Article mis à jour le 26 août 2023
Crimes (suite)
La peur s’intensifia dans l’East End et durant la semaine qui suivit le double meurtre, les rues de Whitechapel furent quasiment désertées à la tombée de la nuit. De nombreuses prostituées évitèrent de rester dehors, autant qu’elles le pouvaient, se logeant dans des asiles de pauvres ou dans leur famille. Les Londoniens évitaient le quartier et les commerçants virent peu de clients.
Et pourtant, les rues étaient en général plus sûres qu’elles ne l’avaient été, car tout le monde était en état d’alerte et de nombreux policiers, en civil ou en uniforme, patrouillaient jour et nuit. De plus, le « Comité de Vigilance de Mile End » employait des hommes, équipés de sifflet et de gourdin, pour sillonner les rues après minuit.
Un policier s’habilla même en femme et se fit passer pour une prostituée, essayant d’attirer le tueur. Il s’attira surtout les quolibets des habitants du quartier…
La police visita les asiles de nuit et interrogea plus de 2000 logeurs. Plus de 80 000 prospectus furent imprimés et distribués, demandant à d’éventuels témoins du double meurtre de s’adresser au poste de police le plus proche. 76 bouchers et équarrisseurs furent interrogés, ainsi que leurs employés. La police interrogea aussi les marins qui travaillaient sur la Tamise.
Des chiens policiers furent déployés dans le quartier, mais on ne possédait pas d’objet ayant appartenu au tueur que les chiens auraient pu renifler. Et les odeurs putrides de Whitechapel perturbèrent leur odorat.
Peu à peu, la vie reprit son cours normal dans l’East End. Il n’y eut pas de meurtre durant un mois et, bien que les journaux continuèrent à publier de nombreux articles sur l’Éventreur, les prostituées redescendirent dans les rues.
Le vendredi 9 novembre 1888, Londres fêtait le Lord Mayor’s Show, une manifestation importante durant laquelle le futur maire prenait place dans son bureau, avec or et apparats. Les gens étaient nombreux dans les rues et le commerçant John McCarthy, qui louait des chambres dans Dorset Street, au sud du marché de Spitalfield, était surpris de ne pas voir l’une de ses locataires, Mary Kelly.
Il envoya son apprenti, Thomas Bowyer, pour qu’il collecte l’arriéré de loyer que Kelly lui devait. Personne ne répondit lorsqu’il frappa à la porte, qui était verrouillée, et Bowyer jeta un œil par un carreau de fenêtre brisé. Il aperçut un corps ensanglanté sur le lit. Affolé, il courut voir McCarthy, qui appela immédiatement le policier local.
L’inspecteur Beck parlait avec un officier de police, Walter Dew, et ils se rendirent tous deux au 13 Miller’s Court. Ils regardèrent par la fenêtre et, dans la semi-obscurité, ils aperçurent un corps affreusement mutilé.
Beck prévint son supérieur, qui arriva rapidement sur les lieux et fit mander le médecin de la police, le Dr George Bagster Phillips.
L’inspecteur Abberline arriva peu après. Ils attendirent que le préfet de police, Sir Charles Warren, arriva à son tour… mais celui-ci venait juste de démissionner.
Ils ouvrirent la porte et pénétrèrent dans une petite chambre à peine meublée.
Le corps de la jeune Mary Kelly était allongé sur le lit, les jambes écartées, le corps en charpie. Elle avait été égorgée, le tueur avait coupé sa carotide. Les mutilations avaient eu lieu après sa mort. Mary Kelly était nue. Son abdomen et l’intérieur de ses cuisses avaient été enlevés et la cavité abdominale avait été vidée de ses viscères, qui avaient été posées tout autour du corps. Les seins avaient été coupés, les bras et le visage déchiquetés.
La férocité de ce meurtre horrifia le docteur Phillips, pourtant expérimenté.
L’autopsie fut menée par le Docteur Bond, en présence des Docteurs Phillips et Brown. Alors qu’ils tentaient de reconstituer le corps de Mary Kelly, ils réalisèrent que le tueur avait emmené son cœur avec lui. Les médecins affirmèrent que les mutilations avaient été effectuées avec un couteau très aiguisé, d’environ 15 cm de long.
Le Dr Phillips estima que Mary Kelly avait dû être assassinée entre 5 et 6 heures du matin.
Mary Kelly était une Irlandaise de 25 ans, un peu ronde, qui se prostituait occasionnellement avec deux ou trois amies, souvent bien vêtue. Au moment de son décès, elle n’avait plus payé son loyer depuis plusieurs semaines et son amant, Joe Barnett, était au chômage. Elle avait donc dû retourner à la prostitution pour survivre. Les gens la décrivaient comme une jeune femme grande et belle, gentille avec tout le monde. Une amie ajouta qu’elle devenait grossière lorsqu’elle était saoule, mais qu’elle était adorable et honnête lorsqu’elle était sobre.
Le meurtre de Mary Kelly engendra la panique dans les rues de Whitechapel, qui furent de nouveau désertées la nuit.
La police travailla d’arrache-pied. Chaque piste fut suivie, chaque suspect fut longuement interrogé. Mais les enquêteurs n’obtinrent aucun résultat probant et furent fortement critiqués.
La reine Victoria, elle-même, était furieuse. Elle ordonna au Premier Ministre de doter chaque rue d’un éclairage public et d’améliorer la formation des policiers.
Le ‘Times’ fut plus compréhensif. Le journal expliqua que les meurtres étaient accomplis avec «une perfection qui déroute les enquêteurs». Aucun indice probant n’était laissé par le tueur et aucun mobile rationnel ne pouvait être trouvé pour ces meurtres horribles.
La police trouva plusieurs témoins intéressants, dont George Hutchinson, un ouvrier au chômage qui connaissait Mary Kelly. Il l’avait rencontré vers 2h du matin, et elle lui avait demandé de l’argent. Mais il n’en avait pas et elle s’était éloignée pour aller discuter avec un autre homme.
Ce dernier portait un chapeau de feutre mou et avait passé son bras autour des épaules de Mary Kelly. Ils étaient tous deux repartis dans l’autre sens et Hutchinson avait croisé le regard de l’homme. Il les avait suivis discrètement alors qu’ils revenaient vers Miller’s Court en discutant.
Marry Kelly avait invité l’homme à l’intérieur et il l’avait embrassée. Ils étaient entrés dans la chambre de Mary Kelly. Hutchinson les avait attendus 3/4 d’heure mais, ne les voyant plus ressortir, il était parti.
Selon Hutchinson, l’homme avait 35 ans, mesurait environ 1m70, était pâle, avait des cheveux noirs et une petite moustache bouclée aux deux extrémités. Il portait un long manteau sombre avec un col en astrakan, un costume sombre, des bottines à boutons et une cravate sombre avec une épingle en forme de fer à cheval. Il avait une apparence respectable, mais «on aurait dit un étranger» (un Juif…). Il tenait dans ses mains un paquet d’une vingtaine de centimètres de long.
D’autres personnes avaient vu Mary la nuit de sa mort et, entre 3h30 et 4 heures du matin, trois femmes habitants Millers’ Court avaient entendu quelqu’un s’écrier «Au meurtre !». Mais ce genre d’appel était si courant dans le quartier qu’elles n’y avaient pas vraiment prêté attention.
L’inspecteur Abberline crut le récit d’Hutchinson mais se demanda pourquoi il avait « surveillé » Mary Kelly et son probable assassin. Hutchinson expliqua qu’il connaissait Mary depuis des années et lui avait plusieurs fois prêté de l’argent. Il l’appréciait et s’inquiétait de ce qui pouvait lui arriver. Il est plus probable, en fait, qu’il attendait qu’elle en ait fini avec ce client et espérait bénéficier de ses faveurs…
Deux policiers parcoururent le quartier avec Hutchinson, dans l’espoir qu’il reconnaîtrait le client, sans résultat.
Le lendemain du meurtre, le ministre de l’Intérieur, Henry Matthews, proposa un « pardon officiel pour tout complice n’ayant pas personnellement commis ou participé à un meurtre » et qui dénoncerait l’Éventreur. Cette mesure semble avoir été une manœuvre purement politique, car la police pensait déjà que le tueur n’avait aucun complice.
Avec l’arrivée de l’hiver, l’activité de la police se ralentit. Tous les suspects avaient été interrogés et toutes les pistes avaient abouti à une impasse.
Jack l’Éventreur ne fit plus parler de lui. Il ne fut jamais identifié.
Toutefois, deux meurtres similaires à ceux de l’assassin peuvent attirer l’attention.
- Le premier fut celui d’Alice McKenzie, une prostituée de 40 ans qui fut trouvée morte en juillet 1889. Elle avait été égorgée et sa carotide était tranchée. Son abdomen avait été mutilé, mais les blessures étaient de nature différente de celles accomplies par l’Éventreur. Les Dr Bond et Phillips ne parvinrent pas à s’accorder pour savoir si elle avait été tuée ou non par l’Éventreur.
- En février 1891, une prostituée de 26 ans nommée Frances Coles fut découverte morte, la gorge tranchée. Le Dr Phillips ne pensa pas que l’Éventreur fut son assassin et les soupçons se portèrent sur un marin avec qui elle s’était querellée. La police n’obtint toutefois pas assez de preuves pour l’inculper.