Article mis à jour le 5 mars 2023
Le premier signe de problèmes sérieux chez Ted Bundy fut un arrêt complet et soudain de son développement social. La plupart ne s’en rendirent pas compte, mais cela fut très douloureux pour lui. Ses amis semblaient avancer, s’améliorer, gagner en maturité, et pas lui. Ses amis proches le trouvaient pourtant intelligent et plein d’humour. Mais il n’avait pas assez confiance en lui pour en profiter. Lorsqu’il rencontrait des personnes qu’il ne connaissait pas, fille ou garçon, il se crispait et ne disait plus un mot. Les gens qui ne le connaissaient pas ne faisaient donc pas attention à lui et Bundy, adolescent sensible, le prit très mal.
De plus, le sexe le rendait perplexe. Lorsque ses amis parlaient des filles, Bundy écoutait sans comprendre.
Il ne se sentait à l’aise que lorsqu’il skiait ou en classe. Dans la salle de classe, il parlait devant tout le monde. Comme il s’exprimait bien et cultivait une image sérieuse pour cacher sa solitude, il était considéré comme un travailleur cultivé par les autres lycéens. Et pourtant, ses notes étaient plutôt bonnes, mais pas excellentes. Il obtint son bac avec une moyenne juste assez correcte pour être admis à l’université de Puget Sound.
Durant sa première année à l’université, il vécut chez sa mère et ne s’intégra pas à la vie sociale du campus. Il fut encore plus solitaire qu’au lycée, car ses amis n’étaient plus là. Il déclina la proposition qu’on lui fit de joindre une « fraternité », car il se sentait humilié en présence de « frères » confiants et énergiques. « Je ne me sentais pas assez adroit socialement. Je ne savais pas comment fonctionner avec ces gens. Je me sentais terriblement mal à l’aise ». Il ne se fit pas de nouveaux amis. Il tenta, comme il l’avait fait au lycée, de prendre la parole en classe pour se faire remarquer, mais les cours à l’université avaient lieu dans de grands amphithéâtres et ne donnaient pas vraiment l’occasion de parler.
Puis un jour, il participa à une conférence sur la Chine et comprit immédiatement que ce domaine pourrait lui apporter l’attention des autres. Il ne réfléchit pas une minute à la quantité de travail que ce sujet pourrait lui demander. Ted pensait que la langue chinoise était exotique et élégante.
À la rentrée suivante, il obtint son transfert à l’Université du Washington, à Seattle, dans le programme d’études asiatiques. Là encore, il ne se joignit à aucune fraternité, mais prit une chambre en résidence universitaire. Il paya ses études grâce à un chapelet de « petits boulots » qu’il ne tint jamais bien longtemps. Certains de ses employeurs pensaient que l’on ne pouvait pas compter sur lui.
Autant il manquait de sérieux pour ces jobs d’étudiants, autant il se concentrait énormément sur ses études et fut capable d’obtenir de très bonnes notes. Comme il l’avait voulu, sa nouvelle spécialité le mit à part de la population estudiantine et le fit remarquer. Il plongea dans les arcanes des idéogrammes, réussit son année et se fit quelques nouveaux amis.
Il commença à fabriquer « le nouveau Ted » : érudit, intelligent, spirituel, sérieux, sage et… beau garçon.
Durant l’été 1966, il rencontra une jeune femme du nom de Diane Edwards (qu’Ann Rule appelle Stephanie Brooks dans son livre sur Bundy). Elle était belle, sophistiquée et venait d’une riche famille californienne. Bundy avait du mal à croire qu’une fille comme elle puisse s’intéresser à lui.
Elle était d’une classe sociale que Bundy admirait et enviait. Elle savait ce qu’elle voulait. Elle était en fait tout ce qu’il avait toujours voulu devenir. Bundy la présenta à ses amis comme un trophée.
Ils étaient fort différents l’un de l’autre, mais adoraient tous les deux skier et c’est durant leurs nombreuses balades à ski qu’ils tombèrent amoureux l’un de l’autre. À 20 ans, Ted n’était pas plus sexuellement avancé qu’au collège. Il ne fit pas d’avances à Diane, se contentant d’être charmant.
Diane Edwards fut le premier « grand amour » de Bundy. Ils passèrent beaucoup de temps ensemble, à se promener ou à dîner aux chandelles. Toutefois, Diane n’était pas aussi folle de Ted qu’il l’était d’elle. En fait, elle l’aimait beaucoup, mais pensait qu’il manquait d’ambition. Elle voulait quelqu’un qui corresponde à son style de vie et elle ne pensait pas que Ted fut cette personne. Il essaya pourtant de l’impressionner, quitte à mentir, ce que Diane détestait.
Après son année à l’université d’État du Washington, il entra à la prestigieuse université de Stanford, en Californie, où il s’inscrivit dans un programme d’étude intensive de chinois. Il le faisait surtout pour impressionner Diane, qui était resté à Seattle, mais ce fut une erreur. Il se retrouva encore plus seul qu’il ne l’avait été à l’Université de Puget Sound, car il n’avait même plus sa famille auprès de lui.
Il avait le mal du pays et ses résultats s’en ressentirent. Il s’était fixé des standards de réussite calqués sur la vie de Diane Edwards et ne pouvait pas les atteindre.
Son immaturité fut mise à jour ; une expérience particulièrement douloureuse pour lui, car il échouait ainsi dans le seul domaine – les études – qui avait toujours été son refuge.
Durant l’été 1967, Diane mit fin à leur relation. Elle avait compris que ce qu’elle avait pris pour de l’immaturité était en fait une grande puérilité. Elle s’était lassée de son attitude flagorneuse et de ses mensonges.
Bundy ne s’en remit jamais. Son monde s’écroulait.
Il ne parvint pas à comprendre ce qui lui était arrivé, pourquoi le masque qu’il avait utilisé l’avait fait échouer. Sa première tentative d’incursion dans le monde sophistiqué de Diane Edwards avait été un désastre. Bundy s’isola à nouveau, déprimé.
Il abandonna les études de chinois et, simplement parce que Diane avait dit un jour qu’elle admirait le rôle d’un architecte dans un film, il s’inscrivit à l’université de Washington, en architecture. Mais il n’y avait plus de place, alors il choisit la planification urbaine, mais échoua là aussi. Il tenta de se concentrer et de suivre les cours, mais il s’ennuyait et avait l’esprit ailleurs. Il eut des notes exécrables et eut l’impression que l’ambiance de l’université lui était devenue hostile.
Rien ne sembla plus le passionner et il finit par abandonner l’université, complètement déprimé par sa rupture avec Diane.
Il parvint à rester en contact avec elle après qu’elle fut retournée en Californie, mais elle lui fit comprendre qu’elle n’avait pas l’intention de ressortir avec lui. Ted Bundy était obsédé par la jeune femme et ne parvint pas à la chasser de son esprit.
Il emprunta de l’argent et décida de voyager un peu. Il alla en Californie, à la station de ski d’Aspen dans le Colorado, et alla voir ses grands-parents à Philadelphie. Il revint à Seattle au printemps 1968, mais ne se sentit pas capable de reprendre ses études. Il trouva un appartement et un emploi de manutentionnaire.
Il rencontra un dénommé Richard, un petit voyou qui le fascina. À 21 ans, il n’avait jamais rencontré de voleur ni de drogué et Richard représentait pour lui la possibilité d’une excitation illicite.
Le vol, particulièrement dans les magasins, vint presque naturellement à Bundy. Le petit garçon en lui voulait des choses, des choses coûteuses, celles que les gens riches possèdent, et Bundy n’avait pas les inhibitions d’un adulte. De plus, le vol était pour lui une aventure, un jeu amusant et grisant.
Bundy n’était pas un voleur « classique ». Il ne prenait pas d’argent ni d’objets pour les revendre. Son besoin de voler avait quelque chose d’impulsif, proche de la kleptomanie, et il avait du mal à s’en empêcher. Il ne fut pourtant jamais arrêté, fait surprenant lorsque l’on connaît le nombre de vol qu’il a commis, et la manière dont il procédait. En fait, il comptait sur l’anonymat. Lorsqu’il avait décidé qu’il voulait un objet, il mettait un beau costume et se coiffait, afin de paraître présentable et « oubliable », puis buvait 2 ou 3 bières pour faire disparaître les dernières traces de nervosité. Il entrait dans un magasin, prenait ce qu’il voulait et s’en allait, tout simplement.
Plutôt que de les acheter, il vola une télévision, une chaîne hi-fi, des meubles, des instruments de cuisine, des vêtements et même des objets d’art.
À la même époque, Bundy rencontra un ancien ami du lycée. Celui-ci lui proposa de travailler pour Arthur Fletcher, un conseiller municipal républicain qui avait l’intention de devenir gouverneur. D’autres amis travaillaient déjà pour lui. Bundy sauta sur l’occasion. Une partie de lui était un petit voleur solitaire, mais l’autre partie était un fervent Républicain : au lycée, il avait reçu un prix pour un discours prononcé lors d’une convention et à la fac, il avait déjà participé à la campagne d’un membre républicain du congrès. Il avait adoré ça. Il pouvait utiliser ses talents de beau parleur, être écouté et accepté, être invité à dîner ou à jouer au tennis, avoir accès à des gens d’une classe sociale « supérieure »…
Bundy abandonna son emploi de manutentionnaire et travailla à temps plein sur la campagne de Fletcher. Il dut se serrer la ceinture, mais ne le regretta pas.
À cette époque, beaucoup de jeunes gens participaient au mouvement pour la paix au Vietnam. Bundy, au contraire, était très conservateur et totalement dévoué à l’establishment. Il ne désirait pas défendre les étrangers, les expropriés ou les pauvres.
À l’automne, il fut nommé chauffeur officiel d’Art Fletcher. Une nuit, ils allèrent faire campagne à l’est de l’état et Bundy se saoula dans le bâtiment officiel du parti. Lorsqu’il buvait, c’était d’ailleurs souvent pour se saouler. On le ramena chez quelqu’un pour qu’il dorme, presque inconscient. Selon lui, la femme qui habitait cette maison lui enleva sa virginité ce soir-là, à 22 ans.
Art Flecher perdit de peu l’élection de novembre et Bundy, à sa grande déception, dut revenir à la vie normale. Durant la campagne, il avait observé le comportement des gens et avait acquis machinalement les compétences sociales qu’il ne possédait pas naturellement.
Il avait mûri et avait pris de l’assurance. Il prenait grand soin de son apparence et s’habillait avec de beaux vêtements qu’il avait volés.
Le masque prenait lentement forme. Bundy trouva un emploi dans un magasin de Seattle, où il avait volé sans que le propriétaire le sache. Il y apprit qu’il possédait un autre talent : il amenait facilement les femmes à lui parler et il pouvait leur vendre n’importe quoi.
Toutefois, il vendit sa Coccinelle et partit pour Philadelphie, où il s’installa provisoirement chez ses grands-parents.
Il s’inscrivit à l’université de Temple et obtint des résultats mitigés. Il ne termina jamais un diplôme en urbanisme et fut moyen au cours de théâtre. Par contre, il apprit bien des choses sur l’art de la comédie et du maquillage. Son visage devint tout à fait neutre, sans aucune caractéristique particulière.
Tout comme la personnalité qu’il était en train de créer, son visage pouvait être tout ce qu’il voulait qu’il soit. Une moustache, une barbe, une coiffure différente, une perte ou un gain de poids, un détail pouvait totalement changer son apparence. Il pouvait être aussi anonyme qu’il le voulait.
Il revint à Seattle durant l’été 1969 et prit une chambre d’étudiant chez Ernst et Frieda Roger. Ces derniers l’apprécièrent immédiatement. Il était poli, sa chambre était toujours propre, il aidait Ernst à bricoler dans la maison et accompagnait Frieda au magasin.
Pour eux, c’était un jeune homme adorable.
Leur maison était située non loin d’un bar à bière fréquenté par les étudiants. Une nuit, en septembre, Bundy y rencontra une jeune femme de 24 ans dénommée Elizabeth Kloepfer (qu’Ann Rule nomme Meg Anders). Elle était secrétaire médicale et divorcée. Mignonne, mais timide, ses amis l’avaient amenée là pour s’amuser un peu. Elle trouva Ted Bundy charmant.
Il se présenta comme un étudiant en droit et affirma qu’il travaillait sur un livre concernant le Vietnam. Elle ne le crut pas tout à fait, mais il était tellement séduisant et sûr de lui qu’elle le ramena chez elle avant la fin de la soirée. Comme ils avaient tous deux beaucoup bu, ils s’endormirent tout habillés. Le lendemain, la fille d’Elizabeth, Molly, les réveilla. Ted fut enchanté de la voir, mais Meg lui fit comprendre qu’elle préférait qu’il parte. Il le fit.
Il voulut la revoir presque immédiatement. Il l’idéalisa comme il l’avait fait avec Diane Edwards. Elizabeth Kloepfer avait subi un mariage et un divorce douloureux, et elle se méfiait des hommes. Elle était jalouse et les flirts de Ted avec d’autres femmes n’arrangèrent pas les choses.
Ne connaissant rien à l’amour adulte et au respect, Bundy fit semblant d’être l’homme qu’elle voulait. Il créa le Bundy étudiant en droit qui écrivait un livre alors qu’en fait, il n’avait jamais réussi à terminer ses études. Comme un enfant, il ne pouvait prévoir les conséquences de ses mensonges, tout comme il ne comprenait pas que son comportement puéril lui avait coûté Diane Edwards.
Trois mois après avoir rencontré Elizabeth Kloepfer, ils commencèrent à parler mariage et en discutèrent avec des amis. Lorsqu’il ne fut plus capable de soutenir ses mensonges, Ted Bundy déclara à Elizabeth qu’il était bien trop tôt pour se marier. Puis, il lui avoua qu’il lui avait menti. Elle lui pardonna.
Elizabeth Kloepfer voyait Bundy très souvent. Il venait chez elle, ils faisaient l’amour, ils partaient en excursion avec sa fille, allaient voir sa mère, se téléphonaient constamment… Et pourtant, elle ne parvenait pas à voir derrière le masque. Elle l’aimait vraiment, il l’aveuglait, elle rationalisait ses mensonges et répondait à ses cruautés par de la douceur.
On peut penser qu’il est improbable qu’une femme soit aveugle à ce point. Mais la mère de Bundy ne vit rien non plus, ni les responsables des magasins qu’il volait, ni ses nombreux amis républicains.
Ted Bundy avait de plus en plus de choses à cacher. Il avait acquis un énorme appétit pour la pornographie violente. Il se promenait dans son quartier, la nuit, pour regarder à travers les fenêtres des étudiantes et, parfois, voler des objets.
Il subissait également des dépressions cycliques. « Tout ce que je voulais, c’était rester là et passer le plus de temps possible à ne rien faire. Et pourtant, j’étais capable d’être réellement joyeux et amical, au moins pour une période de temps limité. Je suis devenu un expert pour projeter quelque chose de différent de ce que j’étais vraiment. Il y avait une grande part de ma vie que personne ne connaissait. Ça ne m’a pas demandé d’efforts, pas du tout« .
Ted Bundy avoua à Elizabeth qu’il n’avait pas sa licence en droit et elle lui donna de l’argent pour qu’il s’inscrive et reprenne ses études. Elle l’aida à se lancer dans une autre branche, la psychologie. Il s’y inscrivit « probablement comme une excroissance de ma confusion au sujet de moi-même« .
Durant le semestre d’été 1970 à l’université de Washington, il se plongea intensément dans ses études. Il eut de très bonnes notes et écrivit un article sur la schizophrénie qui lui valut les félicitations de ses professeurs. Il se sentait renaître.
La dépression disparut, mais il ne put s’empêcher de continuer à errer la nuit et à voler.
Il obtint un autre emploi dans le programme d’étude d’une « clinique de crise », notre « SOS détresse » (c’est là qu’il rencontra Ann Rule, une ex-flic qui allait par la suite écrire un livre sur lui). Une nuit par semaine, il prenait les appels de personnes suicidaires, solitaires ou démentes. Au moins une fois par mois, une personne téléphonait alors qu’elle avait déjà pris une dose mortelle de médicaments ou s’était coupé les veines. Bundy continuait à lui parler pour que le numéro puisse être repéré, jusqu’à ce que la police parvienne chez cette personne. Il était surtout sensible aux femmes. « J’avais les meilleurs résultats avec les femmes qui étaient seules ou avaient été abandonnées par leur mari ou leur copain. Je sentais qu’elles étaient vraiment blessées. Elles appelaient parce qu’elles étaient seules et avaient sincèrement besoin de quelqu’un« .
Cela peut paraître innocent et même généreux de sa part, mais les experts pensent que c’est là que Bundy a développé le ton de voix calme, poli et rassurant qu’il allait par la suite utiliser pour attirer ses victimes dans ses filets.
Au printemps 1972, Bundy obtint son diplôme de psychologie. Il avait toutefois décidé qu’il voulait devenir… avocat. Ses notes étaient bonnes, mais malgré des heures de préparation, les résultats de son « test d’aptitude à l’école de droit », indispensable pour être admis, furent médiocres. Il eut des notes catastrophiques en grammaire. Aucune école de droit n’accepta sa candidature et il se sentit terriblement humilié.
Il abandonna son emploi à la « clinique de crise » en mai 1972 et fut embauché à l’hôpital psychiatrique Harborview de Seattle grâce à une bourse fédérale. Il y soignait les patients qui vivaient chez eux, mais venaient passer quelques heures à l’hôpital quotidiennement.
Il continua à cloisonner sa vie avec Elizabeth Kloepfer et eut une aventure avec une collègue de l’hôpital. Selon cette dernière, il était souvent froid et presque abusif avec ses patients. Il n’était pas un bon conseiller. On le soupçonna même d’appeler les patients la nuit, chez eux, pour les menacer et leur faire des avances sexuelles. Sa collègue raconta à un ami qu’un soir, alors qu’il faisait l’amour, Bundy avait pressé son avant-bras sur sa gorge pour l’étrangler et elle avait dû le repousser. C’était volontaire, il aurait pu la tuer, et ça l’avait terrifiée.
Bundy l’emmenait parfois faire de longues balades en voiture à travers les collines derrière le lac Sammamish. Il lui avait dit chercher la maison d’une tante, mais ne lui avait jamais décrit ni l’habitation, ni la tante… Ils utilisaient sa voiture à elle, pas la sienne. Bundy fit également des randonnées avec son cousin John dans la Taylor Moutain.
Bundy se sentait inutile, faible et impuissant à l’hôpital d’Harborview. Ses patients lui renvoyaient souvent une image de sa propre vie. Il en conclut que la psychologie ne servait à rien et ne pouvait guérir les gens.
À son grand soulagement, 1972 fut une nouvelle année électorale. Il revit des amis de la campagne d’Art Fletcher et, grâce à eux, travailla dans la campagne de réélection du gouverneur républicain Dan Evans. Les jeunes femmes qui travaillèrent avec lui furent fascinées par son allure, ses coûteux vêtements et ses belles manières. Il flirta avec plusieurs d’entre elles. Il était toujours poli avec ses supérieurs et impressionnait certains vétérans de l’équipe du gouverneur par son dévouement et sa compréhension de la politique.
C’est cette image de Ted Bundy, le jeune homme intelligent et sympathique, que les gens ont gardée de lui.
Mais tout n’allait pas si bien et Elizabeth Kloepfer commençait sérieusement à s’interroger. Un jour, il menaça de « briser son putain de cou » si elle racontait qu’il était un voleur. Ce même soir, il vint chez elle pour prendre un pied-de-biche qu’il avait laissé sous un radiateur. Elle vit un gant chirurgical dépasser de sa poche.
Une autre nuit, elle s’était réveillée parce que Ted examinait son corps avec une lampe de poche sous les draps. Plus tard, il tenta de la convaincre de pratiquer la sodomie, ce qu’elle refusa catégoriquement. Elle l’avait parfois autorisé à l’attacher avant qu’ils fassent l’amour. Il utilisait ses collants et elle avait remarqué qu’il les avait trouvés immédiatement dans sa commode, sans qu’elle ait besoin de lui indiquer où ils étaient…
Toutefois, il pouvait aussi être gentil et tendre. Durant cette période, Elizabeth Kloepfer semble avoir été plus préoccupée par la possible perte de Ted à cause de ses amis républicains ou de ses flirts, plutôt que par l’altération de son comportement.
Après l’élection, Bundy tenta de nouveau d’être admis dans une école de droit. Cette fois, il y parvint : il avait joint à sa candidature une lettre du gouverneur Evans et une critique de ses derniers tests comme étant «inappropriés». Il fut accepté à l’école de droit de l’université de l’Utah pour la rentrée de septembre 1973.
En attendant, avec l’aide d’amis républicains, il trouva un emploi au département judiciaire du comté de King. Il devait étudier la récidive parmi les personnes reconnues coupables de délits mineurs dans les cours de justice du comté. Il eut accès à tous les dossiers, les rapports de police, les décisions des juges.
Durant des semaines, il lut des centaines de rapports d’arrestations, notant avec intérêt à quel point était mauvaise la coopération et la coordination entre les différentes polices et les diverses juridictions judiciaires. Il fut étonné de trouver des rapports montrant que certaines arrestations n’avaient jamais abouti à un procès. Des criminels ayant été arrêtés plusieurs dizaines de fois passaient malgré tout entre les mailles du filet.
En mai 1973, il alla travailler à Olympia pour Ross Davis, le nouveau dirigeant du comité central républicain de l’état du Washington.
Durant l’été, il rencontra Marlin et Sheila Vortman, qui avaient participé à la campagne d’Art Fletcher. Marlin étudiait le droit et persuada Bundy de s’inscrire à la nouvelle école de Droit de l’université de Puget Sound afin de rester dans l’état du Washington. Selon Marlin, cette école lui permettrait de rencontrer des hommes de loi locaux et conviendrait mieux à un homme ayant des ambitions politiques. Bundy passa le concours et fut accepté à l’école de droit où il s’inscrivit pour les cours du soir.
Plutôt que de faire savoir à l’université de l’Utah qu’il avait changé d’avis, il inventa une histoire d’accident de voiture.
Bundy exclut presque totalement Elizabeth Kloepfer de cette partie de sa vie. Davis ne savait même pas qu’elle existait et Elizabeth n’appréciait pas les Vortman car elle pensait, avec raison, qu’ils avaient plus d’influence qu’elle sur les décisions de Bundy.
En juillet 1973, lors d’un voyage d’affaires à San Francisco avec des membres du parti républicain, Bundy tomba sur… Diane Edwards. Elle fut abasourdie par la transformation de son ex-petit ami. Il était bien plus mûr et sûr de lui que le Bundy de 1968. Ils étaient restés en contact, s’appelant de temps à autre, mais elle réalisait seulement à quel point il avait changé. Il possédait une sorte de magnétisme et il agissait différemment. Même son apparence physique s’était modifiée.
Bundy réalisait un fantasme. Il avait patiemment créé son apparence extérieure pour qu’elle convienne aux attentes de Diane et il parvint à la convaincre qu’il avait également changé à l’intérieur. Il s’en persuada lui-même, à tort.
Il revint à Seattle avec le nouveau numéro de téléphone de Diane en poche.
À la fin de l’été 1973, il acheta une nouvelle voiture, une coccinelle 1968 couleur bronze et commença son année à l’université avec de grands espoirs.
Ni Elizabeth, ni Diane, ni sa famille, ni ses amis ne s’aperçurent du fait que Bundy essuya immédiatement un échec complet à l’école de droit.
Huit ans après sa première inscription à l’université de Puget Sound, il s’attendait à trouver des gens travailleurs et exigeants comme lui. Mais il ne rencontra que des jeunes plus ou moins débraillés et peu motivés.
L’école de droit n’était pas non plus la citadelle recouverte de lierre à laquelle il s’attendait ; c’était une petite école hébergée temporairement dans un bâtiment officiel anonyme de Tacoma. Bundy fut scandalisé. Il ne se formalisait pas de subsister grâce à des aides du chômage, mais il avait l’impression que cette école « de seconde classe » était une humiliation pour lui. Strictement figé sur cette image et émotionnellement incapable d’avoir une vue plus générale de sa situation, il ne fit pas beaucoup d’efforts. Il se retrouva rapidement dernier de la classe, incapable de comprendre ce que ses professeurs tentaient de lui enseigner. Il répétait son désastre des études chinoises de 1967.
L’automne et l’hiver 1973 furent une période douloureuse pour lui. En décembre 1973, il se réinscrivit secrètement à l’université de droit de l’Utah.
Peu avant Noël 1973, Bundy se retrouva seul. Elizabeth Kloepfer était partie voir sa famille (dans l’Utah) et il ne l’avait pas accompagnée.
Il appela Diane Edwards, qui décida de passer les vacances avec lui dans l’état du Washington. Il ne lui avait jamais parlé d’Elizabeth et elle ne savait finalement pas grand-chose du « nouveau Ted ». Comme Marlin et Sheila Vortman étaient à Hawaï, Bundy passa une semaine chez eux avec Diane. Il parvint si bien à jouer l’homme parfait qu’elle retomba amoureuse de lui et commença à parler mariage.
Il la manipula comme il avait souvent manipulé Elizabeth. Diane Edwards repartit en Californie en pensant qu’ils allaient bientôt se fiancer.
La faculté de Ted à compartimenter sa vie avait de nouveau fonctionné.
Il alla directement chez Elizabeth après avoir laissé Diane à l’aéroport.
Mais Bundy ne rappela pas Diane, comme si soudainement, il ne s’intéressait plus à elle. Il espérait qu’en ignorant la situation, elle s’arrangerait d’elle-même, que Diane Edwards l’oublierait et le laisserait tranquille.
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