Article mis à jour le 15 septembre 2022

Les « Sciences Forensiques » ?
Cet anglicisme barbare désigne à la fois les sciences médico-légales et la criminalistique, voir la criminologie (les anglo-saxons incluent la « forensic psychology » à ces sciences, par exemple).

Nous allons ici étudier toutes les sciences légales dédiées au criminel, à la victime et à la scène de crime, aussi bien dans leurs interprétations (et utilisations) anglo-saxonnes que françaises. Cette étude est partagée en deux parties, la première concernant les sciences forensiques ayant directement rapport avec le corps, et la deuxième les sciences ayant plus particulièrement rapport avec la scène de crime ou le criminel.

Introduction

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Edmond Locard

Les sciences forensiques peuvent être utilisées pour résoudre toute une variété de crimes ou, du moins, pour aider les enquêteurs. Elles tirent leur origine du « principe de Locard » selon lequel «tout contact laisse des traces».
Par exemple, si quelqu’un s’appuie sur un meuble, des fibres de ses vêtements vont s’attacher à ce meuble, mais une écharde de ce meuble pourra également rester dans ses vêtements. De la présence, la nature et l’abondance de ces traces, les scientifiques peuvent découvrir beaucoup sur la personne qui les a laissées.

Ce principe n’est pas totalement fiable s’il est utilisé seul. Il existe un autre principe qui doit également être pris en compte lorsque l’on examine des indices : le « principe d’individualité », selon lequel deux objets ne sont jamais identiques. Si on peut distinguer deux objets l’un de l’autre, il est évident qu’ils ne proviennent pas de la même source. Au contraire, si on ne peut les distinguer, ils doivent être examinés plus en détail afin de déterminer s’ils ont la même origine.

Ces deux principes appliqués ensemble sont inestimables pour le scientifique forensique et l’accusation. Si l’on peut prouver qu’une empreinte digitale relevée sur une scène de crime ne peut être distinguée d’une empreinte prélevée sur un suspect, une preuve positive peut être présentée par l’accusation lors d’un procès.
De nombreux tueurs en série ont été condamnés, entre autre, parce que les sciences forensiques ont pu prouver que des fibres trouvées sur les victimes correspondaient à celles prélevées sur la moquette de leur voiture.
En utilisant ces deux principes, les scientifiques forensiques peuvent apporter énormément de preuves dans une affaire de meurtre. Tous les événements, avant, pendant et après le meurtre, peuvent être recréés.

Les sciences forensiques ayant directement rapport avec le corps

ADN
« Arme magique » utilisée de plus en plus souvent durant les procès, l’analyse d’ADN permet, grâce à des échantillons prélevés sur une scène de crime, un corps ou suspect, de dresser un profil génétique. En comparant avec succès le profil d’un suspect avec celui dressé grâce à du sperme trouvé sur un corps, par exemple, on peut prouver que ce suspect est responsable du viol de la victime, voir plus.

Anthropologie légale
L’anthropologie légale est l’application de l’anthropologie physique lors d’une enquête criminelle. Cette science, que l’on confond souvent avec la médecine légale, concerne les corps brûlés, décomposés ou à l’état de squelettes. Les anthropologues légaux vont fréquemment sur les sites où l’on a découvert le corps dans cet état et tentent de fournir des informations qui permettront de l’identifier. Ils interprètent également les blessures et cassures qui peuvent être relatives à la cause de la mort.

Art forensique
L’objectif premier de l’art forensique est de présenter une information visuelle qui aide à l’identification, l’appréhension ou la condamnation d’un criminel, ou qui permette d’identifier une personne décédée dont on ignore l’identité.
Portrait robot : un dessin du visage du criminel réalisé grâce à la description d’un témoin ou de la victime ayant survécu, ou la recréation du visage de la personne décédée à partir de son crâne.
Sculpture forensique : une reconstitution faciale en 3 dimensions, à partir du crâne d’une personne décédée inconnue ou disparue.
Modification d’image : modifier la photographie d’une personne disparue en la vieillissant afin de tenir compte du temps qui a passé depuis sa disparition (victime) ou sa fuite (criminel).

Entomologie légale
L’analyse des larves d’insectes sur et dans les cadavres. Selon l’état d’avancement de leur développement, la présence d’œufs, d’asticots ou de mouches peut déterminer précisément depuis combien de temps est morte la victime. L’entomologie permet également de savoir si le corps a été déplacé depuis que la personne a été assassinée, et si c’est le cas, dans quelles conditions il a été conservé durant cette période et combien de temps elle a duré.

Médecine légale
Cette spécialité concerne l’investigation des corps, l’interprétation des blessures afin de déterminer comment la victime est morte, la cause et la manière de la mort. La fameuse autopsie est la partie principale de la médecine légale.
En utilisant les informations des enquêteurs, des preuves physiques, son rapport d’autopsie et d’autres informations médicales, le médecin légiste peut souvent reconstruire les événements qui ont eu lieu au moment de la mort de la victime : l’arme ou l’objet utilisé pour tuer, la taille de l’agresseur, le fait qu’il soit droitier ou gaucher, si la victime a été attaquée par surprise ou si elle s’est défendue, etc.

Odontologie légale
La dentisterie moderne appliquée à la loi. Généralement, cette science est utilisée afin de comparer les radios dentaires d’une victime et celles d’une personne disparue. Mais elle concerne également l’analyse de marque de dents sur un corps (Bundy) ou un aliment (Ramirez) afin d’en identifier l’auteur. Elle permet aussi de déterminer si des morceaux d’os minuscules trouvés sur un lieu de crime sont des dents (Baumeister), même si l’assassin a voulu faire disparaître le corps.

Toxicologie
Elle concerne les aspects médicaux-légaux de l’alcool, des drogues et des poisons. L’interprétation et l’analyse des niveaux de drogues présents dans le sang ou de poison dans le corps (foi, cheveux…), l’utilisation habituelle de drogues, peut permettre de connaître les circonstances et la cause de la mort, les habitudes de vie de la victime, etc.

L’ADN

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Tous les êtres vivants possèdent de l’ADN. C’est ce qui nous permet de nous distinguer comme « humain » plutôt que comme « animal » ou « plante », mais aussi entre chaque humain, car l’apparence physique de chaque individu correspond à son identité génétique. Nous possédons tous des séquences d’ADN spécifiques que l’on pourrait comparer à des « empreintes digitales génétiques ».
L’ADN peut être trouvé dans toutes les cellules humaines, plus particulièrement (et facilement) dans le sang, les cheveux, la peau et le sperme, éléments qui sont souvent laissés sur une scène de crime par un assassin. Ils sont également laissés sur le corps du tueur par la victime, par le contact physique (« principe de Locard »).
Un scientifique peut analyser ces éléments et produire un profil génétique. Le profil génétique de chaque personne est unique (sauf dans le cas de vrais jumeaux) : si un échantillon d’ADN prélevé sur un suspect correspond à un échantillon prélevé sur une scène de crime, la probabilité est très élevée que cet ADN provienne de la même personne.

Le profil génétique a été reconnu comme un outil puissant pour résoudre les crimes. Cette découverte a bien des utilités.
Toutefois, l’utilisation du profil génétique n’est pas aussi incontestable qu’elle le paraît. Il existe de nombreux problèmes avec ce genre de preuve et sa valeur dans un tribunal est parfois douteuse. La création d’un profil génétique est un procédé relativement nouveau, car il n’a été développé qu’à partir de 1985 par le professeur britannique Alec Jeffreys. Après cette découverte, on a rapidement réalisé à quelle point elle pouvait être utile en tant que preuve légale, et durant plusieurs années, elle a été considérée comme infaillible.
Mais on a pu montrer par la suite que ce n’était pas le cas, notamment dans l’affaire Castro, où l’accusation comme la défense ont décidé que la preuve ADN n’était pas suffisamment fiable pour savoir s’il existait ou non une correspondance. On est arrivé à cette conclusion non pas parce que la preuve ADN était mauvaise, mais parce que le procédé par laquelle elle avait été créé était, lui, incorrect. Plusieurs erreurs avaient été commises lors de l’examen et de l’interprétation de l’ADN, qui n’était donc plus fiable.

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Une empreinte génétique

Il existe deux manières de créer un profil génétique. La technique que le professeur Jeffreys a développée est le « sondage multiloculaire », où un grand nombre de bandes est révélé lors d’un seul test. Ce seul test peut, en théorie, produire une identification possédant un haut degré de certitude. (Le sondage « multiloculaire » est réalisé sur plusieurs endroits de plusieurs chromosomes).
Pourtant, la technique la plus pertinente dans les sciences légale est le « sondage uniloculaire ». Il produit une seule bande, au maximum deux, lors de chaque test. Mais le degré de certitude de l’identification peut être augmenté en utilisant plusieurs « sondage uniloculaire » séparés. L’une des raisons pour lesquelles ce type de sondage est préféré au « sondage multiloculaire » est qu’il est moins complexe, plus rapide et nécessite moins de matériau ADN. (Le sondage « uniloculaire » se concentre sur une région particulière d’un seul chromosome).

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Prélèvement de salive

Afin de créer un profil génétique, il est nécessaire qu’un échantillon d’ADN suffisant ait été recueilli. Du sang, du sperme, un cheveu, de la salive ou de la peau prélevé sur la scène d’un crime peut fournir cet ADN, tant qu’il n’est pas sérieusement dégradé et que l’on en trouve en quantité suffisante. Des conditions néfastes, telles qu’une chaleur intense, peuvent avoir des effets nocifs sur les échantillons.
Après que l’on a collecté ces échantillons sur la scène du crime, il faut en prélever un du suspect, afin que les deux profils génétiques soient comparés. La comparaison ne s’arrête pas obligatoirement là. Il est aussi utile de recueillir un échantillon de la victime pour que l’on soit sûr que l’ADN « suspect » ne provienne pas de la victime. D’autres échantillons doivent être prélevés sur d’autres suspects afin de les exclure ou de les incriminer. Des échantillons des autres victimes de crimes similaires doivent être recueillis et comparés. Créer un profil de cette manière devrait montrer si un échantillon correspond ou pas, et ainsi lier l’accusé à la scène de crime.

L’utilisation d’un profil génétique ne se résume pas à cet unique procédé. Pour être capable de comprendre sa signification, l’information doit être interprétée. Il faut décider si les bandes qui concordent sont suffisantes pour déclarer une correspondance absolue, comme c’est le cas pour les empreintes digitales. Cette décision varie considérablement d’affaire en affaire. Après avoir décidé que les profils génétiques correspondent, il faut déterminer la probabilité qu’ils correspondent avec un autre profil au hasard de la population. Cela implique des statistiques avancées.

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De nombreuses parties de la structure d’ADN ne diffèrent pas d’une personne à une autre : par exemple, la partie de l’ADN qui stipule qu’un individu possède deux yeux, un nez et une bouche. Il existe également des morceaux d’ADN qui ne sont communs qu’aux humains et, de la même manière, il existe des morceaux d’ADN communs à différentes races. Deux Mexicains ont un ADN bien plus similaire qu’un Mexicain et un Allemand.
C’est très important lorsque l’on doit étudier la probabilité que deux profils génétiques correspondent. Les statistiques utilisées devraient présenter uniquement la probabilité que cet échantillon prélevé sur la scène du crime concorde avec un échantillon de l’accusé mexicain, en opposition avec tout autre Mexicain, et non pas la probabilité que cet échantillon concorde avec un échantillon de l’accusé mexicain, en opposition avec tous les autres hommes du pays. Cela afin d’augmenter la probabilité que les profils génétiques du prélèvement et du suspect soient concordants.

Le profil génétique connait des problèmes aussi bien dans les laboratoires que devant les tribunaux. Le profilage génétique est une science sur laquelle les scientifiques et les hommes de lois débattent encore. Alors qu’un scientifique appelé par l’accusation peut interpréter un profil génétique d’une certaine manière, le scientifique de la défense peut l’interpréter d’une tout autre manière.
Pourquoi ? Les empreintes digitales ont été présentées pour la première fois par Sir Francis Galton en 1892, mais il a fallu attendre 20 ans pour qu’elles soient enfin acceptées par le système judiciaire comme une preuve valide. Des études supplémentaires ont été nécessaires avant que l’on décide que les empreintes digitales étaient « une bonne preuve ». Lorsque le profil génétique a été découvert, le système judiciaire n’a pas voulu faire la même erreur et l’a édifié rapidement comme « LA vérité », et durant un bon moment, on a pensé que c’était une preuve totalement infaillible. Mais l’expérience a montré que ce n’est pas toujours le cas.

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Comparatif de profils génétiques

La création d’un profil génétique est extrêmement complexe et doit passer par de nombreuses étapes techniques différentes. Si un problème apparait à n’importe quel étape du procédé, le profil génétique peut être invalidé. Cela peut concerner la qualité, la quantité ou la pureté de l’ADN prélevé. Si l’échantillon d’ADN a été entreposé dans des conditions défavorables, l’échantillon peut être dégradé et ne plus pouvoir subir de tests. Les « conditions défavorables » sont surtout l’humidité et la chaleur.
Toutefois, si l’échantillon est constitué de sang ou de sperme, il va se conserver plus longtemps et restera fiable durant plusieurs semaines, peut-être des années, après avoir été mis en dépôt. Si la qualité de l’ADN est dégradée de quelque manière que ce soit lors de l’examen, les bandes ne vont pas apparaître avec précision, mais seront souillées. Par conséquent, lorsqu’un profil génétique est soumis comme preuve devant un tribunal, l’examen prouvant qu’il n’a pas été dégradé durant l’examen devrait également être présenté.
La quantité d’ADN doit être suffisante. Il est très difficile de créer un profil génétique si l’échantillon est minuscule. De plus, si l’échantillon d’ADN est trop maigre, il peut être entièrement utilisé par l’accusation, enlevant à la défense la capacité de procéder à ses propres tests !
La pureté de l’ADN peut être un problème dans le procédé tout entier. L’échantillon ne doit pas être « contaminé ». Par exemple, ce qui est considéré comme un échantillon pur, obtenu d’une tache de sang sur une scène de crime, peut se révéler être un mélange du sang de la victime et de son agresseur. Des impuretés constituées d’ADN bactérien peuvent aussi être récoltées sur la scène de crime ou même au laboratoire. Si cela a lieu, la séquence d’ADN obtenue inclura les informations ajoutées par l’ADN bactérien, faussant le profil génétique.

Ces problèmes concernent l’échantillon, mais le test lui-même peut rencontrer de nombreux pièges potentiels.
Pour qu’il puisse être testé, l’ADN doit être extrait d’un échantillon de tissu. Dans ce but, on le précipite avec une solution à 70% d’éthanol, puis on rince l’ADN et on le sèche dans un espace vide. Si l’ADN est trop séché, il ne se dissoudra pas correctement, il en résultera une digestion partielle et une estimation inexacte de la concentration de l’ADN.
L’ADN est séparé pour être lue en forme de bandes par « digestion par des enzymes de restriction ». Si seule une digestion partielle a lieu, le positionnement des bandes sur le gel est faussé, créant un profil génétique trompeur. Une digestion partielle peut être évitée en préparant soigneusement tout l’équipement et les réactifs chimiques, et en évitant méticuleusement une contamination.
Afin d’éviter les différents problèmes pouvant être rencontrés lors de la création d’un profil génétique, on doit s’assurer que le personnel du laboratoire a assez d’expérience dans les analyses d’ADN, ce qui n’est pas obligatoirement le cas, même si ces personnes sont tout à fait qualifiées pour mener des tests plus généraux. Il faut également vérifier que tous les tests sont conduits avec précision afin d’éviter des résultats faussés pouvant mener à la condamnation d’un innocent… ou l’acquittement d’un coupable.

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Malgré tout, il existe bien entendu beaucoup d’affaires qui ont été couronnées de succès grâce à des preuves ADN. En Angleterre, le meurtre de Candice Williams, 13 ans, par Patrick Joseph Hassett a eu lieu en juillet 1978, avant la « révolution de l’ADN ». Les enquêteurs ne possédaient pas, alors, assez de preuves physiques pour arrêter qui que ce soit. Le corps de Candice avait été découvert un jour après sa mort, elle avait été violée et étranglée. Des cheveux et du sperme avaient été prélevés sur la scène du crime et comparés avec d’autres échantillons, mais aucune correspondance n’avait pu être établie. Un voisin, Patrick Hassett, 19 ans, déjà condamné pour des violences sur des jeunes filles, avait été interrogé, mais sa petite amie de l’époque lui avait fourni un faux alibi.
En 1980, après que deux autres viols brutaux ont eu lieu, d’autres preuves sont apparues concernant l’implication d’Hassett dans le meurtre de Candice Williams. On lui préleva des cheveux et de la salive, que l’on compara avec les échantillons collectés sur la scène du crime. Il existait de très légères différences entre les échantillons, mais Hassett devint le principal suspect. Toutefois, les preuves n’étaient pas assez concluantes et il fut relâché.
Hassett passa ensuite quelques années en prison et la police ne fut plus capable de prélever d’autres échantillons sur lui, à cause du « Pace Act » de 1984 qui diminuait le pouvoir de la police en prison. En 1991, alors que les techniques s’étaient beaucoup améliorées, Hassett sortit de prison et accepta qu’on lui prélève des cheveux. Ceux-ci furent analysés en conjonction avec les échantillons trouvés sur la scène du crime de 1978. La tâche était difficile en raison de l’ancienneté des échantillons, et donc de leur moindre qualité, mais en utilisant le « sondage multiloculaire », on put dresser un profil génétique. La probabilité que l’assassin ne soit pas Hassett était de 1 sur 3200. Ce n’était pas très élevé et on effectua un « sondage uniloculaire » qui permit de produire une statistique plus intéressante : il n’existait qu’une chance sur 12 000 qu’Hassett ne soit pas le meurtrier. Avec cette information, l’affaire fut jugée et malgré les tentatives de la défense d’invalider les preuves ADN, ces dernières permirent de convaincre les jurés de la culpabilité de Patrick Hassett.

Plusieurs tueurs en série ont pu être arrêtés, inculpés et condamnés grâce à la « preuve ADN » : Robert Yates (du sang et et des cheveux d’une de ses victimes ont été découverts dans sa voiture), Guy Georges (son sperme l’a relié à ses victimes), Cesar Barone (son sperme l’a relié à ses victimes), Sipho Thwala (son sperme l’a relié à ses victimes), etc.

L’anthropologie légale

L’anthropologie est l’étude des humains et possèdent plusieurs sous-domaines :
L’anthropologie physique : l’étude de l’ordre des primates, passé et présent, tel que la biologie des primates, la biologie du squelette et l’adaptation humaine.
L’anthropologie culturelle et linguistique : l’étude des aspects de la société humaine et du langage, passé et présent.
L’archéologie : l’étude des cultures passées à travers les vestiges matériels et les objets créés par l’homme.

Jusqu’à un certain point, les anthropologues légaux travaillent dans chacun de ces domaines, mais comptent généralement sur leurs connaissances de l’anthropologie physique pour appliquer leur expertise sur un squelette.

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Alors que les médecins légistes sont habitués à analyser des « tissus mous » et des organes, leur expérience avec des « tissus durs » (les os) est souvent limitée.
L’anthropologue légal se spécialise dans la morphologie, la structure et la variabilité des os. Dans certains cas, lorsque les « tissus mous » ont été dégradés par le temps, la température, l’environnement et d’autres éléments extérieurs, le seul « tissu » qui reste plus ou moins intact est l’os. Il faut alors contacter un spécialiste des os. Pas un ostéologue classique, mais une personne habituée au contexte médico-légale, où il est essentiel d’être capable de distinguer incontestablement les anomalies ante-, peri- et post-mortem, et où le moment de la mort est un facteur significatif.

Il faut des années d’expérience et d’entraînement dans l’analyse des os pour devenir un anthropologue légal compétent. La personne qui veut devenir anthropologue légal doit accompagner un spécialiste expérimenté à la morgue ou sur les sites d’inhumation afin de travailler sur le plus d’affaires possibles. Il ou elle doit être immergé(e) dans cette activité, doit saisir toutes les opportunités de participer à des conférences et s’engager à échanger ses informations avec les autres spécialistes de ce domaine. Il doit renforcer son expérience et l’élargir avec les observations des autres. Il doit développer une expérience collégiale.
Mais c’est aussi une question d’état d’esprit : il faut être très patient et retourner le squelette encore et encore afin de trouver le minuscule indice caché.

anthropologie forensique

La plupart des techniques utilisées dans l’anthropologie légale viennent de l’ostéologie, l’étude des os, bien que certains anthropologues légaux puissent aussi se spécialiser dans la décomposition des corps et l’entomologie (l’étude des insectes). Les anthropologues légaux travaillent souvent avec les médecins légistes, les odontologistes et les enquêteurs afin de trouver des indices et d’aider à estimer la date de la mort. Généralement, c’est le médecin légiste qui contacte l’anthropologue légal pour une consultation.
L’anthropologie légale est finalement peu utilisée dans le monde, car il y a trop peu d’anthropologues légaux. Parfois, il existe également une certaine réticence de la part des médecins légistes qui ne veulent pas se risquer en dehors de leur propre domaine d’expertise.

Le corps humain possède 206 os. Ceux-ci pèsent environ 5,5 kg pour un homme et 4,5 kg pour une femme. Lorsqu’on veut analyser les os, ils sont disposés sur une « planche ostiométrique », qui permet de les mesurer avec des compas. Les facteurs d’identification de base que les enquêteurs veulent connaître, et qui peuvent être « lus » sur les os, sont :
le sexe :
le pelvis de l’homme est plus étroit que celui de la femme et le crâne est généralement plus large chez l’homme. Les os masculins ont également tendance à être plus lourds.
l’âge :
chez les enfants, l’avancement de l’unification des os (du crâne, des bras et des jambes) et, chez les personnes plus âgées, les dépôts de calcium et d’autres minéraux, ainsi que les changements du pelvis ou les maladies des os telles que l’arthrite, aident à définir l’âge. D’autres indices se présentent dans le développement des dents et les usures de l’émail.
les blessures antérieures :
si un os a été cassé et que la personne s’est rendue à l’hôpital, son dossier médical pourra aider à l’identifier.
la race :
les trois races peuvent être déterminées par des variations de la structure faciale, plus spécialement du nez et des arcades sourcilières. Chez les « négroïdes » et les « mongoloïdes », l’arrête du nez est plus large que chez les « caucasiens ».
la taille :
un corps intact peut être mesuré, mais un squelette incomplet doit être reconstitué. L’une des règles les plus connues est que la taille est égale à cinq fois celle de l’humérus (os du bras), mais il existe des formules pour calculer la taille, basées sur d’autres os (l’épine dorsale, le tibia et le fémur).
le type de corps :
des tableaux offrent une estimation basée sur les caractéristiques des os afin de déterminer si la personne était mince, normale ou lourde.
la cause de la mort :
cela peut être évident en regardant le crâne ou d’autres os. Un coup de couteau ayant touché un os, une fracture du crâne à l’aide d’un objet lourd ou même une scie utilisée pour démembrer le corps. Parfois, les os peuvent également produire des preuves d’empoisonnement.

Une identification plus précise reposera plutôt sur la comparaison des dents avec un dossier du dentiste (odontologie légale), des analyses d’ADN (profil génétique) ou une reconstruction faciale du visage à partir du crâne (art forensique).

Crâne de foetus, d'enfant, de femme et d'homme
Crâne de fœtus, d’enfant, de femme et d’homme

L’art forensique

Les artistes pratiquant l’un des domaines de l’art forensique doivent souvent avoir des connaissances annexes. Ils doivent par exemple savoir comment les anthropologues travaillent avec les os pour estimer la taille, le poids, le sexe et la race d’un squelette. Cela afin de ne pas concevoir, à partir d’un squelette, le portrait d’une femme blanche et mince si ce squelette appartient en fait à un homme noir et enrobé.
Ils et elles doivent également avoir quelques connaissances en psychologie afin d’imaginer quelles modifications doivent être accomplies pour vieillir une photographie : telle personne aurait-elle eu recours à la chirurgie esthétique ou aurait-elle tenu à garder le même visage ?
S’ils travaillent à partir de crânes, ils doivent être familiers avec les changements post-mortem. Si on leur demande de dessiner des dents pour utiliser des représentations visuelles au tribunal, ils doivent avoir des connaissances en odontologie, etc.

Certains artistes se spécialisent, d’autres pas. Certains font partie d’un groupe dans un département de police qui a des besoins quotidiens, alors que d’autres sont engagés en « freelance » lorsque leurs services sont requis.

L’art forensique ne se limite pas aux portraits et à la reconstruction des visages en 3 dimensions. Un artiste forensique peut également dessiner des démonstrations visuelles de techniques d’enquêtes, représenter une scène de crime avec des mesures précises, réaliser des dessins médicaux à partir des autopsies, « nettoyer » ou améliorer des vidéos, etc.

Le portrait robot :
Au départ, les artistes forensiques se contentaient de dessiner les criminels lors de leur procès afin que leurs portraits soient publiés dans les journaux. Puis, ils aidèrent à comprendre ce qui avait eu lieu sur les scènes de crime grâce à des diagrammes et des dessins précis. Ensuite, ils reproduisirent l’apparence d’un suspect grâce aux descriptions de témoins.

Un kit manuel
Un kit manuel

C’est dans les années 1950 que la création de portrait-robot à partir de témoignages devint une procédure standard aux États-Unis. Des « kits » d’identification commencèrent à apparaître. Le premier incluait une pile de feuilles sur lesquels figuraient différents types de caractéristiques faciales dessinées à la main. Un témoin pouvait choisir entre différentes sortes de nez, de lunettes, de lèvres, de cheveux, etc, qui se superposaient les uns aux autres afin d’obtenir un visage complet.
Ensuite, les kits utilisèrent des photographies plutôt que des dessins. Les feuilles furent numérotées et codées afin que ces numéros puissent être envoyés à d’autres départements de police possédant un kit d’identification et qu’un portrait robot puisse rapidement être créé dans d’autres juridictions. Au Canada, les policiers utilisaient seulement sept « masques » faciaux qui étaient censés représenter toutes les variations du visage humain.

Le kit d’identification a aidé à l’appréhension du tueur en série Harvey Glatman. Dans les années 1950, à Los Angeles, il se faisait passer pour un photographe et emmenait dans le désert des jeunes femmes qui espéraient devenir mannequins. Il les attachait, les violait et les assassinait. La colocataire de sa première victime le décrivit à la police avec assez de détails pour qu’un policier, utilisant le kit, puisse obtenir un portrait satisfaisant. La quatrième femme à laquelle Glatman s’attaqua parvint à retourner son arme contre lui. Il fut arrêté pour une « simple » agression, mais il ressemblait tant au portrait-robot que les policiers finirent par l’interroger sur les meurtres. Il avoua.

Richard Speck
Richard Speck

Toutefois, le « dessin à la main » fut encore utilisé par la suite, avec succès. Le 14 juillet 1966, Richard Speck entra dans une résidence où vivaient neuf étudiantes infirmières. Il viola et tua huit d’entre elles avant de s’enfuir. La neuvième, qui était parvenu à se cacher, donna une description précise du tueur, qui permit à un artiste de dessiner son portrait. Celui-ci fut distribué dans tous les services de police ainsi qu’à la presse. Un vagabond qui avait bu avec Speck le reconnu en lisant un article dans les journaux. Quand il appela la police, personne ne décrocha. Mais heureusement, un jeune docteur qui soignait Speck aux urgences pour des blessures qu’il s’était lui-même infligé le reconnu et appela la police.

Dans les années 1970, on utilisa de moins en moins le kit et on revint aux portraits dessinés à la main par des spécialistes.

Dans les années 1980 et 1990, le kit refit son apparition grâce aux ordinateurs.
De nos jours, on présente aux témoins un visage « basique » qui correspond à leur description générale et non plus des morceaux de visage séparés. Puis, les témoins désignent les parties qui ne sont pas ressemblantes, et l’artiste peut faire les ajustements adéquats à partir de la base de données. Il peut bouger, ombrer, coloriser, agrandir, rapetisser, redessiner, effacer n’importe quelle partie. Une fois terminé, le portrait peut-être envoyé aux autres services de police par internet.

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Un logiciel d’identification

Mais malgré la sophistication des ordinateurs, il existe toujours des artistes forensiques qui préfèrent utiliser un papier et un crayon… et beaucoup de psychologie et de patience. Interroger un témoin requiert une technique particulière afin de ne pas ajouter au stress déjà ressenti et de faire ressurgir les souvenirs. Il faut savoir si le témoin est la victime ou un passant, s’il ou elle ressent de la pression, etc. Le témoin a-t-il juste aperçu l’agresseur ou a-t-il eu le temps de bien l’observer ? Y avait-il de la lumière ou était-ce dans l’obscurité ? À quelle distance se tenait le témoin par rapport à l’agresseur ? Depuis combien de jours, de semaines, d’années le témoin a-t-il vu l’agresseur ? Y avait-il un obstacle qui aurait pu bloquer sa vue ? etc
Certains artistes forensiques refusent d’utiliser les logiciels d’identification. Dans une affaire où un logiciel d’identification faciale avait été utilisé, il s’est avéré que le portrait créé était loin de ressembler au suspect. En effet, le logiciel n’avait aucune connaissance de l’anatomie faciale et de l’agencement spatial des parties du visage. Il se contentait de « coller » des morceaux, faisant fi des proportions. (le portrait robot de Guy Georges)

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D’après un crâne

Les artistes forensiques peuvent également dessiner les visages de personnes décédées. Lorsque certains corps sont retrouvés, ils sont parfois en très mauvais état et le visage de la victime est déformé par la putréfaction. Il ne reste parfois même qu’un squelette. Afin d’établir l’identité de la victime, il faut recréer son visage. À partir de photos prises à la morgue, l’artiste dessine un portrait le plus ressemblant, mais le plus objectif possible, en incluant les tatouages et les cicatrices. Ce dessin est diffusé dans les médias, avec l’espoir que quelqu’un reconnaîtra le portrait.
Mais il peut aussi être proposé à la famille d’une personne disparue qui ne pourrait la reconnaître si le corps est décomposé. Si la famille se fait connaître, on peut alors procéder à des comparaisons ADN ou chercher les radios dentaires.

L’artiste forensique doit se renseigner sur la pathologie forensique afin de savoir de quelle manière le visage se modifie après la mort, selon la position, le climat, le lieu où le corps a séjourné, etc.
Contrairement au visage des corps qui portent le « masque » figé de la mort, les dessins des artistes forensiques tentent de présenter une expression, une animation, une vitalité, que la victime n’a plus. Il faut « redonner la vie » à un visage, un défi difficile à relever.

La victime, le visage rendu via un logiciel, le dessin d'un artiste forensique, la victime identifiée
La victime, le visage rendu via un logiciel, le dessin d’un artiste, la victime identifiée

Il l’est encore plus lorsque le visage n’existe plus du tout et qu’il ne reste qu’un crâne. L’artiste dessine au-dessus d’une photo du crâne, appliquant la même méthode de mesure des profondeurs que pour la sculpture forensique. Là encore, il ou elle peut ajouter une expression à son dessin, chose bien plus compliquée à réaliser avec une sculpture en glaise. De plus, un crâne en très mauvais état peut ne pas être utilisable pour la sculpture forensique.

La sculpture forensique :
Il existe une controverse sur l’identité de la personne ayant créé la première reconstruction faciale correcte, mais le crédit en revient souvent à un anatomiste allemand, W. His, qui a publié ses résultats en 1895. Il avait acquis un crâne dont on disait qu’il était celui de Johann Sebastian Bach, et à partir de celui-ci, il avait sculpté un portrait très ressemblant.

Afin d’établir la profondeur moyenne de la peau et des muscles sur le crâne, His a plongé des aiguilles graissées dans le visage de nombreux cadavres. Au sommet de chaque aiguille, il fixait un bouchon de liège. Lorsque l’aiguille atteignait l’os, le bouchon restait au niveau de la surface de la peau. His enlevait les aiguilles, mesurait la distance entre la pointe et le bouchon, et faisait des dessins basés sur ces mesures. De cette manière, il a été capable de créer une « carte des profondeurs », qui allait aider les anthropologues des générations suivantes à composer des portraits à partir de crânes. (Les recherches modernes utilisent à présent les ultra-sons sur des personnes vivantes pour étudier la profondeur des tissus).

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Une autre sculpture a été exécutée par un anatomiste de la police américaine en 1916 après qu’un squelette a été découvert à Brooklyn (New York). Il a placé le crâne sur des journaux enroulés, a mis des yeux de verre dans les orbites, et a couvert l’os de plastique couleur chair. Un sculpteur a ajouté assez de détails pour que l’on finisse par reconnaître dans ce portrait une femme qui avait disparu.

C’est en Russie, toutefois, que la technique de la « sculpture forensique » a véritablement été développée. Mikhail Gerasimov dirigeait le département d’archéologie d’un musée et faisait des expériences avec les crânes qui lui était confié. En 1935, il était devenu expert dans la transformation d’un crâne en un visage que les gens pouvaient reconnaître. Quatre ans plus tard, il a aidé à résoudre un meurtre. En 1950, l’URSS a créé un Laboratoire de Reconstruction Plastique, et durant des années les hommes qui y travaillèrent furent les experts les plus renommés dans ce domaine.

La sculpture la plus célèbre est, peut-être, celle que l’Américain Frank Bender a accompli d’un dénommé John List.
En 1971, dans le New Jersey, John List avait assassiné son épouse, ses trois enfants, sa mère… et avait disparu. Les enquêteurs n’étaient jamais parvenus à trouver de pistes sérieuses. Ils avaient vieilli quelques photographies de List, afin de représenter son visage année après année, mais c’est la sculpture de Bender qui a finalement fait tourner le vent. Pour une émission télévisée, « America’s Most Wanted », Bender a créé un visage en trois dimensions basé sur les photographies et les nombreux facteurs qui l’avaient aidé à imaginer à quoi List ressemblait en 1989, presque 20 ans après les meurtres.
Lorsque ce visage a été présenté à la télévision, une ancienne voisine de « Bob Clark » dans le Colorado a appelé l’émission. Grâce à ses empreintes digitales, « Bob Clark » a été identifié comme étant John List, inculpé des meurtres et condamné.

anthropologie

La technique de la sculpture forensique consiste d’abord à faire un moule du crâne (ou parfois à utiliser le crâne lui-même). Lorsque l’on ne possède pas de crâne, l’artiste doit se contenter de photos travaillées avec des logiciels spécialisés afin de créer un crâne en argile. En utilisant le crâne ou sa réplique, de petits trous sont percés pour que de fines chevilles en bois soient insérées à des endroits précis dans le but de mesurer la profondeur de la peau.
Ensuite, on applique de la glaise, qui représente les muscles, autour du nez, de la bouche, des joues et des yeux et une fine couche sur le haut du crâne. Les caractéristiques faciales sont modelées afin d’obtenir l’apparence « basique » de la personne (sans trop de détails subjectifs). Une perruque et des yeux sont ajoutés, ainsi que du maquillage semblable à celui qu’un embaumeur utilise pour les cérémonies d’enterrement.
Une autre technique consiste à fixer le crâne sur une table tournante. Alors qu’elle tourne, un laser parcourt le crâne de haut en bas, et envoie des informations à un ordinateur qui les assemble pour créer un portrait en 3 dimensions, basé sur les informations emmagasinées dans l’ordinateur, concernant d’autres crânes et visages avec des origines raciales et des mesures similaires.

Des corps et des squelettes ont été retrouvés sous la maison du tueur en série John Wayne Gacy, à Chicago. Une artiste a créé des sculptures basées sur les crânes de neuf des 33 victimes de Gacy. Grâce à ce travail, une victime a été identifiée, un jeune homme originaire du Nebraska, et cinq autres ont pu être partiellement identifiées.

La modification d’image :
Il peut arriver que l’on demande à un artiste forensique d’altérer une photographie afin de représenter le vieillissement, de montrer ce à quoi une personne pourrait ressembler avec un déguisement, une barbe ou des lunettes, ou indiquer des changements tels qu’une prise de poids ou de la chirurgie plastique. Certains fugitifs tentent de modifier leur identité en se laissant pousser la moustache ou la barbe, en perdant ou gagnant du poids, en se teignant les cheveux. L’artiste forensique doit créer plusieurs apparences afin de couvrir un éventail d’hypothèses le plus large possible.

vieillissement

On utilise souvent des logiciels spécialisés dans les cas d’enfants disparus ou de criminel en fuite depuis des années. Selon les artistes forensiques, ces logiciels sont très efficaces lorsque l’on possède une bonne photo de la personne. Lorsque la photo est mauvaise, la vieille méthode du papier-crayon reste la meilleure. Que ce soit avec un logiciel ou un crayon, le spécialiste doit comprendre les concepts de l’anatomie du visage… et la psychologie humaine.
Une artiste forensique, Karen Taylor, avait été invité à travailler sur le visage de Virgilio Paz Romero, un terroriste qui avait assassiné l’ambassadeur du Chili aux États-Unis et son secrétaire. On ne lui avait fourni que des mauvaises photocopies de photos anciennes. Elle procéda à des recherches pour apprendre à connaître son caractère. D’après ce qu’elle apprit, elle pensa qu’il ne devait pas avoir pris de poids et devait s’habiller avec des couleurs vives, car il faisait attention à son apparence. Elle le dessina avec une chemise rouge. Son dessin fut diffusé sur « America’s most wanted » et, trois jours plus tard, Paz Romero fut arrêté. Il portait une chemise rouge.

Afin de représenter le vieillissement d’une personne, l’artiste forensique doit savoir comment vieillit un visage, quelles parties changent le plus, à quel point les mâchoires se développent, la ligne des cheveux recule et la couleur des poils change. Alors que l’apparence générale d’une personne change peu durant sa vie (les yeux notamment), certaines modifications sont inévitables, et assez prévisibles d’une décennie à l’autre.
Il existe toutefois des facteurs individuels impliqués dans le vieillissement et il peut être utile d’avoir accès à des photos des membres de la famille qui aurait le même âge que le disparu ou le criminel. La connaissance de ses habitudes personnelles, telles que le tabac, l’alcool, la gourmandise, peut également aider. La personnalité affecte les lignes de tensions sur le visage.

Vieillir l’image d’un jeune enfant disparu depuis des années est le travail le plus difficile, car la forme du visage elle-même change et l’artiste doit se reposer sur de nombreux facteurs pour ne pas commettre d’erreur. Il doit savoir comment l’être humain se développe en général, mais doit aussi examiner les caractéristiques familiales, telles que le poids et la formation des rides.

Janvier
Ludovic Janvier, disparu en mars 1983

Il doit posséder une photo de l’enfant ayant au moins 2 ans, avoir accès aux photos de la famille à leurs différents stades de développement, posséder des photos de face des parents et des frères et sœurs, avoir des photos des parents à l’âge que l’enfant doit avoir maintenant, obtenir des informations sur la santé et les éventuels problèmes de santé qui pourrait affecter l’apparence de l’enfant, etc.
Il utilise un logiciel spécifique qui scanne les photos et les « travaille », utilisant les informations disponibles dans ses bases de données concernant la croissance afin de prévoir les changements structuraux du visage selon les âges. Respectant des règles et des grilles pour les proportions, l’artiste manipule les différentes parties de l’image et affine les nuances.
Un visage d’enfant s’élargit et s’étire, car son crâne se développe. D’autres dents poussent, le nez s’allonge, les yeux se rapprochent et la bouche grandit. Les cheveux clairs ont tendances à foncer. Vers l’âge de 12 ans, le visage paraît relativement mature, le menton se forme et le nez s’allonge encore.
La photo modifiée de l’enfant est comparée à celles de ses parents et de ses frères et sœurs. Par petites touches, l’image est fignolée pour ressembler un peu plus à la famille, ou les photos sont fusionnées afin d’obtenir des combinaisons de caractéristiques faciales.

De plus en plus d’artistes forensiques travaillent sur les visages d’enfants enlevés ou disparus. Les techniques s’affinent et les spécialistes utilisent à la fois les logiciels et le dessin afin d’obtenir un résultat précis.

L’entomologie médico-légale

Un entomologiste légal se spécialise dans les étapes de développement et le comportement des différents types d’insectes trouvés sur un cadavre. Ces étapes donnent des indications concernant le temps qui a passé depuis la mort de la personne (le « PMI », en anglais), bien que cette science ne soit pas totalement exacte. Elles peuvent également fournir des informations sur le climat et l’endroit où le meurtre a eu lieu, si cet endroit est différent du lieu où le corps est découvert.

La "body farm"
La « body farm »

Le Docteur William Bass, spécialiste en anthropologie physique, a énormément développé l’entomologie légale. Il dirige le département de recherche anthropologique de l’Université du Tennessee à Knoxville. Là, un terrain d’un hectare est dédié à l’étude des corps en décomposition, et la présence constante de plus d’une dizaine de corps tout au long de l’année permet d’analyser, entre autre, les effets du temps qui passe et de la météo sur les cadavres. L’endroit, surnommé « La Ferme des Corps » (« Body Farm ») par les médias, a permis de faire d’énormes progrès dans l’estimation du « PMI » des morts suspectes.
William Bass, expert dans l’identification de squelette, a été un pionnier dans ce domaine de recherche inhabituel il y a 40 ans, lorsqu’il a découvert que ce domaine de l’anthropologie légale était « principalement anecdotique ». S’étant installé au Tennessee en 1971, il s’est trouvé impliqué dans des affaires où les corps découverts étaient infestés d’insectes ou de larves d’insectes. Il a tenté de se documenter et a découvert que la littérature sur le sujet était quasiment inexistante. Il a donc acquis un terrain pour l’université et a obtenu les cadavres non « réclamés » de plusieurs vagabonds. En restant exposés dans la nature, ces corps ont fourni des informations sur les transformations d’un corps sous les effets de conditions variées. Les insectes apparaissaient à chaque fois et sont devenus les sujets d’une étude intensive.
Avant le travail de Bass et de son équipe, personne n’avait établi ce genre de chronologie. Il existe de nombreux facteurs qui peuvent affecter la décomposition d’un corps, mais William Bass a découvert que les deux facteurs principaux étaient le climat et les insectes. Lorsqu’une personne meurt, le corps commence immédiatement à se putréfier, et les enzymes du système digestif commencent à « ronger les tissus ». C’est ce qui produit l’abominable odeur de la mort. Et c’est ce qui attire les insectes. La mesure et l’analyse de ces informations est la raison d’être de la « Ferme des Corps ».

Des larves de mouche
Des larves de mouche

Alors que les enquêteurs et les sciences légales réalisaient la valeur de ces informations, un nombre plus élevé d’entomologistes s’impliquèrent dans ce domaine. Lee Goff, professeur d’entomologie à l’Université d’Hawaï, est consultant du médecin légiste d’Honolulu. Il est l’auteur d’un livre nommé « A fly for the prosecution », qui décrit les nombreuses contributions qu’un entomologiste peut apporter dans une enquête sur un meurtre. Il explique que les enquêteurs demandent souvent à l’entomologiste légal d’estimer le « PMI », grâce à l’activité des insectes.
En fait, l’entomologiste estime la période d’activité des insectes et non pas le « PMI » lui-même, mais ces deux périodes sont généralement très proches, car les insectes envahissent un corps très peu de temps après le décès de la personne. Habituellement, en à peine 24 heures, les mouches pondent leurs œufs dans les cavités du corps. Ceux-ci éclosent (si le climat est tempéré) en 8 à 14 jours.

L’enthomologue légal peut aussi :
– déterminer si le corps a été déplacé après sa mort
– estimer si les blessures ont eu lieu avant, durant ou après la mort
– individualiser une scène de crime
– prélever des spécimens d’insectes pour les analyses toxicologiques
– fournir du matériau ADN de l’estomac des insectes parasites
– reconnaître des périodes d’abus ou de négligence chez un enfant ou une personne âgée
– appuyer ou contredire un alibi

La première expérience de Goff sur une scène de crime a eu lieu en 1984, avec la découverte du corps d’une femme sur une plage du parc Hau Tree d’Hawaï. Elle était morte depuis au moins deux semaines et les insectes avaient déjà pris place depuis un bon moment. Goff et son assistant ont collecté des spécimens et les ont ramenés au laboratoire. Ils ont découvert trois espèces de larves à différents stades de développement, qu’ils ont mesurés et conservés dans un produit chimique. Ils en ont placés d’autres dans une chambre d’incubation afin qu’elles terminent leur développement jusqu’à devenir adulte, dans le but de les différencier définitivement. Après avoir recueilli une autre espèce de mouche et deux types de coléoptères, Goff a entré toutes les informations dans un ordinateur pour voir si un logiciel qu’il avait développé pourrait lui donner le « PMI ».

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Une Sarcophagidae

Les analyses l’ont déçu : son logiciel lui indiquait qu’un tel ne corps ne pouvait exister et qu’il devait y avoir deux corps différents. En essayant de comprendre où il s’était trompé, Goff a dû réévaluer les données qu’il avait fournies à l’ordinateur. Il a alors découvert le rôle que le positionnement du corps joue dans l’altération de l’activité des insectes, particulièrement celle des « Sarcophagidae larvae ». Généralement, deux espèces différentes ne se retrouvent pas sur un même corps à des stades précis et pourtant elles avaient été découvertes sur ce corps-ci.
En fait, il y avait quelque chose d’unique dans cette scène de crime. Goff y retourna et vit que la victime avait été partiellement submergée, ce qui signifiait que les mouches qui auraient dû partir alors que le corps perdait son humidité (à cause de la décomposition) étaient en fait restées sur cette partie du corps plus humide. C’était une leçon concernant les limites de la base de données : chaque affaire pouvait avoir des caractéristiques distinctes qui embrouillaient toutes les informations.

Alors que le temps passe, différents groupes d’insectes vont et viennent durant le processus de décomposition. Chaque espèce se nourrit du corps, et le change pour le prochain groupe, qui est attiré par ces changements particuliers.
Selon les entomologistes, il existe quatre types principaux de relations directes :
les espèces nécrophages (mouches et coléoptères) qui se nourrissent directement sur le corps et pondent des œufs. Leurs étapes de développement, surtout lorsqu’elles dépassent deux semaines, aident à indiquer depuis quand une personne est morte.
les prédateurs et les parasites des mouches et des coléoptères (d’autres types de coléoptères qui mangent les œufs et les larves). Un certain type de mouche peut se nourrir du corps ou plutôt des larves. Les guêpes parasitent aussi les larves et, comme elles ont tendances à se spécialiser, il est facile de dire quel genre de mouche a pu se trouver sur le corps.
les guêpes, les fourmis et les coléoptères qui se nourrissent du corps et des larves. Les guêpes qui capturent trop de mouches peuvent retarder la décomposition.
les araignées qui utilisent le corps comme un habitat pour chasser les autres insectes.

Les relations entre les insectes et le corps, la manière dont ils « l’habitent », sont déterminées par la biologie des insectes. Les parasites restent des parasites, même si dans certains cas les « mangeurs de tissus » peuvent devenir des prédateurs si ces tissus sont totalement absorbés.
Cependant, l’endroit et les facteurs climatiques peuvent altérer les périodes d’activités sur le corps. Si un insecte particulier se nourrit de tissus séchés, il pourra apparaître plus tôt dans un environnement aride, et ne pas apparaître du tout dans un habitat humide. Ces changements peuvent affecter l’ordre de succession, mais le rôle de chaque insecte est établi par son évolution.
Le travail de l’entomologiste légal est d’interpréter ces relations variées afin d’offrir des informations aux enquêteurs qui les aideront à suivre des pistes.

entomologie forensique
L’un des cochons de la ferme de Lee Goff

Pour ses recherches, le professeur Lee Goff utilise des cochons. Il a sélectionné des sites d’études en se basant sur des rapports concernant des localités où des corps avaient été découverts.
Pour chaque étude, il utilise 3 cochons. Le premier est placé directement sur le sol, ou sur la couche de substance que Goff étudie. On ne touche pas ce cochon jusqu’à la fin de l’étude. Un second cochon est placé sur une plate-forme de pesée protégée par un grillage. Ce cochon est utilisé pour déterminer le taux de perte de poids et est pesé à chaque visite du site. Il est équipé de sondes thermoélectriques insérées dans sa bouche, son abdomen et son anus, afin de déterminer les changements de températures internes relatifs à la décomposition. Le troisième cochon est aussi posé sur une plate-forme de pesée, mais placée directement sur le sol ou sur la substance. Ce cochon sert à recueillir des insectes et d’autres arthropodes.
Un équipement destiné à enregistrer les données climatiques est déposé sur chaque site, notamment une jauge de pluie et un hygro-thermographe. À la fin de l’étude, Goff est son équipe enregistrent tous les facteurs et ajoutent leurs résultats à une base de données en perpétuelle expansion.

À l’avenir, les avancées technologiques vont apporter des contributions significatives à cette discipline.
L’utilisation de l’ADN permettra d’identifier des spécimens non encore développés et d’extraire du « matériau » du contenu de l’estomac des insectes. Il faudra standardiser les techniques utilisées pour déterminer les cycles de vie des insectes : de nos jours, les données varient souvent, ce qui provoque des lacunes lorsque des affaires sont jugées. Toutefois, il y a eu des améliorations sensibles dans le domaine de la détection de drogues dans les insectes (intoxiqués si le corps l’était) qui permettent des analyses plus précises.

La médecine légale

La médecine légale est sans doute la plus ancienne des sciences forensiques. Cette science est celle qui est admise (comme preuve) le plus facilement lors de procès à cause du rapport qui existe entre la loi et la médecine. La pathologie est la branche de la médecine associée à l’étude des changements structurels provoqués par les maladies et les blessures. La médecine légale ajoute simplement les mots « non naturelles » ou « suspectes » devant « maladies et blessures ».
Il existe actuellement deux branches dans la pathologie : anatomique (les altérations structurelles du corps humain) et clinique (l’examen en laboratoire d’échantillon prélevé sur le corps). La plupart des médecins légistes sont des experts dans les deux branches.

De tels experts peuvent :
– établir la cause de la mort
– estimer le moment de la mort
– déduire le type d’arme utilisée
– distinguer un meurtre d’un suicide
– aider à révéler l’identité de la personne décédée
– déterminer si la blessure a eu lieu durant le meurtre ou si elle est plus ancienne

Aux États-Unis, pour devenir médecin légiste, il faut effectuer au moins deux ans d’internat dans ce domaine après avoir obtenu son diplôme de médecine. Une année d’étude supplémentaire est passée à préparer l’examen du « Conseil Américain de Pathologie ».
Les différents états emploient des « coroners » ou des médecins légistes. Le « coroner » est généralement un officier civil élu et n’a même pas besoin d’être médecin, bien qu’il doive avoir un minimum d’expérience dans le domaine.

Au Texas, par exemple, le « Justice Of Peace » (un juge pour un tribunal un peu particulier) est souvent également « coroner » (il enquête et demande des examens de laboratoire). Les « coroners » ne sont pas exempts de responsabilité civile en cas de négligence. Les médecins légistes le sont. Ceux-ci agissent pour des administrations centralisées dans la capitale de l’état ou font partie d’un « arrangement » entre comtés ou régions. Ils sont souvent investis de pouvoirs d’investigation (ils peuvent engager leurs propres enquêteurs) et de pouvoirs quasiment judiciaires (ils peuvent demander que des enquêtes soient menées et recueillir des témoignages).

Dans les cours de « Justice of Peace », la victime se représente elle-même lors du jugement si elle a signé le mandat contre l’accusé. Aucun procureur n’est présent pour l’accusation. Si c’est la police qui a signé le mandat, le policier prend la responsabilité de représenter l’accusation et appelle la victime comme témoin.

En France, le futur médecin légiste doit également suivre un internat puis obtenir un certificat d’études spéciales qui lui permet d’être inscrit sur la liste des experts de la cour de la région dont il dépend. L’autopsie est mise en œuvre à la demande d’un juge d’instruction, du procureur de la République ou du président du tribunal. Un médecin « classique » peut procéder à la « levée du corps » sur le lieu où il a été trouvé et demander à ce qu’une autopsie soit pratiquée si elle lui semble nécessaire, mais il ne peut la faire lui-même.

Un rapport d'autopsie
Un rapport d’autopsie

Afin d’être capable de fournir des informations aux enquêteurs, le médecin légiste doit procéder à une autopsie. Celle-ci permet d’observer et de faire un rapport, aussi tôt que possible, sur les particularités anatomiques tant générales que précises d’un corps récemment découvert.
Aux États-Unis, les autopsies sont généralement pratiquées dans un hôpital local ou à la morgue du compté, mais certaines ont lieu dans des bureaux privés ou des salons funéraires.
En France, les autopsies sont pratiquées dans un Institut de Médecine Légale.

L’examen anatomique peut être suffisant pour établir la cause de la mort si le médecin légiste a accès à d’autres informations (les circonstances de la mort, le passé de la victime, des données psychiatriques et d’autres informations pertinentes). Un examen clinique ou microscopique des organes est souvent nécessaire pour renforcer les conclusions du légiste, mais cet examen peut être impossible si la famille s’y oppose ou si le corps a été exhumé, car l’embaumement altère les examens microscopiques des organes. L’examen des organes est utile si l’on suspecte que de l’alcool, de la drogue ou du poison peut avoir causé la mort, mais aussi dans les cas de causes naturelles (maladies coronariennes, emphysème, etc). L’inspection du contenu de l’estomac peut offrir des informations sur la cause, mais aussi le moment de la mort : si les aliments sont peu digérés, la personne est décédée peu après avoir mangé.
Le médecin légiste demande presque toujours un examen aux rayons X dès qu’une arme à feu est impliquée. Les rayons X sont parfois utiles, aussi, dans les blessures par armes blanches et dans les cas d’abus d’enfants.
L’examen clinique permet aussi de confirmer l’âge, la race, le sexe, la taille, le poids et la condition physique de la personne décédée, surtout si elle n’a pas été identifiée.

L’odontologie légale

L’odontologie est l’étude des dents humaines. Elle est particulièrement utile pour l’archéologie et les sciences forensiques : les dents, grâce à l’émail, sont l’élément le plus résistant du corps humain et la partie que l’on retrouve le plus souvent. Elles résistent à la putréfaction et à la carbonisation : la dent résiste jusqu’à 800 degrés et ne fond qu’à 1200 degrés. L’os résiste jusqu’à 500 degrés.
Les dents offrent de nombreuses informations, notamment sur l’âge de la victime, mais aussi sur son état de santé et sa pathologie. Dès 1898, Oscar Amoédo en faisait part dans son ouvrage « L’art dentaire en médecine légale« .
En utilisant une radiographie ou un moulage dentaire, on peut le comparer au dossier d’un dentiste et identifier une personne. Des progrès en biotechnologie permettent depuis peu de créer un profil ADN à partir des dents.

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Le développement et l’apparition des dents durant l’enfance sont les mêmes chez tous les êtres humains. Lorsque la formation de la dent est complète, elle ne se modifie plus, excepté les dommages physiques ou chimiques.
On peut déterminer l’âge d’un squelette grâce à ses dents. Vingt dents « primaires » (également appelées « dents de lait ») se forment avant même la naissance, entre la 14ème et la 16ème semaine de grossesse et pousse en dehors des gencives à partir de 9 mois et jusqu’à l’âge de 6 ans. La dentition « secondaire » (les dents permanentes) est formée de 32 dents et pousse de 6 à 18 ans.

On sait également, depuis peu, que la teinte de la racine des dents se modifie avec l’âge. De plus, certaines caractéristiques dentaires sont uniques à chaque individu. Chaque personne a une structure dentaire différente. Cela fait malheureusement peu de temps que les dentistes demandent une radio complète de la mâchoire : celle-ci peut servir à identifier une victime. Mais on peut aussi établir l’identité d’une personne grâce à l’ouvrage du dentiste effectué sur des dents (amalgames, couronnes, prothèses, etc). Lorsque le dentiste perce un trou dans une dent pour ôter une carie, le trou est différent de tous les autres.
Ainsi, si l’on possède une radio dentaire d’une personne disparue et que l’on ne retrouve qu’une seule dent « travaillée » d’un squelette, on peut tout de même comparer cette seule dent à la radio et identifier la personne.

En plus de l’âge, les dents permettent d’estimer :
le sexe : les racines, la taille de la mâchoire et la forme du palais son différente chez la femme et chez l’homme
les habitudes de vie : l’état des dents et des gencives, le tartre et les dépôts tabagiques, la restauration dentaire et la présence de prothèse. Si une personne possède une prothèse onéreuse, on pourra penser qu’elle devait avoir un bon train de vie plutôt qu’être SDF, par exemple.

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Mais l’odontologie ne sert pas uniquement à identifier une victime, elle peut également permettre de confondre un accusé. Ted Bundy en a fait l’expérience. Lors de l’un de ses derniers meurtres, dans le dortoir d’une université, il a mordu la fesse d’une de ses victimes, Lisa Levy. Cette marque de morsure a été relevée et lorsque Bundy a été arrêté, on a photographié ses dents. La trace de morsure et l’alignement des dents de Bundy correspondaient parfaitement, reliant Bundy à ce meurtre.

Il existe entre 30 et 76 facteurs de comparaisons à considérer, notamment les stries, les sillons, les dentelures, les cavités et les abrasions. De nos jours, on utilise souvent un ordinateur et des photographies pour procéder à ces comparaisons.
On peut également étudier des marques de dents sur de la nourriture si l’agresseur a mordu dans un aliment, chez la victime, et l’a abandonné là. Les marques laissées sur les aliments laissent des impressions en 3 dimensions, qui sont plus « intéressantes » que les marques de morsure laissées sur la peau : une morsure peut pénétrer la peau, mais ne laisse parfois que des ecchymoses. La peau peu être déformée par la morsure ou les dents peuvent glisser.

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Selon Vernon Geberth, auteur de « Practical Homicide investigation« , la plupart des marques de morsures sont rencontrées dans deux types d’homicides : l’homicide comportant une composante sexuelle et l’homicide d’un enfant battu.
Lorsqu’il y a morsures dans les meurtres homosexuels, elles se trouvent généralement dans le dos, sur les épaules et les bras, le visage et le scrotum. Des morsures sur la poitrine, les cuisses et les fesses indiquent plutôt un meurtre hétérosexuel et ont tendance à être effectuées lentement, de manière sadique, ce qui laisse une trace nette.
Les enfants battus assassinés présentent des marques de morsures indifféremment sur tout le corps, qui sont majoritairement diffuses et peu marquées.

Il existe également deux « genres » de morsures :
– la morsure sadique, qui est infligée lentement et qui présente une « marque de succion » au centre avec une abrasion qui ressemble à une brûlure.
– une morsure d’attaque par l’agresseur, ou de défense par la victime, qui ne laisse pas de trace nette et est plus difficile à identifier. L’agresseur peut laisser de la salive, et donc son ADN, sur la morsure. D’un autre côté, si l’on pense que la victime a pu mordre son agresseur, il est utile de prendre des photographies (et un moulage) de ses dents si l’on veut les comparer aux blessures du suspect.

Les marques sur la peau peuvent indiquer la musculature de la mâchoire de l’agresseur, son état mental et sa coordination. On peut déterminer par le type de saignement de la peau si la victime était vivante ou morte lorsque la morsure a eu lieu.
Mais la morsure peut également aider à « dresser un profil psychologique » de l’agresseur. En effet, les morsures indiquent une vie fantasmatique sophistiquée qui s’est développée depuis des années. Si les morsures montrent une certaine frénésie, on peut penser que le tueur est « désorganisé ». La morsure est souvent rencontrée dans les agressions sexuelles violentes, que ce soit un viol ou un meurtre. C’est une manière de contrôler et de dominer sa victime. L’agresseur veut « dévorer » sa victime au sens propre comme au sens figuré, par tous les moyens possibles. Et la morsure est l’un des moyens pour y parvenir. L’agresseur détruit sa victime avec toutes les « armes » qu’il possède. Cela n’a rien à voir avec le cannibalisme, c’est une question de pouvoir.

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Les marques de morsures sont parfois très difficiles à trouver sur un corps et l’on a tendance à les prendre pour des égratignures. Ce genre de marque a joué un rôle essentiel dans une affaire célèbre aux États-Unis, celle des « West Memphis Three« , Damien Echols, Jessie Misskelley, et Jason Baldwin à Jonesboro, dans l’Arkansas.
En 1994, ces 3 adolescents ont été reconnus coupables des meurtres de trois petits garçons originaires de West Memphis, Michael Moore, Stevie Branch, et Christopher Byers. Les garçons avaient été découverts nus, les poignets attachés à leurs chevilles par les lacets de leurs chaussures. L’un avait été castré et poignardé dans l’aine. Tous les trois avaient été battus. Les corps de ces trois garçons n’ont jamais été examinés par de véritables médecins légistes et aucun légiste n’était présent lors de l’autopsie.
Un groupe de supporters décidés à faire libérer les trois accusés a porté l’attention sur les techniques de pression de la police, utilisées pour obtenir de faux aveux et, surtout, sur une marque de morsure dont on n’avait même pas parlé durant le procès. Les avocats des trois accusés ont expliqué qu’ils n’avaient pas eu assez d’argent pour payer un odontologiste qui aurait pu examiner la marque de morsure présente sur le visage de l’une des trois victimes. Selon eux, la police connaissait l’existence de cette marque, mais n’avait pas voulu qu’elle soit présentée durant le procès, car elle aurait innocenté les accusés.
Cinq ans plus tard, un odontologiste, un médecin légiste et un spécialiste médical ont examiné les photographies des corps et ont témoigné durant un procès en appel : les impressions dentaires obtenues sur les trois accusés indiquaient qu’aucun d’eux n’avait mordu la victime.
Et pourtant, tous trois sont restés derrière les barreaux (Echols est condamné à mort, Misskelley et Baldwin sont condamnés à la perpétuité). Le Juge David Burnett a décidé que, malgré le témoignage des experts, la marque de morsure n’était pas une marque de morsure. (Il ne savait même pas ce qu’est l’odontologie).
(Les West Memphis Three ont été libérés en 2011).

Il semble que les méthodes et l’importance de l’odontologie forensique doivent être décrites en détails aux jurés, mais aussi à la population générale, car c’est elle qui forme les jurys.
Mais il faut également noter que les marques de morsures ne sont pas toutes des preuves de valeur. Dans certaines affaires, comme celle de Ted Bundy, l’analyse de la marque de morsure a été très importante, mais c’est plutôt rare. Une marque de morsure doit être nette et plusieurs experts doivent présenter le même avis indépendamment, avant qu’une cour de justice ne puisse considérer cette preuve comme importante.

La toxicologie

La toxicologie forensique est un domaine spécialisé de la chimie analytique. La toxicologie est la science des effets défavorables des produits chimiques sur les organismes vivants. Le toxicologue forensique détecte et identifie les produits chimiques étrangers dans le corps, en cherchant plus particulièrement les toxiques et les substances dangereuses.

Arsenic

Une toxine est un matériau exerçant un effet menaçant la vie d’un organisme vivant. Les poisons sont un sous-groupe des toxines. Les toxines existent en bien des formes différentes (gaz, liquide, solide, animal, minéral et végétal) et peuvent être ingérées, inhalées ou absorbées à travers la peau. Les poisons entrent dans le corps en une seule dose massive ou s’accumulent doucement, avec le temps. Les toxines agissent même en très petite quantité et demandent donc des instruments de détection hautement sensibles. Certaines toxines ont une utilisation médicale, mais la plupart produisent des dommages irréversibles. Certaines ont des antidotes et d’autres pas. Les poisons peuvent être combattus par un traitement rapidement administré et la plupart des dommages occasionnés aux organes peuvent être réparés.

Les poisons sont souvent identifiables aux symptômes qu’ils provoquent :

Acides (nitrique, chlorhydrique, sulfurique)

Aniline (hypnotiques, nitrobenzène)

Arsenic (métaux, mercure, cuivre, etc)

Atropine (Belladone), Scopolamine

Bases (lessive, potasse, hydroxydes)

Acide carbolique (et autres phénols)

Monoxyde de carbone

Cyanure

Empoisonnement alimentaire

Composés métalliques

Nicotine

Opiacés

Acide oxalique (phosphore)

Fluorure de sodium

Strychnine

Si un corps présente ce genre de signes ou si un témoin précise que la victime a eu ce genre de symptômes avant de décéder, un examen toxicologique s’impose. Le médecin légiste peut aussi le demander après avoir examiné les organes internes et estimer leur aspect suspect.

Marie Besnard, inculpée de l'empoisonnement à l'arsenic de 12 personnes, fut finalement acquittée.
Marie Besnard, inculpée de l’empoisonnement à l’arsenic de 12 personnes, fut finalement acquittée.

On connaît mal la véritable incidence des empoisonnements, aussi bien en France qu’aux États-Unis, mais l’on sait que beaucoup de personnes en meurent chaque année. Les enfants s’empoisonnent souvent par accident (produits d’entretiens, analgésiques, insecticides, médicaments divers), mais ce sont les adultes qui en meurent le plus, de manière intentionnelle plus souvent qu’accidentelle (antidépresseurs, analgésiques, drogues dures, alcool, produits chimiques industriels).

Les effets toxiques des substances sont les résultats indésirables d’un effet direct. Ils surviennent de plusieurs manières différentes, le plus souvent engendrés par un métabolite (le produit d’un métabolisme) de la drogue qui est activée par une enzyme, par la lumière ou par une réaction à l’oxygène. Les réactions toxiques dépendent souvent de la manière dont les métabolites sont élaborés par le corps d’un individu, la manière dont les protéines se construisent et se lient à des endroits précis du corps.
Certains métabolites détruisent les cellules du foie, d’autres des tissus du cerveau et d’autres encore s’attaquent à l’ADN lui-même.
Les réactions toxiques sont classées en trois réactions :
– pharmacologique (dégâts sur le système nerveux central)
– pathologique (dégâts sur le foie)
– génotoxique (création de néoplasmes ou de tumeurs bénignes ou malignes)

Si la concentration de toxine n’atteint pas un niveau critique, les effets peuvent être réversibles. Les réactions pharmacologiques, par exemple, sont de ce type. Les réactions pathologiques peuvent être réparées si elles sont découvertes à temps. Les effets génotoxiques peuvent durer de 20 à 40 ans avant qu’une tumeur ne se développe. De plus, les gens ont des allergies chimiques différentes et les réactions toxiques peuvent donc prendre des formes différentes.

chromato

Un toxicologue forensique doit souvent travailler à partir d’échantillons de « fluides » corporels, du contenu de l’estomac et d’organes. Il doit avoir accès au rapport du médecin légiste, qui doit contenir des informations sur les signes et les symptômes présents ainsi que les données post-mortem. Le toxicologue doit savoir comment le corps change et métabolise les drogues, car la plupart des substances modifient l’état du corps.
Les substances avec lesquelles il travaille sont fréquemment des dérivés de composés chimiques préparés à partir d’un composé pur afin de les détecter plus facilement. En effet, le toxicologue divise les échantillons en deux catégories, « acides » ou « basiques ». Presque toutes les drogues sont soit acides, soit basiques. Les drogues acides sont aisément extraites avec une solution de pH 7 ou inférieur, les drogues de bases avec une solution de pH 7 ou supérieur. Par exemple, les barbituriques sont solubles dans des solutions acides alors que la majorité des amphétamines est soluble dans des solutions basiques.
Après avoir déterminé si le produit appartient à la catégorie acide ou basique, l’examen continu : des tests de filtrage, puis des tests de confirmation. Les tests de filtrage permettent de traiter de nombreux échantillons pour chercher un large éventail de toxines en peu de temps. Chaque indication positive doit être vérifiée par un test de confirmation. À cette fin, on utilise le plus souvent la spectrométrie de masse : chaque toxine possède son propre « spectre de masse », telle une empreinte digitale, qui est la preuve de sa présence.

La toxicologie peut être utile pour savoir si une personne a été empoisonnée, mais peut également aider à identifier un corps. En effet, les drogues (dont le tabac et l’alcool) « imprègnent » le corps et y laissent des traces qui peuvent être détectées dans les organes, les cheveux et les dents. Si l’on sait que la victime était un fumeur qui consommait aussi des barbituriques (on peut même savoir précisément quels barbituriques), cela peut resserrer les recherches concernant son identité.

Bibliographie

Scènes de crime

La parole est au cadavre : Le quotidien d’un officier de Police

Preuve par l’ADN : La génétique au service de la justice

L’Anthropologie juridique

Traité d’entomologie forensique : Les insectes sur la scène de crime

La levée de corps médico-légale

Traité de Médecine Légale

Guide pratique de toxicologie

Edmond Locard : Le Sherlock Holmes français

Anthropologie médico-légale

Odontologie médico-légale : Identification des personnes : des bases fondamentales aux experts de terrain

Liens utiles en français

– La Médecine légale sur Wikipedia : article complet détaillant tous les aspects de cette science (datation des cadavres, entomologie, autopsie…)

– Société française de médecine légale : la médecine légale en France

– Médecine légale, au Québec : le bureau du coroner

– Les possibilités d’identification grâce à l’odontologie : Les dents, aussi discriminantes que l’ADN ?

– L’association Française d’Identification Odontologique : identifier des personnes grâce à leurs dents

– L’odontologie médico-légale : la mort et l’identification (mémoire de thèse de doctorat)

– Les morts judiciaires : le rôle de la Médecine Légale

– Guy Gautier : Anthropologue judiciaire-médico-légale

– Le portail de la criminologie d’expression française : bibliothèque virtuelle

– La toxicologie professionnelle : l’essentiel

Exploitation de profils ADN multiloculaires dans le cadre d’une enquête policière

La ferme des corps de William Bass (attention, les photos sont écœurantes)

– L’arsenic : poison d’hier, toxique d’aujourd’hui

– Des définitions supplémentaires concernant les « Sciences forensiques » sur Wikipedia

– Une enquête interactive à mener sur Crimexpo, à la Cité des Sciences