Article mis à jour le 20 décembre 2023

Crimes et châtiment

Au début des années 1980, l’autoroute 99 «Pacific Highway» était toujours bondée. Le morceau d’autoroute qui longeait l’aéroport international, surnommé le « Strip », était bordé de divers commerces, de fastfoods, de motels, de magasins, de supermarchés et même d’une petite église.
Lorsque les « filles » et leurs souteneurs avaient investi le « Strip » dans les années 1970, la drogue avait inévitablement fait son apparition dans cette zone.
L’endroit n’était toutefois pas un coupe-gorge. Un restaurant chinois avait été braqué et il y avait parfois des meurtres tout au long de la Pacific Highway, mais les familles continuaient de pique-niquer et de nager dans le parc Angle Lake.

En mai 1981, Ridgway commença à sortir avec une femme de 5 ans son aînée, Darla, qui avait eu une jeunesse difficile et cinq enfants, dont seule la dernière vivait avec elle. Elle le trouva gentil et sympathique, fort, calme et soigné… mais peu attentionné. Ils avaient peu de choses en commun et passaient surtout leur temps à faire l’amour, chez eux, dans la forêt, dans la voiture. Ils faisaient également beaucoup de camping, car Ridgway adorait rester dans la forêt, près de la rivière.
Leur relation cessa lorsque Ridgway lui annonça son intention d’intenter une action en justice pour obtenir la garde totale de son fils, Matthew. Darla, qui, elle, n’avait pas la garde de quatre de ses enfants, ne put le supporter émotionnellement.
Ils se quittèrent sans animosité.

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En novembre 1981, Ridgway acheta une maison à quelques centaines de mètres du Strip, sur Military Road. Il allait y habiter seul jusqu’en 1985. Il ne l’entretenait pas, les volets étaient souvent clos et ses voisins ne le voyaient presque jamais.
Le 11 mai 1982, il fut arrêté pour avoir sollicité les services d’une officière de police qui se faisait passer pour une prostituée. Sa petite amie du moment, Roxanne T., l’apprit, mais Ridgway lui expliqua laconiquement que pour lui, « les putes sont des choses »… Elle ne dut pas lui en tenir rigueur, car ils se fiancèrent peu après. Mais elle rompit lorsqu’elle réalisa que Ridgway sortait avec d’autres femmes qu’elle.

Le mois de juillet 1982 allait marquer le début d’un cauchemar qui allait durer des années.

Des policiers sortent le corps de Wendy Lee Coffield de la rivière
Des policiers sortent le corps de Wendy Lee Coffield de la rivière

Le 15 juillet 1982, deux garçons qui faisaient de la bicyclette découvrirent le corps de Wendy Lee Coffield, une toute jeune prostituée de 16 ans, coincé sous un pont, flottant dans la Green River, près de Kent. Elle avait été violée et étranglée avec son pantalon.
Elle fut identifiée grâce à un tatoueur qui reconnut ses œuvres sur sa peau, photographiées et publiées par la police. Elle vivait avec sa mère dans un petit appartement à Pullayup, en banlieue de Seattle. Sa mère, qui s’attendait à ce qu’un tel malheur arrive un jour à sa fille, expliqua que Wendy avait été violée à l’âge de 14 ans par un homme qui l’avait prise en stop. À partir de là, elle avait plongé dans une spirale sans fin…

Le 12 août 1982, un homme qui prenait de l’essence remarqua le corps nu d’une femme flottant dans la Green River, à 300 mètres au sud de l’endroit où le corps de Wendy Lee Coffield avait été retrouvé. Le corps, nu, était bloqué dans un enchevêtrement de branches. L’enquête fut assignée au détective David Reichert, un jeune enquêteur du bureau du shérif, qui avait grandi dans la région et la connaissait bien.
Le corps fut identifié grâce à ses empreintes digitales : Debra Bonner, 22 ans, avait déjà été arrêtée pour prostitution. Elle avait été vue pour la dernière fois le 25 juillet sur la Pacific Highway. Debra, une jeune femme mince qui avait grandi dans la ville de Tacoma, avait quitté l’école très jeune et était tombée amoureuse d’un homme qui l’avait conduite à la prostitution et la drogue. Les enquêteurs soupçonnèrent d’abord cet homme violent et déjà condamné pour meurtre 12 ans auparavant, mais il avait un alibi.
Ils interrogèrent près de 200 personnes, pour la plupart des prostituées, mais aussi des propriétaires de motels ou de bars, des chauffeurs de taxi et des serveuses. Cela ne les mena à rien.

Le 15 août 1982, un homme qui péchait au sud de la Green River, à la limite de Seattle, aperçut le visage d’une jeune femme noire, les yeux grands ouverts, dont le corps affleurait à la surface de l’eau. Pensant que c’était un mannequin, il tenta de rapprocher le visage de sa barque avec un bâton. Mais le corps était coincé contre un rocher et l’homme, à force de tirer, fit chavirer sa barque et se retrouva à l’eau. Terrifié, il réalisa que ce n’était pas un mannequin, mais un véritable corps. Quelques secondes plus tard, alors qu’il tentait de remonter dans sa barque, il découvrit un second corps qui flottait, une autre femme noire à moitié nue.
Il nagea aussi vite que possible jusqu’à la rive, et resta assis à cet endroit, en état de choc. Une demi-heure plus tard, un père et ses deux enfants s’avancèrent vers lui, à bicyclette. Il les arrêta et leur demanda d’appeler la police.
Un adjoint du shérif arriva rapidement, mais eut du mal à croire le récit du pêcheur… jusqu’à ce qu’il voie les deux corps flottant dans l’eau.

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Dave Reichert et l’officier de patrouille Sue Peters se rendirent sur les lieux, accompagnés du Major Dick Kraske, commandant de l’unité des Crimes Violents. Les enquêteurs établirent un périmètre de sécurité et commencèrent à fouiller les berges.
Les rives étaient très pentues et les herbes folles très hautes, formant un véritable rideau végétal.
Dave Reichert glissa sur les berges humides et faillit marcher sur un troisième corps de femme, à moitié nu, à 5 mètres de la rivière. Le tueur avait abandonné là sa troisième victime, sans la mettre à l’eau, peut-être parce qu’il avait entendu quelqu’un approcher.
La victime semblait fort jeune et avait le teint « café au lait ». Elle avait été étranglée : un pantalon bleu était encore serré autour de son cou. Elle s’était sûrement débattue, car on distinguait des hématomes et des griffures sur ses bras et ses jambes.
Le médecin légiste déclara que les 3 jeunes femmes avaient été étranglées. On découvrit des cailloux pointus enfoncés dans le sexe des deux femmes trouvées dans l’eau. De grosses pierres avaient été attachées à elles comme des lestes, pour les attirer vers le fond.
La décomposition compliqua la tâche du médecin légiste qui voulut relever les empreintes des victimes.

On parvint toutefois à les identifier.

  • Marcia Fay Chapman, une petite femme de 31 ans, nourrissait ses 3 jeunes enfants en se prostituant sur le Strip. Elle avait quitté son appartement le 1er août et n’avait plus été revue depuis.
    Les deux autres victimes furent identifiées grâce à des portraits-robots publiés par la police dans les journaux.
  • Cynthia Hinds, 17 ans, était une jolie jeune fille noire que l’on surnommait « Cookie ». Elle se prostituait et son souteneur l’avait vue pour la dernière fois le 11 août, sur le Strip, alors qu’elle montait dans une grosse Jeep noire.
  • La victime retrouvée sur l’herbe se nommait Opal Mills. Elle avait à peine 16 ans, c’était une adolescente rêveuse et fragile. Ses parents et son grand frère, très inquiets depuis sa disparition, expliquèrent qu’ils l’avaient vu pour la dernière fois le 12 août. Opal Mills était une amie de Cynthia Hinds, mais ne se prostituait pas. Elles avaient l’intention de se faire un peu d’argent en repeignant des maisons ensemble.
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Dick Kraske

En quelques semaines, cinq corps de femmes avaient donc été découverts dans ou près de la Green River. Le commandant Dick Kraske forma un groupe spécifique (une « Task Force ») dès le 16 août, composée de 25 enquêteurs du comté de King et des départements de police de Seattle, Tacoma et Kent.

Les policiers tentèrent de comprendre quel genre d’homme le tueur pouvait être. À l’époque, le phénomène des tueurs en série était bien moins connu et médiatisé que de nos jours. Personne n’émit l’hypothèse qu’un « tueur en série » agissait dans le comté de King. Les Bundy, Kemper et consorts, encore rares, étaient plutôt considérés comme des « tueurs de masse » et trop peu étudiés.
En août 1982, les enquêteurs ne pouvaient qu’émettre des hypothèses quant à la personnalité du tueur.

  • Il devait être robuste, car il avait été capable de porter les trois derniers corps de son véhicule jusqu’à la Green River et ses berges glissantes, mais aussi de mettre en place les pierres de « leste ». Les enquêteurs eux-mêmes avaient eu bien du mal à sortir les corps de la rivière.
  • Il était intelligent et « s’améliorait ». Les corps de Wendy Coffield et Debra Bonner, non « lestés », avaient flotté dans la rivière jusqu’à être coincés à la surface. Le tueur avait dû apprendre par la télévision que les corps avaient été découverts et, réalisant son erreur, il avait lesté les corps de ses victimes suivantes avec des pierres, pour qu’on ne les trouve pas.
  • Il était téméraire, car il avait abandonné cinq corps dans le même endroit, à seulement quelques semaines d’intervalle.
  • Le tueur connaissait bien le sud du comté de King. Il avait très bien choisi l’endroit où abandonner ses trois dernières victimes : depuis la route, il était quasiment impossible de voir les cadavres dans la rivière.

L’enquête débuta de manière précaire à cause de l’afflux massif d’informations qui inonda la « force spéciale » en peu de temps. Les policiers n’avaient pas les moyens techniques d’analyser, de classer et d’étudier l’immense quantité de renseignements et d’indices qu’ils reçurent : la majorité fut perdue ou négligée. Ils durent même demander l’aide de volontaires pour les aider.

De leur côté, pour rassurer la population, les médias locaux voulaient absolument prouver que toutes les victimes étaient des prostituées : ainsi, les femmes « biens » de la région n’avaient rien à craindre. Les victimes étaient toutes mortes en un mois, comme si une tornade avait frappé le comté et s’était éloignée. Certains journaux expliquaient même que le désormais « tueur de la Green River » devait être un chauffeur routier qui avait dû quitter la région…

Aucun autre corps ne fut découvert durant ce chaud mois d’août 1982. Il n’était pourtant pas rare que des jeunes femmes soient assassinées dans la région, que ce soit dans les comtés de King, de Pierce ou de Snohomish.

Des journalistes du « Seattle Times » publièrent un article sur les meurtres de trois jeunes femmes qui avaient été étranglées dans la région : Lean Wilcox, une jolie prostituée de 16 ans dont le corps avait été retrouvé le 21 janvier 1982 à Seattle ; Virginia Taylor, une danseuse de peep-show de 18 ans, dont le corps avait été découvert le 29 janvier à Seattle ; et Joann Conner, une adolescente de 16 ans qui vivait avec sa mère et cherchait un travail, dont le corps avait été retrouvé le 4 février 1982.

Les enquêteurs, quant à eux, s’interrogeaient sur d’autres meurtres qui pouvaient être attribués au tueur de la Green River. Ceux de Theresa Kline, une belle divorcée de 27 ans, mère d’un garçon, qui avait été étranglée alors qu’elle allait voir son petit ami à Seattle ; Patricia Jo Crossman, une jeune prostituée de 15 ans, poignardée à mort le 13 juin 1982 près de Des Moines, tout au sud du Strip ; et Angelita Axelson, 25 ans, étranglée, dont le corps décomposé fut découvert le 18 juin 1982.
Certaines victimes furent inscrites sur la liste des victimes du tueur de la Green River, d’autres pas. Il était impossible pour les enquêteurs de savoir si tous ces crimes avaient ou non été commis par le même tueur. Les victimes étaient souvent jeunes, souvent étranglées et souvent prostituées… mais cela ne suffisait pas à relier leurs meurtres entre eux.

Strip
Le Strip

Les prostituées qui travaillaient sur le Strip avaient peur, bien sûr, mais elles n’avaient aucun autre moyen de survivre, de subvenir aux besoins de leurs enfants, de payer leur loyer ou leur drogue.
Les enquêteurs interrogèrent des centaines de prostituées travaillant sur le Strip. Ils tentèrent d’obtenir des informations sur les hommes « louches », ceux qui s’étaient montrés agressifs ou violents… Mais la plupart des filles refusaient de leur parler, car elles ne leur faisaient pas confiance.
L’une des prostituées qui travaillaient sur le Strip leur expliqua néanmoins qu’un homme l’avait violée et avait mentionné les meurtres de la Green River. La Force Spéciale se mit immédiatement à la recherche de l’agresseur et, le 20 août 1982, elle annonça l’avoir arrêté. Les enquêteurs ne purent toutefois rien trouver qui le relia aux meurtres et durent le relâcher.

D’autres filles finirent par contacter la police pour dénoncer des suspects potentiels. Deux d’entre elles affirmèrent avoir été enlevées dans une camionnette bleue et blanche par un homme qui avait tenté de les tuer. Selon Susan Widmark, 21 ans, un homme d’âge moyen l’avait sollicitée puis avait pointé un pistolet vers elle et avait accéléré sur l’autoroute. Il l’avait emmenée dans une rue déserte où il l’avait brutalement violée. Ensuite, il l’avait laissée se rhabiller et avait redémarré. Tout en conduisant, il avait parlé des meurtres de la Green River, pointant toujours son arme vers elle. Terrorisée, elle était malgré tout parvenue à lui échapper en profitant d’un arrêt à un feu rouge. Elle avait même pu relever une partie de sa plaque d’immatriculation avant qu’il ne file.
Debra Estes, 15 ans, raconta que la même chose, à quelques détails près, lui était arrivée fin août. L’homme l’avait relâchée dans les bois, les mains attachées et était parti.
La Force Spéciale décida de suivre cette piste et chercha la camionnette bleue et blanche. En septembre, un boucher nommé Charles Clinton Clark fut arrêté dans sa camionnette alors qu’il conduisait sur le Strip. Les enquêteurs apprirent qu’il possédait deux pistolets. Ils montrèrent la photo de son permis de conduire à Susan Widmark et Debra Estes, qui l’identifièrent comme leur violeur.
On perquisitionna le véhicule et la maison de Charles Clark, et on trouva ses deux armes. Interrogé par la police, Clark admit les deux agressions, mais nia être le tueur de la Green River. Il avait un alibi pour plusieurs des meurtres.

Le 15 septembre 1982, alors que Clark était inculpé pour viols, Mary Bridget Meehan, 18 ans, disparut en se promenant sur le Strip. Elle était enceinte de 8 mois et on la vit pour la dernière fois devant le Western Six Motel, un endroit fréquenté par de nombreuses prostituées travaillant sur le Strip… et qui furent victimes du tueur. On ne sait pas si Mary se prostituait et son petit ami, un jeune drogué violent qui la battait, se montra confus sur la question.
Mary était proche de ses parents adoptifs, qui vivaient à Bellevue. Elle était intelligente et avait des dons artistiques, mais elle était également rebelle et instable. Elle avait fait deux fausses couches avant ses 16 ans et, moins d’un an auparavant, elle avait accouché d’un petit garçon qu’elle avait fait adopter.

Les journaux recommencèrent à s’interroger sur la réapparition possible du tueur de la Green River. Les réactions de la population aux meurtres des « prostitués » allaient de l’indifférence à l’affliction en passant par le dégoût, l’inquiétude et la sympathie. Certains journalistes accusaient les victimes de « l’avoir bien cherché », comme si elles avaient été responsables de leur propre mort !
D’autres accusaient les politiciens d’être trop laxistes avec les prostituées. Évidemment, personne ne critiqua les clients qui profitaient des charmes de gamines à peine sorties de l’enfance…
Les enquêteurs du comté de King avaient interrogé près de 300 personnes, prostituées, témoins, familles et amis des victimes. Les filles du Strip, de plus en plus effrayées, commençaient à coopérer réellement avec la police, et leur rapportaient l’existence de tous les clients « bizarres » qu’elles pouvaient croiser. Ils étaient nombreux.

La Force Spéciale avait également demandé l’aide de l’Unité des Sciences du Comportement (le célèbre BSU) du FBI. Le profiler John Douglas avait créé un profil psychologique du tueur. Selon Douglas, le tueur de la Green River était un homme d’âge moyen, sûr de lui, mais impulsif, qui revenait sûrement sur les lieux de ses crimes pour les « revivre » en pensée. Il était assurément familier de la région et avait probablement de profondes convictions religieuses. Douglas pensait que le tueur pouvait s’intéresser au travail de la police et tenter d’approcher les enquêteurs, voire de les aider.
Dick Kraske, quant à lui, pensait que le tueur vivait peut-être dans le sud du comté de King, car il semblait bien connaître la Green River et les endroits reculés de la région.

Melvyn Foster
Melvyn Foster

Le détective Dave Reichert se mit à soupçonner que l’un des volontaires qui travaillaient avec eux, un chauffeur de taxi de 43 ans, soit le tueur de la Green River. Melvyn Foster correspondait au profil psychologique dressé par John Douglas. Il avait déjà été arrêté pour vol de voiture, s’intéressait vraiment beaucoup à la série de meurtres et voulait que les médias sachent qu’il travaillait avec les enquêteurs. Toute l’enquête se concentra sur lui et il fut interrogé plusieurs fois.

Les enquêteurs étaient inquiets : deux semaines avant la disparition de Mary Meehan, deux adolescentes de 16 ans, Kase Ann Lee et Terri Rene Milligan, avaient elles aussi disparu, et on pensait qu’elles étaient également des prostituées, victimes de choix du tueur.
Terri Rene Milligan, une jolie adolescente noire, vivait avec son souteneur dans un motel du Strip. Elle avait été une excellente élève, était fort croyante et rêvait d’aller à l’université de Yale. Mais elle était tombée enceinte à 14 ans et avait abandonné l’école pour s’occuper de son petit garçon, qu’elle adorait.
Kase Ann Lee, blonde et fort mince, était mariée à un homme qui la battait et vivait dans un appartement au sud du Strip.

Le 25 septembre 1982, un motard découvrit le corps nu et décomposé d’une jeune prostituée blonde de 17 ans, Gisele Lovvorn, dans des buissons près de maisons abandonnées, au sud de l’aéroport international de Sea-Tac. Elle avait disparu depuis plus de deux mois et avait été étranglée avec une paire de chaussettes d’homme. Bien que son corps n’ait pas été abandonné près de la Green River, les policiers pensèrent immédiatement que « leur » tueur l’avait assassinée.
Gisele Lovvorn était originaire de Californie, mais son petit ami, un bonimenteur insensible, l’avait convaincue de le suivre à Seattle, où il était chauffeur de taxi sur le Strip. Solitaire et singulière, elle avait fugué plusieurs fois de chez ses parents et avait abandonné l’école, bien que son QI de 145 soit considéré comme « génial ». Elle avait fini par se prostituer pour pouvoir se nourrir.
Son corps avait été abandonné dans un endroit reculé, loin de la route la plus proche et à plusieurs kilomètres de la Green River.

Durant l’automne 1982, la police surveilla étroitement les mouvements de Melvyn Foster, bien qu’il continua de nier être le tueur. Il fit même une conférence de presse pour se plaindre du comportement de la police dont il avait pourtant tellement cherché l’intérêt. Il fut arrêté et interrogé pour des P.V. impayés, car les enquêteurs ne possédaient aucune preuve solide le reliant aux meurtres, excepté qu’il avait connu cinq des victimes… Il fut rapidement relâché. Finalement, les enquêteurs finirent par comprendre que Foster était juste un mythomane avide de reconnaissance et le retirèrent de leur liste de suspects.

Seul Dave Reichert resta persuadé de sa culpabilité.
Acharné, déterminé à trouver le tueur de la Green River, Reichert enquêta sur son temps libre, abandonnant sa femme et ses trois jeunes enfants pour suivre Foster jusqu’à Olympia. Reichert était issu d’une famille de policiers forts croyants et adorait son travail. Il désirait plus que tout appréhender le tueur et croyait que celui-ci finirait inévitablement par commettre une erreur qui lui permettrait de l’arrêter.

Mais, en cette fin d’année 1982, d’autres jeunes femmes disparurent :

  • Debra Estes, l’une des deux victimes de Charles Clinton Clark, une jolie blonde de 15 ans, disparut le 20 septembre 1982. C’était une rebelle qui avait fugué plus d’une fois et ses parents avaient déclaré sa disparition en juillet 1982. Elle s’était en fait installée avec une amie dans un appartement et avait rencontré plusieurs hommes, dont Sammy White, un souteneur, qui l’avait menée à la prostitution.
  • Linda Rule, petite adolescente de 16 ans, était tombée dans la prostitution après le divorce de ses parents. Elle avait quitté l’école très jeune et il lui arrivait de fumer de la marijuana. Elle avait quitté l’appartement sur Aurora Avenue qu’elle partageait avec son « petit ami » de 24 ans, le 26 septembre 1982 pour aller au supermarché et n’était jamais revenue.
  • Denise Bush, 23 ans, originaire de Portland, allait parfois se prostituer à Seattle durant quelques semaines. Elle fut aperçue pour la dernière fois le 8 octobre sur le Strip.
  • Shawnda Summers, 18 ans, disparut le 8 octobre, sur le Strip, exactement au même endroit que Denise Bush.
  • Shirley Sherrill, une jolie fille de 19 ans, était également une prostituée. Il lui arrivait de se rendre à Portland, dans l’Oregon, mais elle vivait à Seattle. Elle disparut le 18 octobre, après un déjeuner avec des amies non loin de l’aéroport Sea-Tac.

Le 9 novembre 1982, Ridgway tenta d’étrangler une prostituée, Rebecca Guay, non loin du Strip, mais elle parvint à lui échapper.

  • Rebecca « Becky » Marrero, 20 ans, la meilleure amie de Debra Estes, disparut à l’ouest du Strip, le 2 décembre 1982. Elle avait laissé son bébé de 12 mois à sa mère.
  • Colleen Brockman, une adolescente rondelette et naïve de 15 ans, disparut le 28 décembre. Elle vivait avec son père et son frère au nord de Seattle. Elle avait fugué plusieurs fois, durant quelques jours et, en cette fin d’année, était partie pour rejoindre un garçon. Les policiers apprirent qu’elle se prostituait et avait été violée par l’un de ses clients.

Avec la nouvelle année 1983, les enquêteurs espérèrent que les victimes se feraient plus rares. Aucune disparition ne fut signalée durant janvier et février, mais les policiers continuaient de recevoir des dizaines d’appels téléphoniques inquiets, quotidiennement.

À la fin du mois de janvier, un ouvrier découvrit un petit squelette non loin du Northgate Hospital, sous des buissons, au nord de Seattle. Le médecin légiste du comté fut incapable de déterminer la cause de la mort, car la peau, les muscles et le moindre indice avaient disparu. La dentition du squelette permit toutefois de l’identifier : il s’agissait de Linda Rule, qui avait disparu en septembre 1982 en allant au supermarché. Les enquêteurs de la police de Seattle s’interrogèrent sur le fait qu’elle avait ou non était assassinée par le tueur de la Green River. Son corps avait en effet été abandonné bien loin de la rivière ou de l’aéroport, et la cause du décès était inconnue.

Le 23 février, Gary Ridgway fut interrogé par un policier alors qu’il discutait avec une prostituée, Keli McGuiness, dans son pick-up.

Et malheureusement, les disparitions recommencèrent.

  • Alma Ann Smith, 18 ans, travaillait sur le Strip le 3 mars 1982, près de l’aéroport. Elle était originaire de Walla Walla et les gens la considéraient comme une fille généreuse et gentille. Elle avait fait plusieurs fugues et avait fini par « atterrir » à Seattle, où elle avait dû se prostituer pour survivre. Ses amies la virent monter dans le pick-up bleu d’un homme blanc « à l’air normal« . Elle ne revint jamais.
  • Delores Williams, une petite adolescente noire de 17 ans au joli sourire, se prostituait au même endroit qu’Alma Smith, devant un bel hôtel. Elle disparut le 8 octobre, un jour froid et pluvieux.

Pourtant, les médias semblaient moins s’intéresser aux disparitions qu’auparavant. La population s’inquiétait peu de la disparition de prostituées… L’équipe de Dick Kraske travaillait cependant jour et nuit, faisant de son mieux pour avancer dans le brouillard.
Mais l’enquête sur les meurtres de la Green River ne menait nulle part. Dave Reichert commençait à réaliser que Melvyn Foster, le chauffeur de taxi, n’était pas le tueur, mais continuait malgré tout à le considérer comme leur principal suspect. Les policiers ne possédaient aucune nouvelle piste et les prostituées continuaient de disparaître à un rythme effrayant.

  • Sandra Gabbert, 17 ans, travaillait le 17 avril sur le Strip, à un croisement où plusieurs victimes avaient déjà disparu, près de la 144ᵉ rue sud. Les « filles » appréciaient cet endroit, car un supermarché se situait à quelques rues et des motels à prix réduits bordaient l’intersection. Sandra avait été la chef de son équipe de basket-ball au lycée, mais avait abandonné les études. Elle vivait avec son souteneur dans des chambres de motel dont elle payait le loyer en vendant ses charmes. Sa mère voulait qu’elle cesse et trouve un petit boulot, elle craignait qu’elle ne soit assassinée par le tueur de la Green River…
  • Kimi-Kai Pitsor, une adolescente naïve et aventurière de 16 ans d’origine hawaïenne, disparut le même soir que Sandra, après être montée dans un vieux pick-up vert sombre, plus au nord de Seattle. Son « petit ami » l’avait regardée s’éloigner avec son dernier client et décrivit le véhicule aux policiers. Kimi-Kai avait quitté la maison de sa mère en février 1983 pour vivre avec son souteneur.
  • Gail Mathews, 24 ans, loua une chambre le 22 avril dans un motel situé tout au sud du Strip, près de Des Moines. C’était une jolie jeune femme brune au type exotique qui vivait avec un homme de 34 ans qu’elle avait rencontré en 1982. Elle avait été mariée auparavant, mais avait divorcé. Ni elle ni son ami n’avaient d’emploi régulier. Il jouait aux cartes pour de l’argent et il arrivait à Gail de se prostituer, pour payer le loyer. Le soir du 22 avril, sur le Strip, son ami la vit monter dans un vieux pick-up vert sombre avec un homme blanc d’une trentaine d’années. Elle ne revint jamais.
  • Marie Malvar, une belle philippine de 18 ans, disparut au même endroit que Gail Mathews. Son « petit ami », Richie, notait les numéros d’immatriculation des véhicules dans lesquels elle montait, puis les suivait et s’assurait qu’elle revenait dans l’heure. Le 30 avril, elle monta dans le pick-up vert foncé d’un homme blanc. Richie le suivit et il lui sembla que Marie et le client se disputaient. Le pick-up accéléra brusquement et Richie perdit sa trace. Marie ne revint jamais.
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Richie hésita à contacter la police. Au bout de 4 jours d’inquiétude, il se rendit au département de police de DesMoines mais ses déclarations furent si ambiguës que le détective pensa qu’il avait pu la tuer lui-même. Richie, le père et le frère de Marie décidèrent donc de parcourir le quartier où Marie avait disparu, en espérant revoir le pick-up vert.
Le 3 mai, ils trouvèrent le pick-up garé devant une maison, dans une petite rue résidentielle, Military Road, et appelèrent la police de Des Moines.
Des enquêteurs s’y rendirent et discutèrent avec le propriétaire du pick-up. Gary Ridgway, qui avait alors 34 ans, nia avoir jamais rencontré Marie Malvar et avoir jamais sollicité une prostituée. Il se montra sûr de lui et amical. Satisfait, les policiers s’en allèrent et ne cherchèrent pas à en savoir plus sur lui.
La famille de Marie Malvar ne put rien y faire. Les enquêteurs de Des Moines ne prévinrent pas non plus leurs collègues de la Force Spéciale, ni la police de Seattle.