avait bandé les yeux de Yelena, le tueur lui a répondu que son épouse lui avait dit que l’image d’un meurtrier reste dans les yeux d’une victime. Puis il avait décidé que c’était une superstition idiote et avait donc cessé de le faire (ce qui expliquait le changement de signature). Plus tard, il avait admis qu’il n’aimait tout simplement pas que ses victimes le regardent lorsqu’il les attaquait.

Et Chikatilo n’a pas attendu de devenir un assassin pour déshumaniser ses victimes.
Le premier changement significatif s’est produit dès 1973, lorsqu’il a commis des attouchements sur une étudiante. Il a commencé à considérer ses élèves comme un moyen d’obtenir un soulagement personnel. C’est ce qui ressort d’une citation concernant ses sentiments à l’égard de l’une des étudiantes qu’il a molestées : « En ce qui concerne mon attitude à l’égard de Gultseva, je n’avais pas d’autre intention que de commettre des actes pervers avec elle et de me satisfaire sexuellement en conséquence ».
À l’époque, déjà, il n’a pas éprouvé le moindre remord, car, après avoir démissionné, il a trouvé un nouveau poste d’enseignant où il a continué à victimiser les élèves de sa nouvelle école.

Chikatilo était cependant capable d’éprouver une certaine compassion envers les personnes dont il s’occupait, comme sa sœur Tatyana, qu’il semblait aimer et a hébergé. Il a souvent été décrit comme un père aimant et un mari affable, ce qui laisse supposer qu’il était d’une certaine manière capable d’apprécier l’humanité de ceux qu’il jugeait dignes de l’être.
Mais lorsqu’on lui a demandé de parler de sa famille, son récit s’est fait maigre à partir de l’année 1978, alors qu’il vivait toujours avec son épouse et ses enfants, comme s’il les avait peu à peu effacés de son existence.

Citations

« J’étais jaloux… C’est injuste que moi, une personne ayant fait des études supérieures, qui connais par cœur les noms des secrétaires généraux des partis communistes de tous les pays, sois sexuellement plus faible que tous ces misérables étudiants et sans-abris. » : Chikatilo, lors d’une interview en prison.

Andreï Romanovitch, comment évaluez-vous ce que vous avez fait ?
– Que pouvais-je faire ? Le pays tout entier est fou. J’aurais dû devenir un grand homme politique, je le voulais. Regardez ce que fait le gouvernement, ce que fait le peuple. (…)
Mais vous avez tué aussi ?
– J’ai fait du mal. J’ai également écrit des plaintes au secrétariat du comité régional du parti et à l’administration, trois volumes de plaintes, et comme toujours, elles ont été laissées sans attention, et ils n’ont pas analysé mes plaintes, mes appels, mes proclamations. J’y ai écrit un programme, mais ils ne m’ont pas écouté, alors je me suis battu du mieux que je pouvais tout seul. J’ai combattu toutes sortes d’escrocs, de vagabonds, de dégénérés, de toutes sortes, j’ai nettoyé le monde : lors d’une autre interview avec un journaliste

“Il n’y a pas de tueurs en série ici. Les tueurs en série sont une invention américaine, une décadence occidentale qui ne pourrait jamais exister dans notre patrie.”
Un membre du Politburo, peu avant la chute de l’Union soviétique en 1988

Livres et films

« The Red Ripper : Inside the Mind of Russia’s Most Brutal Serial Killer », de Peter Conradi (1992).

« The Killer Department: Detective Viktor Burakov’s Eight-Year Hunt for the Most Savage Serial Killer in Russian History » de Robert Cullen (1993).

« Comrade Chikatilo: The Psychopathology of Russia’s Notorious Serial Killer », de Mikhail Krivich et Ol’gin Olgert (1993).

« Hunting the Devil: The Pursuit, Capture and Confession of the Most Savage Serial Killer in History« , de Richard Lourie (1993).

« The Hunt for the Red Ripper », par Martin Coenen (1993). Un documentaire de 50 minutes.

« Citizen X », par Chris Gerolmo (1995).
Ce téléfilm inspiré du livre de Robert Cullen dépeint l’enquête sur les meurtres de l' »Éventreur de Rostov » à travers les expériences de l’inspecteur Viktor Burakov, dans ses efforts pour piéger le tueur. Il contient de nombreux ajustements par rapport à la réalité, ainsi que des erreurs factuelles, mais les acteurs sont excellents.

« The butcher of Rostov » (2004). Documentaire de 45 minutes de la chaîne Biography Channel.

« Evilenko », par David Grieco, (2004).
Ce film italien est librement inspiré des meurtres commis par Chikatilo. Il met en scène Malcolm McDowell dans le rôle d’Andrei Evilenko.

« Child 44« , par Daniel Espinosa (2015).
Ce film est l’adaptationdu roman « Enfant 44 » de Tom Rob Smith, lui-même inspiré de l’affaire Chikatilo (mais replacé dans les années 1950).

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