Article mis à jour le 5 mars 2023
Crimes et châtiment (suite)
Le 28 octobre 1997, Valérie L., responsable commerciale de 25 ans, fut agressée au couteau dans l’escalier de son immeuble du 6e arrondissement. Après une soirée entre amis, elle rentrait chez elle, tard le soir. Guy Georges la suivit dans son immeuble, et, en haut de l’escalier, la menaça avec son couteau. Il lui ordonna de se taire, mais Valérie L. décida de ne pas se laisser faire. Elle s’accroupit devant la porte de sa voisine, protégea sa tête de ses mains et se mit à hurler de toutes ses forces. Guy Georges, ahuri, s’enfuit en courant. Valérie L. s’enferma alors chez elle, encore tremblante de peur. Malgré ses cris, personne n’était apparu sur le palier pour lui venir en aide…
Elle appela la police et décrivit son agresseur comme un homme à la peau foncé, un métis d’une trentaine d’années, athlétique et le crâne rasé. Les policiers ne firent pas réellement d’enquête sur cette agression, comme pour Estelle F. Savaient-ils tous, alors, qu’un assassin en série ensanglantait Paris, ou cette information était-elle confidentielle ? Après l’arrestation de Guy Georges, en 1998, Valérie L. le reconnut formellement comme étant son agresseur.
Un peu plus de 15 jours plus tard, Estelle Magd, jolie secrétaire de 25 ans, fut violée et assassinée le 15 novembre 1997, dans son appartement du 11e arrondissement, rue de la Forge-Royale. Elle rentrait chez elle, vers 3 heures du matin, après une soirée entre amis. Comme toujours, Guy Georges la suivit dans son immeuble, la menaça de son couteau et entra dans son appartement. Il attacha les mains d’Estelle Magd avec des lacets, lacéra ses vêtements, et, finalement, la tua avec son couteau. Il emporta le sac d’Estelle Magd, avec sa carte de crédit.
Son corps fut retrouvé deux jours plus tard, par ses propres parents, inquiets de ne pas avoir de nouvelles de leur fille.
Du sang laissé par le tueur sur un sweat-shirt permit d’isoler le même ADN que pour les meurtres d’Agnès Nijcamp et d’Hélène Frinking, et l’agression d’Elisabeth O.
En apprenant ce nouveau meurtre, la mère de Magali Sirotti (assassinée à peine deux mois auparavant) exprima sa colère devant les journalistes. Les autres familles des jeunes femmes assassinées réclamèrent elles aussi que la justice se presse, que le tueur soit enfin arrêté, avant qu’il ne recommence.
Les policiers ressortirent alors leurs dossiers et les analysèrent. Ils comprirent que l’homme qu’ils recherchaient était l’auteur de :
- trois meurtres pour lesquels ils possédaient le même ADN (Agnès Nijkamp, Hélène Frinking et Estelle Magd)
- deux meurtres portant la « signature » du tueur (Pascal Escarfail et Magali Sirotti)
- deux meurtres portant la même signature, mais ayant été commis dans des parkings sous terrain (Elsa Benadi et Catherine Rocher)
Les médias apprirent l’existence du tueur en série, le « tueur de l’Est parisien » comme ils le nommèrent, et en firent leurs gros titres quelques jours après le meurtre d’Estelle Magd. Plusieurs journaux parlèrent des différentes victimes et du mode opératoire du tueur… ce qui provoqua une psychose dans la capitale (mais au moins, les jeunes femmes seules étaient à présent prévenues qu’un prédateur courait les rues).
L’affaire prit une ampleur considérable, le conseil municipal de la ville de Paris demanda au préfet de police de réagir rapidement. Ce dernier passa même au journal de 20 heures pour « rassurer la population ».
Un plus grand nombre d’inspecteurs fut affecté à l’enquête. Ils menèrent des recherches dans les prisons, les hôpitaux, les salles de musculation (l’agresseur était « athlétique »)… Malheureusement sans résultat.
Le 23 novembre 1997, le juge Thiel et la Brigade Criminelle acceptèrent à contrecœur de diffuser le fameux (mauvais) portrait-robot de 1995 « retouché par ordinateur »… Il était très différent de celui établi grâce au témoignage d’Elisabeth O., ce qui provoqua la colère d’Anne Gauthier, la mère d’Hélène Frinking, qui avait déjà vu le premier portrait-robot. La police reçut plus de 3 000 appels plus ou moins fantaisistes, et qui n’aboutirent à rien.
La Brigade Criminelle étudia plus de 1 800 dossiers d’agressions sexuelles, interpella une cinquantaine de suspects maghrébins connus pour des délits sexuels et fit appel à des profilers. Ces derniers affirmèrent que le tueur était « un homme supérieurement intelligent », qui avait « de l’éducation » et qui n’était « ni un rôdeur, ni un exclu »…
Guy Georges, apeuré par la médiatisation de l’affaire, décida de se faire discret. Il partit à Mansle chez un ami et ne revint à Paris qu’au mois de janvier 1998.
Mais, une fois revenu dans la capitale, il traîna dans les bars et vola dans les magasins.
Il continua à attirer l’attention de la police. Il fut interpellé dans le 13e arrondissement, après avoir volé un scooter et s’être blessé le nez lors d’une chute dans des poubelles. Photographié par l’identité judiciaire, il ressortit libre. Décidément très remuant, il fut à nouveau arrêté en février 1998, lors d’une bagarre à Saint-Germain-en-Laye. Et relâché.
Le 17 février, la police française reçut un appel de… Scotland Yard. Les Britanniques avaient arrêté un homme qui ressemblait au portrait-robot. Mais son ADN le disculpa rapidement.
Le mécanisme qui allait définitivement perdre Guy Georges était pourtant enclenché. Très discrètement, le juge Thiel avait décidé d’employer les grands moyens. Non sans difficultés.
Le 24 novembre, le magistrat donna mission à tous les laboratoires privés (Bordeaux, Strasbourg, Nantes et Grenoble) et publics (qui dépendent, eux, de la police technique et scientifique) de comparer le fameux « ADN masculin inconnu » à ceux déjà contenus dans leurs fichiers. Les laboratoires répondirent quasiment unanimement que c’était impossible, les fichiers ADN étant -alors- interdits. Le juge Thiel leur demanda, à défaut, de comparer cet ADN à ceux qu’ils détenaient dans leurs archives…
Si certains laboratoires privés acceptèrent cette mission, à la mi-décembre, des fonctionnaires de la police technique et scientifique rechignaient toujours, estimant que cela serait contraire à la loi. Le juge Thiel, déterminé, exigea qu’ils consignent cette réponse par écrit : elle serait ainsi versée au dossier judiciaire communiqué aux familles des victimes.
Après un temps de réflexion, la police technique et scientifique accepta de réaliser les analyses.
Le 23 mars 1998, à 19 heures, le patron du laboratoire de Nantes eut un choc : il l’avait trouvé ! Le Dr Olivier Pascal appela immédiatement le juge Thiel, le directeur de la PJ Parisienne, Patrick Riou, et la commissaire Martine Monteil, de la Crim’. Il leur annonça que le « tueur de l’est parisien » se nommait Guy Georges.
Depuis 1995, les empreintes génétiques de Guy Georges étaient archivées au laboratoire Nantais (le prélèvement de sang consenti après son arrestation pour l’agression de Mélanie B.). Mais le fichier informatisé des empreintes génétiques (FNAEG), qui permet aujourd’hui de centraliser toutes les traces génétiques relevées sur les victimes et les personnes condamnées pour des infractions sexuelles, n’existait pas à l’époque.
Le laboratoire de Nantes avait donc dû fournir un travail de titan pour comparer, à la main, les 3 500 échantillons d’ADN qu’il avait en stock !
Longtemps, le « tueur de l’Est parisien » s’était cru intouchable. Et il avait de quoi. Sur les 85 mois écoulés entre le premier meurtre et l’identification de son ADN, Guy Georges en avait passé 55 en prison pour divers vols et pour des agressions sur des femmes. Jamais la justice n’avait fait le rapprochement entre lui et le tueur. Guy Georges était sans domicile fixe et sans emploi. Il ne correspondait pas au portrait-robot qui avait été diffusé en novembre 1997 pour susciter les témoignages.
L’éparpillement des procédures policières et une succession de négligences judiciaires lui avaient assuré sept ans d’impunité pour ses sept assassinats. Deux meurtres auraient même pu être évités.
Dès le lendemain, la Crim’ se mit en chasse. On surveilla les squats où Guy Georges avait l’habitude de dormir, sa « boîte aux lettres » du local des Équipes Saint Vincent, la banque où était viré son RMI… Mais Guy Georges resta invisible.
Le lendemain matin, à 7 heures, alors que les enquêteurs étaient encore tous en planque, RTL révéla que le tueur en série était identifié et donna son nom, provoquant la fureur du juge Thiel et des policiers qui craignirent que cette indiscrétion ne provoque la fuite de Guy Georges. (La station de radio présenta d’ailleurs ses excuses par la suite…)
Dès 7 heures, tous les services furent donc mobilisés d’urgence, des motards distribuèrent 3 000 photos du tueur (prise lors de son vol de scooter) que la commissaire Monteil avait pris soin de faire imprimer. Paris fut quadrillé. Première alerte à 10 heures : un responsable des Équipes Saint-Vincent appela un chef de groupe de la brigade criminelle et lui annonça que Guy Georges… venait de quitter ses locaux. Une indication un peu tardive, qui provoqua la colère des policiers.
Peu avant 13 heures, les inspecteurs Basdevant et El-Karim, de la PJ du quartier de la Goutte-d’Or, reconnurent Guy Georges alors qu’il sortait de la station de métro Blanche. Ils procédèrent à son arrestation « en douceur ». Guy Georges était armé d’un couteau, mais ne se défendit pas.
La traque était terminée. Les familles pouvaient respirer…
Mais ce n’était pas fini.
Placé en garde à vue au 36, quai des Orfèvres (l’adresse de la Crim’), Guy Georges avoua spontanément au juge Thiel les meurtres de Pascale Escarfail et de Magali Sirotti, mais il nia les autres meurtres qui lui étaient reprochés. Il fut incarcéré à la prison de la Santé.
Ré-interrogé le 2 avril 1998 par les juges Thiel et Deparis, il nia tous les meurtres, même ceux qu’il avait précédemment avoués.
Puis, il demanda à ce qu’un seul juge soit nommé pour tous les meurtres pour lesquels il était mis en examen. Il refusa obstinément de parler tant qu’il ne serait pas confronté à un seul et même juge.
En effet, pas moins de trois juges d’instruction étaient désignés : Olivier Deparis, (pour le meurtre de Magali Sirotti), Martine Bernard (en charge du dossier Pascale Escarfail), et Gilbert Thiel (pour Catherine Rocher, Elsa Benady, Agnès Nijcamp et Hélène Frinking). Quant à l’affaire Estelle Magd, elle était encore en « flagrance », sous la direction d’un substitut du procureur, en attendant la nomination d’un juge d’instruction.
Le juge Thiel demanda à ses collègues de se dessaisir de leur dossier, mais ils refusèrent. Les familles des jeunes femmes assassinées s’indignèrent, d’autant qu’elles désiraient que Guy Georges soit jugé rapidement. La presse fit ses gros titres de cette situation surréaliste.
Le parquet tenta alors d’intervenir auprès des juges. Il demanda au juge Deparis de se dessaisir au profit du juge Thiel, mais il refusa et se dessaisit au profit… du juge Bernard ! Celle-ci demanda alors au juge Thiel (qui était tout de même en charge de quatre affaires sur sept) de se dessaisir à son profit ! Et elle adressa une convocation à Guy Georges…
Cette grotesque mascarade dura tout de même plusieurs semaines, faisant fi de la souffrance des familles, outrées par les égos mal placés et les jalousies absurdes. Leurs avocats demandèrent à la chambre d’accusation de désigner le juge Thiel comme seul et unique juge et, le 30 avril 1998, la présidence du tribunal décida enfin de confier tous les dossiers au juge Thiel.
Guy Georges dut bien s’en amuser, du fond de sa cellule.
Le 29 mai 1998, confondu par son ADN et après plusieurs d’interrogatoires, Guy Georges avoua les meurtres d’Agnès Nijkamp, d’Hélène Frinking et d’Estelle Magd. Il refusa de regarder les photos des corps que lui présentait le juge Thiel.
Le 27 octobre, Guy Georges nia catégoriquement être l’agresseur d’Annie L., Estelle F. et Valérie L., bien que celles-ci l’aient reconnu.
Le 17 novembre, après plusieurs heures d’interrogatoires, Guy Georges avoua le meurtre de Catherine Rocher et, lors d’une confession plutôt confuse, donna des détails correspondant précisément au meurtre… d’Elsa Benady. Il finit par avouer être également le meurtrier de la jeune femme.
Le juge Thiel fut frappé par le manque visible de remords et d’émotion de Guy Georges. Sa froideur. Il était incapable de reconnaître ses victimes sur les photos qu’on lui montrait.
Le juge demanda à des psychiatres d’examiner le tueur en série. Ils le décrivirent comme quelqu’un de tellement « normal » et « cordial » qu’il les mettait mal à l’aise. Il présentait une sorte de personnalité double, comme si ce n’était pas à lui que l’on reprochait d’avoir assassiné sept jeunes femmes. Mais, conclurent les psychiatres, Guy Georges n’était absolument pas fou. Il était totalement sain d’esprit et extrêmement dangereux. Le 14 mars 1999, Guy Georges fut reconnu pénalement responsable de ses actes.
Le mardi 26 décembre 2000, (trois mois avant la date fixée pour son procès), vers 5 heures du matin, Guy Georges tenta de s’évader de la prison de la Santé avec deux autres codétenus. Par hasard, en faisant leur ronde quelques minutes plus tôt que d’habitude, deux gardiens interceptèrent les trois prisonniers. Ils avaient scié les barreaux de leur cellule…
Placé à l’isolement, Guy Georges s’enferma dans le silence et nia les meurtres qui lui étaient reprochés. Il affirma même qu’on cherchait à le « faire tomber » parce qu’il possédait des documents secrets compromettants concernant la mort de l’ancien Premier ministre Pierre Bérégovoy. Une autre manière de (re)faire parler de lui…
Le lundi 19 mars 2001, le procès de Guy Georges commença. Il ne prononça que quelques mots parmi lesquels : « Je voudrais dire que je n’ai rien à voir avec les faits qui me sont reprochés ».
Durant la première semaine du procès, un sourire aux lèvres, il continua systématiquement de nier les meurtres, malgré les preuves accablantes présentées contre lui. Avec une terrible cruauté, il affirma qu’il allait parler aux familles, puis changea d’avis, puis promit à nouveau d’avouer, plus tard. Les familles des victimes, pendues à ses lèvres, n’en pouvaient plus d’attendre et de souffrir, alors qu’elles s’attendaient à des remords.
Parfois, poussé dans ses retranchements par les avocats, il perdit son contrôle et s’emmêla dans ses réponses.
Et enfin, le mardi de la deuxième semaine du procès, poussé dans ses retranchements par ses propres avocats, Guy Georges reconnut les sept assassinats de jeunes femmes dont il était accusé. (Il continua à nier, en revanche, trois des quatre agressions sexuelles qui lui étaient reprochées).
Son avocate lui demanda : « Avez-vous tué Pascale Escarfail, Cathy Rocher, Elsa Benady, Agnès Nijkamp, Hélène Frinking, Magali Sirotti, Estelle Magd ? ». À chaque question, Guy Georges, enfin troublé, répondit un « oui » à peine audible, avant de fondre en larmes pour la première fois.
La cour d’assises de Paris prit un peu plus de quatre heures pour le reconnaître coupable des sept assassinats, commis de janvier 1991 à novembre 1997.
Elle le condamna aussi pour la tentative d’assassinat d’Elisabeth O., le viol d’Annie L., et l’agression de Valérie L.
Elle l’acquitta en revanche de l’agression sur Estelle F., en juillet 1997 : celle-ci, qui ne l’avait jamais reconnu formellement, n’était pas venue au procès.
Guy Georges fut condamné à la prison à vie, avec une peine de sûreté de 22 ans. Il déclara alors qu’il ne « ferait pas cette peine » et qu’il allait se suicider.
Il semble finalement qu’il ait changé d’avis.
À la suite de cette affaire, Elisabeth Guigou, qui était alors ministre de la Justice, a fait voter la création d’un fichier national regroupant les empreintes génétiques (FNAEG) des délinquants et criminels sexuels condamnés et les traces retrouvées sur les victimes.
La Brigade criminelle a également indiqué son intérêt pour un outil informatique déjà existant aux États-Unis (VICAP) et au Canada (VICLAS). Ce programme a pour finalité de rapprocher systématique des affaires criminelles, grâce à la collecte -par les enquêteurs- de tous les renseignements sur des scènes de crime, des disparitions suspectes et des cadavres non identifiés, afin de détecter des criminels en série.